Pour mener à bien la domination du monde, il était parfois nécessaire de s’enticher de quelques renoms qui s’y connaissaient mieux que l’intéressé en la matière. Dans ses immanentes études du terrain, peu étaient les individus à respecter les postulats de son aspiration inassouvie. Ceux qui retenaient son attention étaient certes d’excellents sujets pour gravir l’insurmontable montagne de la vaillance, mais aucun d’entre eux n’était suffisamment mauvais pour lui professer ce dont il avait réellement besoin. En vérité, il demeurait un seul et unique nom sur sa liste. Toujours le même. Il s’agissait sans émerveillement de l’ancienne dictatrice des abysses, celle qui avait causé tant de fléaux autour d’elle. Pour une raison qui lui échappait, Zane était réparti entre deux émois complètement contradictoires en pensant à cette dernière. D’un côté, il respectait énormément la femme qu’il avait déjà rencontrée franchement lors d’une joute qui les avait indirectement concernés. Qu’il se le dise, elle représentait le symbole de ce qu’il souhaitait devenir dans le futur. D’un autre côté, il éprouvait aussi une frustration exacerbée étant donné que le temps qui leur avait été accordé pour se connaitre avait été considérablement alangui par le contexte. Pour cette raison, il ne savait toujours pas s’il lui avait faite une forte impression. Cette incertitude le rongeait sans cesse. Ce n'était pas à cause de son charme – pourtant plus qu’évident –, mais bien parce qu’il enviait la possibilité d'entretenir quelque chose de plus substantiel que ce qui leur avait été alloué.

Elle pouvait l’aider à devenir ce qu’il ambitionnait de plus d’une façon. Pour ça, il fallait néanmoins retrouver sa trace. Programme qui s'avérait complètement impensable quand on connaissait un minimum la réputation de la belle. À court de ressources, le Monarque chassa d’un revers tous les documents et matériels disposés soigneusement sur son bureau. Il buta ensuite son front contre sa main, subissant les affres de son incapacité à déceler un stratagème pour la joindre. Ce n’est qu’après être tombé sur la mèche d’une jeune femme qu’il cogita d’une tout autre manière. Cette pièce appartenait à celui d’une innocente au cœur pur ; soit l’un des ingrédients pour invoquer les Démons en passant par le rituel. C’est ainsi qu’il devait projeter de faire apparaitre Vanille. Assurément, il ne pouvait employer une démarche identique, sans quoi il passerait simplement pour un pauvre idiot. En revanche, c’est elle qui devait le trouver et non l’inverse. Pour ça, rien de plus infaillible que de l'arracher à sa source. C’est en composant toutes sortes de calculs similaires et en appelant ses agents à soutirer des tas de renseignements qu’il éplucha le nom de cette cité : Pabamiel. Aussi loin que pouvaient remonter ses souvenirs, il n’avait jamais mis les pieds là-bas malgré la très bonne réputation qui lui était déjà parvenue aux oreilles, notamment grâce à l’hétérogénéité des races qui y vivaient. Si c’est ici que le conduisait sa prochaine visite, alors c’est ici qu’il se rendrait. Toutefois, en dépit de cette excellente piste, il n’avait rien d’autre à se mettre sous la dent, ce qui exigeait de les approfondir une fois sur place. Quittant ses terres avec le strict minimum, il ne véhicula qu’un domestique à ses côtés. Celui-ci lui permettrait de ne pas se perdre prématurément dans les quartiers.

