Se trouver des amis
Muscarine & Perséphone

☙ Shelby Merry - Grounded

Perséphone traînait des pieds. Elle était en retard mais ne se hâta pas pour autant. C'était un peu volontaire, l'évènement organisé par l'AAAP ne l'intéressait nullement. Sitôt à l'intérieur, des membres la happèrent. « Bonjour ! Tu arrives pile à temps pour un nouveau tour ! Celui-ci sera sans doute un peu plus surprenant. » La fille fit un clin d'oeil qui ne retomba nulle part. Perséphone ne la regardait pas, étudiant la salle, ses isoloirs et surtout la masse d'élèves qui y était. Elle eut envie de tourner les talons pour fuir mais la poigne de la fille était ferme sur son bras. « Viens, suis-moi, je vais te conduire à ton rendez-vous ! » Elle évalua la violette brièvement et parut percevoir ses réticences. « Ne t'inquiètes pas. Si tu ne sais pas quoi dire, commencez par vous présenter un peu, à demander à l'autre ce qui l'intéresse et pourquoi il est là ! C'est très court de toute façon, tu n'as pas à t'en faire. En plus, c'est aussi la première entrevue pour l'autre personne. » « ... » « Et voilà, c'est ici ! Vous le saurez quand ce sera terminé. »

Perséphone haussa imperceptiblement les sourcils en voyant la femme déjà assise à la table. Elle n'était pas curieuse ni prompte à prêter attention aux ragots mais le physique atypique de Muscarine se faisait suffisamment remarquer pour que la violette se souvienne de son prénom. Ses connaissances s'arrêtaient là. Il était simplement dit qu'elle était plus jeune que son apparence laissait croire. Néanmoins, elle eut quand même le sentiment de s'asseoir face à une adulte quand elle prit place face à elle. Ses yeux étaient bandés, ce qui emplit la Sorcière de perplexité. « Bonjour. » Une petite pause plus tard, elle reprit. « Je m'appelle Perséphone. » Un silence gênant s'installa et s'étira, avant qu'elle ne se râcle la gorge. « Je m'attendais à tomber sur un garçon. Mais je ne suis pas mécontente de tomber sur une fille, je crois. » Elle ne parut pas remarquer l'ambiguïté de ses propos, plus concentrée sur le soulagement ressenti à ne pas tomber sur un adolescent qui tenterait elle ne savait trop quoi. Il y avait beaucoup d'incertitudes dans ces speed-datings, beaucoup trop.

« On m'a recommandé de venir ici. C'est censé m'aider. » Chose sur laquelle elle émettait quelques doutes. Pour l'instant, elle se sentait surtout très mal à l'aise. « Pour la même raison, ma conseillère m'a envoyée passer l'entretien pour vivre dans un château avec d'autres personnes. C'est gratuit, mais je crois qu'il y aura beaucoup de monde. » Et Perséphone espérait secrètement ne pas être prise. « Je n'ai pas vraiment envie de me faire des amis. Encore moins de... » Elle cherchait ses mots. « trouver l'amour ? » La violette porta un ongle à sa bouche qu'elle commença à ronger nerveusement. « Et toi ? »

496 mots

Je trempai mes doigts dans le sachet de caramels que j’avais apporté. Ma langue effleura ma lèvre supérieure. J’avais hâte de manger la friandise, de la sentir fondre tranquillement sur mes papilles. Les yeux bandés, j’attendais mon rendez-vous avec la satisfaction des fautes pleinement assumées. Si Léonidas me faisait le moindre commentaire, je lui rirais au nez. Quel mâle digne de ce nom s’offusquerait d’une simple rencontre ? Je remettrais en cause sa virilité et l’assurance qu’il pouvait se porter à lui-même. Sale gringalet. J’allais le sucer jusqu’à la moelle, comme ce doux caramel. Quand j’en aurais fini avec lui, je laisserais son cadavre pourrir dans un coin, grignoté par les champignons. Ils effaceraient sa beauté insolente. Je trempai mon doigt dans ma bouche, particulièrement friande de la sensation que ce geste provoquait chez moi. Si j’avais pu le croquer, lui-aussi, peut-être l’aurais-je fait. La chair humaine m’attirait beaucoup.

