Ko innu
Tomorrow I'll Leave Blaviken For Good - Sonya Belousova & Giona Ostinelli

« Installez-vous. Directement interpellée par le Maître d’Équipage, l’Artiste du erhu s’avança jusqu’à la table de consultation et s’y assis sans un mot. Monsieur Yüerell, vous pouvez prendre place sur cette chaise. »

Je tournais la tête en direction du siège qui m’était désigné et m’y posa calmement. Du coin de l’œil, je surpris un regard de la part de Muramasa, mais le contact fût soudainement interrompu par le déplacement fortuit de l’apprenti. Celui-ci se rapprochait de son mentor pour mieux observer le travail de ce dernier. Attentif, son visage se contractait sous l’intense concentration qu’il déployait afin de ne rien manquer des gestes et explications de son maître.

« La mécanique derrière la technologie des prothèses repose – ou devrais-je plutôt dire, profite – du système de transmission de l’information entre le cerveau et nos muscles. S’éloignant quelques instants de la table de consultation, Shigure revint auprès de la patiente et de son élève avec le fameux appareil en main. Ces capteurs vont être installés sur les points moteurs de votre moignon, et plus spécifiquement, sur les muscles fléchisseurs et les muscles extenseurs de votre bras. Ce sont ces muscles, habituellement, qui gèrent les mouvements de la main. Joignant le geste à la parole, il fit une première démonstration avec le bras du jeune Alvys, retirant les senseurs de l’emboîture avant de les coller contre la peau de son cobaye. C’est simple : lorsque nous commandons à nos membres de réaliser un mouvement, notre cerveau envoie des signaux électriques à nos muscles par le biais des neurones, et il s’agit de cette information que les capteurs récupèrent pour initier le mouvement de la prothèse. Ils amplifient les signaux et le transmettent, par la suite, aux mécanismes du bras artificiel pour réaliser les mouvements de la main. Alvys, plie ton poignet vers l’intérieur. Incité par le commandement, l’adolescent fit comme demandé, les doigts de l’instrument se refermant après un minime délai. Comme vous pouvez le voir, quand l’utilisateur de la prothèse contracte ses muscles fléchisseurs, la main se referme; lorsque la contraction se répète deux fois, sur une courte intervalle de temps, la main se met alors à tourner vers la droite ou vers la gauche; et lorsque le patient sollicite ses muscles extenseurs… »

Cette fois-ci, l’apprenti plia son poignet vers l’extérieur et la main artificielle s’ouvrit de nouveau.

« Est-ce qu’il me sera possible de bouger chacun de mes doigts individuellement?

- Pas avec ce prototype, malheureusement. Nous travaillons actuellement sur d’autres modèles qui permettraient, à l’avenir, d’avoir des mains à cinq doigts articulés, mais cette prothèse-ci n’a pas suffisamment de capteurs pour répondre à des commandes aussi précises et spécifiques. Néanmoins, vous n’aurez pas à vous souciez de la fluidité ou de la force de vos mouvements. De plus, rien que par sa présence, la prothèse saura également vous soulagez des douleurs liées au membre fantôme. »

Il savait qu’elle en souffrait, grâce aux lettres que nous nous étions échangés auparavant.

« Et… que se passe-t-il si la réponse de mes muscles est trop faible pour être captée? »

Tout en retirant les électrodes du bras de son apprenti, Shigure rétorqua :

« Évidemment, les signaux ne seront pas « lus » par les capteurs, qui ne pourront pas envoyer l’information à l’appareil pour initier le mouvement. Il fit entièrement volte-face, déposant le bras artificiel sur la table de consultation. C’est pourquoi il est nécessaire d’évaluer, en premier lieu, votre potentiel musculaire afin que nous puissions nous assurer que les senseurs parviendront à capter quoi que ce soit. Autrement, la pose de votre prothèse serait inutile et il vous faudra attendre que nous ayons développé une technologie plus puissante pour en posséder une. Palpant soigneusement le moignon de la patiente, l’Orine aux cheveux d’argent rechérit sur un ton plus encourageant : Cela étant dit, dans votre cas, je doute que cela soit un problème. Votre moignon est suffisamment long pour être joint dans l’emboîture de la prothèse et je parviens à sentir la réponse de vos muscles lorsque je les touche. »

