J'attendais Arkham, les yeux fixés sur les combattants de l'arène de Megido. Moi aussi, il y a longtemps maintenant, j'avais fait parti de ces guerriers. Plongé dans mes pensées, mon regard se perdit sur un homme debout dans les gradins opposés à ceux dans lesquels je me trouvais. Je le fixai alors, une expression étrange hantant mon visage, me levant doucement comme si je ne pouvais pas croire à une telle chose. Si je cru tout d'abord qu'il s'agissait de Naram, je compris vite que ce n'était pas le génie, point du tout. Pourtant, il nous était identique, sa silhouette ayant une prestance bien plus importante que la mienne et, en jetant un rapide coup d'oeil sur les combattants, je me rendis compte que j'étais le seul à le voir. Un petit sourire apparut d'ailleurs sur son visage lorsqu'il prit conscience de mon trouble. Perplexe, troublé, je voulus bouger pour le rejoindre mais il m'indiqua de rester à ma place, son index sur ses lèvres, ses yeux marrons plantés dans les miens. Alors, je me repositionnai, mon regard ne le lâchant pas. Face à face, nous étions un exact miroir, oui, à quelques exceptions près. En effet, ses cheveux étaient bien plus longs que les miens et il semblait habiter par un pouvoir bien plus grand, quelque chose que je ne pouvais décrire exactement. C'était tellement étrange de me voir ainsi. Était-ce bien moi ou un Aether qui avait décidé de me faire une petite plaisanterie? En réalité, ce que je ne savais pas encore c'est que je combattrais ces individus, ces divinités. Et, en faisant cela, je mettais mon propre futur en danger. Mais ne dit-on pas qu'il faut être un Rehla pour connaître toutes les conséquences de ses actes?

Quoi qu'il en soit, nous restâmes un instant comme ça, à nous regarder, simplement, ses yeux miroirs des miens, reflets de nos âmes. Puis, il fit un simple geste de la main, les combattants de l'arène s'effondrant sur le sol avant d'être balayés par un vent qui les dépouilla de leurs vêtements, de leurs chairs, de leurs os. Il ne restait rien, que leurs âmes qui flottaient, attendant d'être récupérées par une ombre qui serait envoyée sur place. Étrangement, je n'avais pas peur, tout ceci me paraissait même logique. Cet homme, cet autre moi, était-il une ombre? Une entité bien plus puissante qu'une ombre? Un Aether véritable? Je ne le savais bien entendu mais si c'était le cas, alors il devait avoir une puissance bien supérieure à celle de Mitsuko. Le temps était si complexe et, de ce qu'elle m'avait appris, un Aether pouvait remonter ce dernier, se rencontrer, voyager dans un espace où il n'avait jamais vécu, où il n'était pas né. Alors, je m'étais interrogé, me posant mille questions sur ce dernier, des questions qui m'avaient mené à une migraine sans nom.

A mon plus grand étonnement, il flotta vers le centre de l'arène, se laissant porter par un nuage de fumée noire qui semblait être composé de la même matière que Lux Tenebris. Et, sans que je ne puisse rien contrôler, mon corps s'approcha de lui, mes ailes se déployant contre ma volonté pour le rejoindre. Près de lui, il m'observa avec un certain intérêt, comme s'il se demandait à quel moment de mon évolution je me situais et, oui, c'est à ce moment là que j'eus peur.

« Bonjour mon cher Jun. Tu dois sans doute te demander qui je suis ou ce que je suis mais cela n'a qu'une importance moindre. Arkham ne viendra pas, retenu par Zélia. Cependant, puisque je sais parfaitement que tu risques de désirer tenir parole quoi qu'il arrive, je suis ici pour te révéler qu'aller dans l'antre des marais ainsi ne serait qu'une mission suicide. La reine veut t'éliminer, ou se prouver à elle-même que tu es trop faible pour rester à ses côtés, et même si l'âme de ton mentor se trouve dans ce lieu, il y a bien trop d'obstacles pour que tu y survives en ton état actuel. ».

Interdit, je ne répondis rien. Comment pouvait-il savoir cela? Comment pouvait-il connaître le présent? Il me troublait de par sa ressemblance avec mon être, ce n'était rien de le dire. Il ne parla plus, attendant sans doute que je le fasse.

« Et à quoi cela te sert-il de m'indiquer cela puisque je semble si déterminer à tenir parole? Si je meurs, qu'est ce que cela peut-il bien te faire? Et pourquoi ne te présentes-tu pas? ».

En réalité, j'eus à peine le temps de parer son attaque à l'aide de l'estoc enflammée, la puissance de son coup faisant reculer mon corps de quelques mètres. Mes yeux se plissant dans les siens, je le vis disparaître, me retrouvant à mordre la poussière en quelques secondes, un coup de coude magistral atteignant mon flanc. Mon regard se tourna vers lui, un petit vent faisant voleter ses cheveux autour de lui, une aura de force entourant son corps, le rendant bien plus impressionnant que jamais je ne pourrai l'être.

« Justement, je suis ici pour t'apprendre quelques petits trucs afin que tu survives à l'épreuve que te réserve Zélia. Et, grâce à moi, tu feras bien plus que d'atteindre les hautes sphères de ta race, oui, tu atteindras le sommet. Mais, en attendant, bats-toi! ».

Dire ça à un homme à terre semblait n'être que de la pure moquerie, surtout qu'à ce moment précis, je savais bien que je ne pourrai le battre. Je ne pensais plus à Arkham depuis que je l'avais aperçu, ni même à Zélia, j'avais tout oublier pour me concentrer sur sa personne. Je sentais ce lien qui nous unissait, un lien que je n'arrivais à définir, que je n'arrivais à maîtriser. Mais lui semblait pouvoir prévoir mes actes avant même que je ne les accomplisse. Ainsi, lorsque je voulus user de mes ailes pour me relever, il utilisa le moment où j'étais le plus vulnérable pour abattre son poing sur ma joue, me propulsant sans aucun ménagement contre le mur le plus proche. Sonné, énervé, la rage commençait à se lire sur mon visage pourtant si calme en temps normal.

« Qui es-tu? »

« Si tu veux le savoir, il faudra que tu me battes. ». Le sourire de satisfaction qu'il affichait ne faisait que confirmer mes pensées : je ne pourrai le vaincre. Pourtant, je sentais en moi ce pouvoir étrange, celui que j'avais ressenti de plus en plus alors que je gravissais les échelons de la race angélique, comme si j'avais été créé pour être puissant, pour pouvoir affronter toutes les difficultés, toutes les situations. Je le savais mais pouvais-je réellement m'affronter moi-même? Car oui, cet homme était moi, je n'avais aucun doute là dessus, comme si la révélation se faisait d'elle-même, à moins qu'un troisième homme n'ait été créé par Mitsuko il y a si longtemps. Oui, cela était possible, une probabilité comme une autre mais je la réfutais car, s'il avait existé, pourquoi ce dernier ne se serait pas manifester plus tôt?

Je fis un mouvement sur le côté, juste à temps pour éviter la lame de son sabre qui se planta dans le mur sans la moindre hésitation. Cet homme était fou. Mes sourcils se froncèrent alors que je poussais un cri, délivrant le pouvoir de l'estoc grâce à ma maîtrise quasi complète du feu, l'arène devenant vite un brasier. Je compris qu'il avait copié ma technique, nos flammes dansant un tango embrasé dans l'édifice. Nos lames s'entrechoquèrent plusieurs fois d'affilé avant qu'il n'arrête tout, me faisant face, sa main entourant mon cou, ses yeux dans les miens.

« Laisse toi aller. N'essaye pas de réfléchir, ressens simplement. Tu verras alors que le début de ton pouvoir se révélera à toi, le début d'un don qui te sera fort utile quand tu sauras le contrôler à la perfection. ».

Ne pas réfléchir quand un homme bien plus puissant et rapide nous attaquait? Il avait de l'humour, c'était certain. Néanmoins, je savais que je devais l'écouter car il détenait la voix de la vérité.

