Le curieux
Ludwine

☙ Scarlett Rose - In My Beautiful Garden

Chronologie : Suite directe de Que la lumière dévore

Roseline effleura les touches du piano pour les dernières notes. Elles résonnèrent dans le silence un moment dans la haute salle de bal, et furent remplacées par les applaudissements de l'audience. Assise au premier rang, mais légèrement à l'écart, Ludwine les imita. Des fourmillements parcouraient son épiderme, comme chaque fois qu'elle écoutait la Vampire jouer ses compositions. Il arrivait que Roseline joue lorsqu'elles étaient seules, et ces moments la transcendaient. Il n'y avait personne pour rompre ces minutes suspendues et uniques par des chuchotements parasites ou, pire encore, en osant se lever pendant qu'elle jouait. Ludwine en avait surpris certains et les avait fusillé du regard.

Depuis sa transformation, et plus encore avec l'acte de son frère, son isolement social s'était fâcheusement amplifié. Se trouver au sein d'un essaim de personnes comme ce soir lui nouait le ventre d'appréhension et elle n'espérait plus aucun plaisir de leur conversation. Le fait que les Magiciens se soient portés volontaires pour protéger Dastan Belegad des Manichéens animait tous les bavardages et après avoir été coincée par un homme qui commentait le choix du nouveau Seigneur des Deux Rives avec une passion qui ne trouvait pas d'écho chez la Vampire, Ludwine avait pris ses distances.

Ses parents s'étaient montrés compréhensifs de ses réticences à se mêler à la société, au début. Puis Roseline elle-même était intervenue pour persuader la jeune femme de faire des efforts. Sortir du domaine Rhoswen restait encore hors de ses capacités, mais elle pouvait assister à celles se déroulant sur leurs terres. Enfin, un autre problème était survenu. Son père n'était plus lui-même dernièrement. Il souffrait d'absences, et quand il revenait parmi eux, il y avait une chance sur deux pour qu'il soit lucide. Le reste du temps, il agissait étrangement, et c'était sa mère qui avait pris temporairement la gestion du domaine sur ses épaules, en attendant qu'il soit soigné. Les médecins qui visitaient la chambre du Comte conseillaient tous différents traitements, sans qu'aucun n'offre plus que d'ennuyeux effets secondaires. Le mal dont il souffrait n'avait pas encore su être identifié. Le terme de démence avait été employé, et Ludwine et sa mère vivaient dans l'inquiétude de ne pouvoir sauver Macarius.

La Comtesse se fraya un chemin jusqu'à Ludwine. « Tout va bien, ma chérie ? » « Oui, merci. Mais c'est plutôt à toi que je dois demander ça. » Elle trouvait à sa mère un air terriblement fatigué. Elle savait que sous son maquillage, son teint était de papier mâché, terni par l'inquiétude et les diverses tâches qui échouaient sur ses épaules. « Oh oui, ne t'en fais pas ! Cette réception me donne de l'énergie ! » dit-elle d'un ton animé. Dubitative, Ludwine ne répondit pas. « C'est gentil de m'avoir aidée pour ce soir, et de rester. » ajouta-t-elle en caressant sa joue et Ludwine se sentit coupable d'avoir tant rechigné à se montrer. « C'est normal, maman. » « S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire, Ethel, n'hésitez pas. Vous savez que vous pouvez compter sur moi. » intervint Roseline qui s'était rapprochée d'elles. « Vous êtes adorables, toutes les deux, je suis si chanceuse de vous avoir à mes côtés. » fit la Comtesse affectueusement. « Veuillez m'excuser, je dois absolument aller parler à la baronne Hanove, je ne pensais pas la voir ce soir ! »

Plus tard, Ludwine longeait les murs de la réception. Elle s'était éclipsée pour aller se nourrir quand Roseline était venue lui faire remarquer qu'elle regardait trop fixement les invités. Un homme apparut sur son chemin, et s'appuya contre le mur, apparemment plus à l'aise que celle qui vivait ici. « On ne vous avait pas vue depuis longtemps, nous avions craint qu'après Parsifal, nous allions perdre la sœur également. » Elle se figea à la mention de son frère, luttant contre le sentiment qu'on lui perçait le cœur avec un pic à glace. « Excusez-moi, vous êtes ? » dit-elle froidement. « Emilion d'Olac. Pardonnez-moi si je vous ai offensée, je tenais simplement à manifester mon plaisir de vous voir. Vous êtes un peu pâle. » « Et vous très impoli. » rétorqua Ludwine, qui détestait l'homme un peu plus de seconde en seconde. « Je m'inquiétais simplement pour votre santé. Nous avons trop peu entendu parler de votre famille dernièrement, nous avions craint qu'une maladie puisse vous avoir tous touchés. Vous n'avez pas l'air d'avoir été épargnée. » Il marqua une courte pause comme s'il ménageait son effet pour laisser à Ludwine le temps de saisir le sous-entendu. « C'est donc vrai que vous hébergez Roseline Rengaw ici ? C'est une compositrice reconnue, en particulier chez les siens, je suppose, bien qu'elle ait aussi son succès ici. Nous sommes un peuple conciliant. Attendez - » Muette de colère, Ludwine fit volte-face et s'éloigna sans un mot.

Encore raidie par l'échange, Ludwine se planta dans un coin et attrapa un verre pour se retenir de croiser les bras. « Bonsoir. » fit une voix joyeuse près d'elle. Elle tourna la tête et rencontra d'abord un impressionnant décolleté. Précipitamment, ses yeux remontèrent sur le visage. Elle reconnut une Magicienne, qu'elle savait assez proche de sa mère pour venir prendre le thé de temps en temps. « Bonsoir Margaret. » « J'ai vu que vous aviez fait la rencontre de ce charmant Emilion d'Olac. C'était un plaisir, j'imagine. » « En aucun cas. » répondit sèchement la Vampire. « Je plaisantais, ma chère, de la simple ironie. » « ... Oh. » Ludwine n'aimait pas l'humour, quelle que soit sa forme. Elle le trouvait bien souvent de mauvais goût, trop souvent utilisé à des fins moqueuses, dépourvues de bienveillance, et surtout, elle ne savait jamais quand quelqu'un en faisait usage. « Je l'ai connu adolescent, il était réellement charmant, vif d'esprit. Mais depuis qu'il est devenu journaliste, son ambition est telle qu'il en devient odieux. Il n'est même pas subtil et sa plume est... Eh bien disons que le talent lui viendra peut-être plus tard ! » « Mmh. » fit Ludwine, qui n'avait plus envie d'entendre parler de cet homme. « Ma chère, vous êtes toute blanche, vous voulez aller vous allonger ? Je peux demander à ce qu'on vous apporte un petit remontant ! » « Je vais bien, je vous assure. » fit-elle distraitement. Ses sourcils s'étaient froncés en voyant le journaliste en pleine conversation avec sa mère. Comme s'il avait senti son regard sur lui, il leva les yeux et croisa son regard. Un petit sourire de renard étira ses lèvres. Mal à l'aise, Ludwine détourna la tête et s'excusa auprès de Margaret pour quitter la soirée définitivement.

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