Un carnet grand ouvert sur la table, un verre encore plein du thé que j'avais commandé il devait bien y avoir dix minutes de ça déjà, une petite assiette où étaient entassés une dizaine de loukoums à côté, je n'avais encore touché à rien de tout cela, profitant de la petite brise qui balayait timidement les rues d'Utopia. C'était si rare d'avoir ne serait-ce qu'un courant d'air vivifiant ici. La majorité du temps, quand vent il y avait, il était chaud et particulièrement désagréable car discontinu. Alors, le nez en l'air et les yeux clos, je profitais pleinement de cette mince fraîcheur qui avait réussi à traverser l'ardeur du Désert. Ce fut une présence à mes côtés qui me sortis de ma méditation en la présence d'Oriane. Elle venait de s'écraser sur la table avec un râle épuisé. « Tu vas bien ? » - « J'ai l'air d'aller bien ? » grogna-t-elle en relevant seulement le visage pour me fixer. « Je sais pas comment tu fais. Cette anti-magie est une torture. ». Je lui souris, désolée. Les premiers jours s'étaient pourtant plus ou moins bien passés pour elle, j'avais ainsi cru qu'elle la supportait plutôt bien. Après tout, elle devait y avoir été confrontée à Basphel, ce qui lui aurait donné une certaine résistance. À l'évidence, j'avais fait erreur dans ma supposition. Je sortis alors un petit flacon de ma sacoche. « Je fais difficilement, mais surtout avec ça. » fis-je en le lui tendant. « C'est quoi ? Un remède qui empêche de ressentir l'anti-magie ? ». À nouveau je souris, amusée cette fois-ci. « Non. Une telle chose n'existe pas encore. Et, de toute façon, ce serait inefficace ici. Ça apaise simplement les maux de crâne et les nausées. ». Malgré un soupir dépité, Oriane se saisit de la flasque. « C'est toujours mieux que rien. » admit-elle en même temps. Pourtant, même après avoir avalé le contenu de la flasque, je pus voir que ça ne l'avait pas totalement apaisé. Après quelques secondes à l'étudier, je crus deviner d'où venait son mal-être. « Tu t'obstines encore dans l'abstinence ? ». Le râle qu'elle émit pour me répondre confirma mon hypothèse. « Pourquoi tu fais ça ? » - « Tu crois vraiment que je m'abaisserais à me faire prendre par – » - « Inutile d'aller plus loin. » l'interrompis-je en captant quelques regards critiques à notre endroit. « Pourquoi tu n'es pas rentrée immédiatement après le bal d'encens ? » - « Parce que j'ai loupé la caravane du lendemain. Et la suivante ne part pas avant une semaine. » - « Si tu arrêtais de crier partout que les Humains et leur anti-magie sont insupportables, je suis certaine que tu aurais déjà réussi à dégoter un guide pour te guider jusqu'à la frontière. » assurai-je en me saisissant de mon crayon.

Je levai la tête vers le cadran solaire. « Tu attends quelqu'un ? Depuis tout à l'heure je te vois regarder régulièrement ce cadran. ». Je me détournai de ma cible pour rencontrer le regard d'Oriane. « Pas tout à fait. À vrai dire, je prépare plutôt un guet-apens. » répliquai-je en balayant la rue des yeux. « Ah ? À qui ? ». À peine m'eut-elle posé la question que je vis celui que j'attendais. « À lui. » répondis-je en indiquant Max d'un signe de la tête. « Ah. Lui. Évidemment, qui d'autre ? Je peux savoir pourquoi ? » - « Tu te souviens de mon projet d'exposition dans une des galeries du Musée des Curiosités ? » commençai-je sans lâcher Max des yeux. « Celui des nus ? Comment je pourrais oublier. » réagit-elle avec malice. « Et quel est le rapport avec lui ? » - « Il s'avère qu'il est en possession de certains de ces tableaux que je recherche. » - « Tiens donc. Je suis curieuse de voir ça. » - « Encore faut-il que j'arrive à le convaincre de me les céder. » marmonnai-je, peu convaincue de sa bonne participation. « Je vois. Alors je vais te laisser, je n'aimerais pas interférer dans tes négociations. ». Je la retins par le bras avant qu'elle se lève. « Justement. Restes, ce sera mieux ainsi. ». Je la vis me fixer avec circonspection. « Comme tu veux. Mais ça m'enchante pas plus que ça. » - « Je sais. » répliquai-je avant de ramener mon regard sur Maximilien. Lorsqu'il fut enfin à proximité, je me levai de mon assise et lui fit des grands signes du bras. « Max ! Tu tombes à pic, j'ai à te parler, tu peux venir un instant ? ». Il était en pleine discussion avec un autre homme. Tant pis si je les interrompais. Ils auraient facilement l'occasion de reprendre cette conversation après.

