Sur la base du volontariat
Solo ; Test de niveau

Chrono: Après Deux silhouettes dans la nuit
RPs liés: Complots, plantes et épées couronnées ; La nature reprend toujours ses droits ; Le Bal de Seaghdha ; Partie I & Partie II

☙ Ramin Djawadi - Break the Wheel

La missive se consuma entre mes doigts sitôt que j'eus finis de la parcourir. Songeur, je frottai mes doigts pour les débarrasser des cendres collantes. Le caractère confidentiel de l'invitation était inhabituel. Je devinai que cela aurait à voir avec les récentes hécatombes qui décimaient les Lignées, bien que ce ne fut pas explicité dans la lettre. Il m'était juste demandé de rejoindre au plus vite le Fjörd, ce qui m'arrangeait, c'était moins loin que Merhoneän. J'avais appris à aimer cette contrée à la beauté froide et austère que j'arpentais avec plaisir, en solitaire la plupart du temps. La cohabitation avec d'autres Vampires m'était pénible et j'avais pris l'habitude de sortir en extérieur pour plusieurs heures d'affilée. Y chasser ne me plaisait pas outre mesure même si j'y étais moins médiocre qu'autrefois. Ce ne devait néanmoins pas être l'objet de la convocation.

Je me mis en chemin sans tarder, laissant derrière moi les îles suspendues. Les questions qui y avaient été soulevées s'engluaient à mes pensées. La princesse sorcière m'avait donné de quoi réfléchir, assez pour m'occuper pendant le voyage. Je voulais garder cette entrevue secrète, en particulier de Laysa. Elle, plus que toute autre personne, n'approuverait pas l'idée folle qu'Eméliana avait mis sur la table. Le mieux était donc qu'elle en ignore tout. Ma magie me permettait de ne plus lui être aussi vulnérable et transparent, mais je devais rester sur mes gardes. Je la savais assez retorse pour m'extorquer ce que je lui cachais, je devais donc absolument ne pas susciter sa suspicion. Pour commencer, je ne lui avais pas révélé la vraie raison de ce voyage, et j'avais prétendu partir rejoindre Bae afin de régler la dispute que nous avions eu avant qu'il ne parte. J'étais assez fier de mon mensonge, je l'étais moins de ne pas avoir réellement tenté d'apaiser les tensions avec l'Orine. Était-il toujours vexé ? Son absence me touchait plus que je l'aurais voulu, mais telle était la nature du lien que j'avais accepté de former avec lui. Savoir que la même peine piquait son cœur me dérangeait, mais j'espérais que cette séparation lui donnerait le loisir de réfléchir avant de m'ennuyer avec ces fables d'Ezidor à l'avenir. J'avais autre chose à faire qu'à penser à des personnages fictifs qui me ressemblaient.

Si tu as cessé de bouder, n'hésite pas à venir me rejoindre. Je suis au Fjörd.

Je ne signai pas la simple bande de papier qui formait mon billet, il saurait. Je le relu, pris d'hésitation. Le ton employé allait lui déplaire, c'était une certitude. Tant pis. S'il tardait trop à me revenir, je n'aurais pas d'autre choix que me rendre à sa cité des arts dont il m'avait parlé pour le ramener par la peau des fesses. Et si je devais faire le voyage jusque là-bas, je risquais d'être d'assez mauvais poil pour que nous nous disputions encore. J'haussai les épaules. Ce n'était rien de dramatique. D'ici quelques années, nous oublierions ce sujet de discorde et je le mis de côté en même temps que le billet que j'enverrai plus tard en entendant frapper à ma porte.