Shigure se redressa et entreprit une minutieuse observation du bras amputé de Muramasa. Sur ses talons, Alvys analysait chacun de ses faits et gestes, s’abreuvait de chacune de ses paroles, qu’il prenait soin de noter de temps en temps dans un calepin. Ensemble, ils étudièrent et questionnèrent la Muse sur sa condition avant de reprendre la prothèse. La jeune femme semblait sereine, patiente, et pourtant, je pouvais entendre le martèlement incessant de son cœur. Celui-ci s’accélérait plus les mouvements de Shigure se précisaient. Tout d’abord, il passa au-dessus de sa tête la sangle de cuir qui supporterait la prothèse, puis inséra prudemment l’emboîture de celle-ci autour du moignon. Dans un bruit de succion, les membres s’ajustèrent parfaitement. Ainsi chaussé, les électrodes devaient désormais entrer en contact avec la peau et les muscles du moignon. Tout au long du processus d’installation, Shigure discutait avec Muramasa afin de connaître son état : est-ce que la prothèse était trop serrée? Est-ce qu’il lui fallait relâcher certaines jointures? Toutefois, quand il compléta enfin la mise en place de l’appareil, il planta ses yeux dans le vert de son iris.

« À présent, essayez de bouger votre main. »

Muramasa se concentra et fit comme lui avait expliqué, plus tôt, l’ingénieur de Yanna. Et sous nos yeux, la main de la prothèse bougea soudain.


◆ 891 mots | Post XVI | Ezechyel a donné son accord pour jouer ses personnages ♪

Ko innu
Everytime You Leave - Sonya Belousova & Giona Ostinelli

« C’est… étrange. Comme hypnotisée, Muramasa ouvrait et fermait sa nouvelle main à répétition. Je n’ai pas l’impression que ce bras m’appartient vraiment.

- C’est parce que vous n’y êtes pas encore habituée. Ça viendra. »

Aucun sourire ne se devinait à la surface de son faciès, mais l’étincelle qui brillait dans le regard de la rouquine nous en disait long sur ses véritables sentiments. Remarquant que l’appareil répondait avec un léger décalage, l’Orine en averti le Maitre d’Équipage, qui s’occupa aussitôt de vérifier les différentes composantes de la prothèse. Après quelques minutes, il se redressa.

« Et maintenant? »

La combattante recommença les mouvements : ouverture, fermeture, rotation. Ouverture, fermeture, rotation.

« C’est beaucoup mieux », admit-elle avant de lever son visage dans ma direction.

Je l’aperçus alors et ne pus m’en détourner : son sourire – son véritable sourire – était une vision qui s’était fait rare depuis l’accident. Or, sous la lumière de la salle, il me semblait revoir l’insouciance et l’assurance intrépide de mon Orine; de celle qui avait toujours cherché à se dépasser, de celle qui avait toujours désiré combattre à nos côtés… La prothèse était un tout nouvel Espoir, et ce dernier se gravait sur chacun de ses traits. Inconsciemment, mon propre ravissement se dévoila sur mes lèvres. Nous avions bien fait. Peu importe le prix qu’il nous fallait payer, rien n’était trop cher pour admirer – ne serait-ce qu'une portion – de son bonheur retrouvé.

« Désormais, faisons les essais pour calibrer la prothèse à votre Magie. »

Le ténor de sa voix nous arracha à notre petite victoire, mais cette fois-ci, le plaisir ne quittait plus son visage. Docile comme une poupée, Ren laissait l’ingénieur manipuler son bras pour évaluer les derniers ajustements. Elle répondait à ses interrogations et laissait filtrer sa Magie lorsque sollicité.

« Ressentez-vous des picotements? Elle secoua la tête en signe de négation. Une sensation de brûlure peut-être?

- Rien de tout cela.

- Hmm… Pouvez-vous essayer d’augmenter la concentration de votre Magie? Et assurez-vous de vous arrêter dès que vous commencez à sentir une sensation désagréable. »

Dès lors, Muramasa centralisa son attention sur l’accumulation de la Magie que contenait naturellement son corps. Des étincelles se mirent à pétiller d’un rayon mirifique tout autour d’elle. Des éclats nimbés de nacre chatouillaient ses paupières, partageant leur valse avec de fins faisceaux d’argent qui embrassaient le flamboyant de ses cheveux. L’Artiste du erhu semblait baigner dans le reflet de la Lune, sa peau irradiant sous la lueur de perles miroitantes. Avec ce nouveau bras, Ren se nourrissait de cette seconde chance d’une manière immodérée. Elle désirait reprendre l’entraînement, elle désirait rejouer de son instrument. Tout son être le réclamait, criait à ce souhait : rattraper le rythme de la vie qu’elle avait laissé en suspens. Accrochée à son épaule, cette prothèse devenait soudainement son meilleur allié, sa plus belle opportunité. Certes, il lui faudrait évidemment beaucoup de temps pour s’adapter, mais aujourd’hui, cela lui importait peu, car elle avait désormais un outil qui lui permettrait de réaliser son devoir, d’être à nouveau utile… Non. D’être à nouveau complète.

