J’étais heureux qu’Orphée se fût fait des amis destinés à participer à la même expédition. Notre mode de vie nous contraignait souvent à vivre sans attache. C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il écrivait des lettres qu’il jetait à la mer. Ces bouteilles lancées constituaient un point d’ancrage aux autres, une forme de lien ténu et discret, mais bel et bien existant. Parfois, je me questionnai sur la viabilité de ce mode de vie pour lui. Nous étions souvent tous les deux. Mes doutes s’envolaient quand j’entendais son rire se répandre en écho entre les voiles et que je voyais ses yeux se perdre d’émerveillement sur les vagues. C’était pourtant aussi ce qui m’avait poussé à accepter de participer à cette aventure. Je savais que nous voyagerions longtemps avec les mêmes personnes et qu’il pourrait tisser des liens un peu plus durables ou, en tout cas, plus réguliers. Je voulais qu’il pût s’épanouir. C’était au moins ce que je lui devais. Aussi, quand je le vis s’élancer hors de notre cabine à vive allure, je ne pus retenir un sourire. Il cavala sur le quai avec la hardiesse d’un goéland alliée à l’entrain d’un poulain. Ses pas rejoignirent ceux de deux silhouettes similaires : Shashake l’Ahuri et Shashaka le Tyran. Ces surnoms découlaient de leur premier jeu qu’Orphée – l’Épicé – m’avait conté en long, en large et en travers, avec une joie sans commune mesure. Il y avait aussi la Rebelle – peut-être les rejoindrait-elle plus tard ? Il ne m’avait toujours pas dit d’où il tenait son surnom : quand j’avais posé la question, il m’avait répondu avec un sourire serti d’espièglerie. Les couleurs chaudes qui maculaient son visage et sa peau parlaient cependant pour lui, comme d’autres détails m’informeraient de leurs aventures à venir. Bien que je le surveillasse, j’essayais de m’habituer à ce qu’il eût un jardin secret.
« Un, deux, trois… c’est parti ! » Orphée joignit sa force à celle de Shake. Ses petits bras poussèrent la caisse montée sur roues – il ne savait pas comment ça s’appelait, mais il y avait une poignée à l’avant qui permettait de la tirer. « Le chargement est lourd, l’Ahuri ! » Le chargement, c’était le Tyran, qu’ils embarquaient souvent dans leurs jeux contre son gré. La pente soulagea néanmoins leurs efforts : le diable à quatre roues avança plus facilement et, peu à peu, prit de la vitesse. Les jambes du faux Magicien pédalèrent, et il se cramponna juste à temps pour sauter dans l’engin. Il s’écrasa à moitié au fond de la caisse, égratigné mais mort de rire, avant de se retourner pour s’asseoir sur les fesses et admirer leur fulgurante descente. Ils avaient choisi une rue large et droite, qui filait vers le port depuis quelque colline cachée par les méandres des bâtiments qui se découpaient dans l’azur. Sur le passage fracassant de la charrette, les gens s’écartaient en poussant des cris offusqués qui ne faisaient que renforcer l’hilarité d’Orphée, rendu extatique par la vitesse. « Attentiooooon ! » criait-il de temps à autre. Ils n’avaient aucun moyen de ralentir. Au pire, ils finiraient dans l’eau.
Næmo expira lourdement, tel un vieux chien à l'article de la mort. Le menton sur la table, il louchait sur la théière, pataugeant dans l'ennui le plus complet. Comme personne ne réagissait à sa plainte, il s'agaça et se mit à balancer ses pieds. L'un d'eux se cogna sur le pied de la table et il leva aussitôt des yeux innocents sur Nahoko et son amie qui avaient cessé leur discussion pour le regarder. Un sourcil de l'Orine se suréleva très légèrement. « Pardon. » marmonna-t-il à contrecœur. Le second sourcil rejoignit le premier et l'Ondin se redressa sur sa chaise. Voyant qu'elle s'apprêtait à reprendre ses bavardages qui duraient depuis au moins vingt bonnes minutes, autrement dit une éternité, Næmo les interrompit. « Dis, Nahoko, s'il te plaît. Je peux te demander quelque chose ? » « Quoi donc ? » « Je peux aller jouer dehors ? » Elle regarda l'extérieur par la fenêtre, les mâts qui se dandinaient doucement et les cris des équipages qui chargeaient et déchargeaient les cales. « D'accord, mais ne va pas trop loin. Et ne t'approche pas trop du quai pour ne pas être dans les pattes de ceux qui travaillent. Tiens, va t'acheter une glace si tu veux. » Elle lui tendit une pièce qu'il prit, extatique de bonheur. « Merci ! À plus ! Je t'aime ! » cria-t-il à la volée en sortant du salon de thé à toute vitesse avant qu'elle ne change d'avis.
