Protéger ce qui nous est cher
Service and Sacrifice - Jeremy Zuckerman

Rp précédent : Les livres reflètent la beauté du ciel
Partenaire : Solo ~
Intrigue/Objectif : Après avoir assisté à un ballet d'étoiles filantes, Elyot se réveille le lendemain sans le moindre souvenir de la nuit passée. En quête de vérités, il forcera Halfdan à lui révéler un secret troublant.

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Tiré de son sommeil par un bruit distant, Elyot ouvrit doucement les yeux. Au-dessus de sa tête, le manteau sombre de la nuit avait cédé sa place à l’éclat diffus d’un éclairage de chambre. Papillonnant des paupières afin de s’ajuster à la soudaine luminosité, l’Ygdraë dirigea son regard sur le côté pour avoir une meilleure vue de ses alentours. Examinant la pièce d’un œil alerte, il capta un mouvement à seulement quelques mètres devant lui. Les contours de la silhouette étaient flous à cause du manque de clarté, mais ils restaient suffisamment détaillés pour déduire qu’il s’agissait bien d’un être humain. Un instant plus tard, il entendit la forme ombrageuse jurer, confirmant sans le moindre doute qu’elle appartenait à un individu – probablement un homme s’il se fiait au timbre de la voix. Lentement, le sylvestre se hissa en position assise en sollicitant toute la force de ses bras. Le bruissement de tissus qui suivit son acte glissa jusqu’aux oreilles de l’inconnu dont le corps se figea instantanément sur place. Quelques secondes défilèrent sans qu’aucun d’eux n’ose bouger, immobilisés dans une inertie nerveuse. Puis, tel un éclair, l’ombre fondit à toute vitesse sur le jeune Elfe en déblatérant une série de propos incohérents qui mêlaient confusément des expressions en Valærian à des locutions en Sananesha et en langue commune. Pour autant, malgré la quantité d’informations que son esprit peinait à filtrer, Elyot parvint à soutirer un élément de familiarité parmi le désordre sous lequel il se faisait enterrer.

« Halfdan? » Lorsque le faciès du Vampire se dévoila dans son champ de vision, il ne put masquer sa surprise. « Qu’est-ce que tu fais ici? » Ses cordes vocales résonnaient en jouant des note rauques, affaiblies, comme s’il venait de se réveiller après une longue semaine de convalescence. « Alvys! T’es réveillé! » s’exclama le Mousse sans prêter attention à son questionnement. Ses traits étaient tirés par des plis soucieux et des cernes ballantes en-dessous des yeux. De toute évidence, il avait été contraint de renoncer à une nuit de sommeil – ou jour de sommeil pour être plus exact, afin de veiller sur son ami. « Qu’Aylidis soit louée! Quand tu t’es évanoui hier soir, j’ai cru que… j’ai cru que… » Sa voix se cassa au milieu de sa phrase. Ses dents claquaient si fort l'une contre elles que ses paroles devenaient à peine intelligibles à la sortie de ses lèvres. Outre ses étranges difficultés d'élocution, le blond paraissait également hésitant à l'approcher. Il effectuait plusieurs va-et-vient autour du lit en prenant soin de ne pas franchir la distance qu'il avait installé entre eux. « J'ai eu la peur de ma vie. » reprit-il à voix basse. Le pli sur le front de l'Ygdraë se creusa davantage. Évanoui? Il s'était évanoui? Impossible. Ses derniers souvenirs remontaient à cette nuit où le ciel, zébré par un essaim d'étoiles filantes, avait attiré deux âmes curieuses sur le pont supérieur du navire. S'il ne niait pas s'être assoupi à un certain moment de la soirée, il refusait cependant de croire qu'une journée entière se soit écoulée depuis qu'il s'était fait happer par l’étreinte d’Harabella. « Que s'est-il passé? » lui demanda-t-il en se saisissant le crâne. Le sourire de l'ancien Ondin vacilla. « Tu t'en rappelles pas? » Le sylvestre resta muet. Sa mémoire était saturée d'images et de sensations éparses, comme un rêve duquel il s'était récemment éveillé. Tout avait commencé par le regard du Vampire fixé intensément sur lui, puis ses mains qui s’infiltraient sous le col de sa chemise pour retirer… Il sursauta. « Tu m’as mordu. » se rappela-t-il subitement. « Tu t’es collé sur moi et tu m’as mordu. » répéta-t-il, sous le choc. Honteux, Halfdan n’osait plus le regarder en face. Le silence envahit la pièce sans rencontrer la moindre résistance.

