Bordé d'une cape et d'un chaperon sombre tapissant l'intégralité de son être, seul le chétif reflet de ses yeux dorés survenait à percer son masque nocturne. Zane était furtif, il le devait pour des raisons que lui et quelques rares rescapés connaissaient. La discrétion se devait d'être portée comme un costume érigé par un styliste de renom. Jamais il ne devait divulguer son vrai nom, pas plus qu'il ne devait perdre cette pertinence en retournant à Juckiton. Au nom de ses exploits passés et une première visite garantie de succès dans la forteresse en question, l'habile figure s'était bien gardée de révéler la panoplie de ses viles intentions. Aujourd'hui était un jour à la fois singulier des aventures communes qu'il vivait, mais aussi très semblable de son parcours usuel. On l’avait invité, pour de bons ou de mauvais prétextes. Les informations qu'on lui avait passées pointaient dans cette même direction, adjurant le chevalier-servant de s'y rendre pour une énième fois. La bonté du démon n'était alors plus à vérifier. Combien de fois avait-il fait tout son possible pour aider la veuve et l'orphelin à s'en sortir ? Certes en échange de leurs servitudes éternelles ou bien de celle de leurs progénitures, mais le prix à payer devait toujours être proportionnel à l'envergure de la fonction qu'on lui confiait. S'il ignorait bel et bien les mobiles de son incantation au palais, il savait au moins les informations essentielles en rapport avec son employeur, un certain Tobias.

En ayant volontairement suivi le chemin le plus long, le beau diable avait habilement fait un détour jusque chez un marchand ambulant dont la localité casuelle lui était souvent rapportée. Ainsi fait, il avait pu obtenir bon nombre d'accessoires liés aux préparatifs qu’il s’apprêtait à faire pour le restant de la soirée. Si Zane restait indéniablement un homme d'action préférant de loin s’engager dans le chemin de l'improvisation, il aimait aussi beaucoup mettre des plans en marche en anticipant le plus de choses possible. Ces deux traits de caractères contradictoires étaient plaidables selon certains facteurs bien précis. S'il trouvait l'intérêt minimaliste, il userait de toutes les ficelles pour boucler rapidement l'affaire avec ses dispositions les plus agissantes. En revanche, s'il trouvait un bon moyen de se divertir, son sadisme prendrait largement le dessus pour lui assurer tout le plaisir dont il pourrait s'abreuver. En arrivant au pas de la porte, et étant donné qu'il ne savait toujours rien, le démon s'était équipé d'une multitude d'outils piochés par hasard. La plupart d'entre eux étaient celés sous ce qui servait à dissimuler sa propre personne, ainsi donc il restreindrait toutes sortes de vagues à son égard. En entrant à l'intérieur du palais, l'homme attira vaguement l'attention de quelques fureteurs, mais pas suffisamment pour mettre en émoi les plus suspicieux du coin. Se dirigeant alors paresseusement jusqu'au comptoir qu'il connaissait si bien, il prit place devant le premier tabouret qu'il trouva libre, s'approchant au plus près de Sonia, une femme qu'il avait déjà rencontrée auparavant. Pour éviter les éternelles vis-à-vis, il abaissa alors sa capuche. Au lieu de sa traditionnelle apparence de séducteur à la longue toison, c'est toutefois une autre personne qui se révéla sous des traits complètement dissonants. Il avait de longs cheveux blonds, parfaitement brossés jusqu'à ses épaules, sur l'arrière et sur les côtés. Ses yeux étaient désormais d'un bleu profond, son teint légèrement mat et son aspect général beaucoup plus cordial.