Ne pas réfléchir, simplement se laisser porter. Plus facile à dire qu'à faire en somme. Seulement, je devais m'y soumettre, je devais faire en sorte de réussir l'épreuve qui s'imposait à moi. Je finis par fermer les yeux, ayant lu de nombreuses légendes sur le pouvoir des sens, et notamment lorsque l'un d'eux était amputé un instant, les autres s'en trouvant fortifiés. « Mauvaise idée. ». Il n'aurait rien dit, je l'aurai entendu de la même manière, une entaille plutôt profonde venant de faire son apparition sur mon torse. Poussant un cri de douleur, je manquai de m'effondrer sur le sol. Je sentais pourtant, outre la douleur, quelque chose d'autre monter en moi, quelque chose d'étrange, cette même impression, comme un adolescent ayant une poussée de croissance et souffrant le martyr pour grandir. C'était mon cas. J'avais presque atteint ce stade par le passé, le stade où ce don se livrerait à moi, le stade où j'apprendrais à utiliser ce pouvoir si spécial. Je ne savais pas encore lequel était-ce mais j'étais certain que ce n'était plus qu'une question de minutes pour le découvrir.

« Alors, on est trop faible pour se battre avec honneur? ». « Facile pour quelqu'un de si fort de s'égosiller sur les faiblesses des autres. ». « Oh mais les faiblesses d'autrui ne m'importent que peu. Ce sont les tiennes qui m'intéressent, ce sont les tiennes que j'essaye de faire disparaître. Mais si tu n'y mets pas du tien, je ne risque pas de pouvoir t'aider. Tant pis, tu mourras dans l'ombre, comme un chien. Est-ce cela que tu souhaites? ». Sa voix était sèche mais terriblement détachée. Il me menaçait presque, me promettait une absence de future mais je comprenais qu'il n'y croyait pas. Il savait que j'allais survivre. Et moi aussi. C'est d'ailleurs cette confiance qui dut le déclencher, ce fameux don.

Mes pupilles se dilatèrent sans que je n'en prenne véritablement conscience et ce qui se déroula devant mes yeux avait de multiples facettes. Je vis cet homme se diriger vers moi vers la droite, mais également vers la gauche, tout semblait refléter une infinité de possibilités, des possibilités qui se regroupaient pour former la meilleure théorie, celle qui avait le plus de chances de se produire. Oh tous les actes que pouvait accomplir cet homme se dessinait devant moi comme une variable, comme si il y avait plusieurs dimensions, plusieurs choix possibles, plusieurs avenirs. A moi de choisir lequel se réaliserait, un pile ou face, un droite ou gauche. Seulement, la silhouette de cet individu était bien plus marqué dans un de ses parcours, comme si il était presque certain qu'il effectuerait son attaque par là. Un petit sourire apparut sur mes lèvres alors que, d'un geste précis, je déviai, le bout de l'estoc devant normalement l'atteindre en pleine tête. Oui, c'est ce qu'il se passa, sauf que l'arme ne le toucha pas, traversant son crâne sans que rien ne se produise.

Mon sourire disparut alors que le sien apparaissait. Nous restâmes comme cela un instant, à nous contempler, lui victorieux alors que j'étais plongé dans l'incompréhension la plus totale. Pourquoi est-ce que mon attaque ne l'avait même pas effleuré? Je songeais au pouvoir de traverser la matière, bien sûr, mais j'étais persuadé que ce n'était pas ça. Non, cet homme était réellement un Aether et c'est à ce moment là que je me mis à douter du fait qu'il puisse être moi. Finalement, je me demandai s'il n'était pas la solution à une énigme, celui qui viendrait éliminer la copie et l'original. Mais il était hors de question que je le laisse me tuer, hors de question que je le laisse tuer Naram. Je devais tuer Naram, il n'y avait pas d'autres solutions possibles. « Tu penses trop, encore une fois. ».

La main qui maintenait mon poignet m'attira à lui avec violence avant que son genoux vienne heurter mon ventre de plein fouet me forçant à reculer, son pied venant par la suite frapper contre ma tempe avec une rare violence. Je vacillai alors, ma vision se troublant petit à petit, les sons me paraissant de plus en plus lointain, de moins en moins compréhensibles. Je ne sentis même pas mon corps heurter le sol lourdement.

« Où suis-je? ». Ma voix résonna dans l'espace qui m'entourait. J'étais seul mais, pourtant, je savais que l'on me répondrait. C'était une certitude. Devant un temple, un vaste jardin s'étendait devant moi. Je me demandai si je rêvais, la réponse semblait se trouver ailleurs sans pour autant que je puisse en être certain. C'était étrange, comme si le songe m'était interdit, comme si j'étais obligé de rester conscient dans ce monde étrange. Tout ce que je me rappelais c'était cet homme, cet autre moi, sa violence, sa puissance. Et, à peine avais-je pensé à lui qu'il apparut à mes côtés. A moins qu'il soit là depuis le début? Je n'arrivais pas à le déterminer, comme si mon esprit me jouait des tours, comme s'il avait très bien pu être appuyé contre le tronc de ce cerisier en fleur depuis une bonne dizaine de minutes, comme s'il avait très bien pu jamais y être. Tournant mon regard, je le découvrais derrière moi. Depuis quand était-il là?

« Tu es dans un autre monde, mon monde. ».

« Qu'attends-tu de moi? ». Je semblais étrangement calme. C'était comme si la rage à l'intérieur de moi ne pouvait s'extérioriser dans cet univers. Et son petit sourire m'énerva encore plus, malgré moi.

« Comme je te l'ai dit, je tiens à m'assurer que tu ne te fasses pas tuer dans l'antre des marais. Idem, lorsque tu reviendras vers Zélia avec l'âme de ce sorcier, elle prendra très mal le fait que tu ais réussi à déjouer ses pièges. Elle voudra t'éliminer elle-même mais tu devras avoir la puissance suffisante pour aller à l'encontre de ses plans. Seulement, tu devras le faire en douceur, ne pas montrer ton opposition à son règne. L'intelligence est une chose bien utile mais sans magie nécessaire, elle n'est rien, surtout contre une reine telle que cette femme. Alors, tu dois développer ces deux facteurs d'un même front. Et je vais t'y aider car en toi demeurent des ressources dont tu n'as pas idée. ».

Je ne disais rien, l'écoutant parler sans l'interrompre. A présent qu'il ne souhaitait plus se battre contre moi, je ne le voyais plus comme une menace, me perdant même dans la contemplation de ses cheveux d'une longueur impressionnante. Je n'avais jamais trouvé cela très masculin mais ça lui allait bien, je devais l'avouer. C'était comme si ce détail lui donnait un air plus sage et plus effrayant à la fois. Je n'arrivais pas à cerner cet homme mais peu importait finalement.

« Je vais même t'avouer quelque chose. Lorsque Mitsuko t'a créé, elle n'a jamais pensé que tu aurais tant de facultés. Elle ne voyait en toi qu'un remplaçant de Naram, un passe pour l'avenir, une manière de survivre. Seulement, bien qu'elle gagne dans un futur probable, dans un autre, ce n'est pas elle qui triomphe. N'oublie pas ça, c'est important. Cela te servira à l'avenir. ».

[colo=white]« Ce pouvoir, il... ». [/color]

« Oui, tu as en toi un don qui est très peu répandu, celui de pouvoir voir les différentes probabilités qui s'offrent à toi, ce que peuvent produire tes actes sur le comportement d'autrui. Bien entendu, tu ne peux l'utiliser qu'à court terme pour le moment, de manière presque inconsciente, incontrôlée. Mais, viendra un jour où tu en auras la pleine maîtrise et, ce jour précis, tu auras les réponses à beaucoup de question, tu sauras agir avec sagesse. Le temps est tellement mystérieux, c'est comme si chaque seconde, une nouvelle histoire quelque peu différente se créait, comme si tout pouvait être balayé en un instant puis reconstruit par un simple retour dans le passé. Comment savoir quel sera ton destin? Tout ce dont je suis sûr, c'est que tu atteindras le trône, un jour, usant à la fois de stratégie, de force et de magie. Mais la suite n'est qu'incertaine. Et, entre nous, te la révéler ne t'aiderait pas, pas du tout. »

« Maintenant, laisse-toi guider par cet univers, laisse la magie prendre possession de toi. Deviens celui que tu devrais déjà être depuis longtemps. Libère toi des chaînes qui demeurent encore bien présentes dans ton esprit. Pour accomplir ton destin, il faut que tu arrives à te détacher de ton rôle de protecteur une fois pour toute. Tu aimes cette femme mais tu dois apprendre à la haïr pour que la vérité te soit révélée par la suite. Haine ou amour, tu ne pourras choisir qu'une fois que tu auras ressenti les deux. ».