Quand j’entendis mon rendez-vous entrer, j’ôtai doucement ma phalange. Je n’essuyai pas ma bave. Mon doigt sécherait tout seul. Le bonjour, néanmoins, me surprit. « Je ne m’attendais pas à être en tête à tête avec une fille, ma chère. » lui dis-je, consciente de l’aversion de mon peuple pour les relations entre personnes de même sexe. « Tu as raison. La plupart des hommes sont décevants. » Comme mon fiancé. « Ils ne pensent qu’au physique. » Peut-être n’étais-je pas mieux psychologiquement. Peut-être. Le fait d’avoir les yeux bandés m’empêchait de connaître le faciès de Perséphone. Était-elle désirable aux yeux des hommes ? Ne l’étant pas moi-même, cela faisait bien longtemps que je ne cherchais plus à plaire à ces messieurs. Ma vie s'en était trouvée bien plus douce. Je ne cherchais à plaire qu’à moi-même. J’avais quelques ambitions, dont celle d’arriver à un stade où plus aucun non ne pourrait m’être imposé. J’étais loin de mon objectif mais mon poids était un atout de taille. Les gens, souvent, m’évitaient.

« Un château, vraiment ? Intéressant. Je devrais me renseigner... » Ce qui l’était davantage, intéressant, était cette histoire de conseillère. Je me léchai les lèvres et repris un caramel. « Moi ? Moi je suis fiancée à Léonidas Taiji. Malheureusement. » ajoutai-je. « Je suis venue ici pour expérimenter sa réaction s’il venait à l’apprendre… » Je souris. « Pourquoi vois-tu une conseillère ? » l’interrogeai-je, tout en lui tendant mon paquet de caramels. « Sers-toi, n’hésite pas. » lui proposai-je. Les bonbons avaient à moitié fondu après que je les eusse laissés au soleil. Le sachet, quant à lui, présentait des taches douteuses. « Si tu ne veux ni amis ni amants, que cherches-tu ? »

433 mots

Se trouver des amis
Muscarine & Perséphone

☙ Shelby Merry - Grounded

Perséphone ne chercha pas à abonder dans son sens. Elle ne trouvait pas le château particulièrement intéressant. Peut-être le serait-il si Faust y allait également ? Elle se secoua mentalement. Elle faisait exactement le contraire de ce que sa conseillère lui avait dit. Cela tenait certainement du fait qu'elle n'arrivait pas à tomber d'accord avec elle sur les bienfaits de sortir de sa zone de confort. C'était un débat qu'elle n'avait pas tenu à lancer, se contenter de hocher docilement la tête en attendant la fin de l'heure. Acquiescer était sa solution de secours en toute circonstance. Par le passé, ses refus avaient eu des conséquences qui l'avaient dissuadée de poursuivre sur la voie de la rébellion.

« Réhabilitation sociale. » Dit-elle factuellement, citant ce qui figurait sur son dossier. « J'ai vécu en isolement de ma naissance jusqu'à mon arrivée ici. » Ajouta-t-elle par réflexe à la question qui suivait généralement. « Alors je vois quelqu'un pour être un peu plus normale, enfin je crois. C'est supposé me faciliter les choses. » Elle n'avait pu retenir l'ombre dubitative dans sa voix. Ce speed-dating ne lui facilitait rien, même si elle s'estimait chanceuse d'être tombée sur la Sorcière. Ce n'était pas si mal pour un début, bien mieux en tout cas que ce qu'elle s'imaginait.

