Si les étoiles nous crament le cœur
Babelda, en duo avec Daé

« La destruction d’Amestris ne lui a fait aucun bien. » Les deux hommes, qui s’étaient mis à discuter de banalités comme s’ils n’avaient pas conscience de tous les plans du destin en train de se mettre en place, s’interrompirent pour observer la jeune femme discrète qui les accompagnait dans la calèche. « Tu ne pipes pas un mot de tout le trajet, et lorsque tu te décides enfin à ne plus être une tombe, c’est pour insulter ma ville ? » répondit Andreï avec un rictus amusé, tout en se débarrassant d’une poussière qui venait entacher son costume. « La Lune noire a tout effacé, mais la reconstruction est toujours aussi lugubre. » continua la damnée, continuant à épier les ruelles qu’empruntaient leur voiture à travers le rideau qu’elle repoussait tout juste pour obtenir un aperçu de la cité. « Que veux-tu ? Ethelba a fait pleuvoir son chaos sur nous, mais elle n’a pas changé la nature des mages noirs. Et tu as tort. Amestris se redresse de ses ruines tel un Phénix renaissant de ses cendres. Elle est et continuera d’être plus spectaculaire encore qu’avant la chute de la Lune Noire. » Le couronnement avait été un bouleversement pour bon nombre d’habitants, mais le faux sorcier semblait s’en amuser. « Les cendres des réprouvés. » grommela la Caeli. Elle avait essayé de ne pas repenser au massacre des Manichéens en traversant le champ de bataille. Il lui avait semblé entendre les cris de désolations des génocidés, tandis qu’elle se faisait secouer par le cahotement de la calèche, les souvenirs de ce que lui avaient montré les étoiles venant parasiter ses pensées. Babelda sentit un frisson désagréable la saisir. Elle soupira puis lâcha le rideau avant de s’appuyer contre le dossier de la banquète.

« Serais-tu nerveuse ? » s’amusa Ulrich. « Il est rare te voir aussi remontée. » continua son mentor. « Ce n’est pas son état normal ? J’ai l’impression de ne la voir que grincheuse et stressée. A croire que cette Rhéa a déteint sur elle. Tu devrais faire attention aux fréquentations de ta filleule. » « C’est sans doute de ne pas savoir à quelle sauce elle sera mangée qui la rend de mauvaise humeur. Ou bien l’ambiance maussade de la capitale qui la contamine. » « Ou le Spleen. » « Ou le spleen. » confirma d’un air entendu le Clairvoyant. « Arrêtez de parler de moi comme si je n’étais pas juste à côté de vous. » s’agaça la fille aux cheveux châtains. « Tu ferais mieux de t’y habituer rapidement. Tu n’obtiendras pas plus de crédit une fois que tu seras mariée à l’un des miens. Les femmes ne sont jamais respectées ni tenues en haute estime. Encore moins lorsqu’elles sont incapables de cruauté. Encore moins lorsqu’il s’agit de magiciennes. Apprête-toi à être mangée toute crue. » La Tilluiel serra les dents, ses doigts se crispèrent les uns sur les autres et son dos devint aussi raide qu’un manche à balais. Elle avait envie de sauter dans le premier miroir pour fuir, mais elle savait qu’elle serait aussitôt rattrapée puis ramenée ici par ses deux chaperons. « C’est un mariage, pas une prison. » prétendit-elle, et sa réponse arracha un rire moqueur au sorcier. « Tant de naïveté dans la cervelle de l’une des nôtres. Je croyais que tu étais censée être intelligente. » « Depuis quand es-tu aussi exécrable, toi ? » rétorqua Babelda à Andreï. Chacune de ses remarques lui donnait la désagréable impression de n’être qu’un chaton essayant de batailler contre un lion capable de l’avaler en un seul croc. Elle détestait cette sensation, maintenant plus que jamais. « Tu as raison. Elle est clairement mal lunée. Ça a peut-être à voir avec l’absence de la lune bleue par ici. » fit le mage-noir en se retournant vers Ulrich. Les deux hommes continuèrent leur discussion comme si la principale concernée était absente. La fiancée aurait voulu hurler, taper des pieds, des poings et les mordre furieusement. A la place, elle déglutit, inspira profondément et ferma les yeux pour s’astreindre au calme.

La calèche ralentit puis s’arrêta. Les deux Rehas descendirent, puis Ulrich s’arrêta pour tendre sa main à son élève. Babelda était engoncée dans la robe à crinoline qu’elle avait revêtit, telle une magicienne propre sur elle. Elle se sentait aussi à l’aise qu’une réprouvée étriquée dans un tutu. Son corset était trop serré. « Rappelle-toi d’être plus aimable avec Daé. Il n’a pas plus demandé cette situation que toi. » lui glissa Ulrich à l’oreille. « Je sais. Ça ne rend pas la situation moins frustrante. Et ça ne veut pas dire non plus qu'on s'entendra bien. » fit la jeune femme en glissant un regard vers celui qu'elle avait accompagné en mission quelques jours plus tôt. « Qui sait ? Il parait que beaucoup de mariages arrangés débouchent sur le véritable amour. Peut-être que ça vous arrivera. » La Caeli grimaça, fronçant les sourcils. « Avec un cadre aussi romantique qu’Amestris ? C’est sûr. » « De l’humour, c’est bien, on progresse. » s’amusa son chaperon. Andreï attendit patiemment que le duo arriva à ses côtés sur le perron pour signaler leur arrivée. Babelda eu l’impression d’avoir avalé une ancre qui la clouait sur place, plus inéluctablement qu’une paire de menottes à ses chevilles. La porte s’ouvrit, et la fiancée s’agrippa de toutes ses forces au bras qui la soutenait pour se forcer à ne pas faire demi-tour.

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