Impatiemment, il attendit que le glacier termine sa commande, une grosse boule de menthe avec des pépites de chocolat, et une autre de pistache. Il regardait autour de lui, cherchant à estimer jusqu'où il pouvait s'approcher du quai sans désobéir à Nahoko. À la suite de ses calculs mentaux peu concluants, il décida en léchant sa glace que rien ne pouvait lui arriver s'il faisait très attention et il s'approcha d'une montagne de sacs de graines sur laquelle il se hissa en prenant soin à ne pas renverser son goûter. De là, il avait une bien meilleure vue du port, il voyait même les chantiers plus loin. Tout le monde parlait de ces derniers mais il ne comprenait pas trop pourquoi. C'était des trucs politiques, donc pas des trucs pour les garçons. Il préférait réfléchir à quoi raconter à Lazare lorsque ce dernier lui aurait répondu. Il aurait vraiment aimé le rencontrer à Basphel, juste pour voir à quoi il ressemblait.
Intrigué par des exclamations au loin, il se retourna et vit, au loin, quelque chose qui se rapprochait à toute vitesse, droit sur le monticule qui lui servait de siège, même si ce détail ne monta pas directement à son cerveau. Les yeux plissés, l'Ondin distingua à l'intérieur de la chose des petites têtes qui tressautaient. Il lécha sa glace distraitement. C'est seulement à quelques mètres de l'impact qu'il s'inquiétât de savoir si les sacs allaient absorber le choc ou non. « Euh... » Ses petits doigts se serrèrent autour du cornet pour le protéger. L'étrange caisse montée sur roues percuta de plein fouet les sacs et Næmo écarta les bras comme un goéland pour garder son équilibre. « Olala... » fit-il en voyant l'enchevêtrement des corps sous lui à travers le nuage de poussière. Curieux comme tout, il se laissa glisser à terre jusqu'à eux et les examina. Il devinait qu'ils étaient des Gælyan à leurs vêtements bizarres mais ils avaient environ son âge, ce qui était toujours mieux que rien du tout, et surtout mieux que la conversation ennuyeuse à mourir de Nahoko et son amie. Il enchaîna en langue commune. « Vous allez vous faire fâcher. » Il appuya son observation de quelques coups de langue sur sa glace. Et effectivement, il voyait une meute d'adultes descendre de la rue dans leur direction. Il songea qu'il allait être associé à leur délit si on le trouvait avec eux. Nahoko n'allait jamais plus le laisser sortir s'il se faisait prendre. « J'connais une cachette, si vous voulez. Faut courir, par contre. »
Message I | 694 mots
Merci Jil :
Circë Fëanturi Vairë ~ Ygdraë ~ Niveau III ~ ◈ Parchemins usagés : 29 ◈ YinYanisé(e) le : 21/09/2022
« C’est une mauvaise idée, je vous dis ! » Les mots étaient teintés d’une appréhension sans commune mesure, bien que Shashaka aurait préféré être capable de simplement juger les deux débiles à l’origine de ce plan foireux. Il n’aimait déjà pas qu’on le tirât de ses petites habitudes alors qu’on osât le jeter dans cette caisse roulante de l’Enfer pour mieux lui faire prendre de la vitesse vers une destination inconnue – et probablement mortelle qu’on se le dît – l’horripilait. « Lourd dans tous les sens du terme, l’Épicé ! » renchérit Shashake, avant de se bidonner. L’effort était grand mais en valait la peine. Le brun monta dans leur carriole avant Orphée et tenta d’aider ce dernier à bien se réceptionner, en vain. « L’aventure commeeennncceee ! » hurla-t-il, une fois que tous les courageux baroudeurs furent à bord. Au fur et à mesure que son sourire s’agrandissait, la déconfiture sur le visage du Tyran s’intensifiait. Shashaka prit une grande inspiration lorsqu’il comprit qu’ils fonçaient droit vers un monticule d’il ne savait quoi. L’eau ne lui disait déjà rien qui valût mais il était préférable d'y être éjecté plutôt que de percuter quoi que ce fût. Il ferma les yeux. Sauter aurait été une mauvaise idée de toute façon, même si elle ne traversa jamais son esprit. Il maudit son frère ; ce maudit frère qui n’éprouva à aucun moment une quelconque once de peur. Trop pris dans son délire – qu’il partageait largement avec Orphée – l’Ahuri s’époumonait des phrases préconçues comme « À l’abordage ! » « Chaud devant ! » et autres joyeusetés de ce style. À ce train-là, l’impact fut inévitable. Le corps tout mou de Shashake alla rencontrer les graines comme un ours en peluche tombe sur un oreiller. Le corps tout dur de Shashaka, lui, percuta le monticule à la manière d’une poupée qui tombe par terre. Le bleu grimaça alors que le brun se mit à rire de plus belle, totalement inconscient du fait qu’ils auraient pu tous se briser les os, voire pire : mourir.
