« Lyrae, t’es là ? » demandai-je, les plantes à la main. Aucun bruit ne filtra de la roulotte de la sœur de Leo. J’appelai de nouveau. Ma mère avait bien insisté : je devais livrer ces herbes aujourd’hui. Lorsque je m’approchai pour toquer à la porte avec plus de puissance, un bruit faible échappa à cette dernière. Elle pivota lentement et l’accès me fut bientôt offert. J’hésitai. Je n’étais jamais entrée à l’intérieur. Personne ne dérangeait jamais Lyrae et la femme semblait n’être qu’un mirage sombre aux reflets dorés planant sur notre monde de forains. Elle ne participait à aucune des attractions, ne vendait rien au marché et ne se montrait que très brièvement aux réunions. Leo, son frère, était plus solaire. C’était à lui que nous empruntions le codex des écritures personnelles. Ce n’était pas son réel nom mais bien celui que nous avions trouvé au livre qui contenait les écrits que les personnes s’envoyaient ou s’écrivaient à elles-mêmes. Les lettres, les journaux intimes, les mots sur les portes, tout un tas de correspondances que nous nous plaisions à parcourir avec Orion. Nous ne comprenions pas tout mais étudions son contenu avec minutie, à la recherche des phrases les plus croustillantes du moment. Ceux qui étaient extérieurs à notre communauté ne nous étaient pas inconnus. Nous les étudions et apprenions à les connaître grâce au codex des écritures personnelles et aux histoires de Zénith, même si cette dernière axait notre apprentissage sur un homme en particulier. De temps en temps, elle réunissait cependant tous les enfants et les adolescents du village pour mettre en histoires les dernières actualités mondiales ou un thème en particulier.

« Lyrae ? » appelai-je une dernière fois. Me retrouver face à cette porte et ce lieu silencieux affolait mes pensées. Je craignais de commettre un impair en pénétrant de moi-même dans la roulotte sans autorisation. Mon imagination, apeurée, commença à s’emballer. Quel monstre horrible cachait Lyrae pour que personne ne tournât jamais autour de chez elle ? « Je… Je vais entrer. C’est pour les plantes… Je ne suis pas une voleuse… » J’aurais bien demandé à Orion de venir avec moi mais celui-ci avait rendez-vous avec le boulanger le lendemain pour préparer le pain pour le marché. Il devait déjà dormir et n’apprécierait pas que je le dérangeasse. En y songeant plus, je me dis qu’il n’aurait probablement pas fait tout une histoire. Il aurait grogné puis m’aurait suivie, excité par la perspective d'une petite pérégrination. Maintenant, c’était trop tard. « Allez… si je trouve quelque chose d’extraordinaire, je pourrai tout lui raconter en détails demain. » m’encourageai-je. Lui et moi étions des aventuriers. Parfois, nous partions en expédition dans la campagne environnante et fouinions pour tenter de dénicher une personne que nous connaissions grâce aux histoires de Zénith ou au codex. Il fallait du courage pour mener à bien nos missions inventées, tout comme il m’en fallait à présent. À deux, les choses étaient cependant bien plus faciles.

Lorsque mon corps fut à l’intérieur, la réalité de l’endroit frappa mes prunelles. Je faillis lâcher ce que je tenais d’admiration. L’intérieur était bien plus grand et, surtout, l’endroit était magnifique. « On dirait un ciel… » murmurai-je. Les tons bleutés se mélangeaient autour de moi. Un pont fait de verre m’incita à avancer. Il était le seul chemin et aucun meuble n’existait, rien de concret sur lequel j’aurai pu poser les plantes. Au loin, des étoiles et d’autres formes lumineuses se promenaient ou se regardaient. Je déglutis, subjuguée par la magie en présence. Une étincelle sur le côté me fit sursauter. Je faillis tomber à la renverse dans l’immensité. Une main ferme me maintint droite. À côté de moi, Lyrae était apparue. Elle posa ses yeux dorés sur moi. « Dé… désolée, la porte s’est ouv… » « Chut. Tu vas la faire fuir. » « La fai… ? » Elle me désigna un rouleau du doigt. Sa peau sombre semblait d’or ici. « Prends-la. » J’avançai ma main et m’en saisis. « Ouvre-la. » J’obéis et m’aperçus qu’il s’agissait d’une lettre. Mes yeux descendirent sur la fin. À toi toujours, lus-je dans ma tête. « Qu'est-ce que c'est ? » demandai-je à voix basse. « Une lettre qui a été intentionnellement détruite par celui qui l’a écrite. » « Pourquoi ? » Une lueur étrange brilla dans ses yeux. « Le cœur a ses raisons. » formula-t-elle. « Viens avec moi, nous allons en faire une copie avant qu’elle ne disparaisse à jamais. » « Mais si elle a été détruite c’est pour qu’elle disparaisse, non ? » « L’Histoire ne peut se contenter d’obéir aux désirs de chacun. L’Histoire est une vérité que, nous autres, Rehlas, devont détenir. Aucun élément ne doit nous échapper. » Mes iris descendirent sur les lignes tracées. « Oh ! Mais ça parle de Sceptelinôst ! Zénith nous a raconté cette histoire ! » « Assieds-toi. » « M’ass… ? » La magie s’était éteinte. L’endroit était toujours immense mais ressemblait à présent à une énorme bibliothèque. Le fond m’était inaccessible. Une large table s'étalait à présent devant nous. « Est-ce que tu veux quelque chose à boire ? » me demanda-t-elle.  

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