Partenaire : X Intrigue/Objectif : Les Ygdraës, en collaboration avec l'Auroræ, de la Maison Smara, étudient la gemme qui flotte au-dessus de Melohorë pour en apprendre davantage sur ses origines.
Kana Everityl trépignait à la manière d'une enfant à qui l'on avait promis d'acheter une friandise. Un sourire béat fendait de bord en bord son visage pétillant d'enthousiasme. Lorsque ses correspondants à Melohorë l'avaient contacté au sujet d'une affaire urgente, elle s'était attendue à devoir prêter main forte aux autorités locales afin de résoudre un crime complexe, comme elle avait souvent l'habitude de le faire. Jamais elle n'aurait pu s'imaginer que son expertise servirait, en réalité, à démystifier une tout autre énigme. Penchant la tête sur le côté, la Lyrienne scrutait le cristal géant d'un œil inquisiteur. Coincé entre ses mains, elle gardait jalousement un carnet sur lequel elle griffonnait des mots à vive allure. Elle prenait des notes sur tout ce qui lui semblait pertinent de consigner sur la gemme turquoise : ses dimensions, sa conductivité thermique et électrique, sa masse volumique, ses propriétés magiques... Elle passait en revue chaque détail qu'elle observait, procédait à des analyses à l'aide d'outils et d'instruments complexes, puis compilait le résultat de ses recherches à l'intérieur de son cahier. Noirci de schémas et de tableaux encrés, ce dernier ne contenait pas moins d'une vingtaine d'hypothèses sur la nature de l'objet cosmique. De pierre divine à morceau d'étoile tombé du ciel, aucune théorie n'était écartée à ce stade de l'enquête. Bien entendu, une fois que l'étape des observations préliminaires serait franchie, elle comptait en faire le tri afin de creuser les pistes les plus intéressantes à explorer, sous réserve qu'elle agissait pour le compte du gouvernement de Melohorë. Bien que l'Auroræ s'intéressât tout autant aux gemmes que les Ygdraës, leur marge de manœuvre demeurait relativement limitée. En territoire étranger, la Lyrienne devait respecter les lois de la juridiction en place, d'autant plus lorsque sa réputation était mise en jeu. Détective célèbre ou non, elle était obligée de se plier aux règles établies par les autorités du territoire, au risque que les privilèges accordés à son équipage leur soient définitivement révoqués.
À ses côtés, Ezechyel fixait la Fille de la Foudre d'un air perplexe. De toute évidente, il peinait à comprendre d'où elle parvenait à puiser son engouement : pour lui, la présence de cette gemme au-dessus de sa tête n'avait rien de rassurant. Contrairement à la majorité de la population, il avait entendu parler des météorites qui s'étaient écrasés sur le continent de Tælora. Couplés aux autres joyaux qui étaient apparus à neuf endroits différents, le Soldat avait l'impression d'assister au prélude d'une catastrophe. Son avis était d'ailleurs partagé par la plupart de ses congénères, dont la position de neutralité s'était désagrégée après avoir eu vent du désastre qui s'était abattu à des milliers de kilomètres de leurs terres. Malgré tout, le Conseil des Sages avait consenti à allouer des fonds pour la recherche afin d'en apprendre davantage sur les origines de la gemme, après que sa destruction se fût avérée impossible. Déterminé à évaluer une bonne fois pour toute son niveau de dangerosité, le gouvernement avait également pris l'initiative de contacter leurs associés chez les Enfants de Yanna afin qu'ils puissent leur prêter assistance. Cependant, dès leur arrivée, il était apparu évident que même les génies du ciel ignoraient complètement à quoi ils avaient affaire. Comme eux, ils avaient tenté de se rapprocher de la pierre afin de pouvoir l'étudier de plus près, avant de rebrousser immédiatement chemin lorsque l'un de leur navire de reconnaissance avait pris feu en se positionnant à proximité du corps céleste. Depuis ce malheur incident, la chaleur qui en émanait s'était considérablement refroidie, permettant ainsi de confirmer le récit des naufragés qui avaient juré avoir constaté la présence d'une femme – morte ou vivante – à l'intérieur du roc avant de s'écraser dans la forêt en contre-bas. Sans connaître tous les détails, l'Ygdraë savait que cette information avait soulevé un véritable raz-de-marée parmi les représentants de l'Empire. Certains prétendaient qu'il s'agissait d'une forme de vie en provenance des étoiles, d'autres argumentaient qu'il s'agissait d'une femme s'étant fait malencontreusement happer par la météorite en plein vol, tandis qu'une vaste majorité soupçonnait plutôt qu'il s'agissait d'une forme de vie extraterrestre, venue d'un autre monde. Si, à l'heure actuelle, aucune preuve ne permettait de corroborer – ou d'infirmer – ces différentes théories, l'Enök s'étonnait d'accorder davantage de crédibilité à la dernière, sans doute parce qu'il avait déjà visité l'un de ces mondes en pénétrant l'intérieur de la Bibliothèque d'Ilios. Forme de vie extraterrestre ou non, il doutait cependant vouloir de cette chose au-dessus de son ciel.