[…]

Quelques heures suivant leurs accessions, Zane avait déjà dévié de sa trajectoire d’origine en allant à l’encontre des conseils de son compagnon de route. « Ça fait trop longtemps qu’on vagabonde dans ces rues, Vasès. Il faut parfois savoir se détendre dans la vie. » « N’est-ce pas ce que vous faites tous les jours, maitre ? » « Ah, ah ! C’est un détail. Contente-toi d'approuver mes caprices et entrons. Avec un peu de chance, le gérant pourra nous en apprendre plus sur elle. » L’attention du Monarque l’avait déporté sur ce magnifique édifice qui portait le nom de Jasarael, un cabaret qui ne cessait visiblement d’attirer les foules, attestant ainsi de sa popularité. Emporté par sa propre avidité – et surtout son vœu de mater quelques danseuses assez bien montées – il s’installa autour d’une table en obligeant son camarade à s’asseoir près de lui. Durant les prochaines minutes, il profita gentiment du spectacle qu'il tolérait plus ou moins, sauf que le Démon n’était pas du genre à rester aussi sage et patient, surtout lorsque des initiatives saugrenues hantaient son esprit. Ébouriffant le crâne de son partenaire, il lui confia la tâche de rester aux aguets. « Maitre ! Ce n’est pas le moment pour… » Un orbe noir sillonna la salle pour finir par se loger au fond de la pièce, entre les instruments des musiciens qui avaient soudainement cessé de jouer, ne manquant pas de se faire remarquer par les clients et les artistes. La main encore fumante de Zane ne laissait aucun doute quant à ses intentions. Quoi qu’il en soit, il partit rejoindre les filles dans leurs loges en soumettant assez facilement les protecteurs de ces Dames. En très peu de temps, sa main hâlée parcourait déjà les cambrures de ses nouvelles proies, d’ores et déjà conditionnées pour passer au stade supérieur. Sa faim devait être assouvie.

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D’un mouvement paresseux, le champagne ondulait entre les rebords de la coupe de verre. Il n’en restait plus qu’un fond, que la jeune femme finit d’une traite avant de tendre la flûte à une jeune serveuse qui s’empressa de verser le vin. Bientôt, il lui faudrait retourner dans les coulisses pour trouver une nouvelle bouteille. « Puis-je vous venir en aide d’une manière ou d’une autre, Lady Swan ? Vous me paraissez songeuse. J’espère que tout va bien. » Megæra releva doucement ses grands yeux clairs sur le jeune homme, qui la dévisageait avec une pointe d’inquiétude. Elle eut un léger sourire. « Ne vous souciez pas de moi. J’ai simplement passé une mauvaise nuit. » Ce n’était pas tout à fait un mensonge, après tout. « Je peux faire quérir Madame Lithissa. Elle est réputée dans la Cité pour ses décoctions. » Il semblait prêt à envoyer un coursier dans la minute. « Non, ça ira. » Elle n’était pas certaine qu’il y ait un remède à son mal. Ses rêves la hantaient et la malmenaient ; visions prophétiques qu’elle ne pouvait que subir. Cette nuit, elle avait vu des scènes incompréhensibles dont elle ne parvenait pas à tirer la moindre logique. A quoi devait-elle s’attendre ? Elle n’en avait aucune idée mais elle savait que quelque chose allait se produire ; de plaisait ou non. « Il paraît que nous avons un invité de marque. » précisa Leosur, désireux de la distraire. Elle ne prit même pas la peine de lui poser la question, se contentant d’un regard inquisiteur. Il entrouvrit la bouche pour lui répondre mais fut coupé dans son élan par un silence dérangeant. La Lapine fronça légèrement les sourcils et se redressa, le temps d’aviser la scène sur laquelle elle avait une vue imprenable, du haut de son balcon. « Qu’est-ce que … » bafouilla-t-il, déconcerté. « Dois-je faire appeler les Soldats de la Garde de Pabamiel ? Lady Swan … ? » Elle était déjà partie. La démarche aussi légère qu’empressée, elle filait dans les loges d’où elle voyait s’échapper quelques filles à la mine décomposée. Elle distribua ses ordres, avant de partir à la recherche de l’intrus. Elle ne tarda pas à le trouver, occupé à satisfaire ses désirs auprès de quelques danseuses, à la réputation pourtant sage.