« Muramasa? Dans un bond, mon corps quitta immédiatement l’assise sur laquelle il était en repos depuis tout ce temps, puisqu’à la vue des premiers filaments de fumée, je m’étais aussitôt alerté. Muramasa!

- Aïe!

- Arrêtez maintenant. »

L’auréole astrale s’évanouit brusquement au cœur de la lumière ambiante. D’un pas ferme, Shigure se rapprocha de sa patiente. Il inspecta méticuleusement son bras, le manipula d’une main experte. Après un certain temps, il expira.

« Je vous ai dit de couper toute alimentation en Magie dès que vous ressentiriez des sensations désagréables! Même s’il n’avait pas élevé la voix, son timbre fût acéré, au point d’en faire frissonner l’aspirant qui se tenait à ses côtés. Au moins, la prothèse est encore intacte. »

Il relâcha le bras de Muramasa alors que je m’avançais jusqu’à leur hauteur, braquant l’acier de mon regard dans l’iris de l’ingénieur.

« Que s’est-il passé?

- Il ne s’agit que du surchauffage de la prothèse. »

Il se retourna vers moi. Le froncement de ses sourcils n’en était que plus apparent.

« Comme je vous ai déjà informé, une surutilisation de la Magie pourrait entraîner une surchauffe de l’appareil. C’est pourquoi je voulais évaluer la résilience de la prothèse pour finaliser la calibration et réduire les risques de rupture qu’une telle situation pourrait entraîner.

- J-Je comprends. Désolée, c’est mon erreur. Je me suis… emballée. »

De nouveau, il soupira, balayant les excuses du revers de la main.

« Faîtes simplement attention à partir de maintenant, parce qu’advenant le cas où vous abuseriez de cela, la dégradation de votre prothèse n’en sera que plus accélérée. Vivement, Muramasa hocha de la tête. Content que nous soyons sur la même longueur d’onde. Shigure se tourna alors vers Alvys, lui indiquant par quelques gestes de commencer à ranger le matériel. Nous en avons terminé pour aujourd’hui; du moins, en ce qui concerne l’opération. Maintenant, je vous inviterais à me suivre pour la signature des différents papiers et le paiement du dernier versement. »

Avec tout cela, nous en avions presque oublié l’administration.


◆ 857 mots | Post XVII | Ezechyel a donné son accord pour jouer ses personnages ♪

Ko innu
Everytime You Leave - Sonya Belousova & Giona Ostinelli

Au seuil de l’entrée du Vaisseau, nous nous retournâmes une dernière fois en direction des Enfants de Yanna, un poing sur le cœur, comme le voulait l’usage martial.

« Encore une fois, merci infiniment pour votre aide.

- Il n’y a pas de quoi. »

Avec déférence, le Maître pencha légèrement son buste vers l’avant, ses bras plongés dans les manches de son vêtement.

« En ce qui concerne les suivis, je tâcherai de vous écrire régulièrement.

- Excellent. Par le fait même, nous pourrons perfectionner notre technologie et vous offrir de bien meilleurs produits. En rectifiant sa posture, l’ingénieur rajouta : Également, nous vous tiendrons au courant de nos développements quant à nos travaux sur les prothèses. Et si vous rencontrez un quelconque problème d’ici nos prochaines correspondances, n’hésitez pas à communiquer avec moi. Vous avez mes coordonnées maintenant, et je m’assurerai de vous répondre dans les plus brefs délais.

- Merci à vous. Distraitement, je posais une œillade sur le visage de son apprenti. Aux plaisirs. »

Le jeune Alvys nous salua par un discret signe de la tête avant que nous leur tournions le dos. Cette fois, une à une, nous descendîmes les marches de l’escalier qui reliait l’Erärkas à la terre ferme.

« Avais-tu déjà entendu parlé de ce Shigure avant aujourd’hui?