Son intention première était de présenter un homme décontracté, extrêmement sociable et courtois, en plus d'être beau garçon. Il s'adressa instinctivement à la tenancière de l'auberge, posant rapidement son regard sur le jeune garçon à côté de lui en lui envoyant un sourire affectueux. « Vous devez être mademoiselle Sonia ? Excusez-moi de vous déranger. Je recherche un dénommé... Il sortit un bout de papier chiffonné de l'une de ses poches avant Tobias. Apparemment, cet homme recherche les services d'un mercenaire. » Elle hésita quelques courtes secondes avant de lui accorder un sourire en retour, puis elle désigna une entrée derrière elle, à peine visible. « Faites attention à vous, il n'est pas très commode, mais si vous pouvez lui être utile, il vous sera d'une grande reconnaissance. » « Je compte bien devenir indispensable pour lui. » Affirma l'usurpateur en laissant une poignée de pièces retentir sur la table. Il se leva ensuite et salua la charmante femme sans même se retourner, disparaissant aussi rapidement qu'il était venu par la fameuse issue. En suivant les résidus d'aura, il trouva facilement l'homme qu'il convoitait, celui-ci semblait l'attendre depuis fort longtemps. Accoté contre un mur de pierres, il s’amusait avec un arsenal de cartes qu’il déposa joliment sur la table une fois qu’il le vit arriver. « Ce n’est pas trop tôt. » Bougonna-t-il fictivement en se mettant à sa hauteur. Zane ne savait toujours pas le pourquoi du comment de cette visite, aussi il s’apprêta à lui poser la question lorsqu’il entendit des bruits de lames s’élever depuis l’extérieur. Pour un habitué tel que lui, il ne faisait aucun doute de ce qui se tramait. L’homme aux cheveux pourpres souriait drôlement. « Le timing est parfait. Tu vas pouvoir t’en donner à cœur joie. » Tout commençait très vite, et ce n’était pas pour lui déplaire.

Tobias lui avait fait part d’une revendication qu’il ne pouvait décliner aussi ingénument. L’endroit était attaqué, il était donc à présent bien trop tard pour prendre le contre-pied de quoi que ce soit. Son but était de protéger les cellules afin qu’aucun d’entre eux ne s’en réchappe en circonstance à l’assaut qu’il allait devoir gérer d’une façon ou d’une autre en présence d’autres soldats. Zane ne calculait d’aucune justesse d’esprit. Qu’importe de connaitre le fin mot de cette histoire, savoir s’il appliquait le mal ou le bien, car il devait se battre et c’était bien là le plus important. À bien des égards, une bataille restait une bataille avec son lot d’apprentissages. Cracher sur une quelconque forme de combat n’était pas dans sa nature, d’où son consentement des plus explicites. Muni comme il se doit pour ce genre évènementiel, le démon aux yeux inexpressifs émergea de la salle exiguë dans laquelle il se trouvait en vue de partir de lui-même à la rencontre des importuns qui s’incrustaient sans invitations. Il se dirigeait par la simple entente des collisions et des braillements qu’il percevait au travers de l’épaisse pierre. Plus il se rapprochait, plus le son devenait percutant et brutal, jusqu’à ce qu’un corps inerte vienne riper jusqu’à ses pieds, le torse perforé et le visage imprimé par la peur. Le tueur en question s’approcha de lui sans prendre conscience qu’il n’avait pas convenu aux soldats de base. Ainsi donc, c’est en un nombre de gestes très réduits que le guerrier se chargea de venger celui qui se trouvait dans son camp. En un tour de main, il neutralisa ce dernier en le déconnectant de son bras. La pointe de sa lame acheva son trajet entre ses deux yeux.

En levant le visage, il se rendit compte qu’il se trouvait désormais près de l’entrée qu’il avait empruntée pour nouer contact avec Tobias. De nombreux groupes se guerroyaient réciproquement pour des intérêts inconciliables qui ne le concernaient pas. En revanche, l’observateur distingua activement un homme qui comme lui était indépendant. Pour commencer, sa garde-robe et son allure ne concordaient pas avec les rebelles qui souhaitaient s’introduire en ce lieu, mais il avait surtout une aura qu’un partisan du mal pouvait dépister à des kilomètres, tout comme c’était le cas dans l’autre sens. L’autre particularité était son incertitude. Il ne fonçait pas à l’aveugle comme les autres, si bien que sa détermination était nécessairement moins prestigieuse. Mais avant de s’occuper du vilain petit canard, Zane prêta main-forte à quelques alliés en difficulté. S’interposant vivement au milieu d’une concentration d’ennemis, il rembarra les agresseurs de sa longue tige de métal. De son poing rigoureusement comprimé, il frappa la joue de l’un d’entre eux qui prolongea son vol avant de rebondir lourdement. « Soyez un peu plus vigilant. Vous n’avez rien à leur envier, alors battez-vous plus sérieusement. » C’est dans cette autorité suprême qu’il les laissa reprendre le cours du combat. Ignorant qui était l’inquisiteur de cette attaque, l’homme n’en avait cure. Pour l’heure, une autre cible attira son attention.