Et il avait disparu, me laissant seul à côté du temple. Qu'allais-je bien pouvoir faire dans ce jardin qui semblait aussi calme que le reste de ce monde? Pourtant, le décor mutât autour de moi et je sentais ma respiration lourde alors que mon visage frôlait les hautes herbes d'un lieu que je semblais connaître sans pouvoir l'identifier. La lune était à son zénith ce soir là, et son étrange beauté blanche m'attirait. C'était comme si elle me guidait, un peu plus à chaque pas, vers une destination inconnue. Mais je devais être présent, je devais être témoin de ce qui allait se passer ici. Le rocher au clair de lune, un endroit magnifique qui pouvait donner l'illusion à quiconque de pouvoir toucher l'astre lunaire lui-même. Lieu de plusieurs miracles, lieu de certaines tragédies, j'aimais particulièrement cet endroit bien que ce fut ici qu'elle le rencontra, le prenant alors pour moi. Peut-être était-ce cela dont je devais être témoin, comme une scène qui devait faire partie de mon vécu, comme si je devais constater moi-même la véracité de cet amour.

« Je souhaite que votre cœur devienne mien à jamais. Incarnez Jun, juste ce soir mais ne m'oubliez pas à l'avenir, telle une obsession qui vous hantera. Je serai un mirage à vos yeux, un mirage inaccessible que vous souhaiterez tout de même atteindre, comme Jun a nourrit au fur et à mesure cet amour impossible entre nous, souhaitant de toutes ses forces m'enlacer, me toucher, m'embrasser...oui, devenez Jun cette nuit, incarnez mon esclave, mon ami, mon amant...incarnez le tel qu'il aurait voulu exister si nos deux âmes avaient eu chacune un corps distinct. »

La voix de Mitsuko venait de raisonner, comme sortant de nulle part. Je ne compris pas tout de suite, mon esprit occupé à la chercher. Pourtant, lorsque je pris conscience qu'il fallait que j'arrête de lui courir après, il s'imposa à moi une chose que je n'aurai pas pensé auparavant. Ce vœu était destiné à Naram, comme un cadenas qu'elle avait noué autour de son cœur. Peut-être était-il délivré de ce dernier aujourd'hui mais je ne le pensais pas. C'était comme si le génie ne pouvait faire autrement, ayant rencontré une femme qui avait voulu quelque chose que l'on ne devait point lui demander souvent. Car, devant un génie, qui demanderait à ce dernier de ne point l'oublier? Oui, les êtres faisaient souvent des vœux de gloire, de richesse, voulait la puissance, l'amour, l'amitié. Il y avait tellement de possibilités mais, elle, elle avait juste voulu ça, qu'il ne l'oublie pas. Pourtant, j'étais certain que ce souhait était inutile. Comment aurait-il pu oublier la descendante de la femme qu'il avait aimé? Comment aurait-il pu l'oublier, elle, tout simplement, après avoir changé sans aucun doute le cours de son existence à partir du moment où il lui avait attribué le journal de son ancêtre?

A quatre pattes, je gravis le rocher au clair de lune, me retrouvant devant le couple, imperturbable, n'étant en aucun cas troublé par ma présence fantomatique. Je vis les lèvres de la jeune femme s'approcher de celles de mon double, une douleur lancinante atteignant mon cœur de plein fouet. Oh je n'étais pas stupide, Mitsuko avait déjà joué avec ça un certain nombre de fois mais ici, tout était différent car j'étais conscient de ce qu'elle éprouvait pour lui. Elle disparut, le laissant seul, me laissant seul. Un hurlement fendit le ciel, le mien, celui du loup que j'étais depuis quelques minutes. Le ciel se couvrit, les nuages couvrant la lune si belle, si blanche, pour amener une pluie diluvienne, répondant à l'état de mon âme. Cette femme était mon âme sœur et je savais parfaitement que le jour où elle disparaîtrait signerait aussi la fin de mon identité, la fin de mon ressenti. C'était difficile à expliquer, j'en avais juste conscience. La raison aurait dû me souffler de la laisser à cet homme puisque c'était lui qu'elle semblait avoir choisi, mais mon cœur me dictait un tout autre chemin.

Le décor changea de nouveau, comme ça, sans prévenir. Je voyais mon corps flotter dans un monde étrange, sans limite, sans frontière. Les yeux fermés, mon corps semblait insouciant, semblait dénué de toute agressivité. Mes paupières s'ouvrirent alors sur un regard d'un bleu océan. Je ressemblais à Naram ainsi et, pourtant, j'avais la certitude qu'il s'agissait bien de moi malgré l'aspect extérieur de ma position. Mes ailes d'ange apparurent dans mon dos, venant recouvrir ma peau nu un instant le temps qu'elle se vêtisse par magie de vêtements d'une blancheur immaculée. Et, lentement, mes mains s'unir, paumes vers le ciel alors qu'apparaissait une rose magnifique, une fleur semblant être celle de l'amour. Mitsuko fit son apparition en face de moi, dans une tenue semblable à la mienne alors qu'elle me souriait d'un air étrange. Le bonheur se lisait sur son sourire mais la rancœur s'illustrait dans ses yeux. Elle murmura :

« Si tu m'attrapes, gardes moi car, si tu me perds, ce sera à jamais. ».

L'avais-je au moins un jour attrapé? Oh bien sûr, après sa transformation en Aether, je me rappelais encore de la vie que nous avions vécu ensembles. Une courte vie commune mais dans laquelle je pouvais la serrer contre mon cœur, dans laquelle je pouvais l'embrasser si je le désirai. C'était si étrange, comme si ce temps ci n'avait plus existé pour moi dans la réalité une fois que j'étais devenu sorcier. Alors oui, peut-être m'avait-elle aimé, peut-être m'avait-elle aimé en tant que Rehla et détesté ensuite, lorsque j'avais pris la décision de devenir un mage noir. Ou était-ce moi qui m'était fait des films. Mais, que ce serait-il produit si j'avais cherché à discuter avec elle, que serait-il arrivé?

La rose dans ma main se mit à scintiller, la jeune femme se rapprochant de moi avant de susurrer de nouveau : « Quel que soit le philtre d'amour que tu voudras utiliser, il n'aura d'efficacité sur moi. ». Un philtre d'amour? Je ne comprenais pas, pas avant quelques secondes où je pris conscience que cette rose merveilleuse n'avait autre que le parfum de l'amour. « Je t'assure que je serai le dernier homme que tu regarderas mon amour. Quel que soit celui avec qui tu choisiras de faire ta vie, je serai à jamais celui vers lequel tu reviendras, inéluctablement. Je suis ton âme sœur. ». « Mais peu importe, Jun. Tu me détruiras, tu nous détruiras. Tu ne peux être l'homme que je choisirai, les conséquences seraient désastreuses, oui, bien trop désastreuses. Alors, oui, notre lien est celui des âmes sœurs mais, un jour, peut-être trouveras-tu une femme que tu aimeras bien plus que tu m'aimes. Ton amour est fictif, voulu avant même que tu ne viennes au monde. Quelle finalité pourrait-il y avoir là dedans? L'amour se construit, il n'est jamais acquis, sauf dans notre cas. Quoi que je fasse contre toi, tu m'aimeras toujours autant, même si tu viens à me haïr. Et peut-être est-ce la même chose pour moi mais... ça n'a aucun sens. ».

Je ne savais pas si cette femme, création de mon esprit, avait la même vision des choses que Mitsuko mais, quelque part, j'aimais ce qu'elle me disait. Notre amour était vrai mais impossible. Ce que je ne savais pas à ce moment précis, c'est que les dons dont je me servais me seraient acquis dans la réalité. La transformation en loup, le contrôle de la météo, la rose de l'amour. Il y avait tant d'éléments que je ne pouvais comprendre, tant de mensonges parmi les vérités. Et, finalement, peut-être était-ce cela que de vivre?

« Jun? »

« Oui, Mitsuko? ».