- Pas du tout, m’avoua la Sœrei en jetant un bref coup d’œil en direction de l’impressionnant Vaisseau. Il semblerait qu’il se soit complètement adapté au milieu de vie des Enfants de Yanna.

- Rien de surprenant à cela, si l’on considère son ancienneté dans les rangs de l’Empire.

- Cela dit, son caractère m’a plutôt étonné. Je m’étais attendue à un peu plus de…

- Tact? Finesse?

- Entre autres, sourit-elle en calant son pas sur le rythme de mon avancée. Je me demande s’il a un Aisuru. Pourtant, presque immédiatement, cette réflexion lui parut bien absurde. Quoi qu’avec sa personnalité, je doute qu’il ait, un jour, considéré en avoir besoin. »

Je lui jetais un regard à la dérobée, reposant finalement celui-ci sur le bleu tranquille du firmament.

« Peut-être bien… »

Avant de complètement stopper ma foulée. À moins d’un mètre de ma position, Muramasa remarqua aussitôt ma subite inertie. Elle ralentit sa progression, peut-être dans l’attente que je reprenne la marche, mais constata rapidement que je ne la suivrais pas. Rigides, ses jambes s’immobilisèrent tout autant. Je sentais son iris me scruter avec intensité et malgré cela, aucune de ses pensées n’osa franchir la barrière de ses lèvres pour traverser le voile de ce soudain silence. Peut-être s’interrogeait-elle? Ou peut-être examinait-elle ce qui martelait aussi violemment l’intérieur de mon crâne? Parce qu’elle avait un accès direct à l’ensemble de mes réflexions et de mes volontés, de mes résolutions et de mes nécessités, elle savait ce qui me tourmentait depuis que nous avions mis les pieds dans cette salle d’opération. Elle savait ce qui me pesait autant l’esprit, mais après la conversation que j’avais eu avec Isley, comment pouvais-je réagir autrement?


◆ 504 mots | Post XVIII | Ezechyel a donné son accord pour jouer ses personnages ♪

Ko innu
Con La Brisa - Foudeqush & Ludwig Göransson

« Tu n’as pas besoin de dire quoi que ce soit. La Fille des Arts s’approcha tranquillement de ma hauteur et ancra son regard au plus profond de mes yeux. Je sais déjà ce qui trotte dans ta tête. Bien sûr qu’elle était au courant. Nous avons eu des débuts difficiles après la création du Lien, toi et moi. Je me suis imposée dans vos vies. J’ai posé l’Énigme à Isley tout en connaissant parfaitement ce que tu ressentais vis-à-vis de ce Lien. Nous t’avons trompé et je peux comprendre pourquoi tu as été furieux.

- Ce n’était pas une raison pour te rabaisser de la sorte. »

Nous n’avons pas besoin de toi. Tu ne nous seras d’aucune utilité. Dans nos esprits, ces paroles du passé résonnèrent à la manière d’un cri.

« Rien ne pourra effacer les actions que j’ai posé ou les mots que j’ai prononcé à ton endroit. »

En silence, nous revécûmes les moments de rejet et d’ignorance, d’énervement et d’inimité qui avaient ponctué notre vie commune par le passé. En silence, et ce, malgré son cœur qui se mit à tambouriner furieusement, Muramasa conserva calmement sa position, yeux dans les yeux. Elle affronta les iris de saphir qu’elle avait craint pendant longtemps, les iris de saphir qui l’avaient repoussé et qu’elle avait cherché à impressionner afin de leur prouver qu’elle ne serait pas une personne pour qui nous devrions nous inquiéter. Elle avait été faible, imprudente, maladroite, mais elle s’était usée jusqu’au sang pour devenir une Orine digne de ce nom, notre Orine : une épéiste qui saurait se battre et se préserver, tout comme elle saurait nous protéger et nous assister. Elle s’était renforcée pendant tout ce temps pour être enfin reconnue comme telle, pour pouvoir enfin se regarder dans la glace et se dire fièrement qu’elle y était parvenue : qu’elle était devenue l’Orine des Yüerell.

Et vint l’accident, la perte, la défaite, la chute, la Colère, la dépression, la tristesse.