D’un pas assuré, le démon esquiva certains objets volants visiblement prémunis pour être des armes de jets. Il repoussait d’autres attaques à l’aide de son katana jusqu’à ce qu’il parvienne finalement à se frayer un chemin jusqu’au jeune homme aux cheveux entre l'argent et le mauve. Il se présenta à lui avec son argument installé sur son épaule. « Je peux me tromper, mais je pense que tu es étranger aux enjeux de cette intrusion. Je perçois une forte réticence en toi. Tu as de la chance puisque je vais te laisser le choix. Soit tu pars et tout se passera bien, soit tu décides de te frotter à plus piquant. Ma proposition est une bénédiction. » Et une véritable. Laisser une occasion favorable aussi belle à qui que ce soit n’était aussi rare que de le voir tomber sous le charme de quelqu’un, autant dire jamais. Si le jeune homme voulait malgré tout se battre, c’était à ses risques et périls. Au moins, il était prévenu. Reste à savoir quelle allait être son adoption. En attendant, le ténébreux le soutenait intensément du regard avec un sourire mutin pour l’astreindre à renoncer.

L'envie de lui proposer une porte de sortie pour qu’il puisse s’en sortir sans anicroche ne révélait pas d’une sympathie sans égard pour le jeune homme que le véritable objectif de cette proposition. Savoir quel genre d’individus se trouvait en face de lui dans l’obtention d’une information somme toute inutile apportait de l’eau à son moulin, notamment à connaitre les convoitises de celui qu’il allait combattre. Malgré sa convivialité et son avertissement pour le moins agréable, il déclina toutefois son invitation. En réalité, les mots qu’il agglutinait les uns aux autres pour former ce qu’on appelait une réponse n’étaient pas des plus appropriés, puisqu’en résumé il signalait uniquement le faire, car il pensait bon de le faire. Un homme régi par son instinct est toujours plus fort qu’un homme trop enclin à penser sans cesse avant d’agir. Au fond, il se fichait du danger et vint même à le menacer par le biais d’une démonstration. Zane ne détourna même pas le visage pendant que les éclairs jaillissaient. Par le passé, il avait déjà eu l’occasion de voir ce pouvoir se mouvoir en pleine pratique. Il avait même été victime d’un coup d’autrement plus sauvage que ce dernier. Ce qu’il tentait de faire pour l’intimider ne fonctionnait pas, et ce n’est surement pas les lames pointées dans sa direction qui allaient changer quoi que ce soit. Manipuler deux lames c’était bien, encore fallait-il ne commettre aucune erreur avec une arme supplémentaire. En tant que pratiquant de l’arme blanche depuis des décennies, il savait de quoi il parlait. Toutefois, ce que l’on attendait de la part du démon s’avérait souvent faux et inexpliqué. Faire constamment le contraire de ce qu’on attendait de lui, voilà bien son mode de vie exemplaire. « Tu as raison, petit. J’aimerais éviter qu’on en vienne aux mains. Ma nouvelle tenue sort tout juste du blanchisseur et c’est un modèle unique. Autant dans le mien que dans le tien, il n’est pas dans notre intérêt de nous battre comme des bêtes. Bonne chance pour la suite. »

