Chers tous
Ludwine ; solo

☙ Luke Faulkner & Özgür Kaya - The Winter Wind

« Psst psst ! » Le chat la regarda fixement, avec une nette froideur. Ludwine s'accroupit et tendit une main. Elle avait pris soin d'y déposer une friandise au préalable pour amadouer le récalcitrant. « Viens ! Viens mon Jun ! Juninou... » susurra-t-elle. Depuis l'enfance, elle avait pour habitude de nommer ses animaux par les noms de ceux qu'elle admirait.

Le chat fit le gros dos et lui jeta un regard mauvais avant de prendre la fuite, ses pattes effleurant le parquet avec souplesse. La Vampire poussa un soupir. Tous ses chats la fuyaient depuis sa transformation. Tristement, elle se redressa et réajusta les plis de sa robe. « Laissez-leur le temps de s'habituer à votre nouvelle... forme. » fit doucement Orvale face à la mine déconfite de sa maîtresse. « Oui... Je les nourrirai à l'avenir. » décida-t-elle, pleine d'espoir. Cette manœuvre avait toujours réussi à amadouer les plus sauvages des chats errants qu'elle aimait recueillir. « Vous n'avez pas revu mon Kaahlinou depuis la dernière fois ? » La domestique hocha la tête par la négative et Ludwine se mordit la lèvre inférieure, inquiète. Le chat roux, habituellement si affectueux, avait feulé férocement quand elle avait voulu l'approcher et avait disparu, se cachant dans des recoins du château connus de lui seul. Elle espérait qu'il allait bien.

« J'ai déposé votre courrier sur votre bureau. Ça devrait vous changer les idées. » déclara Orvale. « Ah... Oui, peut-être. » marmonna Ludwine, peu convaincue. Intriguée par le sourire plein de non-dits d'Orvale, elle finit par se diriger vers son bureau. C'était une petite pièce étroite comparée au reste du château, minimaliste dans son ameublement et sobre dans sa décoration. Facilement distraite, Ludwine avait préféré dénuder son bureau le plus possible, ne laissant sa fantaisie s'exprimer que dans le bureau en lui-même, en bois laqué, composé d'une quantité surprenante de tiroirs, dont certains cachés. Un impressionnant étalage de plumes de diverses sortes bordait le meuble, ainsi qu'un pot à encre peint d'arabesques dorées, importé de Maëlith. Sur les murs fades, elle s'était fait violence pour ne pas les agrémenter de peintures, se sachant capable de se perdre à les admirer des heures durant. Pour la même raison, les livres étaient interdits. Pour cela, elle avait son petit salon de lecture, ainsi que l'immense bibliothèque, garnie pendant plusieurs générations par ses aïeux, et recevant perpétuellement des nouveautés provenant des quatre coins du monde. Ludwine avait passé des accords avec quelques libraires avec qui elle correspondait. Avec le temps, ils avaient appris à connaître suffisamment ses goûts pour savoir quels livres susciteraient son excitation.

Posées en petit tas propre, des enveloppes cachetées attendaient leur destinataire. Il y avait là justement une lettre d'un de ses libraires, qu'elle parcourut rapidement. Après avoir rédigé soigneusement une réponse polie et reconnaissante pour ses recommandations – elle accepta d'acheter l'entièreté de la liste suggérée –, elle passa à la suite. Il s'agissait du rapport de Landry, un homme qu'elle avait engagé pour parcourir les terres de Sympan et faire l'acquisition de nouveaux chevaux, les meilleurs du monde, selon la demande exacte de la jeune femme. Annexées au rapport, plusieurs notes de frais attendaient paiement. Sans vérifier leur contenu car elle lui faisait confiance, elle les signa rapidement et demanda à Orvale de les faire porter à la banque.

Comme elle était lente à partir, Ludwine lui jeta un regard interrogateur. « Regardez la suite, Madame. » sourit-elle, agitée comme une enfant concoctant une surprise à ses parents. La dernière lettre était rédigée par une écriture qu'elle ne reconnut pas, nerveuse et sèche, peu élégante. Un sourcil levé, elle baissa les yeux jusqu'à la fin de la lettre pour identifier son auteur. Son cœur rata un battement, puis redémarra dans un galop fracassant. « Oh ! » fit-elle, d'une voix chargée d'émotions. Pendant de longs mois, depuis avant même qu'elle fasse la rencontre de Roseline et Lohengrin, Ludwine avait envoyé des lettres admiratives à Oranzo. Les nouvelles compositions du Déchu, inspirées d'un Conte que Ludwine avait lu, avaient été jouées lors de plusieurs concerts à Vervallée. En découvrant ses morceaux, Ludwine avait été transcendée. Le public autour d'elle avait disparu, ses yeux plein d'étoiles s'étaient refermés pour se plonger totalement dans l'univers créé par l'homme. Après quoi, elle avait envoyé régulièrement des lettres au Déchu, répétant sans se lasser son admiration pour ses compositions, décrivant ce qu'elle avait ressenti en les écoutant. Elle y avait aussi exposé son interprétation de certains des morceaux, étayant son propos par des parallèles avec le Conte dont l'homme s'était inspiré. De façon plus personnelle, elle lui avait confié que le prochain poulain à naître dans ses écuries serait nommé après lui, et que s'il désirait un jour visiter les Terres du Lac Bleu, il était plus que bienvenu à rencontrer le cheval portant son nom, et qu'ils pourraient ensuite partir se promener à cheval et en profiter pour parler de vive voix de l'ensemble de son œuvre.

« Je savais que vous seriez enchantée ! Que dit-il ? » Comme la jeune femme ne répondait pas, Orvale glissa dans son dos et lut par dessus son épaule. Après avoir tant entendu sa maîtresse la seriner au sujet d'Oranzo, la domestique s'était laissée gagné par son enthousiasme. Son sourire retomba alors qu'elle lisait les premières phrases d'une lettre finalement très courte et qui se terminait ainsi :

Bien que reconnaissant de votre appréciation, je vous prie de la garder pour vous. Veuillez cesser de m'importuner avec vos incessantes lettres et vos présents encombrants ! Je vous les ai tous renvoyés, à l'intérieur de ce carrosse aux couleurs de Lieugro, dont je n'ai que faire à Avalon !

« Oh... Quel grossier personnage ! » s'offusqua Orvale. Elle sursauta en surprenant les yeux brillants de larmes de Ludwine. « Oh non... Est-ce que je peux faire quelque chose ? Voulez-vous que nous répondions ensemble à cet odieux ? » La Vampire secoua la tête et renifla. « C'est inutile. J'ai pensé que ça lui ferait plaisir... Je me suis dit qu'il devait forcément aimer le Conte, et il existe tellement d'articles dérivés à Vervallée, j'ai pensé qu'il aimerait les avoir là-bas. » Elle replia la lettre avec des doigts tremblants. La bouche d'Orvale se pinça. « J'ai toujours trouvé les Déchus étranges si vous voulez mon avis. Quel était son Péché ? La vilenie ? » s'emporta la jeune fille. « La colère... » répondit sombrement Ludwine. « Ah. »

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