« J'ai deux présents pour toi, deux cadeaux à t'offrir. Mais, pour que tu les reçoives, tu devras exécuter une quête pour moi. Alors, mon beau sorcier, es-tu prêt à risquer ta vie dans ce rêve un peu spécial? »

La neige tombait à gros flocons, le sang recouvrant à certains endroits celle qui se trouvait déjà au sol. Je courais sans réellement savoir ce qu'était cette fameuse quête, le décor précédent ayant totalement disparu, ainsi que Mitsuko. Je me déplaçais silencieusement dans la neige, mes bottes s'enfonçant dans la matière blanche. Je n'avais pas froid, malgré le kimono fin que je portais. Cela ne me ressemblait pas, je ne m'habillais pas ainsi en temps normal. Mais rien ne semblait répondre à la logique ici, je ne savais pas où j'étais, j'oubliais tout au fur et à mesure. Pourtant, dans ce monde étrange, je me sentais ni trop mauvais, ni trop bon, un juste mélange entre ces deux facteurs, j'étais équilibré, neutre. Cela dit, plus le temps passait, plus j'entrais dans la peau de mon personnage, m'oubliant légèrement, oubliant mon moi présent. Non, je prenais conscience que quelque chose de terrible était arrivée, quelque chose d'affreux. C'est à ce moment précis que je me rendis compte des cadavres qui régnaient autour de moi. M'approchant de la femme que je redoutais que ce soit, je soulevai légèrement son corps sans vie, y découvrant Edelwyn. J'étais soulagé, d'une certaine façon, bien que j'aime beaucoup cette femme malgré les apparences. Seulement, ma contestation ne s'arrêta pas là. Je découvrais ainsi le corps de Seth, celui de Masha, celui de Naram. Montant de plus en plus vers le sommet de ce qui semblait être une montagne, ce ne fut que lorsque j'atteignis le point où je ne pourrai plus avancer que je pris conscience de la grandeur de l'horreur. En contre bas, dans la vallée, des cadavres pas millier étaient étalés alors que le feu se répandait sur leurs carcasses.

« Magnifique spectacle n'est ce pas? ». J'aurai reconnu sa voix entre mille. C'était à cause d'elle que ma vie était un véritable enfer, elle qui semblait aimer contempler le feu de sa haine embraser le monde. Elle avait toujours été ainsi, toujours, admirant de son balcon ce que ses mots ou ses actes empoisonnés avaient provoqué. Elle jouissait des guerres, elle jouissait du malheur, elle s'endormait avec les cris de souffrance. Elle était ainsi, bien qu'en dessous de ce qu'elle représentait, je pensais qu'il se cachait une femme toute autre. Les femmes Taiji en somme, toutes ayant deux visages sans qu'il ne soit possible d'identifier la partie véridique d'elles. Peut-être que, finalement, la partie véritable de ces femmes dépendait de ce que leur interlocuteur souhaitait.

« Je ne suis pas de cet avis. Que fais-tu ici et que suis-je sensé faire? ». Mon ton était sérieux mais son visage semblait amusé par mes questions. « Elle ne t'a rien dit? Voyons Jun, ta mission est tout simplement de me tuer. Mais le peux-tu? As-tu la force d'annihiler celle qui te créa il y a si longtemps? ». Le songe ne cessait d'embrouiller mon esprit. Je ne comprenais rien à ce que signifiaient ces morts, à ce que voulait me dire cet homme qui semblait être un moi un tantinet différent. « En as-tu seulement envie? Comment peux-tu être sûr que tu n'as pas été condamné à m'aimer moi-aussi? Penses-tu que la créature puisse un jour dépasser le créateur? ». « Tu es morte Mitsuko. Ces questions ne se posent plus. ». « Ah oui? Alors comment ai-je fait pour semer mort et désolation autour de moi? Comment ai-je fait pour te blesser? ». Elle fixa mon bras que je regardai alors, prenant conscience des griffures qui couraient sur ma peau. Je souris, celles-ci disparaissant alors de par ma simple volonté. Je sentais l'énervement me gagner sans savoir d'où il pouvait bien provenir. « Pourquoi cela ne serait-il pas possible ma chère? Crois-tu qu'après toutes ces années tu fasses encore le poids contre moi? Je ne te laisserai pas réduire le monde à feu et à sang, ce n'est pas mon intention. ». Elle haussa un sourcil. « Dîtes moi, aurions nous à faire à un gentil sorcier? Pff, pitoyable. ». « Nous? ». Elle rit.

Alors, autour de moi, les dépouilles se soulevèrent, me fixant avec leurs yeux vides de tout sentiment. Alors il fallait réellement que je tue cette femme pour réussir ma quête? Oui, je devais me laisser envahir par la rage, la rage d'avoir laissé cette harpie gagner, la rage de l'avoir laissé me prendre tout ce que je souhaitais. J'allais la supprimer, je le sentais.

« Si tu me tues Jun, dans ce songe, alors tu deviendras bien plus maléfique que jamais je ne l'aurai été. Choisis bien car c'est le moment de le faire. Oui, choisis entre le camp des gentils et celui des méchants. Ne crois-tu pas qu'il soit contre nature pour toi de devenir machiavélique? T'ai-je seulement créé pour cela? Comment peux-tu savoir ce que je mijote, comment peux-tu savoir en quoi tu pourras me servir d'autre? Tu n'as pas idée du destin qui s'offre à toi, que tu choisisses le bon côté ou le mauvais. Tu as la chance de pouvoir gouverner ce monde, tu as la chance de pouvoir devenir plus puissant que n'importe qui. Alors oui, tu te perdras en chemin, tu feras des erreurs mais, contrairement à ceux qui se dresseront contre toi, tu trouveras toujours une porte de sortie. ».

« N'essayes pas de m'amadouer pour que je cesse de vouloir te tuer. Je n'en ai que faire que ce qu'une femme qui devrait depuis longtemps avoir été réduite en poussière pourrait me conseiller. Accepte la mort, cesse de vouloir vivre dans un monde qui n'est pas le tien. » Je la fixai. « Tu n'as aucun pouvoir sur moi. ».

Ce fut à ce moment précis qu'un étrange phénomène se produisit, son expression changea pour en être horrifié. Qu'avais-je dit de si horrible? Elle poussa un cri alors que son corps disparaissait petit à petit au profit d'une douce lumière qui m'éblouit légèrement avant que je ne me rende compte qu'il s'agissait de « ma » Mitsuko, celle que je devais protéger. Elle souriait, comme reconnaissante à mon action. Je ne comprenais pas, étais-je si stupide ou était-ce ce rêve ou cette illusion qui me poussait vers l'incompréhension?

« Elle ne vit que parce qu'elle existe dans nos souvenirs. Les tiens, ceux de Naram, les miens. Elle se nourrit du fait que chacun d'entre nous lui accordons une importance, aussi petite soit-elle. Elle nous effraie, elle nous hante, et nous ne comprenons pas que tant qu'elle ne reviendra pas véritablement dans notre monde, que tant qu'elle n'aura pas retrouvé son corps, alors elle n'aura véritablement aucun pouvoir. L'ignorer, la rejeter suffit à la détourner de nous, à la faire disparaître. Et, au contraire, l'écouter, lui obéir ne fait que renforcer son esprit. Cette femme est une véritable stratège et si tu te plies à ses exigences, alors elle te trompera. Tu auras sans doute l'impression d'avoir le dessus sur elle mais tu ne remarqueras qu'à la dernière minute qu'elle t'a entouré lentement de son corps de serpent, oui, tu ne remarqueras qu'elle t'a eu qu'à la fin, quand elle fera couler en toi le venin qu'elle te préparait depuis longtemps. ».

Ce discours me semblait fou, totalement hors de la réalité et, finalement, nous ne faisions pas partie de celle-ci. Je finis par murmurer : « Et mes présents? ». Elle sourit mais je voyais bien sur son visage qu'elle savait que ce qu'elle venait de dire ne resterait pas dans ma mémoire, un avertissement que je ne pouvais comprendre dans le présent, un avertissement dont je ne me souviendrai qu'à la dernière seconde. Alors, sans rien ajouter de plus, elle tendit ses mans vers moi, faisant apparaître deux armes. « Il s'agit de deux armes d'exception : la sulfureuse et The Vicious Heart. Elles t'aideront dans ta quête. ».