Zane tourna les talons et leva le bras en l’air en signe d’adieu. Naturellement, il avait d’autres chats à flageller, d’autant plus qu’il ne tenait pas compte du destin cruel qui attendait les prisonniers. La protection d’autrui, il était incapable de le faire. À mi-distance de la sortie, l’homme vira sa tête sur la gauche, son faciès muni d’un sourire plus enclin à effrayer qu’autre chose. Ses paupières étaient complètement éteintes. « Je plaisante. » Lorsque sonna la fin de ce terme parfaitement articulé, le corps du démon tomba subitement en poussière. Résultante d’une illusion idéalement menée. Son véritable lui se trouvait désormais à seulement un mètre de son adversaire, sa lame étant déjà fermement ancrée dans sa main, prêt à frapper. Avant de porter le coup, il mit volontairement un frein à son estoc, ceci afin que son ennemi se défende le temps de quelques échanges. De seconde en seconde après ses multiples frappes, celles-ci décuplèrent en ardeur et en justesse, jusqu’à ce qu’il se décide à s’éloigner afin de remiser son katana dans le fourreau. En restant avare de paroles, il frotta tour à tour ses deux poings, comme s’il les préparait pour le second round. En l’état actuel des choses, son adversaire avait forcément compris qu’il le jaugeait pour mettre un chiffre sur sa puissance. Aborder ce duel avec un tel stratagème manquait cruellement de folie certes, mais c’est seulement une fois qu’il serait conscient de ce qui l’attendait qu’il pourrait se lâcher comme il se doit, avec plus ou moins de fureur dans sa conduite. « Tu possèdes une certaine disposition avec les sabres, c’est indéniable, mais voyons maintenant comment tu te débrouilles face à mon armement le plus terrible. » Si le sinistre diable était très actif dans le maniement de son sabre, il fallait encore plus se méfier de ses poings qu’il disciplinait depuis sa naissance. Le tranchant du métal était par contradiction beaucoup moins affuté que celui de sa main.

Ainsi, alors que quelques soldats ennemis eurent la fâcheuse inspiration de s’en prendre à lui, il immobilisa facilement toutes les agressions en leur brisant les os. Il en contourna un puis porta violemment sa paume contre l’échine, courbant malgré lui le personnage alors qu’il hurla à la mort. Deux autres s’en prirent à lui, mais il se contenta cette fois-là de leur extirper le cœur par le biais de sa superforce. « Ils sont ennuyeux n’est-ce pas ? Si tu le veux bien, nous allons passer aux choses sérieuses. » L’ombre qui appartenait à Zane vint se déplacer et se hisser en sinuant jusqu’à ses bras. Ils s'enrobèrent autour de son membre tel des gants de boxe. « C’est parti. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Il fondit sur le jeune homme, prêt à en découdre par son jeu de jambes et le discours de sa frappe.

Malgré quelques lacunes qui lui paraissaient flagrantes, le magicien se débrouillait bien. Lors de ses attaques répétées, le démon avait intentionnellement dénigré sa propre puissance pour voir ce qu’il valait, et force est de constater que la force brute n’était pas dans ses points forts. Le fait qu’il attaquait en masse avec sa magie allait également dans ce sens. Il avait affaire à quelqu’un qui préférait se battre à distance avec ses sorts plutôt qu’être directement au contact. C’est une hypothèse qui se valait, mais il disposait pourtant de deux sabres, ce qui révélait aussi une forte tendance à aller au front. Cependant, au vu de ce qu’il avait pu jauger pour le moment, le personnage était probablement plus apte à foncer sans réellement réfléchir aux conséquences. Un sabre est particulièrement difficile à maitriser, davantage encore si la puissance des bras n’est pas relative, mais en maitriser deux limitait conventionnellement leur emploi à plein potentiel. Zane pouvait le prétendre, car il avait jadis eu un maitre remarquable dans leur manœuvre, et lui-même avait été professeur de plusieurs étudiants. Par déduction, le démon pensait alors qu’il les utilisait pour une tout autre raison. Peut-être s’agissait-il d’un passé quelconque ou d’un quelque chose lié à ses pouvoirs. Le mystère restait entier jusqu’au moment où il le pousserait à bout. Bien destiné à lui faire comprendre qu’un chiffre supérieur n’est pas nécessairement plus avantageux, le diable des beaux-arts s’élança de nouveau avec son katana. Cette fois-ci en revanche, le mercenaire emboutissait avec beaucoup plus d’entrain sans une seule once d’hésitation. Chaque attaque qu’il menait était plus virulente que la précédente. Comme la logique le voulait, il était d’autant plus rapide et précis que son adversaire qui devait se canaliser avec deux lames. « Avoir plusieurs jambes ne sert à rien si tu es paraplégique, mon ami. » Une remarque pertinente destinée à lui faire comprendre ce simulacre de morale qu’il tentait de lui inculquer.

