Sans les yeux pour te voir
Bae & Dorian

Chrono: Après Sur la base du volontariat

☙ Hozier - Too Sweet

À tâtons, je finis par trouver le drapé des rideaux. D'une secousse, je repoussai la clarté diurne hors de ma chambre. Je n'avais qu'une vague intuition de l'heure qu'il pouvait être. Je me fiai à la température et à l'odorat pour deviner l'aube menaçant l'horizon. Ces deux étaient devenus mes phares dans la nuit depuis quelques jours, les seuls sur qui j'avais pu compter. Le manoir possédait quelques domestiques, pour l'entretien général du bâtiment et aider aux besoin de ceux qui l'occupaient, mais je n'avais jamais été élevé avec l'habitude de m'appuyer sur ces petites mains anonymes. Leur présence m'était pourtant devenue nécessaire, malgré mon obstination à ne pas faire appel à eux. Laysa ne pouvait rien pour moi, elle-même souffrait d'effets secondaires similaires et s'isolait dans sa chambre tout comme moi. Le temps s'étirait avec une atroce lenteur alors que nous attendions qu'on nous trouve un remède à notre aveuglement que j'espérais temporaire. On m'avait décrit le phénomène, cernés d'entrelacs de veines écarlates, ces deux yeux devenus deux lacs d'un rouge laiteux qui avaient comme aspiré les pupilles dans ses profondeurs. Au moins, ce n'était pas douloureux.

Les mains tendues devant moi, je me redirigeai vers mon lit sur lequel je m'avachis avec un grognement contrarié. Comment un seul sens pouvait-il à ce point me priver de ma liberté ? Ma seule consolation était que Laysa devait le vivre plus mal encore, et sans doute maudire mon nom à l'heure actuelle. Ma décision avait été vécue comme une trahison, et je ne l'avais pas démenti. De là avait germé un malaise dans nos relations. Nos conversations, devenues rares, avaient la saveur de la glace, et son tranchant aussi.

Le jeu de la poignée de ma porte s'actionna, et j'orientai ma tête dans cette direction, par habitude. Je me redressai en une position assise. Après quelques secondes de silence, je devinai qu'il ne s'agissait pas de la Vampire, qui ne perdait jamais de temps et prenait la parole sans hésiter. « C'est pour ma chambre ? Repassez plus tard. » Je me fichai de laisser la poussière ou la saleté s'installer. Ce n'était pas comme si je pouvais le voir. Tel un oiseau blessé, je n'avais aucune envie de sortir de mon nid. Comme la porte ne se refermait pas, mes sourcils se froncèrent. « Vous venez du laboratoire ? Donnez-moi une seconde, et je descends. » Car les expériences n'avaient pas cessé le temps de retrouver notre vue. Je me levai avec l'intention de me passer de l'eau sur le visage et d'éventuellement changer de vêtements mais je m'interrompis, une main sur l'une des colonne du lit, alerté par mon intuition à nouveau. « Qui est là ? »

Message I | 484 mots

Sans les yeux pour te voir
Bae & Dorian

☙ Hozier - Too Sweet

Je retins mon souffle. « Oh. Tu es revenu. » Pas plus capable de cacher ma joie à entendre de nouveau sa voix que ma surprise, mes lèvres s'étirèrent en un sourire de guingois. Alors qu'il s'approchait, son parfum m'enveloppa en même temps que ses mains de chaque côté de mon visage. J'inclinai la tête pour mieux m'appuyer contre ce contact. Il m'avait manqué, je le savais, mais je n'avais simplement pas mesuré à quel point. J'avais l'impression qu'on venait de m'envoyer un coup de poing en plein cœur. « Il faut que je t'explique. » Toutes ses interrogations ne se résoudraient pas en une simple réponse, mais ça ne me paraissait simplement pas le plus urgent en cet instant. Je l'attirai à moi et fourrai mon visage dans son cou. Mon envie de son sang s'éveilla brusquement, aussi neuve et vertigineuse que la première fois, mais je savais me dominer et je me contentai d'effleurer sa peau de mes lèvres. Je sentais sa chaleur à travers nos vêtements mais à cet instant, j'aurais voulu me fondre en lui, ne plus faire qu'un et me dissoudre, oublier tout le reste, tous ces maux et ces problèmes. Toute ma rancœur amassée contre lui ces dernières semaines s'était volatilisée comme si elle n'avait jamais existé. Quelles que soient les raisons de notre séparation, elles étaient stupides. « Ne refais plus jamais ça. Ne repars plus comme ça. Je ne te laisserai pas faire la prochaine fois. Je n'aime pas quand tu n'es pas là et que tu ne donnes pas de tes nouvelles. » Je me détachai de lui et ce fut à mon tour de parcourir ses traits, usant du bout de mes doigts en place de mes yeux pour reconnaître les arrêtes familières, les méplats doux de son profil. Je me demandais quelle expression il affichait, je m'inquiétais qu'il ait changé et que je ne puisse pas m'en rendre compte. « Est-ce que tu vas bien ? Où est-ce que tu es allé ? J'étais prêt à aller te chercher à Maëlith... après. Je suis un peu coincé ici pour le moment. Tu veux bien qu'on sorte ? J'ai besoin de changer d'air. Tu m'aides ? »

