L'attention attirée par les mouvements autour de nous, je suivais le garçon jusqu'à notre prochain rendez-vous. « Vous aviez l'air de bien vous entendre quand je suis arrivé. » commenta celui-ci, apparemment ravi de l'issue. « Oui. » répondis-je juste. « Dommage que ce soit ta dernière année, hein ? » - « Oui... ». Je reçus un regard interrogatif de mon guide qui s'arrêta un peu plus loin. « C'est ici. J'espère que ça se passera aussi bien pour toi. ». Je perçus quelque chose dans son sourire. Un pincement qui me faisait me questionner sur le genre de personne qui nous attendait.

À la seconde où l'on nous présenta notre nouveau partenaire, l'appréhension me gagna. Je n'étais pas certaine de savoir pourquoi, ni quel pouvait en être la cause. C'est donc en silence que je m'assis face à lui, ignorant mon malaise comme j'avais appris à ignorer mes voix. Je le savais toujours présent, comme Bertrand ou Sélène, mais j'essayais de faire comme si ce n'était pas le cas. « Bonjour. » fis-je après un raclement de la gorge. J'étais nerveuse. Le fait qu'il ait les yeux bandés m'empêchait de supposer ce qu'il pouvait penser. Le visage est expressif mais pas autant que pouvait l'être le regard. « Je m'appelle Melissandre. Et toi ? » - « Je suis sûre son visage me dit quelque chose. ». On a dû le croiser dans les couloirs de l'école, ou participé à quelques mêmes travaux que ce soit. « Non, c'est pas ça. » - « Tu es dans quel département ? » l'interrogeai-je, tant pour faire taire Sélène que pour essayer de résoudre ce mystère. « Tu es de l'Acier ? Ma sœur en fait partie. Et j'ai l'impression de t'avoir déjà vu. Pas juste croisé. ». Mais non. Ça ne venait pas de Maya. « Tu viens de loin ? J'ai l'impression que beaucoup d'étudiants viennent des alentours du Lac Bleu. C'est ton cas ? ». Absolument pas. Et maintenant que je connaissais ses origines, je compris mieux mon premier ressenti en le voyant. « Ah ? Tu es... » - « Un putain de Démon. » - « Ils sont cons ceux de l'AAAP ou quoi ? ». Ils savent se tenir quand il faut, non ? Je veux dire, ils ne sont pas tous sanguinaires, si ? « Pauvre fille naïve. » - « Je parie ce que tu veux qu'il aurait aucun scrupule à t'étrangler en apprenant tes origines. ». Je me pinçai les lèvres. Je n'arrivais pas à le contredire. « Comment tu t'es retrouvé ici ? » tentai-je de rediriger la conversation. Je regrettai soudain avoir accepté de participer à cet événement. Quoique, pas totalement, pensai-je en songeant à mon précédent rendez-vous.

Je n'aimais pas ce garçon. Ces mots étaient acerbes et je les recevais comme des aiguilles se plantant sur ma peau. C'était lancinant, désagréable, sans être insurmontable. Peut-être valait-il mieux laisser ce rendez-vous s'écouler dans le silence en fait. « Et lui faire croire que sa prestance de limace soit efficace pour que tu te la fermes ? » - « Pourquoi pas, ce sera amusant de le voir se ramasser la prochaine fois. ». Peut-être ferais-je simplement mieux de m'en aller, ça serait encore plus simple. « T'es sérieuse ? » - « C'est lui le con. C'est à lui de se casser s'il est pas content. ». Je serrai mes pouces dans mes mains, contrariée. Oui. Ils avaient raison. Je n'étais pas en tort. Je n'avais fait que lui poser des questions neutres. Il n'y avait pas de rancoeur ou de dégoût dans mes mots. Peut-être lorsqu'il m'eût annoncé sa race, éventuellement. « Et c'est pas comme si on s'était attardé sur ce sujet. ». Oui. Je pris une inspiration. Habituellement, j'essayais de m'adapter à l'autre, surtout lorsqu'il ou elle était ancrée dans ses idées. C'était compliqué de débattre avec ceux-là. « Tu t'adaptes trop. » - « À t'en oublier parfois. » - « Ils méritent pas. » - « Ma mère ne pouvait pas s'occuper de moi. » répondis-je à l'interrogation retournée, dans une même formulation, et appuyant la différence entre lui et moi.  Je fixai le garçon plusieurs secondes. Comment étais-je ? « Le mauvais joueur. » - « Je ne suis pas une Ange, déjà. » commençai-je, irritée, en songeant à Lothar. Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu de nouvelles de lui. De temps à autre, j'envoyais des messages en me demandant s'il les lirait. Les réponses étaient trop rares pour que je m'en satisfasse. « Un Ange à deux balles, Gardien de mon cul oui. » - « Vas-y, dis-lui la vérité, qu'on rigole. ». Je ne savais pas si ça allait être drôle. Mais je savais que lui-même risquait de changer de comportement une fois au courant. « Non lui dit pas. Je veux qu'il devine. ». Ah ! Ça c'était une bonne idée ! « Tu aimes jouer ? Moi oui. On va faire une devinette. Tu vas deviner ce que je suis ! » commençai-je avec un nouvel enthousiasme qu'il coupa court. En fait, c'est à peine s'il m'écoutait. « Connard. » - « Susannah ? »répétai-je, déçue. Ce nom me parlait. « C'est pas la racketteuse de goûter ? » - « Comme si on allait se lier avec cette pimbêche. » - « Non, je la connais pas. » grognai-je. « Tu ferais mieux de lui parler toi-même alors. Surtout qu'elle semble bien plus intéressante pour toi, vu le peu d'intérêt que tu me donnes. » - « Cogne-le, il le mérite. » - « En plus il pourra pas se défendre. » entendis-je ricaner Bertrand. Je ne le fis pas. Je préférai partir, avant même que le temps imparti soit fini, sans un salut. À présent je croisai les doigts pour que le rendez-vous prochain se passe mieux.