S’il parvenait sans grand mal à faire reculer son ennemi, ce dernier n’abandonna pas pour autant. Les cris de rages et de frictions de métal qui se manifestaient continuellement autour d’eux étaient devenus si secondaires que le démon n’entendait plus aucun son autre que la symphonie que les deux êtres interprétaient. Le monde autour de lui n’existait plus. Et d’ailleurs, plus aucun indésirable n’osa les déranger tant la pression était haute. Plus le combat durerait, et plus il deviendrait appliqué et donc épouvantable. L’endurance qu’il avait jouait souvent en sa faveur. Au lieu de reculer par le temps et la fatigue, au contraire il ne faisait qu’avancer. Le magicien avait néanmoins prévu un piège pour le surprendre. Ce fut assez brusque et inattendu, mais en tournant tout juste les yeux sur le coin, il aperçut des aiguilles se diriger à toute allure dans son dos. En face, il avait fait parcourir ses lames d’électricité afin de l’empêcher de résister à son piège. Réagissant très vite à ce qui était en train de se produire, le prince des enfers fit intervenir ses ombres en les arrangeant comme un bouclier derrière lui. Cependant, au dernier moment donc juste avant l’impact, il déchira le voile protecteur en deux. Ainsi, sa protection inefficace permit aux aiguilles de se planter dans sa peau. Il chancela légèrement en avant, le visage et le regard baissé. Malgré tout, il parvenait toujours à se protéger des offensives foudroyantes. Après plusieurs secondes d’inactivité de sa part, le trait de ses lèvres se prolongea en un long sourire. « Je ne l’ai jamais utilisé en combat réel. Voyons voir ce que ça donne. » Si le magicien ne pouvait pas tout de suite saisir de quoi il parlait, il fut rapidement fixé lorsque les filets de sang dans son dos se mirent à flotter en apesanteur. Se laisser volontairement toucher pour expérimenter des compétences récemment acquises, c’était lui tout craché.

Tout sagace qu’il était, Zane apprenait vite et avait rapidement su faire du contrôle de sang un pouvoir à part. Entre ses mains, cette capacité productive prenait tout son sens. Le liquide qui avait désormais muté en des aiguilles similaires à ce qu’il avait dû encaisser vint se tourner contre son opposant en jaillissant dans tous les sens. Leur contrôle semblait si aléatoire qu’on aurait pu croire qu’il ne maitrisait rien, mais c’était on ne peut plus intentionnel. Aussi imprévisibles que lui, elles empruntaient des chemins différents, même si leur point de chute était identique. À chaque blessure subie qu’il infligerait à son adversaire, c’est des munitions en plus qu’il gagnerait. Et pour apporter un bonus supplémentaire à sa tactique, il créa des pointes de pierres à divers endroits de sa position actuelle. La roche était non seulement hermétique à l’électricité, mais en plus elle encombrerait ses futurs déplacements.

Le duel durait depuis un certain temps sans qu’un avantage certain ait été emporté de l’un ou de l'une des deux parties. Zane s’amusait de savoir jusqu’où saurait aller son adversaire dans l’affront. Finirait-il par fuir en s’apercevant que ses chances étaient très minces ou bien au contraire continuerait-il à donner le meilleur de lui-même même s’il savait sa défaite assurée ? Le démon ne le voyant pas abandonner, pas si facilement tout du moins. Peut-être envisagerait-il de reconnaître son impuissance, mais jusqu’à ce moment précis, il se jurait de le poursuivre jusqu’au bout du monde. Pour lui, ce n’était qu’un loisir plus ou moins similaire au chat et à la souris. Voir sa proie lui échapper contribuait également en son bon plaisir. Lorsque le magicien parvint à le distraire suffisamment longtemps pour s’évader, l’intérêt de la partie ne s’en voyait que plus palpitant. D’une lenteur abyssale, le maître des mensonges prit un temps d’arrêt tout en observant dans la direction qu’avait emprunté l’énergumène. « On peut vraiment parler de chasse à présent. » Les bases de la chasse s’associaient à la traque. Si certains pouvaient trouver cette opération particulièrement désolante, il n’en était rien pour lui. Haussant les épaules, il partit doucement dans le même sens que l’individu. Il ne connaissait pas étroitement les lieux, mais il avait tout de même eu la chance de les parcourir à plusieurs reprises. Son adversaire n’avait que deux options qui s’offraient à lui. Soit il avait décidé d’abandonner sans revendication ses alliés, et dans ce cas il cherchait actuellement un moyen de s’ensauver, soit il tenterait naturellement de lui tendre une embuscade grâce à l’appui de quelques pièges. Ce qu’il aurait fait dans une situation défavorable semblable à celle-ci aurait été de mener son ennemi dans une pièce privée de toute lumière en préparant l’arsenal nécessaire. La surprise figurait dans les prémices de la stratégie. Prévoir ce type d’éventualités en était une autre.