La jeune femme s’approcha doucement du Démon, un sourire charmeur sur ses lèvres rouges. Elle devait faire bonne figure. D’un geste tendre, elle prit la main de l’artiste qu’il avait dans les bras et la poussa hors de son étreinte, prenant sa place par la même. « Bonsoir. » murmura-t-elle tout bas. « Notre prestigieux invité, je suppose. Je suis Megæra Swan, la propriétaire de l’établissement. En quoi puis-je vous aider ? » D’un petit claquement de doigts, elle intima aux filles de s’en aller. Derrière l’apparente tranquillité, la Lapine était pourtant mal à l’aise. L’étranger dégageait quelque chose de puissant et d’effrayant. Elle avait la désagréable sensation de se jeter dans la gueule du loup mais elle considérait qu’elle n’avait pas d’autre choix. Il était de son devoir de protéger ses employées. Ses hommes de main devaient déjà être à sa recherche. Ce ne serait qu’une question de temps. En théorie, du moins. Où étaient ceux chargés de la protection des filles ? « J’ose espérer que vous passez un agréable moment. D’ordinaire, nous n’ouvrons pas les loges à nos clients. » Elle ne pouvait décemment pas lui demander de partir. Elle avait plongé ses orbes bleus dans les siennes et avait sauté à la conclusion que ce n’était pas une bonne idée. Néanmoins, elle devait bien agir et réagir. D’un geste lent, la Bélua glissa ses bras le long du corps. Dissimulés sous les longues manches de son kimono de soie, il ne verrait peut-être pas que ses doigts tremblaient quelque peu. Ce n’était pas de la peur. Pas vraiment. Elle ressentait en sa présence un malaise indescriptible, sans pouvoir s’empêcher de le défier du regard. « Si vous souhaitez boire un verre, j’ai dans la cave quelques excellentes bouteilles que nous pourrions ouvrir dans les salons, d’où vous pourriez voir la suite du spectacle. Ils sont plus agréables que ces lieux. »  Elle pencha la tête sur le côté, toujours aussi souriante. Les longues boucles brunes de sa chevelure effleuraient la peau nue de sa gorge. Comme souvent, la robe qu’elle portait tombait de ses épaules et la mousseline ornait la naissance de sa poitrine. Megæra avait toujours mis un point d’honneur à se présenter belle et sensuelle, comme pour parfaire le personnage de la sévère directrice de cabarets, intouchable et forte. Ce n’était qu’un masque. Il ne devait pas tomber.

Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’elle n’ajoute : « Qu’en dites-vous ? » Loin d’être convaincue de sa propre force de persuasion, elle se bornait à sourire, sans décrocher ses mires pâles du visage du jeune homme. Elle ne savait même plus quoi en penser.

Son dîner aurait pu se parfaire dans ces conditions sans aucune réticence le concernant. Zane s’était suffisamment renseigné sur le cabaret pour savoir que celui-ci s'était hissé d’une popularité exemplaire qu’il était difficile de rompre ou bien de démystifier par une ferme volonté. En tant que Démon amenant les siens à supplanter les autres, l'encouragement de mettre cet endroit en péril était authentique et plaisant de conséquences. Toutefois, s’amuser à le faire tomber par sa seule puissance ne rimait à rien, pas plus que le fait établi de poser ses sales pattes sur toutes les femmes ici présentes. Il en avait largement le pouvoir, et la facilité avec laquelle il pourrait probablement s’approprier ce marché incroyable était on ne peut plus transparente. C’est précisément pour cette raison qu’il ne comptait pas suivre ce chemin lié à l’évidence d’une réussite certaine. S’il consentait à obtenir des pistes, il devait s’attaquer à celle qui chapeautait le tout, et qui d’autre que l’intendante de ces affaires juteuses pouvait enclencher ce désir ? Il était d’autant plus enthousiasmé de la voir intervenir pour protéger ses femmes. Après tout, il s'était principalement faufilé dans les loges pour récolter cette attention toute particulière, bien qu’il ait probablement été capable de raccourcir le chemin menant à cette rencontre. Il connaissait son nom avant même de poser un oeil sur elle : Megæra.