« Et si nous attachions une corde autour de la gemme, pensez-vous qu’il serait possible de la faire bouger? » Ezechyel leva les yeux vers la Maître d’équipage, comme pour s’assurer d’avoir bien entendu sa requête. « Pardon? » - « La gemme. » répéta-t-elle en ajustant ses jumelles. « Je demandais si nous pouvions essayer de la déplacer. » Depuis qu’elle et son équipe avaient mis les pieds sur les Terres de Melohorë, ils ne faisaient qu’observer, à l’intérieur d’un périmètre de sécurité, le cristal turquoise en extrapolant toutes les données que leur permettaient de recueillir leurs instruments d’analyse. Bien que cette étape s’avérât importante dans le cadre de leurs recherches, la Lyrienne estimait que le moment était à présent idéal pour conduire de nouvelles expérimentations, plus ambitieuses que les précédentes. Elle n’en pouvait plus d’attendre que les Ygdraës se décident à agir : si elle demeurait consciente que l’expérience pouvait potentiellement se révéler dangereuse, elle était néanmoins prête à prendre ce risque. Comment espéraient-ils progresser autrement? Sans dire qu’elle ne se souciait pas de la sûreté du peuple sylvestre, elle croyait sincèrement que ce test, à défaut de fonctionner, leur permettrait au moins de tirer de nouvelles conclusions. Lesquelles? À savoir s’il était possible de transporter le joyau ailleurs et sinon, comment expliquer que sa position demeure statique dans le ciel. Certes, cela paraissait sans doute insignifiant en comparaison à bien d’autres éléments, notamment l’identité de la femme emprisonnée dans le cristal ou encore les effets que ce dernier pouvait causer sur l’environnement, mais lorsque l’on avait affaire à l’inconnu, il valait mieux garder l’esprit ouvert, car le moindre détail, aussi trivial soit-il, pouvait avoir de l’importance. Seulement, l’Enök ne semblait guère partagé son avis. À vrai dire, il n’était pas foncièrement opposé à l’idée que la jeune femme proposait. Cependant, il devait aussi prendre en considération les intérêts de la population de Dhrosca qui, depuis l’écrasement du navire de reconnaissance, était devenue plus réticente à laisser quelqu’un – ou quelque chose – s’approcher du cristal, encore moins de le toucher. Si la chaleur ne constituait plus un danger, l’incident était néanmoins devenu source de paranoïa, donnant davantage de poids aux rumeurs qui alléguaient que la gemme était maudite. Sans que l'Ygdraë n'adhère entièrement à ces théories sans fondement, il avait tout de même un devoir envers le peuple qu'il était censé protéger. De ce fait, il devait poser des limites aux excentricités qu'il pouvait tolérer au nom de la « science », et ce que suggérait la Lyrienne, sans non plus être trop extravagant, valsait un peu trop près de ces dernières.
« Non » trancha-t-il sans détour. « Je ne peux pas vous autoriser à faire ça. » - « On veut juste voir s’il est possible de la bouger. Quelques centimètres suffiront, c’est promis! » insista-elle sur un ton suppliant. Le regard du Soldat se durcit. « C’est non. » Sa voix était inflexible. Déçue, les épaules de la Lyrienne s’affaissèrent. « D’accord, oublions ce plan, mais serait-il possible d’en prendre au moins un échantillon? Un petit morceau suffirait pour en faire une analyse. » Il eût un moment d'hésitation. « Si vous parvenez à endommager la gemme, le morceau sera à vous. » lui concéda-t-il. Jusqu’à présent, personne n’avait réussi à accomplir cet exploit. Que ce soit la Magie ou les coups de canon, rien ne semblait affecté la matière dont le joyau était constitué. C'est pourquoi l’Ygdraë doutait sérieusement que l’Empire rencontre un succès là où ils avaient eux-mêmes échoués, mais en étudiant les divers outils qu’il avait en leur possession, il était tout de même prêt à leur donner le bénéfice du doute. Recouvrant sa bonne humeur, la Maître d'équipage s'empressa d'aller annoncer la bonne nouvelle à ses collègues, à qui elle transmit quelques instructions pour préparer la prochaine opération, puis retourna auprès de son homologue elfe en attendant que son équipe achève leurs préparatifs.