Il fallut attendre plusieurs minutes avant qu’un son, bien distinct du ronronnement des machines, se fasse de nouveau entendre. « Je suis désolé. » Le Mousse avait prononcé ses mots sur le bord des lèvres. La culpabilité abattait son assurance comme un clou qui s’enfonçait dans le bois. Écrasé par son poids, il se livra instinctivement à des aveux pour tenter d’atténuer la gravité de ses actes. « Je pensais être capable de me contrôler, mais ça m’est venu tout seul. Quand je suis revenu à moi, t’étais là, couché par terre, le cou complètement en sang. Je savais pas quoi faire, alors je t’ai ramené ici pour panser tes blessures et puis, j’ai dit à Shigure que t'avais eu un malaise et que tu te reposais dans ma chambre et… Pourquoi tu dis rien, bon sang?! » explosa-t-il d’un coup. Il avait cessé de se mouvoir en se plantant directement sous le nez de l’Ygdraë, qui demeurait silencieux. Son visage semblait figé dans le marbre, éteint par le traumatisme qui avait failli lui coûter la vie, mais intérieurement, il jubilait comme un enfant. Il peinait à croire qu’un tel incident ait pu se produire, qu’il ait pu se faire infliger une morsure par une véritable Engeance de la Nuit. Depuis qu’il avait expérimenté le Lärtneesh avec Anya Eorgor, il avait secrètement désiré goûter au Baiser comme elle s’y était si souvent adonnée dans son autre vie, son existence passée sous l’identité d’Edelwyn Taiji. À présent que son vœu avait été exaucé, il se sentait étrangement perdu, égaré parmi ses propres sentiments. Ses émotions n’étaient plus qu’un amas de contractions à travers lequel des opinions divergentes s’opposaient terriblement. En réalité, il ne savait guère où donner la tête pour trouver un sens à ce chaos : entre ses ressentis et ceux de l’Impératrice, une ligne fine les séparait, mais la délimitation avait tendance à s’estomper graduellement, comme si les pensées de l’un se modulaient en fonction des réminiscences de l’autre. Dans cet ordre, il ressentait autant de joie que de déception, que d’angoisse et de regret, que de peur et d’ivresse, de s’être prêté au même jeu que la Taiji. Sa félicité était en grande partie influencée par le vestige d’une dépendance qui ne lui appartenait pas totalement, tandis que sa terreur était plutôt liée à la réaction qu'aurait ses gardes du corps en ayant vent du récit qu'il venait de vivre. Après tout, pour qu’il ait perdu connaissance aussi longtemps, Halfdan avait forcément dû abuser de la nourriture à laquelle il avait eu accès dans un élan de folie.

