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 Éloge funèbre d'un mort-vivant

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Siruu Belhades
~ Sorcier ~ Niveau III ~

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◈ Parchemins usagés : 2360
◈ YinYanisé(e) le : 06/12/2015
Siruu Belhades
Jeu 29 Aoû 2024, 05:01



Éloge funèbre d'un mort-vivant

J’ai toujours perçu la nostalgie comme un sentiment des plus inutiles. Pourquoi porter son regard sur une reconstruction mythifiée du passé qui ne cesse de s’éloigner de la réalité ? Qu’est-ce que ces trains de pensée peuvent bien apporter à quelqu’un, si ce n’est une brève satisfaction qui pourrait tout aussi bien être répliquée avec un peu d’alcool ou d’herbe à pipe ? Au lieu de ruminer au sujet ce qu’il y a eu, ne peut-on pas se concentrer sur ce qu’il pourrait y avoir ? Ceux qui ne songent qu’au passé ne demandent qu’à ce qu’on prononce leur oraison funèbre. Ceux qui pensent à l’avenir veulent vivre. Pourtant, voilà : force est d’admettre que, malgré ma volonté, il m’arrive aussi de me prendre au vilain jeu de la nostalgie.

Je me souviens de mes premiers pas dans la ville. Je l'ai vue se construire et se développer, sous l'initiative d'un empereur alors orphelin d'une capitale. C'était un symbole visant à contrecarrer le siècle d'humiliation que venait d'endurer son peuple – mon peuple –.  Pourtant, déménager à Amestris me fit l'effet d'être enfermé derrière une vitre givrée. Je pouvais voir les gens, entendre les rires, mais tout semblait étouffé et distant. La ville avait une manière de me tenir à distance avec un Mur de Politesse Froide. Car oui, les Sorciers sont polis. Serviables, même, pourvu qu'ils aient quelque chose à y gagner. C'était bien ça le problème : je n'en valais pas la peine. Mon ami, un natif de la ville, essayait de m’aider à m’acclimater. Il m'emmenait à des fêtes et à des rassemblements, me présentant aux personnes qu'il pensait que je devais connaître. Je pensais tout faire correctement. J’engageais les bonnes conversations, posais des questions pertinentes et restais dehors jusqu’à tard. Pourtant, malgré mes efforts, je me sentais toujours comme un étranger.

Né Magicien, élevé dans la forêt, j'avais l'impression que ces éléments de ma personnalité ressortaient à la manière d'une immonde difformité sur des traits autrement doux. Il y avait une barrière invisible que je n’arrivais pas à franchir, une résistance silencieuse qui m’empêchait de m’intégrer pleinement dans leur monde. J’étais piégé de l’autre côté d’un miroir, condamné à une vie de relations courtoises, mais vides. Partout où je me tournais, il y avait des visages familiers pour me saluer, mais aucun avec qui je pouvais vraiment me connecter. Personne avec qui je pouvais me sentir à l’aise, personne vers qui je pouvais retourner après une longue journée de politesses superficielles et de silences gênés. Parfois, souvent même, je remettais tout en question. Je me demandais si j'étais adapté au journalisme, si ma tare ne m'empêcherait pas de m'élever au sein de ma carrière. J'étais prêt à l'entendre : après tout, mon ambition première avait été d'être un scientifique, et il avait fallu beaucoup d'efforts pour que je reconnaisse que mon manque d'éducation était un handicap insurmontable.

Je me souviens d'avoir demandé à mon ami : « Toi, comment est-ce que tu perces cette barrière ? Comment est-ce que tu résonnes sincèrement avec ces gens ? » Cette question l'avait rendu perplexe. D'une part, je présume que la notion de sincérité devait lui sembler assez nébuleuse, puisque ses seules interactions avaient toujours été au sein de ce microcosme d'hypocrisie et de mensonge. Pour autant, je pouvais voir que, malgré sa piètre éloquence et sa personnalité peu affable, il naviguait tout de même bien mieux les discussions que moi. Pour lui, la danse complexe des rituels sociaux d’Amestris était une seconde nature, quelque chose qu’il avait maîtrisé en vingt-et-un ans d'existence. Il savait exactement que dire et quoi éviter, quand partir et combien de temps rester. Il avait une compréhension intuitive des étapes progressives de l’intimité qui m’échappaient tant.