La journée était terminée, du moins, à la caserne. C'est pourtant en compagnie de Naveen que Maximilien avançait dans les rues. « Qui est cette personne qui m'empêche de me mettre une murge avec mon collègue ? » rit le brun, pourtant curieux. « Et si tu me dis que c'est les gosses, je refuse cette excuse. Ta nourrice saura bien les border pour une soirée. » ajouta-t-il rapidement. « Ce n'est pas à cause des enfants, non. » - « Alors qui ? ». Une courte pause ponctue l'interrogation tandis qu'un rictus étire les lèvres de l'Obstiné. « Une femme. » déclara-t-il finalement. « Oh, dans ce cas je ne te retiendrais pas. » sourit le caporal. « Quel genre de femme ? » - « Du genre qui ne vend pas son corps, si c'est ça que tu demandes. » - « Notre Saraprasata dā Mārūthala serait-il enfin décidé à se réengager dans une relation amoureuse ? ». Le concerné ne répondit rien. Lui-même n'en était pas tout à fait encore certain. Ils avaient déjà couché ensemble, oui. Ce n'est qu'après, après avoir continué à échanger, que leur relation avait commencé à prendre un nouveau tournant. « Tu nous emmènes où comme ça ? » interrogea-t-il alors le brun, détournant de fait la conversation de sa personne. « Un nouveau bar, il a ouvert y a qu – ». Naveen interrompit son discours lorsque le nom du rouquin leur parvint. Il posa son regard sur une brune, à quelques pas à peine, qui leur faisait des grands signes de la main.

Après un regard à son collègue, Maximilien fit quelques pas en direction de la table où s'était rassise Kyra. « Qu'est-ce qu'il y a ? ». Un grand sourire illuminait le visage de la Déchue, ravie d'avoir réussi à conserver l'attention du rouquin. Une autre interrogation survint cependant à l'esprit du Kaahi avant qu'elle ne lui réponde. « C'est Oriane ? » demanda-t-il en indiquant le corps amorphe sur la table. La Gourmande confirma d'un signe de tête, un rictus étirant alors la commissure de tes lèvres. « Mais ce n'est pas elle le sujet. » reprit-elle plutôt que de relever ce détail. « J'aimerais te parler d'une chose qui m'importe beaucoup. Mais si tu n'as pas le temps dans l'immédiat, je peux toujours passer chez toi ce soir. » - « Tu veux pas en parler demain plutôt ? » - « Ce n'est pas comme si j'avais le choix. Je prends la caravane de demain pour rentrer à Avalon. » - « Il y a une caravane qui part demain ?! » intervint dans un sursaut Oriane à moitié en train de dépérir. Aucun de l'Humain ou de la Déchue ne releva son éveil cependant. « Du coup ? ». Maximilien soupira. « Naveen. Tu vas nous chercher à boire s'il-te-plaît. » fit le soldat en se tournant vers son homologue qui ne tarda pas à rejoindre l'intérieur de l'établissement, après un regard curieux sur le groupe. « Qui est Naveen ? » interrogea Kyra tandis que son vis-à-vis récupérer deux chaises. « Un collègue. » - « Ah, un soldat. » - « Depuis quand ça te gêne, ton père l'était aussi non ? » rétorqua le rouquin devant le ton employé par la Petite Sœur. « Ne t'aventure pas sur ce terrain-là, Maximilien, je suis aussi bien équipée que toi pour ça. ». La tension attira l'attention d'Oriane, d'autant que c'était bien la première fois qu'elle entendait son amie prononcer le prénom de son ancien Protégé en entier. Ce n'était jamais bon signe ça. Ce fut cet instant que choisit Naveen pour revenir, qui marqua un court temps avant de poser les bières, constatant l'ambiance qui s'était rafraichie autour de la table. « Une bière, ça te va ? » - « Parfait. Naveen, tu as entendu parler de Kyra ? » - « Ah, la Déchue qui a participé au Bal d'Encens ? Félicitation pour votre prestation lors des duels. » - « Merci. » - « Tiens c'est vrai ça. Depuis quand tu sais manier l'épée toi ? » - « Depuis que j'ai pris la décision d'ouvrir un commerce ici. » rétorqua la concernée du tac au tac. « Parlant du Bal d'Encens, ce garçon, Erkan, il semble en pincer pour toi. » - « Le jeune Jamani ? » - « Ah, Jamani. Le pauvre doit passer le pire des Askeri. » commenta Naveen avant de poser son regard sur Oriane. « Votre amie n'a pas l'air bien. » - « Va te faire... » répliqua la Luxurieuse, s'attirant un œil mauvais de la part du brun. « Quel est le problème avec Erkan ? » reprit rapidement Kyra, coupant net au conflit naissant. « Sa mère est capitaine dans l'armée, et un véritable dragon dans son genre. ». Kyra haussa un sourcil. « Quand on voit le garçon, c'est étonnant. Mais peu importe, j'ai quelque chose à te demander. » changea-t-elle de sujet d'un revers de main pour revenir à celui initial.