« C’est bon, ce n’était qu’un accident. Tu es pardonné. » Le Vampire faillit s’étrangler face à une telle réaction. « Qu’est-ce que tu racontes!? J’ai failli te tuer, par tous les Dieux! » Il ponctua sa réplique d’un juron en Valærian. De toute évidence, le stress faisait naturellement ressortir ses plus profondes racines. « Si Kaya ou Shigure l’apprenait… » - « Ils n’apprendront rien. » le coupa-t-il brusquement. « Si nous ne leur disons rien, ils n’en sauront rien. » C’était ce qu’il espérait, mais les tromper ne serait pas aussi simple : le Vampire était soumis à sa Créatrice et le Génie ne ressentait aucun scrupule à violer l’intimité de son élève en s’introduisant dans ses pensées. Ils auraient tort de les sous-estimer, d'autant plus qu'ils n'auraient pas la moindre chance de gagner si une confrontation venait à éclater avec les Maîtres d'équipage. Nerveux, un rire jaillit spontanément de la bouche du Mousse. « T'es complètement cinglé. » - « Ce sera notre secret. » insista-t-il. « Tu leur as déjà menti une fois. Qu'est-ce qui t'empêche de recommencer? » Une part de lui culpabilisait d’avoir effrontément abusé des vulnérabilités du Buveur de Sang afin d’assouvir ses caprices. Contrairement à lui, il avait vraiment désiré cette morsure, se languissant du plaisir que le contact de ses crocs avait stimulé dans sa chair. Par curiosité, il avait implicitement consenti à se livrer au Baiser en omettant de commettre une action qui aurait pu l’écarter du danger. Il l’avait pourtant vu se rapprocher, telle une ombre planant au-dessus de la lumière, mais avait choisi de l’ignorer au profit d’une anticipation morbide, d’une lubie. Il ne regrettait rien : ni sa décision, ni les conséquences qui en avaient découlé. En revanche, sa conviction s’effritait dès qu’il songeait au mal dont le Vampire s’accusait. Bien qu’il fût prêt à assumer une partie de ses actes, il était moins assuré à l’idée d’abandonner son ami dans cet état. Il ne pouvait nier sa part de responsabilité dans cet incident, et il serait injuste de continuer à profiter de sa crédulité. Il lui devait bien cela, surtout après s’être servi de lui comme cobaye. Ses pensées s’envolèrent brièvement vers Edelwyn. Il avait noté la similitude entre ses méthodes et celles de l’Impératrice, mais il restait encore divisé sur la moralité de ses actes. Dès qu’il s’agissait de cette femme à vrai dire, il n’était jamais sûr de rien. Il s’était si souvent ressassé ses souvenirs, son existence, qu’il en avait malencontreusement perdu une part de son identité. Que ce soit au niveau de ses goûts, ses préférences, ses intérêts, il commençait lentement à s’imaginer que tout ceci lui appartenait.

Désespéré, Halfdan tenta à une autre reprise de lui faire entendre raison. « C’est vrai, mais crois-tu vraiment que je sois parvenu à les convaincre? Crois-tu vraiment qu’ils ne soient au courant de rien? » La paranoïa avait pris possession de son corps, évacuant sans ménagement la lucidité de son esprit. Néanmoins, l’Ygdraë n’osa pas argumenter contre ses craintes. Après tout, il était tout à fait possible que Shigure ait sondé les pensées du Vampire durant leur conversation, mais sans preuve solide, il ne pouvait prétendre que le subterfuge ait réellement fonctionné. Malheureusement, plus il hésitait à défendre ses arguments, plus la confiance de son partenaire s’écroulait. Il était pris dans un cercle vicieux. « Penses-tu que j’aie envie de leur mentir? » siffla-t-il entre ses dents. « Penses-tu vraiment que ça me tente de tout risquer pour garder ce secret? » Le blond remua les lèvres, mais aucun son n’en sortit. Elyot traita alors son silence comme un accord tacite pour l’inviter à poursuivre. « Mais s’ils apprennent la vérité, nous sommes foutus, tu comprends? » Le Conseil des Sages avait été très clair : au moindre signe de danger, il avait l’ordre de retourner immédiatement sur les Terres de Melohorë. Après l’explosion, le gouvernement elfique ne cherchait qu’une excuse afin de le rapatrier sur ses terres natales, mais il était hors de question de rentrer à la maison. Pas pour le moment. Basculant la tête vers l’arrière, le Vampire explosa de rire. « C’est n’importe quoi! » s’exclama-t-il sans parvenir à contrôler son hilarité. « C’est carrément n’importe quoi! » Le monde avait viré à l’envers, perdu tout son sens. Il ne comprenait plus rien : Alvys, Shigure, les Ygdraës, la morsure, le Baiser, le ciel… Plus rien n’avait de sens dans un univers aussi absurde. Qu’est-ce qu’un Ygdraë avait à gagner en le protégeant, lui, un Vampire? Pourquoi insistait-il autant à le défendre, à le rassurer, à le pardonner? « Nous devons protéger ce qui nous est cher. » murmura-t-il plus calmement. « À tout prix. »

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