Le décor devint étrange, mon moi réapparaissant aux côtés de la déesse, son bras s'enroulant autour de ses épaules, tendrement. « Tu as choisis le mauvais chemin Jun. Ton côté bénéfique aurait dû agir d'une toute autre manière mais puisque tu sembles te complaire dans le mal, alors nous ne pouvons plus rien pour toi. Ton avenir sera grand alors que le notre incertain. Mais tout semble se troubler à présent, nos existences, les acquis de ce monde, oui, tout se trouble mais nous n'avons pas le droit d'intervenir. Jamais. Alors, nous te regarderons agir, tout qui oubliera tout de ce rêve. ».

Le noir.

« Excusez moi, j'ai une lettre à vous remettre de la part de sa majesté Zélia. ».

Je m'éveillai dans les gradins de l'arène Astariax, un homme me fixant d'un air lassé comme si cela faisait bien dix minutes qu'il essayait de me réveiller. Me relevant lourdement, ma vision se troubla légèrement avant de revenir à la normale. Je ne me rappelais que de quelques fragments du rêve que j'avais fait, pas grand chose en réalité, juste cet homme me ressemblant, juste l'impression que Mitsuko havait hanté mes songes. Cela ne changeait pas tellement finalement. N'y voyant rien d'extraordinaire, plus contrarié qu'autre chose de m'être assoupi, je me mis à regarder cet homme d'un oeil mauvais. « Quoi? ». Un sorcier au service de la reine ne pouvait être mon allié et celui-ci sentait l'obéissance à plein nez. Il dut penser que je n'avais pas aimé qu'il interrompe mon sommeil d'une telle façon puisqu'il baissa les yeux avant de répéter : « Je vous demande pardon mais la reine souhaite que je vous remette cela dans les plus brefs délai. ».

Je m'intéressai alors à ce qu'il tenait dans la main : une lettre, avant de prendre conscience qu'il faisait déjà nuit noire. Combien de temps avais-je dormir au juste? Me levant, je me rendis compte également que, à ma ceinture, se trouvaient deux nouvelles armes, des armes que je n'avais jamais vu. Enervé, je préférai ne rien demander à celui qui avait à présent un petit sourire sur le visage, légèrement moqueur vis à vis de mon trouble. D'un mouvement brusque, je l'attrapai alors par le col, fixant mon regard dans le sien : « Donne moi cette lettre et dégage. Il est de très mauvais goût de sourire devant moi. A qui crois-tu t'adresser? ». Je n'étais personne pour l'instant, mais il n'avait pas l'air très informé de ce fait. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'en profitais. Il me tendit donc la missive, disparaissant après avoir baissé la tête une dernière fois.

Les individus étaient tellement manipulables, je m'en rendais bien compte. L'habit faisait le moine comme l'on disait si bien. Si je voulais m'élever rapidement, alors je devrais devenir puissant, pas forcément l'être dans la réalité, mais le laisser penser aux personnes que je croiserais. Si je n'avais nullement confiance en moi, alors je n'arriverai à rien, rien du tout. J'allais être le plus parfait des hommes, j'allais jouer le rôle qui déplaisait tant à Mitsuko, celui de la perfection. J'ouvris alors sans tarder la lettre, regardant autour de moi, me rappelant que j'attendais Arkham et qu'il n'était toujours pas là. Cette missive ne me disait rien de bon mais je devrais m'en contenter. Après tout, je ne pouvais pas prendre cette femme au piège du jour au lendemain et je devais me montrer prudent, lui laisser prendre l'avantage de manière à ce qu'elle pense qu'elle le gardera pour l'éternité. Découvrant une écriture plutôt grossière, rien à voir avec celle de la déesse, je parcouru le parchemin d'un air amusé.

« Jun,

j'ai décidé que te laisser chercher l'arme d'Arkham avec ce dernier serait bien trop facile. Après tout, un simple tour dans l'antre des marais lui permettrait de repérer le bon arbre et vous vous en sortirez d'une manière bien trop facile à mon goût. Non, tu iras seul, tu devras trouver un moyen de repérer la bonne parmi tant d'autres et, surtout, en échapper vivant, ce qui me prouvera ta force et ta capacité à me servir loyalement. Tu sauras que tu es sur le bon chemin tant que les épreuves s'imposeront à toi. Si ce n'est plus le cas, alors c'est que tu t'éloigneras de son âme.

Que vas-tu faire mon cher? Tiens-tu tellement à ce sorcier pour risquer ta vie pour lui alors qu'il ne sera pas présent à tes côtés? Qui te dit qu'il disait vrai lorsqu'il t'a parlé de son âme? Tu ne sais rien, tu prends des risques inutiles. Alors, je te serai toi, je renoncerai. »

Je savais qu'elle voulait que j'abandonne mais elle ne me connaissait pas. Cela faisait des centaine et des centaine d'années que j'aimais la même femme, encore et encore, et, si j'avais décidé de la haïr à présent, je n'avais jamais lâché l'affaire. J'avais promis et peu importait les conséquences, peu importait que tout ceci ne soit qu'un mensonge. J'allais ramener son âme à Arkham. Point.

L'antre des marais s'imposait à moi avec une étrange facilité. Il est vrai qu'à présent que j'étais seul, je pouvais aller plus vite, usant de mes ailes pour me déplacer. J'avais toujours aimé sentir le vent contre ma peau, sentir que si ce qui appartenait normalement aux anges me lâchait alors, je pourrai m'écraser contre le sol et mourir. M'amusant pendant le trajet, je lâchais tout contrôle, mon corps tombant à pic. J'aimais ce sentiment d'adrénaline prendre possession de ma poitrine, j'aimais sentir que je pouvais mourir, tenir sur un fil. Et, alors que le sol se rapprochait de plus en plus, alors que j'allais percuter ce dernier, j'ouvris mes ailes, redressant ma trajectoire grâce au vent s'engouffrant entre mes plumes. Je savais que je risquai de passer un certain moment dans l'antre des marais et je profitais du plein air avant de me retrouver les pieds dans les marécages aux odeurs douteuses. Seulement, il arrive un moment où il faut se lancer, où il faut tenir ses engagements. L'antre des marais en dessous de moi, je décidai simplement de descendre en plein milieu des arbres, me doutant que si Zélia avait caché l'âme quelque part, elle n'allait pas la mettre au bord de ce bazar. Aussi, j'atterris tant bien que mal sur un arbre, l'une de mes ailes se coinçant dans une de ces foutues lianes. Les faisant disparaître, je regardai le l'endroit, me rendant compte que je devrais sans aucun doute sauter d'arbres en arbres pour éviter de m'enfoncer dans les espèces de sables mouvants qui se trouvaient en contre bas.

« J'espère que tu ne m'as pas menti Arkham, sinon, je t'assure que peu importe mon état, je viendrai te tuer. ».

Je commençai donc à avancer, prenant mon élan sur les énormes branches pour en rejoindre de semblables, manquant à chaque fois de tomber. Je devais user d'une agilité qui m'avait été depuis longtemps retirée. Cependant, quoi de mieux qu'un petit entraînement pour me dérouiller? Enfin, c'est ce que je me dis au début, après avoir regardé l'objet dont Zélia ignorait l'existence. Cette femme croyait-elle vraiment que j'allais me perdre en possédant la boussole magique? Celle-ci m'indiquait la direction de ce que je cherchais et il me suffisait juste de la suivre pour y parvenir. Néanmoins, à force de me balancer d'arbre en arbre, m'aidant parfois des épaisses lianes, mes mains commençaient à saigner, s'écorchant sur les troncs. Si bien qu'après une vingtaine de minutes, l'une d'elle lâcha, mon corps tombant lourdement dans le marais qui m'engloutit d'un façon étrange.

