J'entendais, sur la rive, les protestations de Marie tandis que je courais en direction du lac, sourde à ce qu'elle pouvait me dire. Les rires de Sophie, en revanche, m'étaient parfaitement clairs et me poussaient à continuer ma course et m'y plonger, éclaboussant au passage tous ceux ayant eu la riche idée d'y tremper les pieds. Lorsque l'eau me fût montée à la taille, je me laissai tomber en avant et commençai à barboter tranquillement, seule la tête à sec à présent. Je ne m'éloignais cependant pas trop. L'absence de fond m'effrayait, surtout en sachant que des Sirènes se baignaient là. Ma robe, quoique légère — maman avait vite abandonné l'idée de me faire porter les larges robes à la mode, finissant généralement en pièces —, me pesait sur le corps quand je sortais de l'eau, et je fus tentée de m'en débarrasser. Seules les trop nombreuses leçons de morale de Marie me retinrent dans mon geste. « On ne se montre pas nue comme ça devant les gens, surtout s'ils sont inconnus et encore plus s'ils sont étrangers.». Elle m'avait rabâché ça tellement de fois que j'en avais fini par lui obéir malgré ma déception. Après tout, pour qu'elle insiste de cette façon, c'est que ça devait être vraiment important.
Un frisson remonta mon dos. Je commençais à avoir froid dans l'eau, ça n'était plus agréable. Je rejoins ainsi rapidement — enfin, aussi rapidement que ma robe imbibée me le permettait — la rive et chercha un coin où me poser pour me sécher. Je baillai. Il me fallait un coin où me sécher et où faire une petite sieste donc. Parcourant l'herbe grasse des yeux, je découvris un coin un peu à l'écart. Un grand arbre y trônait, protégeant de son feuillage l'un de ses côtés du soleil. Tout en essorant les pans de ma robe, je rejoins, non sans m'entraver une fois ou deux dans le tissu collant du jupon, l'endroit et commençai à me défaire de mon habit. Au moment où je levai les bras pour étendre le vêtement sur une branche basse, je vis, de l'autre côté du ligneux une silhouette à genoux , le nez dans l'herbe. Je me jetai à quatre pattes dans l'herbe à ses côtés. « Tu fais quoi ? Toi aussi tu viens faire une sieste ici ? » la questionnai-je en me cambrant, la tête dans le creux de mes bras étendus au sol. Je n'en avais pas conscience mais si Marie avait pu me voir, elle aurait probablement été affolée et gênée au possible par ma façon de me tenir.
Claer s’était réfugiée loin de loin foule après la course d’Ublys. Son équipe n’avait manifestement pas gagné, retardée par l’intervention des sirènes. La victoire lui importait peu mais la noyée n’avait pas apprécié de prendre un bain et d’être secourue par Susannah. Elle essayait de ne pas faire de généralités mais, décidément, les filles à queues lui apportaient toujours des problèmes, rendant de plus en plus tentante l’idée de décréter ne pas aimer les Sirènes, un point c’est tout. Après la remise des prix, Claer s’était fait interpeller par un groupe d’adolescents essayant de la convaincre de venir visiter un musée temporaire sur le tournoi d’Ublys. Heureusement, sa mère était arrivée en renfort pour lui éviter de décliner la proposition. C’aurait été un soulagement si Madame Risva n’était pas intervenue pour lui rappeler la suite du programme : devoir se préparer pour se rendre au bal du Viconte Halloy. Claer avait dû rudement batailler pour ne pas être affublée d’un costume fade - Jézabelle – et avait assurée qu’elle ne viendrait pas si elle ne pouvait pas choisir son propre costume – à savoir, celui du Chapelier. Sa maman et elle s’étaient disputées, la magicienne prétextant que sa crise d’adolescence était rendue plus complexe à cause de la nature de son élément, et elle avait paru particulièrement excédée par l’entêtement de son enfant. L’adolescente avait fait de son mieux pour ne pas se vexer à cette remarque : ce n’était pas comme si elle avait choisi de ne pas être une magicienne. Les deux s’étaient quittées en légère contrariété, madame Risva assurant qu’elles en reparleraient plus tard. Aussi, lorsque Claer l’entendit lui parler du bal, elle sut ce qui l’attendait. Elle n'avait pas la force de rentrer dans une nouvelle dispute. Alors, en un courant d’air, elle s’était éclipsée pour échapper à son étouffante maman.
Le point positif de sa baignade impromptue, c’était que Claer pensait avoir aperçu une espèce de poisson qu’elle ne savait pas présente dans le lac. Elle avait donc acheté des livres sur le sujet avant de venir s’installer sous un arbre pour faire des recherches. Sa tranquillité fut perturbée par l’arrivée d’une fille aux cheveux roses, qui commença à se déshabiller. La Basphelienne sursauta lorsqu’elle se plaça à ses côtés avec un enthousiasme déroutant. Claer battit des paupières une seconde avant de lorgner sur sa lecture. « Non, je suis venue lire sur les espèces du lacs. » fit-elle en pianotant sur la page du livre qui reposait par terre. Une double page illustrée montrait un animal marin local. « Est-ce que tu veux que je t’en parle ? Il parait que c’est une conversation soporifique mais je pourrais en parler durant des heures… Si tu veux t’endormir rapidement, ça pourrait t’assommer d’ennui. » proposa la Lyrienne.
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