Laysa pénétra dans ma chambre et vint déposer ses lèvres sur mon front. Faisant comme si elle n'avait pas perçu mon mouvement de recul, elle alla s'asseoir dans le fauteuil opposé au mien. Je lui trouvais l'air las et préoccupé. « Pourquoi est-ce qu'on est ici ? » démarrai-je pour aller à l'essentiel. Je n'avais jamais eu le goût pour les banalités. « Je n'en sais pas plus que toi. » Je grognai de dépit. « Selyne n'est pas là ? » « Si, bien sûr. Mais elle avait faim, elle chasse. » Je revins à la charge. « Et Magnus, il ne t'a rien dit ? » Son Créateur était gourmand en secrets, même envers sa progéniture, mais j'espérais qu'il lui aurait au moins laissé des indices. « Je ne l'ai pas vu depuis longtemps. Il n'est même pas ici. Dans sa dernière lettre, il s'apprêtait à infiltrer Drosera. Il a une affection particulière pour les Alfars, il doit courtiser un de ces Elfes pour en faire l'un d'entre nous. Je n'ai plus de nouvelles depuis. » « Il va revenir, il a dû aussi recevoir la convocation. » « J'imagine, oui. Bae n'est pas ici ? Je ne sens pas son odeur. » Pendant une fraction de seconde, je faillis me trahir en fronçant les sourcils d'incompréhension. Je transformais mon expression en moue exaspérée. « Il est plus têtu que je ne le pensais. » maugréai-je. Ce n'était pas difficile d'avoir l'air contrarié en parlant de l'Orine et Laysa avala mon explication. « Je vois. Il est jeune après tout. Quand je le vois, c'est un enfant que je vois. Allez viens, on va aller chercher des réponses à nos questions. Tout ce mystère me rend très curieuse. » « Ça doit avoir un rapport avec ce qu'il s'est passé avec Gabor et Ksenia. » avançai-je. « C'est évident. Ce qu'il se trame dans les strates supérieures ne nous est pas révélé, ce qui ne signifie qu'une chose. » « Que c'est un complot qui vise plus haut encore. » conclus-je. La Vampire me jeta un regard surpris. Je lui retournai un sourire de paon. « En effet. C'est ce que je suppose en tout cas. Mais c'est mieux si nous feignons de ne rien comprendre. S'ils nous sous-estiment, ils seront plus susceptibles de nous en dire davantage, alors prends ton air le plus idiot, mais ouvre l'œil et les oreilles. » « Je devrais pouvoir faire ça. » « Naturellement, tu sais mieux mentir qu'avant, j'avais remarqué. Je m'occupe de poser les questions. » Son allusion ne m'échappa pas et je tâchai de ne pas avoir l'air trop coupable. Que savait-elle de mes mensonges ? Qu'avait-elle deviné ?



La femme appuya ses coudes sur la table et nous regarda à tour de rôle. « En bref, on expérimente activement sur le lien de soumission. Compte tenu de la nature de celui-ci, vous vous doutez que les cobayes ne courent pas les rues, ce qui nous force à demander, à vous demander, de vous porter volontaires. C'est une requête qu'on présente uniquement à certains de notre Lignée, puisque vous êtes naturellement plus aptes à comprendre l'intérêt scientifique qui nous motive. » Un silence suivit la conclusion de la Vampire. Installés dans un petit bureau, aux murs en pierre brute couverts de rouleaux et de livres, nous faisions face à la Vampire qui avait précipitamment accepté de nous recevoir. Son visage sans âge ne trahissait pas d'émotions, sinon une impatience sous-jacente qu'elle exorcisait dans le battement rapide de son pied sous la table jonchée de feuilles. « Un intérêt scientifique ? Vous nous avez fait venir simplement pour ça ? » releva Laysa. Le regard perçant de la femme plongea dans le sien comme s'il pouvait la disséquer à distance, laissa passer quelques secondes avant de venir me regarder avec un air indéfinissable. Mal à l'aise, je réprimai l'envie de me tortiller sur ma chaise. « Ce n'est pas la première fois que des recherches sont faites à ce sujet, mais elles sont plutôt mal vues, au sein de notre peuple. Officiellement du moins. Explorer les limites de ce lien de soumission reviendrait à remettre tout en question. Les résultats pourraient mettre en colère disons... tout le monde. » Tous ceux qui se complaisaient dans ce système où nous étions assujettis à l'Empereur de la Nuit, développai-je en moi-même. Les dévots du culte de Lubuska, de la Lignée d'Oksana, en particulier, devaient réprouver l'idée même d'étudier la solidité de la Soumission, estimant sans doute que c'était la volonté de l'Æther. Mais l'ambition des autres Lignées était palpable. L'idée selon laquelle certaines œuvrent en ce moment même pour renverser les autres n'était pas à écarter. Nous nous étions déchirés par le passé, m'avait-on raconté, nous pouvions le refaire.

« C'est pourquoi nous ne pouvons vous en dire plus, sur nos avancées, sur nos résultats, sur nos objectifs. Seule une poignée de personnes est au courant. Plus, et ce serait trop dangereux. » C'était un faible terme. Toute la Lignée risquait d'être exterminée en guise de châtiment. « Je comprends, en effet. » Laysa me jeta un coup d'œil rapide. « Nous ne pouvons... » « C'est d'accord. » Je m'étais hâté de couper la fin de sa phrase. Ignorant le regard furibond et choqué qu'elle me lança, je répétai. « J'accepte de participer à vos expériences. » Un grand sourire illumina le visage de la Vampire. « Tu ne crois pas qu'on devrait en parler avant ? » s'enquit Laysa d'une voix que la tension faisait trembler. « Parler de quoi ? » Du fait que, si ces expériences réussissaient, je pourrais me défaire de son emprise, et du même coup, de celle de tous ceux qui se positionnaient au dessus de son pouvoir ? C'était vite réfléchi, et c'était précisément ce qui faisait briller les yeux de ma Créatrice de colère. « J'entends votre hésitation, Laysa, mais songez à ce que sous-entendrait votre refus. Vous devez savoir que ces expériences sont prescrites et financées, non par nous, mais par ceux que vous n'avez pas souvent l'habitude de rencontrer. » Laysa se tut, son teint fantomatique prenant une nuance cireuse. Persister sur sa position équivaudrait à se placer contre les ordres de la hiérarchie. Autrement dit, elle était piégée. « Est-ce que c'est dangereux ? » articula-t-elle, les dents serrées. La femme se contenta de sourire, amusée.