Moi qui pensais tomber dans de l'eau croupie, voilà que je me retrouvais sur la terre ferme, le plafond étant fait du marais. Était-ce une sorte de passage secret, un tunnel magique qui maintenait le jus verdâtre en hauteur? Quoi qu'il en soit, je priais presque pour que cette magie continue à fonctionner afin que le liquide ne m'atteigne pas. Je venais de le traverser et rien que l'odeur de mon corps me dégoûtait et me donnait envi de vomir. Je demandais alors à la boussole : « Montre moi ce qui pourrait me permettre de sortir de là ». Un petit rayon lumineux se mit à briller vers l'une des parois. Je m'approchai, collant l'oreille contre celle-ci après avoir examiné qu'elle n'avait rien de spécial. Le bruit de l'eau s'imposa et je compris la manœuvre à adopter. J'étais tombé dans une sorte de tunnel bien trop haut pour que je puisse en gravir les parois à mains nues et si j'usais de mes ailes, elles seraient couvertes du liquide des marais qui me referait retomber où j'étais. La seule solution était donc de boucher le tunnel avec des gravas et de libérer l'eau pour que celle-ci me fasse sortir du trou à la nage. Moi qui ne voulait pas me mélanger au marais, surtout à cause des bêtes dangereuses, j'allais pas être déçu.

« Qui va là? »

J'avais entendu un bruit près de moi et mon regard s'arrêta sur cinq petits hommes, des pioches à la main, me regardant d'un air mécontent, comme si je venais de violer une propriété privée. Des nains, des nains devant sans doute exploiter les matériaux précieux qui se trouvaient dans ces roches.

L'un d'eux s'avança vers moi d'un air quelque peu étrange, me regardant comme si je voulais voler leur trésor. Quelle drôle d'idée. Me donnant un coup de pelle sur le mollet avec sans aucun doute l'espoir que je plierai, je ne fis nulle grimace de douleur, me contentant de le regarder d'un air impassible. Comme je l'avais exposé plus tôt, j'allais employer à partir de cet instant la théorie de l'apparence. Libérant donc Lux Tenebris autour de moi, je les fixai avec une prestance qui augmenta sous le coup de la confiance que j'entretenais quant au fait de les amener à m'aider.

« Ecoutez, je ne suis en aucun cas ici pour voler votre trésor. Je suis tombé dans ce trou en voulant récupérer quelque chose qui appartient à un ami. »

« Es-tu avec la reine des sorciers? ». La voix de celui qui m'avait donné un coup de pelle retentit dans le tunnel d'une façon grave, tellement grave que je crus au début qu'il avait la voix enrouée. Seulement, je devais me rendre à l'évidence, ces individus étaient des nains et en tant que nains, la plupart avaient cette voix rocailleuse. Seulement, peu importait et je n'eus pas le temps de plus analyser cette petite particularité que je devins spectateur des différentes possibilités qui pourraient se dérouler. Si je répondais pas l'affirmatif, alors ils ne m'aideraient jamais, haineux envers cette souveraine qui venait enfermer des âmes dans les troncs d'arbres qui mutaient d'une étrange manière et faisaient s'écrouler leur tunnel. En revanche, si je leur faisais savoir que j'étais contre elle, alors ils m'aideraient. « Non, elle a enfermé l'âme de mon mentor dans l'un des arbres de l'antre. Mon but est de détrôner cette harpie... ». Mon regard devint noir alors que je précisais : « Et je suis prêt à tout pour ça... ».

Il y eut quelques chuchotements autour de moi, paroles que je coupai net, n'ayant pas envi qu'ils parlent du sort qu'ils me réservaient plus en détail. Je dis alors : « Je suppose que vous cherchez de l'or ici afin de devenir riches. Les nains sont réputés pour leur amour de la chair, de la nourriture et des boissons. ». Mais comme ces derniers n'étaient pas plaisants à regarder, ils ne pouvaient avoir ces choses qu'en payant. « Je suis tombé ici et je ne peux pas sortir. Enfin, je peux mais ça ira plus vite avec votre aide. J'ai l'intention de boucher ce tunnel et de briser cette paroi afin que l'eau contenue dans celle-ci remplisse cet espace et me permette de nager dans le marais pour en sortir. ». « Et qu'est ce qui te dit que l'on a envi de t'aider? Sais-tu au moins combien de temps construire un tel tunnel nous a pris? ». Je souris, plantant mes yeux dans les siens. Il était bien bavard ce petit être et ce n'était pas l'envie qui me manquait de l'étriper sur place, lui et son ton irrespectueux. Seulement, je voyais à plus long terme. Me raclant la gorge, je finis par dire :

« Hum. Vous allez m'aider parce que je suis quelqu'un d'infiniment riche qui tuera votre ennemie d'ici quelques mois, ou quelques semaines. Je vais libérer toutes les âmes de l'antre et, une fois que je serai retourné chez moi et que je serai prêt, je reviendrai ici pour vous donner tout l'or que vous désirez si vous m'aidez. Bien sûr, c'est un contrat à long terme. Si vous m'aidez aujourd'hui, alors je vous permettrai de vous venger de Zélia le moment venu. Et si je deviens roi des sorciers, alors une partie de la cité de notre race vous sera réservée et vous aurez tellement de seins et de vin que vous en tomberez ivres de plaisir. ». Voilà qui était une offre intéressante pour eux. Je le savais. Néanmoins, je précisai alors : « Seulement, ce n'est pas à cinq que vous pourrez m'aider. Il faut que d'autres êtres comme vous rejoignent ma cause et, le moment venu, je ferai appel à vos services. Et, si vous ne voulez pas m'aider, hé bien, Zélia continuera d'entreposer les âmes ici et votre situation restera sinistre. Toute votre vie, vous devrez piocher dans ces tunnels sans l'ombre d'un sexe féminin à l'horizon, sans l'ombre d'une seule bière. ».

Ils recommencèrent à chuchoter, se réunissant en cercle comme si ma proposition était négociable. Au bout de quelques minutes, celui qui semblait être le chef du groupe me tendit une main avant de me dire d'un ton ferme de sa grosse voix : « Marché conclu! ». Bien, ça devenait intéressant.

Il y avait tellement de choses que je ne savais pas encore sur Zélia, des choses que j'apprendrai que bien plus tard, comme le fait qu'elle avait dans la cave de sa demeure une véritable armée qu'elle contrôlait d'une main de fer et par magie. Et, je ne savais bien sûr pas encore que l'alliance que je venais de conclure me serait très utile, notamment pour faire disparaître cette dite armée! Car si je ne pouvais pas accéder à la fameuse pièce par la voie normale, mais nouveaux amis étaient les rois des tunnels et m'ouvriraient un chemin de choix. Quoi de plus chanceux qu'un homme qui n'a pas encore conscience de tout ce que pourrait lui apporter un tel arrangement? Oh oui, le jour où je prendrais conscience de toutes les pièces maîtresses que je possédais, alors ce jour, j'allais mettre en marche un jeu d'échec auquel j'étais certain de gagner. J'allais mettre la reine échec et mat avant même qu'elle ne parvienne à réfléchir à sa défense.

« Allez-y! ».

Ce que je ne savais pas avant de conclure ce pacte, c'est que mes petits collaborateurs avaient une force insoupçonnée : celle des explosifs. C'est ainsi que dans un grand fracas, les deux parois positionnées de chaque côté de la voie principale explosèrent en même temps, un éboulement se créant alors, laissant pourtant la partie dans laquelle nous nous trouvions intacte grâce aux renforcements de bois qui avaient été construits. Ils avaient bien plus de connaissance de ce terrain là que moi et tant mieux car c'était le propre de toute relation d'affaire, celui d'apporter quelque chose à l'autre. Si cet équilibre était rompue à n'importe quel stade, alors l'avantage revenait à celui qui n'avait pas besoin de l'autre. Mais j'étais un homme de parole malgré le mal qui commençait sérieusement à envahir mon corps et mon esprit.

« Bien, je vais me charger de creuser pour faire sortir l'eau. ».