En parcourant le couloir et en arpentant les différentes pièces qui se proposaient à lui, Zane savait que l’une des portes le mènerait à lui, ainsi il se préparait continuellement à tomber sur un élément déplaisant susceptible de renverser légèrement la situation. Pour un temps, il se devait d’être proactif sans lâcher une seule fois son attention. Ce n’est pas tant sa force qui était au-dessus du lot que son esprit de déduction, plus à même d’enfanter une multitude d’issues à ses plans. Après plusieurs minutes de recherches, il comprit enfin qu’il n’était plus très loin du but quand il repéra la présence de quelques collets au sol. Alors qu’il confectionna une boule de pierre dans sa main droite, il fit rouler cette dernière jusqu’au piège afin de le déclencher. En répétant successivement le procédé pour plusieurs d’entre eux, l’inspecteur à temps partiel entra en trombe à l’intérieur de la pièce clé. Son ennemi s’y trouvait. Il n’était pas seul puisqu’un tas d’armement était entreposé à ses côtés. Ainsi, il avait décidé de l’attendre dans une réserve. C’était plutôt ingénieux, à condition de maîtriser une grande variété d’entre eux. À moins que ceux-ci aient un autre but. Pour le moment, il resta immobile. « Tu es plus malin que tu en as l’air. Tu aurais pu t’enfuir, mais tu ne l’as pas fait. D’autres en auraient profité sans se faire prier. Pourquoi ? » la réponse l’intéressait. Vraiment. Il trouvait satisfaction à étudier la psychologie sous toutes ses formes. Et pourtant. Pourtant quelque chose se produisit. Les armes dans leur intégralité se mirent à vibrer une à une avant de sombrer au sol. L’une d’entre elles, une massue nantie de piques vola jusqu’au creux de sa main. D’un signe de tête, il invita son adversaire à choisir parallèlement une arme. « Je vais être avenant et te faire une fleur. Je renonce à utiliser ma seconde main, même si cela devait impliquer ma mort. De plus, je te promets de ne pas utiliser la super force. » Cela dans le but d’augmenter son plaisir plus que de contenter l’individu. Il avait à présent les cartes en main pour parvenir à quelque chose de correct. Il ne dépendait que de lui pour apporter de l’eau à son moulin. Zane expédia alors sans prévenir son arme en cernant son visage. Il lançait les hostilités, pour ne pas changer.