Fascinée, son regard suivit le parcours du caramel qui disparut entre les lèvres charnues de Muscarine. Elle manqua oublier de lui répondre tant la délectation manifeste de la Sorcière était un spectacle à lui tout seul. Peut-être que ces bonbons étaient vraiment délicieux ? Elle baissa les yeux sur le sachet. Elle n'avait pas trop envie d'y toucher, mais n'avait pas envie non plus de lui dire non. « Je n'ai pas faim, mais d'accord. » Elle tendit la main pour s'emparer d'une des friandises. Collée aux autres, elle vint accompagnée de quatre autres et Perséphone dut utiliser deux autres doigts pour la séparer. Le paquet fit beaucoup de bruit dans la manœuvre et Perséphone commença à transpirer. Enfin, le caramel se détacha et elle soupira. Une substance collante reliait désormais ses doigts entre eux. Une fois le bonbon en bouche, elle voulut les essuyer sur son uniforme mais ne fit qu'étaler la matière sur le tissu. Consternée, Perséphone releva les yeux sur Muscarine. « ... » Le caramel collait ses dents, l'empêchant de répondre. Une chaleur désagréable de malaise plaqua son chemisier à son dos. Ce n'était même pas très bon. Elle mâcha plus vite et s'empressa de déglutir. « Euh. Je ne sais pas trop. Rien. » La question la déstabilisait et elle décida de réorienter la discussion sur la Sorcière. « Léonidas aussi ne pense qu'au physique ? Le tien ne lui plaît pas ? » Elle la regarda plus attentivement. Elle n'avait pas vraiment d'avis sur la question. Muscarine ne l'attirait pas, mais c'était le cas de tous les élèves qu'elle croisait et la beauté était un concept qui la laissait de marbre.

« Si tu ne veux pas de lui, ne l'épouse pas, non ? » Suggéra-t-elle en ne voyant pas où était le problème. Une ombre traversa son visage. « Sinon fais en sorte d'en être débarrassée. Pour moi, c'est la Lune Noire qui s'en est chargée. J'espère que toi aussi tu seras aidée. Je ne connais pas ce Léonidas mais s'il t'ennuie, il mérite de mourir. » Laissa-t-elle tomber.

591 mots

Un sourire orné de caramel se dessina sur mes lèvres. « Être un peu plus normale… » Je laissai les secondes filer. Mon père était un politicien et un stratège reconnu dans la société sorcière, malgré son obésité morbide. Nous avions longtemps eu une relation conflictuelle mais s’il avait réussi à m’inculquer quelque chose, c’est que les gens normaux n’existaient que pour servir les autres, ceux qui, justement, n’étaient pas normaux. « Je pense que tu devrais rester anormale. » finis-je par avancer. « Les gens normaux, comme Léonidas par exemple, sont tous ennuyeux. Ils pensent aux mêmes choses, agissent de la même façon. On dirait que leur vie ressemble à celle de n’importe quelle autre personne normale. » J’étais sûre de moi. « Pour rien au monde j’aimerais être normale. » Mon poids en dérangeait plus d’un. Il n’y avait pas que lui. Il y avait également le fait que je parusse plus vieille que mon âge. Les hommes n’avaient pas compris. Avant d’atteindre des records de bourrelets, bien que je fusse loin de mon père qui ne pouvait plus se déplacer sans aide magique, mes rondeurs en avaient attirés certains. Aujourd’hui encore, j’étais sûre que des hommes aimaient. Peut-être qu’ils fantasmaient sur leur verge disparaissant entre les plis de mon corps. De vrais malades.

Un nouveau sourire marqua mon visage, créant une vague sur ce dernier, lorsqu’elle accepta un caramel. Je ne pouvais pas la voir mais le fait qu’elle partageât mon repas créa un lien entre elle et moi. Je ris, comme une grande dame, lorsqu’elle évoqua les goûts de Léonidas. « Si tu savais, chère Perséphone. Ce gringalet n’a pas plus de goût que les galettes de riz n’ont de saveur. Que pourrait-il apprécier de mon physique, lui qui tient tant à être normal ? Au contraire, je le dérange. Mais il a trop peur de décevoir papa pour se révolter clairement. C’est un foutriquet, aussi hideux qu’un pisolithus arhizus coupé en deux. »

Un hoquet d’amusement sortit de ma gorge à la manière d’un rot. « Oh si, je compte bien l’épouser… » murmurai-je. J’allais faire de sa vie un enfer. « Ensuite, lorsque je l'aurai transformé en toutou bien obéissant, je le tuerai. » Je repris un caramel, mes molaires se collant entre elles dans une sensation agréable de ventouse. « Mais chaque chose en son temps. » Je marquai une pause et repris. « Si la Lune Noire t’a aidée, tu devrais être reconnaissante. Ethelba doit avoir de grands projets pour toi. Tu devrais réfléchir à ce que tu veux dans la vie. » Je passai ma langue sur mes lèvres juste à temps pour accueillir un organisateur. « J’espère te revoir très vite, chère Perséphone. Tu as, pour moi, le même goût que ces caramels. »

456 mots
Fin
Voici le champignon en question