On aurait pu utiliser d'autres explosifs mais il ne fallait pas car si la paroi explosait de telle sorte à ce que l'on rejoigne un autre tunnel, alors mon plan tomberait à l'eau, sans mauvais jeu de mots. « On te regarde mon jeune ami! ». Il avait dit cela d'une façon si ironique que je sus tout de suite que ce serait plus difficile que je le pensais. Cela dit, lorsqu'il me vit brandir mon sabre, l'un des nains eut sans doute pitié de moi, me tendant sa pioche qu'il fit grandir pour qu'elle soit à ma taille. Je commençai donc le travail, suant rapidement, la paroi étant beaucoup plus solide que je n'avais pensé. Enlevant mon haut sous les exclamations des nains mi-admiratifs mi-moqueur je me remis au travail. C'était normal après tout de dénigrer ce que l'on voulait avoir. Faisant une pause, je les fixai avant de leur dire : « Ah oui, aussi. Nous savons tous que la nature ne vous a pas gâté et même si je ne suis pas sûr de pouvoir le faire, si je trouve le moyen, je vous rendrai beau, grand et fort comme des dieux! ». Je me concentrai de nouveau sur ma tâche, les laissant silencieux, tous se regardant avec des petits sourires qui auraient pu être agréables à regarder s'ils n'étaient pas des nains. Mais je sentais bien que ma proposition leur plaisait et les faisait rêver. Qu'ils rêvent, qu'ils fantasment, je disais vrai et s'ils m'aidaient vraiment, alors ils obtiendraient ce que je leur avais promis. Il me suffirait de trouver un génie ou une sorcière suffisamment puissante.

Mon visage s'illumina lorsque l'eau commença à couler dans le tunnel à présent fermé. Je donnai un dernier coup de pioche pour que l'ouverture soit plus grande et je me laissai par la suite porté par celle-ci, le niveau montant me rapprochant des marais puants. Les nains me suivirent dans les marécages sans que ça ne semble leur poser le moindre problème mais je le comprenais aisément, leur race n'étant pas réputée pour être très propre. Ils n'avaient rien pour eux en somme, sauf la richesse colossale de certains. Atteignant la rive, je m'assis un instant, reprenant mon souffle et enlevant les espèces d'algues étranges de mes cheveux et mon visage. J'avais un sale goût dans la bouche malgré le fait que je ne l'avais pourtant pas ouverte. Je jurai, énervé par cette situation, même si j'avais déjà parcouru les marais par le passé pour affronter Delix. Je tournai le visage vers mes compagnons de route qui ne semblaient pas avoir été atteints par les eaux croupies du marais. L'un d'eux haussa les épaules : « Quand on est habitué à vivre ici, on trouve des parades! ». Oui, forcément.

« Bien, je vais vous expliquer la suite. Nous allons nous séparer et vous allez récupérer autant d'âmes que vous le pouvez. L'un de vous va devoir aller trouver une ombre pour qu'elle se charge de rendre toutes ces âmes à leurs propriétaires. Le royaume des abîmes n'est pas trop loin donc... »

Je laissais ma phrase en suspend, sachant pertinemment qu'ils comprendraient que si aucune ombre n'était trouvée par hasard, alors il y avait un moyen plus efficace d'en ramener une. « Nous nous rejoindrons ici dans quatre heures. ». Ils hochèrent la tête avant de disparaître. Oui voilà, j'étais vraiment le seul individu assez fou pour me rendre dans un lieu pareil sans pouvoir me téléporter. Je pris donc ma boussole, me dirigeant vers la direction que celle-ci m'indiquait, me retrouvant bien vite les pieds dans les marais gluants. Enfin, peu importait. J'entendis soudain un cri et n'eus le temps de rien voir, sentant sur ma joue une douleur aiguë. Un oiseau? Sans doute, mais un oiseau drôlement rapide. Par chance, aucun autre volatile de la sorte ne s'en prit à moi, du moins, c'est ce que je pensais avant de commencer à me sentir légèrement mal, ma vision se troublant. J'avais été empoisonné, c'était une certitude, une vérité. M'appuyant contre un arbre alors que ma respiration s'accélérait, mon corps suant à grosses goûtes, j'eus juste le temps de voir une ombre avant de m'effondrer sur le sol. La chose avait agis si rapidement que je n'avais eu que très peu le temps d'en subir les effets.

« Ça va aller... ». J'émergeai petit à petit, bercé au son d'une voix qui m'était inconnue mais qui était douce, très douce. Les propos étaient rassurants et j'aurai pu continuer à planer si je ne m'étais pas rappelé où j'étais et, également, l'heure qu'il était. Me redressant vivement, je me cognais la tête sur quelque chose, un oiseau s'envolant de son perchoir, perchoir que j'avais effectivement fait trembler. « Où suis-je? ». J'avais articulé cela d'une voix énervée, fusillant la femme qui était tranquillement assise sur une chaise à mes côtés. Je n'étais peut-être pas le plus intelligent des hommes mais le bruit de l'oiseau ressemblait fort bien à celui du volatile qui m'avait griffé. En plus de cela, tomber sur un homme qui allait mourir en plein milieu de l'antre des marais, réussir à le porter dans une sorte de cabane et le soigner semblaient constituer autant de facteurs impossibles qu'il m'en fallait pour prendre conscience du danger que représentait cette femme pour moi. Je sus tout de suite qu'il s'agissait d'une sorcière de par la lueur noirâtre qui se dégageait d'elle. Lux Tenebris.

« Allons, ne parle pas bel étranger, tu es encore faible. Je vais t'expliquer la situation. Vois-tu, je vis seule ici et j'ai besoin d'un héritier. Ce n'est certes pas les nains et diverses créatures qui passent par ici qui vont être dignes de pouvoir me faire un enfant. Alors oui, je suis une vilaine femme qui piège les touristes pour qu'ils s'unissent à moi. ». Avant que je réplique, elle me fit signe de me taire. « Tu tu tu!! Beaucoup ont refusé et je t'assure que ce qu'ils ont vécu après a été le pire moment de toute leur existence. Ne suis-je pas à ton goût? Regarde mes yeux, mes lèvres, ma poitrine, mes cuisses. Je ne demande qu'un peu de ton temps. Quel homme refuserait une pareille offre? Je ne demande qu'un rapport et si ça ne fonctionne pas, tant pis. Tu es beau et tu sembles fort, alors pourquoi pas? Si tu étais le père de mon enfant, il serait comme toi et j'en serai fière. Tu n'aurais pas à t'en occuper bien sûr, juste à prendre du plaisir maintenant. Pourquoi refuser? ». Elle n'avait pas tord, même si, étant une sorcière, je me doutais qu'elle en ferait quelque chose de précis de cet enfant. Une mage noire en manque d'amour? Hum... j'avais du mal à le croire. Enfin, peu importait, il semblait que je n'avais pas le choix. « D'accord, mais ne crois pas que je vais te faciliter la tâche. Tu devras m'exciter et c'est toi qui guidera les choses. Je n'ai pas d'énergie à perdre et j'ai des choses à faire. ». « Oh je vois, on est un homme occupé. Au service de la reine peut-être? ». « On peut dire ça comme ça mais tu sauras bien vite ce dont il retourne. Maintenant, si tu veux ce que tu as demandé, je serai toi, je m'activerai. ». « Ah oui, j'ai récupéré l'âme de ton ami pour toi, celle d'un certain Arkham. Et je sais la vérité mon cher. Mais ne t'inquiètes pas, je n'essaierai pas de retourner ton enfant contre toi si je tombe enceinte. J'ai d'autres projets pour lui. ». J'aurai sans doute dû me méfier mais mon instinct ne m'avertissait pas du danger que cette union pourrait représenter. Peut-être parce que cela me serait bénéfique finalement?

Je me rhabillais doucement, un petit sourire éclairant mon visage alors que je pensais que pour une femme vivant seule dans l'antre des marais, elle avait une sacrée maîtrise du plaisir masculin. « Si je tombe enceinte, comment voudras-tu que j'appelle l'enfant? ». Je me détournai du miroir pour regarder cette sorcière rousse, le drap de son lit entouré autour de son corps nu. Elle était belle ainsi, mon regard la détaillant sans pudeur. « Je ne sais pas trop, je n'y ai jamais réfléchi... ». La jeune femme s'approcha, enlaçant mon corps pour me coller à elle. « Tu n'as même pas une petite idée? Jamais tu n'as imaginé avoir un enfant? ». Comment lui dire? « J'en ai adopté deux et j'avais un fils par le passé qui est mort. A chaque fois, ce n'est pas moi qui ai choisi les noms et je suppose que je n'ai jamais réellement voulu avoir un descendant. Je ne suis pas sûr d'être un bon père et puisque tu m'as promis d'élever le bébé seule si jamais je t'ai mise enceinte, je pense que tu ferais mieux de choisir le prénom seule également... ». Posant l'une de ses mains sur mon torse qui était condamné à rester nu, elle me sourit : « Qui te dit que tu ne voudras pas élever cet enfant finalement si tu apprends son existence? Et puis, nous ne nous connaissons pas vraiment mais je pense que nous nous reverrons bientôt. ». Je souris, pensant qu'elle avait tord car l'antre des marais n'était pas mon endroit préféré. Seulement, elle avait raison, j'allais la revoir plus tard, elle et mon enfant. Et si d'un point de vue diplomatique elle serait une force, en ce qui concernait mes rapports avec Masha, ce serait tout l'inverse. En même temps, je ne savais pas encore que j'épouserai l'alfar, ni même que je lierai mon âme à elle. Alors il est certain que quand on est une femme, qui plus est, mariée à un homme, voir débarquer une sublime créature tenant dans ses bras un enfant qui n'est autre que le fils de son mari était quelque chose d'insupportable. Mais bon, comme je l'avais dit à cette femme dont j'ignorai le nom, je n'avais pas l'intention d'élever cet enfant.