Étendu sur une étroite couchette en pierre surélevée, j'étais à l'écoute des bruits qui m'environnaient. Je me sentais curieusement détaché, comme en flottement. Tout s'était accéléré suite à mon accord impulsif. L'appréhension avait fini par se frayer un chemin jusqu'à moi face à l'incertitude. Avais-je signé mon arrêt de mort sans le savoir ? Par définition, la recherche était jalonnée d'erreurs et d'échecs, il n'y avait que comme ça que l'on pouvait progresser. Je pensais à Bae, à qui j'avais envoyé le billet en y ajoutant finalement qu'il me manquait. Savoir ce que je faisais l'aurait rendu malade de peur et j'espérais survivre au moins pour lui. Cette pensée d'une mièvrerie consommée m'arracha un sourire sans joie. Pourquoi m'en souciai-je ? Si j'étais mort, plus rien n'aurait d'importance à mes yeux, et je n'assisterai pas à sa souffrance.

Après avoir prélevé mes mensurations, mon sang, quelques cheveux et quelques lambeaux de peau scalpée sur mon bras, les scientifiques s'étaient affairés à analyser avec soin tous ces morceaux de moi. Je savais que Laysa, placée dans une salle jumelle, devait subir la même chose, bien qu'à contrecœur. Avant d'y aller, elle avait souri, rassurante, et avais déclaré tranquillement qu'il y avait de toute façon peu de chances que tout cela aboutisse. Ce qu'elle espérait, je le craignais. Les expériences passées avaient échoué, mais j'ignorais si les moyens mis en place alors équivalaient à ceux d'aujourd'hui. Soutenus par la branche supérieure de notre Lignée, peut-être même par l'Iskahrin elle-même, Alteïs, les recherches devaient avoir pris un nouveau souffle.

Prenant mon mal en patience, je réfléchis à la façon dont ils allaient procéder. Parmi mes congénères, je n'étais pas le bon élève de notre Lignée et les laboratoires de notre manoir n'exerçaient pas leur attrait sur moi. Je ne m'y rendais presque jamais, et les quelques livres que j'avais lu pour éveiller mon intérêt m'avaient finalement laissé indifférent. Naguère, j'aurais absorbé ces connaissances avec avidité, lorsque je voulais soigner autrui, les soulager de leurs maux et peut-être même leur sauver la vie. La nuit m'avait détourné de ce chemin et mes prédisposition pour la médecine s'étaient perdues dans le noir, à la grande déception de Laysa.

Un mouvement à côté interrompit le fil de mes réflexions. « Ne bouge pas. » eus-je le temps d'entendre alors qu'on saisissait mon bras pour l'aplatir près de mon flanc. Une seconde plus tard, une aiguille pénétrait l'intérieur de mon coude et je sentis un liquide y être poussé de force. « Qu'est-ce que c'est ? » demandai-je après avoir grimacé. Je résistai à l'envie de gratter le coton qu'ils collèrent pour stopper le léger saignement. « Quelque chose de notre composition. » Sentant que sa réponse évasive ne me satisfaisait pas, le Vampire ajouta. « C'est à base de sang d'Humain. On a étudié ses composantes, et on l'a retravaillé, pour que ton organisme ne le rejette pas. » Il n'eut pas besoin de préciser que tout cela était théorique. Je comprenais la logique. Le lien de soumission était somme toute magique. Une seule inquiétude demeurait. « Ça ne va pas me faire perdre ma magie ? » « Il faut espérer que non. » Soudain, je fus frappé par un autre sujet de préoccupation. Une vague de panique me contamina et mon bras me gratta d'autant plus. « Je suis lié à une Orine. Si ça fonctionne, ça ne va pas aussi... » « Je l'ignore. On va te garder en observation ici le temps de voir les effets s'il y en a. Si ça ne fonctionne pas, on essaiera autre chose. » « De quel type cette fois ? » « Personne n'a jamais fait le tour de la Magie du Sang. Si l'Anti-Magie échoue, nous irons en sens inverse et tisserons des enchantements. Les pentacles qu'utilisent les Sorciers sont très inspirants. La destruction, ça leur est familier. » Pourquoi fallait-il toujours qu'on en revienne à eux ? Je soupirai. « Il suffit de leur demander un coup de main, dans ce cas. » Ça en fit rire quelques uns dans la pièce, mais j'étais sérieux.

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