Son corps l’avait abandonné, son visage l’avait brûlé, son bras l’avait torturé, mais au fond, ce fût son esprit qui s’était le plus brisé. À travers les lésions de sa détermination blessée, la reddition avait trouvé les défenses les plus vulnérables de sa conscience pour y plonger ses crocs empoisonnés. Puis rapidement, le venin avait fait effet. Il s’était infiltré dans les veines de son corps pour épuiser le peu de résilience qui lui restait. Corrompue, sa volonté n’avait tardé à s’écorcher également, tombant en morceau à l’intérieur de sa main. Dès lors, elle s’était mise à songer qu’elle n’avait jamais eu l’étoffe d’une Muse de la Guerre. Peut-être qu’elle n’avait jamais mérité ce respect qu’elle avait tant de fois souhaité acquérir. Peut-être qu’ils n’avaient jamais eu besoin d’elle, qu’elle ne leur avait finalement été d’aucune utilité, qu’elle n’avait été qu’une épine dans leur pied. Dès lors, elle s’était mise à songer qu’il avait eu raison, depuis le tout début, de vouloir refuser ce destin interrelié, car elle n’était pas parvenue à démentir sa peur, ma peur… Celle de l’attachement, celle d’ouvrir mon cœur – et de toutes les implications qui en ont découlées.

« Je te demande pardon. Muramasa resta de marbre, le cœur battant à mille à l’heure. Avant aujourd’hui, je n’avais pas réfléchi à la portée de mes paroles, mais tu n’es pas inutile, bien au contraire. Je ne lâchais pas son regard, conscient qu’il me fallait affronter mes écarts. Tu nous as beaucoup plus apporté que tu ne le penses et j’espère que tu continueras de persévérer à nos côtés. »

Distraitement, je passais l’une de mes mains sur ma nuque. Je n’avais jamais été doué dans l'expression de mes sentiments.

« … Ce que je veux dire, c’est que tu nous es irremplaçable. Tu n'es pas obligée de nous prouver ta valeur, parce que tu es bien plus que cela. Je souhaitais que tu le saches ou, du moins, que tu puisses l’entendre de vive voix. »


◆ 673 mots | Post XIX

Ko innu
Con La Brisa - Foudeqush & Ludwig Göransson

Durant un long moment, Muramasa n'éprouva le besoin de prononcer quoi que ce soit. Elle continuait simplement de me fixer. Son attention était bel et bien en alerte et malgré cela, je n’eus aucune réaction de sa part, si ce n’est de son regard. Il était rivé sur mon visage, perçant et inébranlable. J’endiguai ma Magie pour que celle-ci ne puisse sonder son cœur, mais plus les secondes se prolongeaient, prenant des grandeurs d’éternité, et plus je me surpris à ressentir un début de nervosité. Que se passait-il? Ne… m’avait-elle pas compris?

« Ce n’est pas ça, déclara-t-elle subitement, un sourire tendre s’esquissant doucement sur la commissure de ses lèvres. Je suis simplement… Surprise n’était pas le mot. Étrangement allègre. »

Allègre? La rousse perçut aisément l’interrogation qui fuita de mes pensées.

« Nous ne pouvons pas réécrire le passé et tes mots, aussi durs ont-ils été, m’ont tout de même procuré la Force et la volonté nécessaires pour persister. Ils m’ont donné un objectif précis, une voie sur laquelle m’engager : ils sont devenus ma motivation pour vous prouver de quoi j’étais fait malgré leur… animosité. La jeune femme marqua une pause. Puis, notre relation s’est améliorée au fil du temps. Nous nous sommes rapprochés l’un de l’autre et je n’ai jamais vraiment pu t’en tenir rigueur. Elle interpréta avec justesse le froncement de mes sourcils, un rire léger secouant sa gorge. C’est la vérité. Tu es déjà pardonné depuis longtemps. Malgré tout, entendre ces mots de ta bouche… Par réflexe, sa main s’accrocha à son épaule blessée. Je n’aurais jamais imaginé me sentir aussi soulagée. »

Rassuré et rassurant, le visage de la Fille des Arts se retourna dans ma direction. Son œil brillait et le contentement qui illuminait son faciès nous permettait presque d’oublier l’existence des rainures noires qui creusaient sa chair.

« J’ai réussi, n’est-ce pas? Je suis parvenue à devenir l’Orine des Yüerell? »

À mon tour, je l’observais un long moment sans piper mot, jusqu’à soulever mon bras et déposer ma main sur son crâne.

« Nous n’aurions jamais pu imaginer quelqu’un d’autre dans ce rôle. Mes doigts caressèrent le cuivre de sa chevelure et frôlèrent la surface de ses joues. Et toi, souhaites-tu continuer à nos côtés?