Profitant de ces courtes minutes de répit, Ezechyel se permit de reprendre la conversation en abordant un autre sujet qui, sans avoir de lien direct avec celui qui les intéressait présentement, requérait néanmoins qu'ils s'y attardent, ne serait-ce que brièvement. « Comment l’enquête sur Aefaren Sieg progresse-t-elle? » Étonnée, la Fille de la Foudre clignota des paupières. Elle était si excitée de participer à ces recherches qu’elle avait presque oublié qu’ils travaillaient ensemble sur une autre affaire, bien plus délicate, mettant en jeu les relations diplomatiques de leurs nations respectives. Comme de la neige qui fond au soleil, l’excitation de la Lyrienne chuta brusquement, tandis que son regard safrané fuyait celui de son homologue sylvestre, laissant planer l’annonce d’une mauvaise nouvelle. « Malheureusement, pas aussi bien que nous l’espérions. Nous avons une idée de l’endroit où il se cache, mais… » Sa voix mourut au fond de sa gorge. « Disons que nous voulons éviter, dans la mesure du possible, de déclencher un conflit avec l'un des grands navires de Yanna. » se reprit-elle prestement. À vrai dire, ils attendaient le moment propice pour agir et appréhender le Capitaine de Yanna en limitant les dommages collatéraux. Si le Sieg n'était rien de moins qu'un criminel, ils devaient néanmoins prendre garde à ne pas le sous-estimer. Ce dernier était non seulement malin, mais surtout dangereux. Jusqu'à présent, il s'était contenté de fuir en sautant de cachette en cachette, mais Kana doutait qu'il se laisserait attraper sans recourir à la force. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'il n'ordonne à son équipage de pointer leurs canons sur les navires lancés à sa poursuite. Cet homme ferait tout ce qu'il jugerait nécessaire pour échapper à la justice, conscient qu'avec toutes les preuves qui pesaient contre lui, seule la Mort l'attendrait en recevant sa sentence. L'Everityl s'étonnait même qu'il n'ait pas encore choisi d'attenter à sa propre vie, mais peut-être qu'il envisageait aussi la possibilité de négocier avec ses bourreaux pour alléger le poids de son jugement. Qui sait? Il était impossible de concevoir les idées qui traversaient l'esprit du pirate, mais une chose était certaine : son indécision leur permettait de gagner un temps précieux afin d'élaborer un nouveau plan d'attaque. La Maison Smara, en particulier, ne minimisait aucun effort pour traquer le corsaire, imbue par leur sens du devoir qui les poussaient à s’opposer à la tyrannie de leurs ennemis jurés. Même le clan Sahwelia, qui était pourtant connu pour sa neutralité, avait suivi le mouvement de leurs homologues polyvalents en prêtant des effectifs pour joindre l’équipe d’intervention, au même titre que le clan Tinloeha. Seule la Maison Merynla avait, sans surprise, opté pour rester en retrait, observant le cours des événements sans pour autant y prendre part.
« Je vois. » souffla-t-il en réprimant un soupir. « Si jamais vous avez besoin d'assistance, n'hésitez pas à nous en faire la demande. Nous vous prêterons main forte. » Ce n'était pas la première fois qu'il lui faisait cette offre. Il savait que les rapports de force entre les différents clans étaient fondamentalement inégaux. Bien que la Maison Merynla ne possédât plus la même hégémonie qu'avant, elle n'en restait pas moins la mieux équipée sur le plan militaire. Cependant, avec le soutien de l'Armée sylvestre, même le navire le plus robuste de l'Empire ne résisterait pas face à la puissance d'un tel assaut. Vivement, l'Enfant de Vëtëtimë secoua de la tête. « Merci, mais je peux vous assurer que ça ne sera pas nécessaire. Ce n'est qu'une question de temps avant que nous l'appréhendions. » Certes, le pirate avait encore une longueur d'avance sur eux, mais cette distance se réduisait inexorablement. « Et ne vous inquiétez surtout pas : dès que nous aurons mis la main dessus, nous vous le livrerons tout suite après sa comparution devant le tribunal. » C'était une promesse qu'elle comptait bien respecter.