Alors que Shaka se renfrognait, Shake remarqua le potentiel compagnon de jeu qu’ils venaient de rencontrer par hasard – même si celui-ci n’existait pas véritablement. « On se fait pas fâcher nous ! » répondit le plus affable des jumeaux. Il mentait, bien évidemment. Néanmoins, il était toujours dans le jeu et, dans le jeu, ils étaient des aventuriers indépendants, sans papa et maman pour disputer qui que ce fût – enfin, dans leur cas, c’était surtout Monïhr qui tenait le rôle de père et de mère. « Une cachette ? Trop bien ! Je veux y aller ! Allons découvrir la cachette. » « Pfff, c’est ça… » « Fais pas ta mauvaise tête Shaka… » « T’es complètement toqué… Et toi aussi ! » dit-il à l’attention d’Orphée.
473 mots
Orphée Dasgrim ~ Orisha ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 163 ◈ YinYanisé(e) le : 11/03/2023◈ Activité : Voyager avec les Enfants de Yanna
Les enfants ont ce don d’insouciance qui parfois les mène droit au danger, et c’était la raison pour laquelle j’essayais d’instiller la prudence dans l’esprit d’Orphée. J’apprendrai plus tard que mes efforts ne payaient que partiellement, puisque pas une seule seconde il n’avait songé que leur vaisseau de fortune pût finir sa course ailleurs que dans l’eau – en l’occurrence, dans une pile de sac de grains dont la solidité aurait pu mener à un choc capable de les tuer. Il ne pensa probablement pas non plus à cette éventualité, tordu de rire dans la carriole, la vue obstruée par des larmes d’excitation. Heureusement pour les trois garçons, leur rencontre avec la toile de jute se solda par des acrobaties de pantins désarticulés ; leurs corps éjectés de la charrette roulèrent dans les airs avant de retomber sur les sacs dans un nuage de poussière. Le rire d’Orphée, brièvement coupé par la chute, repartit de plus belle dès qu’il essaya de se redresser. Il avait diablement mal aux abdominaux et il dut se calmer pour pouvoir se mettre assis et poser son regard gris sur l’étranger. Ses prunelles s’orientèrent rapidement sur sa glace, avant de remonter vers son visage. Un sourire extatique ne quittait pas sa figure. « C’est bien vrai ! » abonda-t-il aux paroles de Shashake, sans remarquer les adultes mécontents qui s’approchaient de leur quatuor. Parmi les pouvoirs propres aux enfants, j’avais aussi découvert qu’il en existait un qui leur permettait d’oublier la totalité du reste du monde. Leurs jeux les privaient parfois de repères réels. « On est des aventuriers sans foi ni loi ! » Il brandit le poing, avant d’être parcouru par la même vibration de curiosité mêlée d’excitation que l’Ahuri. « Oui ! En avant ! » s’enthousiasma-t-il, avant de se tourner vers Shashaka : « Toc toc toc ! » fit-il en cognant doucement sur la tête du rabat-joie de son poing fermé, avant de partir d’un grand éclat de rire. « Ça sonne un peu creux, dis donc ! Va falloir remplir tout ça ! » Se tournant vers leur nouveau compagnon de route, il déclama : « Toi tu seras, le Gourmand ! Ou le Caché ! » Il jeta un coup d’œil aux deux autres pour leur demander leur avis, et ce fut à ce moment qu’il croisa le regard de quelques adultes visiblement mécontents. « Viiiiiiite ! Les monstres arrivent ! Tous aux abris ! » s’écria-t-il avant de pousser le petit brun fraîchement débarqué vers l’avant, de sorte à ce qu’il les guidât vers sa cachette. Il s’élança derrière lui, ses pieds battant le pavé aussi vite qu’il le pouvait.