« Où est l'âme que tu m'as promis? ». Elle sourit, ses lèvres semblant étrangement rouges. C'était étrange mais avant de lui avoir fait l'amour, je ne la trouvais pas si resplendissante et je compris que cette femme avait des dons très spéciaux. Peut-être pouvait-elle rendre dépendants les hommes qui avaient le malheur d'entrer en elle? Peut-être qu'une fois le coït terminé, les hommes étaient hypnotisés par sa beauté. « Tu ne perds pas le nord toi. ». Elle sentait bon et, comme poussé par la curiosité, je finis par lui demander. « Tu m'as ensorcelé par vrai? ». Penchant la tête sur le côté, l'une de ses mains caressant ma joue, elle avoua. « Oui, c'est vrai. Cependant, tu aimes une autre femme d'un amour si intense que là où tu devrais te retrouver à genoux à mes pieds, me demandant ce que tu peux faire pour me contenter, toi, tu ne me trouves que légèrement attirante. Ce n'était jamais arrivé avant et même si je sais ce que tu es venu faire ici, je ne te connais pas. Alors dis moi ton nom. ». L'un de mes sourcils se souleva alors qu'un petit sourire mystérieux illustrait mon humeur. « Si je te disais mon nom, c'est toi qui tomberai d'admiration devant moi. Et oui, tu as raison, j'aime une femme plus que tout. Dis moi, si un jour je la tue, ton maléfice aura-t-il raison de moi? ». S'écartant légèrement, elle se dirigea vers un meuble duquel elle sortit un petit coffret d'une matière que je ne connaissais pas. Cela ressemblait à du bois mais également à du marbre. Étrange. « Il se peut que oui, sauf si à ce moment précis, tu es plus puissant que moi. A ce moment là, mon sort s'inversera et j'en subirai les conséquences. ». Je ris. « Parce que tu penses sérieusement que jamais ma puissance n'égalera la tienne? ». Elle me tendit le coffret et je sus que l'âme d'Arkham se trouvait dans celui-ci. Les choses allaient devenir sérieuses à partir de maintenant car je devrais trouver un moyen de faire en sorte que Zélia ne cherche pas à me tuer comme un vulgaire moustique, puisqu'elle en avait le pouvoir, malheureusement. « Je n'espère pas. Mais qui sait ce que l'avenir nous réserve? Peut-être qu'un jour, je m'agenouillerai devant toi, prête à exhausser tous tes vœux. ». Je pris la boîte, l'attrapant par l'épaule fermement de mon autre main avant de plonger mon regard dans le sien. « Plus tôt que tu ne le crois ma belle, ça, je peux te le garantir... ». Je fis une pause avant de sourire et de lui dire, presque comme un ordre, me vengeant de l'attirance que j'éprouvais à présent pour elle : « Maintenant, raccompagne moi à mon lieu de rendez vous. ».

« Majesté, Jun Taiji vous demande. ». « Bien. Faites le entrer. ».

Je n'avais pas besoin de m'attarder trop sur le visage de Zélia pour savoir que jamais elle n'aurait pensé que je serai rentré en un seul morceau. Mais, finalement, ce qu'elle ne semblait pas comprendre c'est que j'étais homme à m'attirer bien plus d'alliés que d'ennemis. Peut-être avais-je un visage sympathique après tout? Peut-être que mon charisme était assez important pour que l'on me croit? Je souris doucement à cette femme, sachant que tout allait se jouer à très peu. Elle pouvait demander mon exécution comme m'accepter de nouveau dans son lit. Il fallait que je trouve la parade et vite.

« As-tu récupéré l'âme d'Arkham? ». « Oui. ». En réalité, j'en avais récupéré bien plus mais je n'avais pas l'intention de le lui dire, cela me servirait par la suite, quand je la détrônerai. Finalement, le nain chargé de ramener une ombre n'avait absolument pas faillis à sa mission mais la sorcière qui demeurait une inconnue pour moi mais qui portait peut-être mon enfant m'avait confié que la boîte qui était mienne à présent pouvait contenir toutes les âmes de l'antre des marais et c'était dans celle-ci que j'avais aspiré les autres. Nous avions ensuite demandé à l'ombre de créer de fausses âmes ou d'en prendre des vides d'esprits, des cassées pour remplacer les véritables. Elle avait accepté, gardienne de l'équilibre et répugnant les agissements de la reine des sorciers. Personne ne devait jouer avec la vie et la mort, personne ne devait prélever l'âme d'individus pour les rendre esclaves ou en faire des morts-vivants. Les autres nains avaient d'ailleurs fait un travail remarquable en si peu de temps, récupérant la quasi totalité des âmes que Zélia avait caché dans les arbres, les autres étant attirées par l'ombre elle-même qui était repartie par la suite sans rien demander, semblant plus déprimée que jamais. J'avais vraiment du mal avec les individus appartenant à ce peuple, surtout avec Seth, je devais l'avouer. Enfin, la manie qu'il avait d'apparaître quand on ne s'y attendait pas, d'être froid comme de la glace ou de me regarder avec ses yeux perçants pour savoir qui j'étais au juste, oui, tout ceci avait tendance à m'énerver considérablement. Mais, après tout, la reine des sorciers était aussi un sujet d'énervement assez intense, elle qui me regardait comme une grande dame en tout point supérieure à ma modeste personne.

« Vois-tu, je ne sais pas si je peux faire confiance à un homme revenant de l'antre des marais sans une égratignure... ». Je souris, répondant alors avec une voix que je voulais douce : « Vous savez, ma reine, je possède le don de me soigner. ». Le pire c'est que j'avais découvert ce dernier pendant mon périple, revenant près des nains en me rendant compte que mes blessures aux mains avaient disparu. Mais puisque je possédais des capacités inespérées, je n'allais pas cracher dessus, bien au contraire. « Ce don bien entendu entièrement à votre service. Je veux vous obéir, faire ce que vous m'ordonnerez de faire pour le bien de notre peuple. ». Mon étrange pouvoir s'activa, celui qui me faisait voir les probabilités, les différents futurs proches possibles. J'avais l'impression de planer totalement et si elle avait voulu me porter un coup fatal, je n'aurai su l'arrêter. La voyant s'approcher de la commode, je sus ce qu'elle voulait faire : attraper un objet ayant le pouvoir de me tuer sans aucun soucis. Je fis quelques pas vers elle, lui attrapant fermement le poignet, les probabilités continuant à défiler dans ma tête, une migraine commençant alors que je sus exactement quoi faire. « Vous m'avez manqué... votre corps, votre parfum... ». Je l'attirai à moi sans plus tarder, brusquement, plongeant mon nez dans son cou, la mordillant, me comportant d'une façon que d'autres n'auraient sans doute pas tenté dans ma position. Mais peu m'importait, je savais comment cela allait se finir. « Tu veux me servir hein? ». Je lui léchai le lobe avant de répondre dans un soupire : « Oui ma reine... ». Si je devais coucher avec elle pour atteindre mes objectifs, cela me posait aucun problème. « D'accord, alors je t'ordonne de me prendre, maintenant. ». Quelle délicieuse femme... aussi répugnante qu'une harpie. Cela dit, je devrais me forcer plus d'une fois à l'avenir pour la contenter. Mais, avec un peu d'imagination, le tour était joué. « Bien, majesté. ».