Un premier coup de canon fut projeté contre la pierre cristallisée dans un éclat assourdissant. Filant à toute vitesse à travers le ciel, le boulet rencontra violemment la surface rocailleuse, éclatant comme du verre lancé sur un mur. Tandis qu’une pluie de morceau de plomb se déversait sur la ramure des arbres, un nuage de cendres engouffra brièvement la gemme à l’intérieur d’un cocon opaque. L’odeur de la poudre à canon emplit délicatement l’air, chatouillant les narines de la foule amassée en contre-bas qui assistait à ces manœuvres de démolition. Comme une seule entité, tous les regards étaient fixés sur la principale attraction du spectacle, cachée derrière un rideau de fumée dont ils attendaient impatiemment la levée. Lorsque le vent éloigna les dernières volutes de cendres et de poussière, la gemme réapparut dans leur champ de vision : elle était intacte, sans révéler la moindre égratignure. Un soupir s’expulsa de la bouche de la Maître d’équipage, trahissant sa contrariété devant cet échec cuisant. Seulement, loin de se laisser abattre par cette unique défaite, elle ordonna d’emblée qu’un second coup de canon soit lancé contre le cristal, immédiatement suivi par un troisième, puis un quatrième et un cinquième. Au bout du huitième coup de feu, qui ne rencontra pas non plus le succès tant espéré, la Lyrienne proposa un changement de tactique que l’Ygdraë consentit à approuver après avoir consulté ses supérieurs. Aux commandes de la Fille de la Foudre, l’équipage de l’Auroræ déploya un nouvel outil d’arsenal, combinant la puissance de ses projectiles magiques aux coups d’artillerie. Le bruit qui découla de cette coordination virulente provoqua un vacarme épouvantable qui se répandit à travers la Capitale. À mesure que les tirs se répétaient, le son gagnait davantage d’ampleur, ses échos se propulsant bien au-delà des murs de la ville fortifiée pour se propager dans les forêts avoisinantes.
L’assaut dura plusieurs minutes, bombardant sans pitié le cristal qui encaissait imperturbablement les coups, jusqu’à ce que la Maître d’équipage ordonne de cesser le feu. De la fumée s’échappait de la bouche des canons dont la plupart étaient à court de munitions. Lentement, ils s’éteignaient en relâchant des nuages de poudre ou de résidus magiques qui s’envolaient naturellement au vent. Comme si le temps lui-même se suspendait, le calme s’était réinséré au sein de Dhrosca ; un calme anormalement insondable, où même le chant des oiseaux semblaient s’être éteint, emporté par le bruit des explosions qui retentissaient encore au loin. Relevant la tête en direction du ciel, le Soldat y repéra promptement la pierre turquoise à travers les débris de poussière. D’abord étonné, son visage reprit cependant une expression résignée en constatant les résultats de l’expérience. Malgré la puissance des assauts qu’elle avait consécutivement essuyée, celle-ci conservait un aspect impeccable, aussi lisse que du verre : c’était à croire que le bombardement, qui l’avait pourtant incendiée de projectiles, ne l’avait jamais touchée. À côté de lui, l’Everityl rongeait frénétiquement la pointe de son stylo : il était impossible de savoir si sa réaction était révélatrice de sa contrariété ou de son excitation, voire un mélange des deux. La connaissant, l’Ygdraë pencherait davantage vers la troisième option. « Incroyable… » souffla-t-elle à voix basse. « Malgré toute cette puissance de feu, elle n’a subi aucun dommage. » Sortant le calepin qu’elle avait rangé dans ses poches, elle se mit à écrire de nouvelles hypothèses basées sur la conclusion de cette première expérimentation.