Næmo serait bien revenu une seconde sur le choix de son surnom mais le temps leur manquait. Cavalant le long du quai, le cœur remonté comme sur un ressort, il guida la troupe de chenapans jusqu'à l'extrémité du quai d'où, sans hésiter, il sauta. Il se réceptionna sur les genoux dans une bande de sable mouillé et se redressa aussitôt pour décoller, projetant des gerbes de sable sur les côtés. « Vite ! » cria-t-il, surexcité en se retournant pour vérifier qu'ils suivaient le rythme. « C'est plus très loin ! » Face à eux, de vastes carcasses de navires échoués comme des baleines exposaient leurs ventres de bois au soleil. Sous le vent, le bois abîmé grinçait de façon sinistre, leurs voiles déchirées flottant sur la brise marine. Næmo ne s'aventurait seul dans ce cimetière qu'à contrecœur, et parce que sa cachette était actuellement son bien le plus précieux, car il avait peur des fantômes de Gælyan qu'on disait s'y cacher. « Par là ! » Slalomant entre les débris, l'Ondin bondit comme un biquet par dessus un mât couché et fonça droit sur une épave. Avec l'aisance de celui qui connaît bien le chemin, il se hissa sur le pont penché à la verticale et fit sauter le mécanisme d'une trappe. La porte à la peinture verte écaillée claqua en s'ouvrant et Næmo balaya rapidement l'air de sa main pour presser les autres. « Sautez là-dedans, vite ! » Il les imita ensuite et referma la trappe sur eux, les plongeant dans le noir total. « Chut ! » chuchota-t-il à l'aveuglette. Il tendit l'oreille. Après plusieurs secondes à n'entendre que le ressac et les gémissements faibles du bois vieillissant, ses yeux finirent par s'habituer à la pénombre et il se tourna vers les autres enfants. Ils se trouvaient dans la cabine du capitaine, ou ce qu'il en restait. Le cadre d'une peinture défraîchie pendait sur le seul clou qui le maintenait au mur, et une couverture moisie qui avait dû être écarlate mais était désormais plutôt brunâtre était roulée en boule sur le sol. « C'est ma cachette ! » présenta-t-il à voix basse, pas peu fier de son petit secret. Il l'avait découvert quelques mois auparavant, lors d'une de ses fugues alors qu'il accompagnait Nahoko au marché. Depuis, il ne cessait de s'enfuir pour y revenir, et l'agrémenter de bricoles diverses comme un petit pot en terre avec des crayons, une réserve de bougies, quelques livres et des boîtes à trésors contenant des cailloux ou autres choses trouvées ça et là. « Je m'appelle Næmo ! Et vous ? Vous venez d'où ? »
Message II | 457 mots
Merci Jil :
Circë Fëanturi Vairë ~ Ygdraë ~ Niveau III ~ ◈ Parchemins usagés : 29 ◈ YinYanisé(e) le : 21/09/2022
« Raaa mais laisse-moi toi ! » grogna Shaka à l’adresse d’Orphée. Ils commençaient tous à lui taper sur le système tellement ils étaient débiles. Son frère n’allait pas mieux depuis qu’ils avaient rencontré l’Épicé et la Rebelle. « Peuh ! » fit-il, en voyant Shake faire tous les efforts du monde pour ne pas rire de lui. « Le Gourmand ! Le Gourmand ! » Le bleu se dit que le brun avait décidément bien peu de cervelle à passer du coq à l’âne sans difficulté. Il soupira, de mauvaise humeur – ce qui ne changeait pas beaucoup de d’habitude. « Naaaooonnn ! AU SECOUR ! LES MONSTRES ! » « Ce ne sont pas des monstres, ce sont des ad… Eh ! Attendez-moi ! » s’exclama Shaka, lorsqu’il se rendit compte que les autres avaient commencé à courir sans lui. Il les regarda, regarda les grandes personnes, et se dit qu’il valait mieux suivre des décérébrés plutôt que de rester avec des adultes enragés. Meilleure solution ? Pas sûr. Surtout que lesdits adultes n’étaient pas si enragés que ça. C’était dans leur tête tout ça. La plupart voulait d’ailleurs très certainement bien plus s’enquérir de leur état que les réprimander. Après deux secondes de réflexion, Shaka finit par déguerpir à son tour, sous l’œil circonspect des Ondins, surpris de voir quatre gamins trottiner en se croyant rapides. « MAIS C’EST DANGEREUX ! » couina le bleu tout en suivant quand même le groupe. Il se réceptionna difficilement sur ses mains, se releva en râlant, le cœur battant, et continua. « VITE ! SINON ILS VONT NOUS MANGER ! » surenchérit Shake, à fond dans le jeu.