Elle avait astucieusement échangé sa place avec celles qu’elle voulait préserver à tout prix ; une délicatesse qui en disait long sur ses attachements. « Sans savoir qui je suis, vous n’hésitez pas une seule seconde pour vous sacrifier. Noble cause, s’il en est. Financièrement ou politiquement, il semblerait que ce cabaret constitue énormément de choses à vos yeux. » Il resserra légèrement ses doigts sur son emprise, juste assez pour lui montrer qu’il n’était pas totalement maitre de sa puissance actuelle. Une mise en garde ? Pas vraiment. En revanche, il tendait à lui signaler que ses prétentions étaient loin d’être saine. Par un mouvement rotatif, il effectua quelques pas diligentés. La seconde d’après, il se retrouva à l’autre bout de la pièce avec une bouteille dans la main, affablement allongé entre un mur et une table sur laquelle se reposaient ses pieds. Il porta le goulot entre ses lèvres, pompant tout le liquide que renfermait le récipient, après quoi il la posa délicatement sur un meuble par le biais de sa magie. « Consommer un alcool de meilleure qualité ne peut pas me faire de mal. J’accepte votre offre. Qui plus est, je cherchais justement à vous rencontrer, mais nous en parlerons une fois au calme. » Si c’est bien la première fois qu’il fréquentait le cabaret, il comptait bien réitérer sa visite à l’avenir. De plus, il avait en face de lui une femme particulièrement délicieuse qu’il était prêt à étudier de fond en comble, à dessein de participer à la bonne ambiance qui régnait entre ses murs. Outre l’investigation qui concernait l’approche et les données sur Vanille, il venait notamment ici pour découvrir d’autres ludismes, c’est pourquoi passer des moments en charmante compagnie ne lui porterait pas préjudice, si ce n’est le ralentissement de son enquête.

Toutefois, il ne prévoyait pas non plus de faire la course pour réussir à lui mettre la main dessus, surtout car il savait que ce n'était pas de cette façon qu’il pourrait y parvenir. Avec la précipitation d’une rafale, le Démon se retrouva une nouvelle fois dans les bras de Megæra. Il lui fit un grand sourire. « Guidez-moi dans votre repère afin que nous partagions cette soirée ensemble. J’aimerais goûter à vos meilleurs services, en espérant que les récitals qui se déroulent ici sont à la hauteur de mes exigences. » Et quelles exigences ! Zane n’étant plus le même homme qu’autrefois. Se complaire dans la conformité et le "juste" appréciable lui était tout bonnement impossible. Pour lui faire mirer l’extase, il fallait ponter sur une mise en scène irréprochable. Une bête erreur, un seul faux pas et il pouvait le distinguer immédiatement. S’il s’avérait se faire submerger par une quelconque déception, la probabilité qu'il puisse procéder à des comportements pernicieux s’en verrait nettement décuplée. En plaçant sa main sur la chute de reins de la jeune femme, il attendait le feu vert pour être escorté à sa meilleure table, là où il aurait une exposition étendue sur tout ce qui allait se produire dans les prochaines minutes. Sans rentrer dans les détails superflus, c’est en effet à l’abri des autres clients qu’elle le mena en un poste isoler, après avoir récolté la bouteille dont elle lui avait tant vanté des vertus. Les jambes et les bras croisés d’un air hagard, c’est avec le visage orienté vers la scène et un coup d’œil discret vers la maitresse qu’il engagea la discussion. « En tant qu’amateur de sensations fortes, j’ai un don certain pour reconnaître les sociétés lucratives comme la vôtre. Votre cabaret est assurément l’un des mieux managés parmi tous les continents. Vous n'êtes pas n'importe qui et vous n'êtes pas à sa tête par hasard. Racontez-moi son histoire. Racontez-moi la vôtre. » Pivotant d’un quart de tour, il ancra complètement ses pupilles sur les siens en remuant le verre entre ses doigts. En retraçant son passé, il établirait peut-être un rapprochement avec la principale concernée. C’est ce qu’il cherchait sans aller droit au but.