Ma main posée sur son bras, je le laissais me guider hors de ma chambre devenue tanière pour descendre jusqu'au parc encerclant le manoir. Un réseau de galeries végétales striaient toute la zone pour nous permettre de nous y rendre même en journée et je sentis leur ombre nous recouvrir. Le vent bruissait entre leurs feuilles, tout autour de nous. Je m'efforçai de relâcher la pression sur son bras quand je réalisai que je le broyai comme si je me retenais à lui pour ne pas tomber dans le vide. « Il n'y a personne autour de nous ? » En répandant ma magie sur quelques mètres, il me semblait que non, mais dans le doute, j'enchaînais directement dans sa tête. « Nous participons à un projet expérimental avec Laysa, totalement confidentiel, même auprès des autres de notre Lignée. Je ne suis même pas certain que Magnus soit au courant, il est absent du Fjörd. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'études autour de ce qui lie un Vampire à celui qui l'a transformé. Laysa est ravie, comme tu peux l'imaginer, elle boude dans sa chambre. » Un maigre sourire tordit mes lèvres. Je trouvais ironique de constater l'inversion de nos rapports. Je poursuivis à voix haute. « Tu me crois si je te dis que j'ai envie d'aller la voir ? Pas vraiment pour m'excuser, je ne regrette pas de m'être porté volontaire. Je n'aime juste pas la savoir fâchée. Je pensais que je m'en ficherais complètement. » En apparence, c'était le cas. Il n'y avait qu'à l'Orine que je pouvais confier ce que j'osais à peine admettre en moi-même. « Je suppose que je ressens ça à cause de notre lien. Je n'arriverai jamais à la détester complètement, malgré tout. »

Message II | 695 mots

Sans les yeux pour te voir
Bae & Dorian

☙ Hozier - Too Sweet

« Je ne veux pas ressentir de compassion pour elle. » articulai-je, les mâchoires serrées. « Je sais que tu vas me penser obstiné, mais je la connais. Si je vais la voir quand je suis dans cet état, elle va en profiter. C'est de la manipulation émotionnelle, et je refuse de marcher là-dedans aussi bêtement que quand je l'ai rencontrée. » assénai-je. Je n'étais plus aussi fragile qu'avant, je ne rentrais plus dans son jeu aussi facilement. Je n'étais plus aussi dépendant. Du moins, tant que je gardais mes distances. La peine que m'inspirait la situation était réelle, mais je savais qu'il serait plus simple de sectionner notre Lien si je ne revenais pas auprès d'elle comme un chien dès le premier inconfort ressenti. Dès qu'elle était face à moi, il me devenait plus difficile de m'en tenir à mes principes.

« Certainement pas. » dis-je d'un ton plus sec que prévu. Je pris le temps d'adoucir ma voix pour développer. « Moins tu vois Laysa, mieux c'est. Je n'aime pas comment elle te regarde. Elle est hostile envers toi, et si tu ne l'as pas remarqué, alors tu es aussi aveugle que moi en ce moment. La seule chose qui la retient de te faire du mal vient de la protection dont jouit ton peuple. Mais je la sais assez sournoise pour trouver une façon détournée de te blesser. » Je réalisai en reprenant mon souffle que je m'étais enflammé. Je n'avalais toujours pas le tour qu'elle m'avait joué, tandis qu'elle ne ratait jamais une occasion de le mentionner de sa voix si moqueuse. Et si j'étais si en colère, c'était d'être le fautif de cette situation. Mon absence de curiosité m'avait coûté. Je ne supportais plus de me souvenir de sa terreur alors qu'il croyait marcher vers sa mort.

Je m'arrêtai sur l'incitation de mon Orine. Je l'écoutais parler et l'angoisse que je sentis dans ses mots vibra en écho en moi. Notre Lien avait créé une forme d'empathie qui, dans ce cas là, n'avait rien d'agréable. « Je me doutais que tu réagirais comme ça. Je n'ai pas envie d'avoir cette conversation, mais je t'ai quand même demandé de rentrer car je me sens mieux quand tu es là. » Je soupirai et caressai ses doigts entremêlés aux miens de ma main libre, avant de remonter à son poignet sur lequel mes dents avaient pu parfois s'attarder. « Tu dois te douter que j'ai moi aussi envisagé les pires cas de figure. Si ça peut te rassurer, je n'ai pas mal aux yeux. Certaines expériences ont été douloureuses, mais je peux le supporter. Si toi, tu ne peux pas le supporter, il vaut mieux que tu partes. » Je détestais ne pas pouvoir le voir mais peut-être était-ce plus simple ainsi. Si j'avais vu ses yeux remplis d'inquiétude, tout aurait été plus difficile. « Si ça affecte notre Lien, il suffira de le refaire. » repris-je d'un ton plus léger, laissant mes lèvres s'étirer en un sourire faussement enjoué. « Sauf si tu as peur d'avoir pour Aisuru un vilain personnage de conte. » ajoutai-je mais je compris en le disant la rancœur qui se dissimulait maladroitement derrière la taquinerie. Je perdis mon sourire gauche. « N'en parlons plus. Je préfère que tu me parles de ton festival. »

Message III | 588 mots