« Trop cool ta cachette ! » Dans l’expression de son visage – et malgré la pénombre – Shaka vit que son frère était extatique. Lui-même était impressionné. Le seul problème était cette vieille couverture moisie qui sentait le vieux poisson pourri. Néanmoins, en fin collectionneur d’objets étranges, le bleu ne tarda pas à oublier les autres – et les malheurs qu’ils lui faisaient endurer – dans la contemplation des babioles qui traînaient. « La Rebelle serait trop heureuse ici ! » s’exclama Shake. « Moi c’est Shashake. Mais tu peux m’appeler l’Ahuri ! Et lui c’est mon frère, Shashaka – on sait, c’est pas très pratique – mais tu peux l’appeler le Tyran. » « Je ne suis pas un tyran. » « Bah c’pas grave ! Tu peux faire genre que t’en es un ! » le corrigea-t-il. « Et lui c’est Orphée ! Son surnom c’est l’Épicé ! Enchanté ! »
425 mots
Orphée Dasgrim ~ Orisha ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 163 ◈ YinYanisé(e) le : 11/03/2023◈ Activité : Voyager avec les Enfants de Yanna
La trappe se referma en claquant au-dessus de leurs têtes. Orphée leva des yeux brillants vers l’entrée condamnée. Des dizaines de questions devaient voltiger dans son esprit d’enfant enferré par le jeu : quelqu’un les avait-il suivis ? La cachette du Gourmand était-elle vraiment secrète ? Les monstres allaient-ils les trouver ? Quelle punition tenteraient-ils de leur faire subir ? Et eux, sauraient-ils les combattre ? Ils étaient moins nombreux. Et même si dans bien des histoires que je lui avais contées, le nombre n’assurait guère la victoire, le jeune Orisha n’ignorait pas qu’il pouvait avoir de l’importance. Et comme beaucoup, face à l’ennemi, c’était la première pensée qui lui venait.
La pénombre les avait engloutis, cependant, elle n’étouffait pas leur présence. Il entendait la respiration de ses acolytes. Au dehors, les mâts brisés chuintaient au gré des poussées du vent. Plus tard, Orphée me parlerait de ce lieu où les cadavres de navire offraient leurs entrailles béantes à l’appétit du soleil, et à quel point ce décor était celui d’une aventure. Son cœur tambourinerait, et j’imaginerai qu’il avait battu de la même façon quand il courait dans ce cimetière de sel et d’embrun.
Peu à peu, ses yeux s’habituèrent à l’obscurité et il put discerner le contour des silhouettes de ses amis. « Oui, elle est trop bien ! Personne ne nous retrouvera, c’est sûr ! » s’exclama-t-il, enjoué. Il se mordit les lèvres, puis observa le décor et sa maigre décoration. « C’est clair ! Elle deviendrait une vraie pirate ! » Il sourit dans la direction de Shashake. « Oui, Orphée. » confirma-t-il. « Enchanté pareil ! » Rassuré quant à l’efficacité de leur cachette, il s’assit sur la vieille couverture aux relents de renfermé, pas dérangé le moins du monde. Quand on côtoyait des ports toute sa vie, on avait l’habitude des odeurs incommodantes. « On est de Yanna. Moi je suis un Magicien, et eux… » Il les scruta autant qu’il le pouvait à travers l’obscurité. Il n’en savait rien, en fait. Ils n’en avaient jamais discuté. Comme il avait l’habitude de vivre dans un environnement cosmopolite, il prêtait peu attention aux origines des autres. C’était la question de Næmo qui avait suscité sa curiosité. Il haussa les épaules. « Et toi ? T’es quoi ? Un Ondin ? Tu vis ici ? Est-ce que plus tard tu vas aussi travailler dans la ville ? » Il faisait référence aux hommes que je lui avais montré et qui reconstruisaient la cité. « Tu l’as depuis longtemps, ta cachette ? Tu te caches de qui ? » demanda-t-il avec malice et impatience.
Næmo leur tourna le dos le temps de fourrager dans son bric-à-brac. Il fit main basse sur une boîte en fer qui fit un bruit de maracas quand il la ramena sur ses cuisses après s'être assis en tailleur. « C'est qui la Rebelle ? Faut pas qu'elle devienne une pirate, nous on croque les pirates ! » asséna-t-il en fronçant les sourcils pour se donner un air menaçant. Le défilé des prénoms et des surnoms le perdirent rapidement mais il hocha quand même la tête, par habitude. Ses professeurs n'aimaient pas qu'il prenne l'air bête alors il avait appris à faire semblant.