Étrange personne qu'était ce jeune garçon. Peut-être était-il déséquilibré, ou alors simplement désorganisé ? Zane analysait facilement sa jeune expérience dans le domaine des combats perdus d’avance. Ce qu’il entendait par "perdu d’avance" n’est pas tant la nécessité de perdre absolument, mais la manière de faire parvenir un résultat inattendu. Sur bien des tableaux, cette bataille jurait bon de le déclarer vainqueur pour une farandole de facteurs. Cela étant, le jeune démon ne le poursuivait pas avec autant d’entrain, car il savait sa victoire assurée, mais davantage, car il voulait observer où mènerait la volonté de son ennemi. Si l’enjeu n’avait rien d’intéressant, il aurait facilement déserté la chasse et serait ensuite reparti comme il était venu. Convoyée dans ce piège rondement mené, l’initiative était bonne, mais… la raison autour d’une relative fuite qu’il aurait pu envisager à n’importe quel moment était mauvaise. La réponse de ce magicien était évasive, sinon complètement absurde. Il ne fuyait pas, car il ne voulait pas fuir ? Aucune question d’honneur, de fierté ou encore d’autosatisfaction. Était-ce ainsi le propre des êtres bénéfiques d’avoir une existence complètement plate d’ambitions ? L’homme gloussa en enfonçant les doigts dans sa peau. S’il espérait s’en sortir avec ça, il se faisait des illusions. « Je vois. Et tu as l’intention de gagner avec des arguments aussi peu convaincants ? La victoire ne se décide pas par la seule force. Le mental doit suivre une ligne plus stricte que la formation des muscles. Si tu es incapable de répondre à des questions aussi accessibles, comment comptes-tu survivre ? » Extérieurement, cela ne se voyait probablement pas -ou pas beaucoup-, mais le tentateur explosait de l’intérieur. Plus que tout, il haïssait les indécis incapables de formuler un avis concret. Il voulait se la jouer héros rebelle ? À la bonne heure ! Zane avait désormais une motivation supplémentaire de lui montrer ce qu’il en coûtait de prendre les choses à la légère.

Les pièges qu’il avait mis en place avaient beau faire preuve d’un minimum d’ingéniosité, le délai éphémère qu’il lui avait été accordé était trop restreint pour lui permettre des folies meurtrières. Observateur dans l’âme grâce à ses nombreuses heures de chasses, l’homme avait plus ou moins repéré les divers dangers que comportait cette salle. Comme s’il avait étayé une sorte d’algorithmes, il avait ainsi classé chaque objet susceptible de lui engendrer défaut par degré de nuisibilité dans un ordre bien précis. Comme il l’avait en partie anticipé, le jeune homme qui était jusqu’alors acculé au fond de la pièce stimula la télékinésie pour rassembler un amas d’armes qu’il destinait à le frapper de plein fouet. Se mettant automatiquement sur ses gardes, Zane propulsa sa magie noire sur le déferlement effectif pour en repousser le plus possible. Petite surprise : le garnement se jeta sur lui afin d’entrechoquer leurs armes l’une contre l’autre. La suite fut assez rapide puisqu’il se servit d’une grande réactivité pour sortir méthodiquement par la seule issue apparente. Il referma la porte expressément et lui offrit un éclair en guise d’adieu. Quelques secondes plus tard, l'éruption se produisit à l’intérieur du dépôt d’armes. Le magicien avait peut-être réussi son coup. Ou peut-être pas.

Quoi qu’il en soit, le magicien pouvait être fier de lui. S’il ne pouvait se débarrasser du démon aussi facilement, il était fort probable qu’il ne s’en soit pas sorti indemne. De plus, il avait réussi à contenir la féroce bête qui sommeillait en lui. Ce n’est qu’au terme de plusieurs nombreuses minutes qu’une qu’un applaudissement rompit le silence. Une voix méprisante interrompit la pause du combattant. « Félicitations, Blanchette. Au moins, tu n’es pas asexué, ce qui est déjà une excellente nouvelle. Et si nous passions enfin aux choses sérieuses ? » Sortant de nulle part, l’homme révélait son état aux yeux du garçon. La seule blessure que les flammes avaient réussi à lui causer se représentait en une brûlure sur le bras gauche, agrémenté par un saignement constant. Autour de lui, des étincelles naquirent. Elles enveloppèrent lentement son corps. Sans crier gare, il appela sa vitesse à accroitre exponentiellement. Il réduisit la distance en un temps considérablement réduit, après quoi il frappa l’homme au visage de toute sa puissance. Sur son bras blessé, le liquide rouge coula jusqu’à l’extrémité de son bras afin de se joindre en une pointe large et effilée. La fin de ce combat se jouerait uniquement sur l’endurance des deux compères, mais aussi de leurs capacités à être plus sournois que l’autre. À chaque tentative, le démon souhaitait transpercer l’épaule de son ennemi. Il y parviendrait, tôt ou tard.