« Il semblerait que la gemme soit constituée d’une matière inconnue. » avança-t-elle de vive voix. « S’il existe des matériaux particulièrement résistants dans le monde, aucun ne possède une telle durabilité, que ce soit à l’encontre de la Magie ou non. » À vrai dire, les propriétés du matériau lui rappelaient vaguement ceux de l'Orishalque, à la différence près que le minerai légendaire des Orishas ne possédait pas la même masse volumique. La couleur était également atypique pour ce type de pierre, d'autant plus qu'elle était translucide au lieu de revêtir un aspect opaque. « Ma théorie est que la gemme est censée agir comme un cocon pour protéger la femme qui se trouve à l’intérieur. Théoriquement, si l’on suit l’analogie du cocon, il devrait être possible de détruire la gemme, mais seulement de l’intérieur. Malheureusement, nous n’avons aucun moyen de tester cette hypothèse. » Ezechyel ne disait rien, mais il pressentait déjà la nature – et le contenu – de sa dernière supposition. « Cela voudrait aussi dire qu’il y a de fortes chances que cette femme soit bel et bien vivante et que, éventuellement, elle finisse par sortir de son « cocon ». » Quand? Elle l’ignorait totalement. Cela pouvait se compter en jours, en semaines, en mois ou même en années : elle devait également considérer la possibilité que cet être reste endormi à tout jamais, si la Mort ne l’avait pas déjà recueilli. Après tout, le cristal était trop dense pour leur permettre de lire ses signes vitaux, d’autant plus qu’il demeurait imperméable à la Magie, bloquant systématiquement tous les sorts qui se heurtaient à sa surface. « Nous devrions rester attentifs à ses mouvements. » poursuivit-elle sans interrompre sa prise de notes. Pour l’instant, la femme cristallisée ne manifestait aucun signe de vie, mais il était probable que la tendance s’inverse. « À quoi pensez-vous que nous avons affaire? » demanda l’Enök en reportant son attention vers le joyau. La Lyrienne haussa des épaules. « Je n’en sais rien. » admit-elle en rangeant son carnet. « À première vue, elle ressemble à un être humain ordinaire, mais les apparences sont parfois trompeuses. » Que pouvait-il bien se cacher derrière ce mystérieux visage? Une créature de rêve ou un monstre assoiffé de sang?
Assis à son bureau, Ezechyel était penché au-dessus d’une pile de papiers, armé d’un stylo qu’il mouvait en effectuant des gestes rapides, mais précis. Il écrivait un rapport sur lequel il résumait la nature des expérimentations que l’Auroræ avait conduit sur la gemme, en prenant soin de bien identifier les éléments qui relevaient principalement de la théorie et ceux qui étaient, au contraire, appuyés par des preuves empiriques. Tandis que sa feuille se noircissait de mots emboîtés dans des phrases limpides, il réfléchissait aux différentes théories que les Enfants de Yanna avaient pu élaborer en se basant sur le résultat de leurs expérimentations. D’après Kana Everityl, il y avait de grandes possibilités que l’être reclus dans la pierre soit seulement endormi, et lorsqu'un ensemble de conditions seraient atteintes, celui-ci émergerait de sa prison cristalline. Bien évidemment, la nature même de ces conditions demeurait inconnue : il pouvait autant s’agir d’une variable temporelle, saisonnière ou encore météorologique, voire une combinaison de plusieurs d’entre elles. Pour l’instant, ils devaient simplement rester attentifs à ces divers changements et noter les effets que ces derniers produisaient sur la gemme et sur ce qu’elle contenait. Quoi qu’il en soit, ils pouvaient au moins se féliciter d'avoir été productifs dès leur premier jour de travail, et ce, malgré les échecs qui souillaient l’impeccabilité du dossier. Certes, leur objectif principal, à savoir celui d’obtenir un échantillon du cristal, avait lamentablement échoué, mais d’autres données, telles que la masse volumique du minerai ou bien ses propriétés magiques, avaient pu être recolletées en parallèle. Le succès n’était pas entièrement atteint, mais il ne demandait qu’à l’être : seul le temps leur permettrait de s’en rapprocher de plus près. Cependant, il ne servait à rien de courir après lui, au risque de commettre des erreurs irréparables.