Il souleva le couvercle de sa boîte et piocha un bonbon acidulé au citron. Ils étaient collants après avoir pris l'humidité de la cachette, mais restaient mangeables. Næmo avait de toute façon toujours faim de sucre et n'était pas trop difficile. « Vous ch'en voulez ? Ch'est au chitron ! » Il fit circuler la boîte avec ses nouveaux amis et se fourra un index dans la bouche pour décrocher le bonbon collant de ses dents. « Oui, je suis un Ondin ! Je vis ici avec Nahoko. C'est l'Orine de maman, et elle est trop belle et trop gentille. Plus tard... Euuuuuh... Plus tard c'est dans longtemps ! Mais moi, je ne veux pas aller sur les chantiers. » Un jour, il avait surpris dans une conversation que des ouvriers mouraient parfois sur les chantiers. Sur le moment, il n'en n'avait pas pensé grand chose, mais la nuit venue, il avait rêvé qu'on le traînait de force dans un bâtiment. Tout s'écroulait sur lui, et il restait coincé sans que personne ne lui vienne en aide. Le problème avec les cauchemars, c'est qu'ils provoquaient systématiquement des "accidents" dont il avait terriblement honte. « Peut-être que j'irais à Basphel ! Ma grande sœur y est, parce qu'elle est très forte et très intelligente. Même que j'ai déjà un copain là-bas, et qu'il est super grand et plus âgé que moi, et on sera meilleurs amis ! » se rengorgea-t-il fièrement.
« Non, je l'ai trouvée y a pas longtemps et c'est un secret, personne doit jamais la connaître ! Vous devez jamais répéter ! Faut promettre ! » Il les regarda un par un très sérieusement, puis enleva ses chaussures. « Je me cache de tous ceux qui sont nuls. Ça arrive à Nahoko de l'être, elle est rabat-joie des fois, alors je m'en vais quand elle regarde pas et je me cache ici. C'est chouette mais je rentre avant la nuit car il paraît que c'est hanté par des Gælyan qui se sont noyés. » Il trouvait le concept de se noyer troublant et vraiment étrange. Pour le moment, il se contentait de savoir que c'était un sort réservé aux terriens.
« Vous êtes ici pour quoi, vous ? Oh, je viens de me souvenir que j'ai trouvé un truc trop dément l'autre jour ! Je fouillais le bateau et j'ai trouvé ça dans un placard. » Il farfouillait dans son coffre et quand il se retourna, ce fut avec une vieille bouteille poussiéreuse qu'il devait porter à deux mains. À l'intérieur de la bouteille bouchonnée au liège, un liquide transparent clapotait sous les mouvements de l'Ondin. « Ça vous dit d'essayer ? C'est que les grands qui boivent ça, alors je sais pas si vous êtes cap'. » railla-t-il en triturant le bouchon pour le faire sauter.
Message III | 595 mots
Ils vont vomir partout.
Merci Jil :
Circë Fëanturi Vairë ~ Ygdraë ~ Niveau III ~ ◈ Parchemins usagés : 29 ◈ YinYanisé(e) le : 21/09/2022
Shashake et Shashaka se regardèrent lorsque la question du peuple d’appartenance fut évoquée. Le plus ronchon hocha la tête négativement, pour retenir son jumeau de dire n’importe quoi – n’importe quoi étant la vérité. Monïhr leur avait répété à plusieurs reprises qu’ils devaient se présenter comme étant des Orines. C’est ce qu’ils faisaient mais le Tyran craignait parfois que la langue de l’Ahuri devînt incontrôlable. Il y avait bien des choses qu’ils devaient garder secrètes et c’était beaucoup pour des enfants, surtout dans le feu de l’action ou entourés de copains. « Mais nan elle ne va pas devenir une pirate ! C’est une super copine. Elle collectionne les trucs. Elle est drôle. » Le Tyran n’était pas certain que la Rebelle les aimât vraiment. Il lui semblait qu’elle avait même une dent contre lui. Il ne dit donc rien, se contentant de faire apparaître un air encore plus ronchon sur son visage. Toute cette situation ne lui disait rien qui valût. Il aurait préféré rester seul avec les osselets qu’il avait piqués à son frère. « Oui je veux bien, merci ! » Shashake attrapa des bonbons et les fourra dans sa bouche. Le reste de ses répliques fut habitée par des « sh » et « ch » inhabituels. « Les chantiers c’est rigolo ! On y trouve plein de bricoles ! D’ailleurs, nous deux on est des Orines comme Nahoko ! » déclara enfin le brun aux mèches blanches, loin de se douter de la réalité politique et des conséquences du travail des hommes sur les chantiers. Le fait que ceux-ci fussent mal considérés lui passait totalement au-dessus. Il voyait certaines choses depuis qu’ils étaient à Port Dirælla mais son esprit était incapable de faire du lien entre les informations.