J'étais déterminé à apprendre. Peu à peu, j’ai commencé à comprendre les règles tacites, l’équilibre délicat du donnant-donnant nécessaire pour naviguer dans le tissu social très serré de la ville. C'était une cotte de mailles, et je devais attaquer entre les maillons. J’observais, j’apprenais et je m’adaptais. J’ai fini par découvrir qu’être un étranger pouvait être un avantage. Ma nouveauté pouvait me donner un certain charme, une manière de me démarquer dans la mer d’uniformité qu'était le milieu journalistique. Autour de moi, il n'y avait que des fils à papa ratés. Moi, j'étais un ermite des bois raté. Alors, au lieu de chercher à imiter l'arrogance de mes pairs, je me montrais humble.

Avec le temps, j’ai fini par maîtriser la danse. J’ai appris à tailler ma propre place dans la ville. Je ne sais pas si un tel succès aurait été possible sans cet ami que j'ai tant observé. Une partie de moi veut lui donner ce crédit – après tout, il était mon point d’entrée, la première connexion dans une nouvelle toile de relations. J'aime le penser comme le catalyseur m'ayant aidé à répandre mon charme à travers Amestris. Le patient zéro de mon sourire contagieux, qui a depuis quitté l'hôpital.

Car oui, mon ami a fini par échouer. Une défaite particulièrement humiliante, puisqu'il a été formé par ce lieu. Il s'est donc fait battre sur son propre territoire. C'est d'autant plus triste que son problème était très simple à diagnostiquer. Il avait un défaut d'honnêteté. Mentir aux autres n'est pas un problème, mais se mentir à soi-même est la recette garantie pour un échec cuisant. Il n'apprenait pas de ses erreurs. Il se trouvait des excuses. Amestris ne voulait pas de ses explications : elle voulait des résultats. La Vorace a besoin de gens affamés par le pouvoir. Il était trop calme, trop complaisant, trop faible. Un jour, il disparut entièrement de la circulation. Je ne sais toujours pas si cette nouvelle est censée me rendre triste. Je ne le suis pas, mais j'y songe. On dit que Lysium est mort, mais je sais que tu es encore là. Pas dans mon cœur, non, mais quelque part sur ces Terres.


1010 mots.


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Siruu Belhades
Jeu 29 Aoû 2024, 05:02



Éloge funèbre d'un mort-vivant

Je retourne parfois à l’endroit où nos chemins se sont croisés pour la première fois. Il s’agit d’un de ces lieux uniquement accessibles par la mémoire, l’eau ayant submergé ces terres il y a plusieurs ères. Je n’oublierai jamais le continent du Matin Calme. Sa chute a affecté la trajectoire de nombreuses vies, dont la mienne. Si elle avait été précipitée de quelques mois seulement, nous ne nous serions certainement jamais rencontrés. Je me demande comment est-ce que je serais devenu, sans toi.

Non pas que je veuille te donner trop d’importance en tant que personne : tu es médiocre. Il existait un profond déséquilibre entre la hauteur de tes prétentions et la petitesse de tes compétences, qui donnait à ta personnalité une dimension tragicomique. Ta vulnérabilité était apparente aux yeux de tous, si bien que même une fourmi t’aurait méprisé – mais tu restais persuadé d’être le plus grand des sorciers. Ton meilleur sortilège, et probablement le seul que tu n'ais jamais réussi à maîtriser parfaitement, c’était le déni.

Le soir où je t’ai rencontré, ton existence m’est apparue comme une sombre blague, et cette observation n’a fait que se renforcer lorsque le destin a fait de toi l’héritier de la fortune familiale. En tant que dernier-né de ta fratrie, tu n’aurais jamais dû avoir la moindre valeur. Oni t’a armé de pouvoir et de responsabilités par un concours de circonstances improbables, sans doute parce qu’il devait trouver drôle de te voir te dépatouiller sans compétence ni bon sens. Je pourrais continuer pendant des heures, mais je préfère m’arrêter là. Il est particulièrement déconcertant pour moi de réaliser que, aussi pitoyable sois-tu, tu as changé le cours de ma vie.

Je vivais si loin de cette société sorcière qui m’intimidait tant. Je serais sans doute resté ermite, si tu n’étais pas arrivé dans ma vie, maladroit et riche : une bonne poire simple à cuisiner. Ce que je pensais être une opportunité d’argent facile me mena à ton monde : celui où la plupart des mages noirs citadins vivent, celui où la science des arcanes est avancée et où tout est possible. Ce nid de vipères était mille fois plus intéressant que la forêt dont je provenais, mais je n’aurais jamais osé m’en approcher si je n’avais pas vu que des personnes comme toi pouvaient y survivre. Tu m’as rassuré sans le savoir. Tu m’as pris sous ton aile en me donnant des tâches. Tu as été la clé qui m’a permis d’ouvrir les portes d’Amestris.