Après avoir passé tout l’avant-midi à bombarder un cristal indestructible, la cheffe des Armées, Lindi Elfinleth avait prestement annoncé la fin des expérimentations pour le reste de la journée, estimant qu’il serait inconsidéré de troubler davantage la paix des citoyens. Ces derniers méritaient amplement ce repos pour avoir enduré, pendant des heures et des heures, le bruit occasionné par les activités de l’Empire. Si l’opération de bombardement n’avait été que de courte durée, comparativement à toutes celles qui l’avaient précédée et suivie, les dégâts qu’elle avait causé sur l’environnement s’avéraient plus importants. Afin d’éviter que la faune et la flore soient davantage perturbées par le son et les résidus des explosions, le Conseil des Sages avait évalué qu’il serait plus judicieux de mettre brièvement terme aux recherches pour laisser le temps à la Nature de se remettre du choc qu’elle avait encaissé. À l’heure actuelle, les Dagmars œuvraient à coordonner des efforts de nettoyage pour décrasser les zones les plus touchées par la souillure des canons et des autres détritus, en commençant par l’épave du navire de reconnaissance qui gisait encore au fond de la forêt. Pendant ce temps, les navigateurs de Smara avaient déplacé leur Vaisseau afin que ce dernier n’obstrue plus le ciel au-dessus de la Capitale : comme l’équipage comptait néanmoins y rester pour une durée indéterminée, la Capitaine Læricia avait ordonné que le navire soit amarré au port en attendant que leur séjour prenne fin. Cela pouvait représenter des semaines, voire des mois, mais l’Auroræ était prêt à le prolonger autant de fois qu’il le fallait afin de remplir leur part du contrat. Après tout, aucune étude crédible ne se réalisait en un jour, surtout lorsque des variables inconnues les obligeaient à revoir constamment leurs méthodes de recherche. De toute évidence, la force brute ne leur permettrait pas de venir à bout du problème. Dès lors, la nécessité de prioriser une nouvelle approche s’imposait, d’autant plus qu’ils ne pouvaient dépendre de leurs procédés habituels pour faciliter la recherche. La Magie n’était plus un outil fiable sur lequel se retrancher devant une impasse : les Ygdraës, au même titre que leurs collaborateurs, seraient obligés de recourir à la technologie pour favoriser leur progrès. Dans ces circonstances, le soutien de l’Empire représentait évidemment un atout non-négligeable. L’alliance qu’ils avaient tissée leur permettait par ailleurs de réduire certaines dépenses qui, en temps normal, leur auraient coûté plus chers. Bien qu’efficaces, les services offerts par les Enfants de Yanna valaient une fortune. Pour une nation aussi riche et prospère que la sienne, les prix qu’ils proposaient demeuraient abordables, mais si le gouvernement avait l’opportunité d’en tirer profit à moindre coût, alors il avait intérêt à saisir cette chance inouïe. Les liens qui unissaient les Elfes à l’ancienne Caste ne faisaient que se renforcer, et ce, malgré l’incident qui avait menacé d’anéantir la bonne entente. Même si un goût amer persistait sur certaines langues, notamment celles des rares opposants qui critiquaient la mise en œuvre du partenariat, les efforts de réconciliation négociés entre le Conseil des Sages et le Vaisseau-Roi continuaient de faire leurs preuves parmi leurs populations respectives. Les jeunes Eblaës, en particulier, ne semblaient plus aussi réticents à voyager avec l’Empire qu’avant, ce qui avait permis d’endiguer la stagnation dont ce mode d’excursion avait souffert pendant quelques mois. Nul doute que ce regain de popularité se ferait ressentir dès la prochaine saison.
Alors qu'il commençait à écrire un nouveau paragraphe pour conclure son rapport, quelqu’un toqua à sa porte. Suspendant son geste au-dessus du papier, l’Ygdraë leva machinalement les yeux vers l’entrée. « Entrez. » À sa grande surprise, ce fut nul autre que le Dagmar Borghild qui apparut dans l’encadrement des battants. Le Soldat eût à peine le temps de se redresser pour effectuer son salut militaire que ce dernier avait déjà franchi la distance qui le séparait du bureau. Pressé par le temps, il ne s’encombra d’aucune règle d’usage avant d’aborder la raison de sa visite inattendue. « Nous avons un problème. » annonça-t-il de but en blanc. À voir la sévérité qui brunissait ses traits, la situation devait être particulièrement grave. « De quoi s’agit-il? » Le Cyraliel évita soigneusement de répondre à sa question. « Venez avec moi et vous comprendrez. N’oubliez pas votre arme, vous en aurez besoin. » ajouta-t-il en toisant son fourreau. Saisissant l’épée qu’il avait accoté contre son bureau, Ezechyel coula une dernière œillade en direction de la fenêtre, se demandant brièvement si ce problème avait un lien avec la gemme qui lévitait dans le ciel, avant d’emboîter le pas de son supérieur.
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