« Promis juré craché ! » s’exclama Shashake, avant d’appliquer scrupuleusement sa dernière parole. Sa main se retrouva remplie d’un liquide visqueux. Il la tendit en direction d’Orphée pour qu’il jurât aussi. Shashaka leva les yeux au ciel. « Ouais… promis… » dit-il, de mauvaise grâce, tout en jugeant sa moitié d’Âme. « C’est quoi des Gælyan ? » demanda-t-il cependant, curieux, alors que son frère mimait l’affirmative. Ce dernier savait de quoi Næmo parlait, même si le terme Gælyan ne lui était pas connu. Il y avait beaucoup d’Esprits ici.
« Nous, on est ici pour voyager et trouver des choses secrètes ! On fait une expédition ! On est des vrais aventuriers ! Bientôt, on partira de Port Dirælla pour voguer vers d’autres endroits ! Peut-être qu’un jour on aura tout vu ! Quand on sera vieux ! » Pendant que son frère se perdait en explications, le Tyran regarda attentivement la bouteille. « Je crois qu’on ne devrait pa… » « Bien sûr qu’on est cap’ ! Hein l’Épicé ? Même pas peur ! » Il se déplaça pour attraper un bout de planche qui trainait là et indiqua le morceau le plus pointu. « Je vais la faire tourner et celui qui sera désigné devra commencer ! » Il s’exécuta. La latte de bois prophétique se dirigea vers Orphée. « C’est toiiiii ! Faut que tu boives la mixture magique ! Peut-être que des oreilles d’âne te pousseront sur la tête ! » s’amusa-t-il, se laissant guider par son imagination qui lui dictait n’importe quoi.
550 mots
Orphée Dasgrim ~ Orisha ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 163 ◈ YinYanisé(e) le : 11/03/2023◈ Activité : Voyager avec les Enfants de Yanna
Le bonbon collait aux molaires d’Orphée qui, la bouche entrouverte, tentait de le dégager à l’aide de sa langue. Bien que je lui eusse appris à ne pas mettre ses doigts dans sa bouche, il en vint à cette extrémité pour déloger la sucrerie. Je n’aurai aucune peine à imaginer son regard fuyant tandis qu’il commettait cette impolitesse, deux yeux timides dérivant sur les tracés des lattes mouillées de la coque abandonnée. Quand il avait le sentiment de faire une bêtise, il avait l’habitude, comme bien des enfants, de se faire d’une discrétion à toute épreuve. Le nom de Basphel le sortit de son embarras. À chaque fois que l’école était évoquée, ses yeux pétillaient. Je lui avais raconté bien des histoires au sujet de l’île suspendue et de ses étudiants, pour les avoir moi-même côtoyés bien des années auparavant. « Basphel ! C’est trop bien ! Moi aussi je voudrais y aller un jour ! On pourrait y aller tous ensemble ! » s’enthousiasma-t-il, en jetant un regard enjoué aux deux Orines. Je savais que les deux garçons n’en étaient pas, mais je ne démentirai pas avant longtemps – et je ne révélais pas la vérité dans tous les possibles que le futur offrait. Il existait des secrets qu’il était préférable de garder. Orphée en était la preuve vivante.
« Oui d’accord ! Promis juré craché ! » Voyant l’Ahuri opéré, il éclata de rire. Une brève hésitation plus tard, il agissait de la même manière et lui serrait vigoureusement la main, dans une étreinte humide et gluante. Aussitôt après, il la tendit au Tyran, tout sourire. « Allez, c’est pas pire que de jouer à la balle avec un poisson ! » Shashaka n’avait pas participé à ce jeu qui avait attisé l’amitié unissant son jumeau au faux Magicien et ayant eu pour but de se lancer une daurade visqueuse et nauséabonde – abandonnée près des quais pour les créatures du port qui ne rechignaient pas à engloutir des mets dépassés – sans la laisser échapper. Le premier à la faire tomber était déclaré perdant. Certain que le plus sage d’entre eux ne céderait pas, il ramena sa main vers lui, s’interrogea, puis s’essuya sur la couverture où il était assis. « Des Gælyan ? » fit-il en chœur avec le Tyran, bientôt distrait par la proposition de l’Ondin. Il se pencha en avant pour mieux voir ce qu’il tenait. Il pensa immédiatement que, quand la bouteille serait vide, il pourrait me la ramener pour que je l’enchantasse afin qu’elle pût apporter d’autres lettres par-delà les océans. Cette simple idée le fit sourire béatement. « Carrément ! Même pas peur ! » répéta-t-il, ravi. « J’ai déjà fait des trucs de grands et ça ne fait jamais peur ! » Il fanfaronnait très largement.