Que serais-je devenu, sans toi ? J’ose espérer que, d’une manière ou d’une autre, ma curiosité aurait fini par me mener à Nementa Corum. J’aurais peut-être rencontré un autre sorcier qui, comme toi, aurait contribué à mon intégration. Si l’on compare ma position actuelle à mon point de départ, il est évident que j’allais devoir emprunter des sentiers sinueux – et je l’ai fait. Je peux réécrire le passé cent fois et tracer d’autres itinéraires. Malgré tout, j’ai du mal à imaginer un meilleur guide que toi.

Tu avais tendance à vouloir éjecter tout le monde, à commencer par ta famille — mais tu n’avais aucun pouvoir sur eux —. Tu renvoyais souvent tes servants. Tu aurais pu perdre contact avec moi aussi, ou me faire parvenir une lettre d’insultes après l'une de tes énièmes crises de colère, mais tu ne l’as jamais fait. Il me semble que les personnes qui restaient à tes côtés ne le faisaient que par obligation professionnelle ou familiale… sauf moi. Je ne travaillais plus pour toi, et j’étais probablement ta relation la plus stable. On pourrait attribuer cela à ma patience ou au fait que je te trouvais légèrement moins insupportable que la moyenne. Ce serait incorrect. Personnellement, j’ai toujours suspecté que tu me voyais toujours comme un péquenaud de la forêt. Ton envie maladive détruisait toutes tes relations, mais tu ne m’enviais pas, moi. Je n’ai jamais pris cette absence de jalousie comme une insulte : mon dédain était réciproque. Cet état d’équilibre parfait nous permettait de rester proches. L’osmose aurait pu durer encore longtemps, mais tu as décidé de mourir.

Je ne sais pas vraiment que penser de la nouvelle. Je ne regrette pas de t’avoir aidé maintes et maintes fois, moyennant paiement. Je regrette cependant de ne pas avoir renégocié les minables rémunérations que tu m’offrais. Je ne regrette pas de t’avoir prévenu, lorsque la prophétie d’Hel’Dra a atteint mes oreilles. Je regrette par contre de ne pas avoir pris de nouvelles, lorsque tu t’es réfugié à Avalon suite à mon message. Finalement, je ne regrette pas de t’avoir rencontré. Je regrette que durant plusieurs décennies de collaboration, je n’ai eu l'opportunité de te considérer comme un ami que dans les premiers paragraphes de ce message.

Ta disparition me fait le même effet que si j’avais perdu un meuble laid, bancal et inutilisé qui, à force d’être resté trop longtemps dans le grenier, avait fini par développer une valeur sentimentale défiant toute rationalité. En fait, te connaître depuis si longtemps me donne l’impression de t’avoir apprécié, et peut-être est-ce le cas. Ce qui me surprend, en réalité, c’est de voir que ça a dû être ton cas aussi. Autrement, pourquoi m’aurais-tu ajouté à ton héritage ? Pour enquiquiner ta famille bien sûr, mais il existe bien d’autres méthodes pour dilapider sa fortune. De toute façon, ils ne vont pas mourir de faim. La succession leur attribue tes propriétés. Tu sais, celle de Nementa Corum et celle de – tiens-toi bien – Valera Morguis. Le marché immobilier dans ce dernier endroit n’est pas au plus haut de sa forme mais connaissant ta sœur, elle se débrouillera pour vendre sa parcelle de cendres à quelqu’un.

D’ailleurs, je me demande si tu es conscient que la Cité a été pulvérisée. Tu es en vie, après tout. Autrement, je serais en mesure de conjurer ton esprit. Pourtant, j'ai du mal à imaginer une personne comme toi laisser sa fortune être transférée sans crier au scandale. J'ai envisagé que tu sois détenu captif par le gouvernement, mais soyons honnêtes, tu n'as pas assez de valeur pour qu'il ne soit pas préférable de te tuer sans sommation. Je ne veux pas t'invoquer – j'évite désormais ce genre de rituels, et je ne veux pas me faire ennemi de ton geôlier hypothétique. Alors, j'attends, assis sur ta fortune, en partant du principe que tu as été témoin de quelque chose d'assez grand pour te convaincre de partir en laissant derrière toi tout ce que tu appréciais. Peut-être qu'un jour, tu me raconteras cette histoire.

1080 mots.


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