- Sans la moindre hésitation. »

Après un bref signe de tête, je retirais ma main. Maintenant que ce cap était franchi, peut-être qu’elle pourrait enfin se concentrer sur le devenir de sa propre personne, afin d’être plus que l’Orine des Yüerell, et simplement être elle-même.

« Cependant, ta réussite ne veut pas dire que tu peux désormais te reposer sur tes lauriers.

- Assurément. Et tu m’y aideras? Pour faire amende honorable, peut-être? »

Nous reprîmes notre marche à travers le Port d’Iyora, cherchant un coin depuis lequel je pourrais décoller pour nous ramener dans la cité-mère de Nisāria.

« Qu’as-tu en tête exactement?

- Hmm… Tu peux bien réaliser une chose pour moi? Voire deux? Inexpressif mais extrêmement attentif, je la laissais clarifier le fond de sa pensée. Premièrement, j’aimerais reprendre mon entraînement avec toi. Après quelque effort, Muramasa redressa son tout nouveau bras, la main métallique bougeant en fonction de ses réponses musculaires. Mon retour sera certainement plus lent, le temps que je m’habitue à cette prothèse, mais en contrepartie, je ferai en sorte que les progrès soient significatifs. »

J’acquiesçais machinalement.

« Si c’est ce que tu souhaites, c’est d’accord. »

D’ici là, il me faudrait me débarrasser définitivement de cette créature qui me poursuivait. Saurais-je la repousser? L’éliminer de moi-même? Il le faudrait.

« Et qu’en est-il de ta deuxième requête?

- Est-ce que tu pourras me porter sur ton dos pour le voyage du retour? »

Mon expression ne s’altéra pas et pourtant, il fût facile de saisir mon désarroi.

« Pardon?

- Oui. J’ai envie d’expérimenter, puisque je n’ai jamais voyagé de cette façon auparavant.

- … »

Elle se moquait de moi. Pourtant, je n’y réfléchis pas à deux fois avant de lui tourner le dos. Posant un genou au sol, j’écartais mes bras vers l’arrière.

« Monte. »

Je ne pouvais voir l’expression de Muramasa depuis ma position, mais si j’avais pu, je ne me serais guère étonné du rouge qui venait soudainement de couvrir l’intégralité de son faciès.

« … C’était une blague. Relève-toi. On commence à attirer l’attention.

- Aller, monte.

- N-Non, non, non, non! Je plaisantais, ne t’en fais pas pour ça.

- Monte avant que je t'y force. »

Entre embarras et affolement, l’Orine finit par céder. Elle glissa ses jambes entre mes bras et ma taille avant d’enclaver mon cou.

« Tu es bien accrochée?

- Mmh mmh. »

Brusquement, mes ailes s’ouvrirent dans mon dos. Je les battais dans l’air afin de m’assurer de leur pleine mobilité et pour savoir si cette posture n’incommoderait pas mon vol une fois lancés vers le ciel.

« Vraiment, laisse tomber, chuchota Muramasa à mon oreille. Tu n’es pas obligé de le faire si cela ne t’enchante pas.

- En effet, cela ne m’enchante pas, mais c’est ce que tu veux, et pour cela, je peux faire quelques… exceptions. D’un mouvement, je portais mes yeux par-dessus mon épaule. La prochaine fois, fais simplement attention à ce que tu souhaites. Les joues de l’Orine devinrent aussi rouges que des tomates mûres. C’est parti. »

Je pliais mes genoux avant de nous propulser dans un battement d’ailes vigoureux. Pendant quelques secondes, nous fûmes débalancés en raison du vent et de cette curieuse posture, mais après un certain temps, je parvins à nous stabiliser, piquant aussitôt notre course vers l’horizon. Tu sais, entendis-je au creux de mon esprit, vous n’aurez plus besoin de vous inquiéter pour moi. Toi, Isley et Wakiya… Autour de mon cou, je sentis son étreinte se raffermir, tandis que sa tête se lova doucement contre ma nuque. Je te le promet, tout ira bien. Je continuerai de faire de mon mieux à partir de maintenant. Je ne lui accordais ni regard, ni palabres, simplement concentré sur la force de propulsion de mes ailes. Et contre mon dos, Muramasa sourit. Elle n’attendait aucune réponse en réalité, puisqu’elle savait que ce silence signifiait bien plus que ce que laissait supposer les apparences.

Finalement, Isley avait eu raison. Nous avions vraiment besoin de discuter, elle et moi.


◆ 1 053 mots | Post XX | FIN