Il avait conçu que rivaliser contre plus fort que lui était une preuve de vaillance. Il avait entièrement faux, c’était là l’imprudence même qui régissait la majorité des habitants de l’enfer. S’il avait décampé dès le début, le jeune homme n’aurait pas eu à essuyer tous ces échecs. Le jeu n’en valait plus la chandelle, c’est pourquoi il avait décidé de faire cesser le jeu, ici et maintenant. Mourir aussi jeune était d’une bêtise sans nom pour ceux qui fonçaient tête baissée dans la bataille sans penser à ce que seraient les conséquences d’un tel acte. Zane était résolu à le faire taire à jamais, et ce n’est certainement pas la quantité d’armes qu’il lui lançait qui allait retenir ses pulsions. Pour chacune d’entre elles, le démon les bannit sur le côté avec sa propre arme. Le jeune homme n’avait de toute façon pas la force nécessaire pour céder l’impulsion qui était indispensable afin qu’elles deviennent nuisibles. Il lui suffisait de cogner légèrement au bon endroit pour faire basculer les projectiles et ainsi anéantir leurs rendements. La pire erreur qu’il commettait était encore de le combattre à proximité, c’est pourquoi le tentateur sema distinctement sa lame dans l’épaule de l’insouciant. Peut-être ne l’avait-il pas senti sur le coup, mais cela provenait en grande partie du fait qu’il était acculé et donc qu’il était d’une certaine façon drogué par l’adrénaline. Il recula toutefois quelques instants plus tard, et ce dans l’intérêt de s’équiper d’un heaume. Zane pencha nonchalamment la tête sur le côté. A quoi jouait-il au juste ? Ce n’était ni le lieu ni le moment de s’amuser. Voilà maintenant qu’il essayait de le dissuader d’utiliser son autre bras. Levant ce dernier, il examina son membre comme si c’était la première fois qu’il s’en apercevait, cela tout en buvant les paroles de son interlocuteur.

Il releva ensuite le visage en baillant, puis à l’aide de sa main qu’il joignit à hauteur de sa nuque, il la détendit en frottant délicatement à l’endroit où il souhaitait relâcher ses muscles. Sans dire un mot, il se mit en position qui impliquait une course imminente. Sans même que le départ fut annoncé ou constaté visuellement, le démon se trouvait déjà devant le magicien, son poing solidement embourbé dans l’estomac du garçon. Comme si ce n’était pas suffisant, il tortilla son poignet pour emmagasiner plus de puissance, et surtout pour mutiler au mieux ses organes. Le regard planté dans la direction qu’il avait ciblée depuis le départ, celui-ci leva le regard. Alors que sa proie se courbait sous l’intense coup dont il avait été victime, Zane enchaina l’assaut dévastateur avec un uppercut qu’il cala précisément sous le menton du bienfaisant, le seul emplacement que la visière ne pouvait pas protéger. La propulsion fut si redoutable qu’il bascula sur une longue distance en arrière, lui et son casque qui avaient été déconnectés l’un de l’autre.

La protection de métal brusqua le sol avant le corps du jeune homme. Se redressant, Zane frotta ses phalanges. « Ne me confonds pas avec ces perdants de vampires. Un démon n’a aucune parole. Il frappe quand il faut frapper. Aucune règle. Aucune entrave. Seul le résultat compte. » Il le clamait haut et fort, comme si c’était important qu’il le sache avant sa mort. Il n’irait pas jusqu’à dire qu’il l’avait sous-estimé, mais il avait mal jaugé la situation, ça, c’était plus que certain. Plus qu’une leçon, il fallait passer à la sentence finale. La seule fois où il ressemblait à un ange, c’est quand il était celui de la mort. Tandis que le jeune infirme était toujours au sol, désormais incapable d'assurer le moindre repli défensif, le démon lui bondit dessus, concassant ses jambes de son corps assez massif contrairement à ce que l’apparence laissait sous-entendre. Il bloquait volontairement toute tentative qui aurait pu le soustraire à une dérobade quelconque. Avant de porter les derniers coups, ses lippes dessinèrent la formation d’un sourire diabolique. Ses pupilles jaunes prirent également un éclat qui imposait la frayeur. Étourdi dans une phase de transe, le diable laissa ses poids et sa tête parler pour lui. À base d’une succession de coups de boules et de horions, il fracassait littéralement celui qui allait disparaitre de ce monde. Seul un miracle pouvait encore le sauver du bourreau noir.