Quand la planche le désigna, il tapa rapidement des pieds sur le sol de contentement. La remarque de Shashake lui vola un rire. « Ou une queue de dauphin à la place des jambes ! Ce serait drôle ! » Sans attendre davantage, il se saisit de la bouteille et la porta à sa bouche avec toute la franchise du monde. Innocemment, il avala une longue rasade d’alcool. Le liquide lui brûla la gorge. Il ne me raconterait cette anecdote que des années plus tard : la façon dont il s’était mis à tousser, à tirer la langue, et tous les efforts qu’il avait faits pour que personne ne se rendît compte qu’il avait les larmes aux yeux. La main sur la poitrine, il se mordit la lèvre inférieure. Les coins en remontèrent jusqu’à dévoiler ses dents. « C’est une vraie boisson de pirate ! » s’exclama-t-il d’une voix plus rauque que d’ordinaire. « Santé, moussaillons ! » Avec emphase, il fit tourner la planche. La pointe désigna Næmo. « À ton tour, le Gourmand ! tu m’en diras des nouvelles ! » Il lui tendit vivement le goulot.
Næmo expira lourdement, tel un vieux chien à l'article de la mort. Le menton sur la table, il louchait sur la théière, pataugeant dans l'ennui le plus complet. Comme personne ne réagissait à sa plainte, il s'agaça et se mit à balancer ses pieds. L'un d'eux se cogna sur le pied de la table et il leva aussitôt des yeux innocents sur Nahoko et son amie qui avaient cessé leur discussion pour le regarder. Un sourcil de l'Orine se suréleva très légèrement. « Pardon. » marmonna-t-il à contrecœur. Le second sourcil rejoignit le premier et l'Ondin se redressa sur sa chaise. Voyant qu'elle s'apprêtait à reprendre ses bavardages qui duraient depuis au moins vingt bonnes minutes, autrement dit une éternité, Næmo les interrompit. « Dis, Nahoko, s'il te plaît. Je peux te demander quelque chose ? » « Quoi donc ? » « Je peux aller jouer dehors ? » Elle regarda l'extérieur par la fenêtre, les mâts qui se dandinaient doucement et les cris des équipages qui chargeaient et déchargeaient les cales. « D'accord, mais ne va pas trop loin. Et ne t'approche pas trop du quai pour ne pas être dans les pattes de ceux qui travaillent. Tiens, va t'acheter une glace si tu veux. » Elle lui tendit une pièce qu'il prit, extatique de bonheur. « Merci ! À plus ! Je t'aime ! » cria-t-il à la volée en sortant du salon de thé à toute vitesse avant qu'elle ne change d'avis. 
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« C’est une mauvaise idée, je vous dis ! » Les mots étaient teintés d’une appréhension sans commune mesure, bien que Shashaka aurait préféré être capable de simplement juger les deux débiles à l’origine de ce plan foireux. Il n’aimait déjà pas qu’on le tirât de ses petites habitudes alors qu’on osât le jeter dans cette caisse roulante de l’Enfer pour mieux lui faire prendre de la vitesse vers une destination inconnue – et probablement mortelle qu’on se le dît – l’horripilait. « Lourd dans tous les sens du terme, l’Épicé ! » renchérit Shashake, avant de se bidonner. L’effort était grand mais en valait la peine. Le brun monta dans leur carriole avant Orphée et tenta d’aider ce dernier à bien se réceptionner, en vain. « L’aventure commeeennncceee ! » hurla-t-il, une fois que tous les courageux baroudeurs furent à bord. Au fur et à mesure que son sourire s’agrandissait, la déconfiture sur le visage du Tyran s’intensifiait. Shashaka prit une grande inspiration lorsqu’il comprit qu’ils fonçaient droit vers un monticule d’il ne savait quoi. L’eau ne lui disait déjà rien qui valût mais il était préférable d'y être éjecté plutôt que de percuter quoi que ce fût. Il ferma les yeux. Sauter aurait été une mauvaise idée de toute façon, même si elle ne traversa jamais son esprit. Il maudit son frère ; ce maudit frère qui n’éprouva à aucun moment une quelconque once de peur. Trop pris dans son délire – qu’il partageait largement avec Orphée – l’Ahuri s’époumonait des phrases préconçues comme « À l’abordage ! » « Chaud devant ! » et autres joyeusetés de ce style. À ce train-là, l’impact fut inévitable. Le corps tout mou de Shashake alla rencontrer les graines comme un ours en peluche tombe sur un oreiller. Le corps tout dur de Shashaka, lui, percuta le monticule à la manière d’une poupée qui tombe par terre. Le bleu grimaça alors que le brun se mit à rire de plus belle, totalement inconscient du fait qu’ils auraient pu tous se briser les os, voire pire : mourir.