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« Pourquoi tu n’en profiterais pas pour prendre quelques jours de congés ? » Devant la surprise de son apprentie, le maître-architecte se reprit : « Tu n’as pas arrêté depuis que tu travailles avec nous. Je pense que tu mérites un peu de repos. » Il avait failli se servir de sa condition pour argumenter, mais s’était ravisé par peur de la blesser. Et puis, il trouvait cela un peu injuste lui aussi, au fond. L’Okan ne méritait pas d’être écartée à cause de ce qu’elle avait pu subir en Terre Blanche. D’autant plus que son état de santé n’avait encore jamais posé problème. Shanxi s’en était toujours assurée consciencieusement. « Nous revenons tout juste de l’Edelweiss. » Les épaules de Nejaka s’affaissèrent. Il savait qu’elle allait dire ça. La jeune femme n’avait pas besoin de finir sa phrase, il l’avait déjà fait pour elle, dans sa tête. Il comprenait que cette suggestion ne lui paraisse pas faire sens. Comme Shanxi venait de le souligner, ils revenaient tout juste d’un séjour qui avait exactement eu cette même vocation de se ressourcer. Et alors qu’ils étaient supposés reprendre leur activité après ces quelques jours de fermeture, l’architecte en chef lui demandait de rallonger ses congés. Évidemment, l’Okan se doutait bien de la raison qui se cachait derrière cette décision. Elle avait parfaitement conscience que son comportement anormal depuis leurs vacances les avaient alarmés, et ses efforts pour brouiller les pistes avaient bien trop tardé. « Je sais bien, mais ces quelques jours sont loin d’être suffisants je pense. Nos derniers chantiers étaient… vraiment ambitieux. » Nejaka cherchait ses mots. Aucun de ses apprentis n’avaient eu l’occasion de le voir sous cet angle. Il était tiraillé entre des intentions bienveillantes qui n’étaient pas en accord. D’une part, le comportement de la vertueuse l’avait inquiété, et il tenait à ce qu’elle prenne le temps de se reposer, afin d’éviter qu’elle ne craque sous la pression et la quantité de travail qui leur imposait un rythme infernal. Mais une autre part de lui savait pertinemment que l’ancienne captive allait souffrir de cette décision. Elle avait beau avoir maintenu une distance respectable entre sa vie privée et sa vie professionnelle, il avait fini par comprendre une partie de son fonctionnement à force de temps passé en sa compagnie. Le maître architecte l’avait vue guérir et évoluer dans un milieu qui la passionnait et qui lui semblait salvateur. Shanxi ne lui avait pas donné l’impression de souffrir de remous et c’est pour cela que cette rechute l’avait tout de suite alarmé. Il ne savait pas si ça avait un quelconque lien avec ce qu’elle avait vécu sous le joug des démons, ou s’il s’était passé quelque chose là-haut, alors qu’ils séjournaient à l’auberge.


Quelque part, son esprit penchait pour le second scénario. Il s’était passé quelque chose l’avant-dernière nuit. Gizja et lui-même lui avaient évidemment posé la question, mais n’avaient pas été convaincus par la raison que la jeune femme leur avait donné. Ils avaient alors décidé de la laisser tranquille, espérant qu’elle s’ouvrirait d’elle-même à eux, ou n’importe qui d’autre. Ils ne voulaient pas la brusquer, mais peut-être que s’ils l’avaient fait, ils auraient eu un résultat différent. Bien sûr, Nejaka ou même Gizja n’auraient tiré aucune satisfaction dans cette manière de faire, et auraient probablement détesté le processus, mais si ça avait pu aider l’Okan, d’une manière ou d’une autre, alors peut-être le jeu en aurait-il valu la chandelle ? Ses apprentis le regardaient, dans l’attente. Gizja savait. Ils n’avaient pas eu besoin d’en parler. Son visage était voilé d’une appréhension bien différente de celle de Shanxi. Mais ces regards, ils ne facilitaient pas sa décision. « Je pense que tu as besoin de souffler un peu. » Ah. Il allait le faire. Il allait dire. « Il faut savoir s’arrêter de temps en temps. Avec ton état de santé, tu ne peux pas maintenir un rythme pareil. » Ça y est. Son visage lui indiquait déjà qu’elle avait compris l’issue de cette conversation. « Je peux pas non plus consciemment laisser faire. C’est mon rôle de veiller au bien-être de mes employés. » Il échangea un bref regard avec Gizja. Au fond, il espérait que mettre les choses sous cet angle ne la ferait pas se sentir à part, car il aurait fait la même chose à n’importe qui d’autre dans cette situation. Mais il n’était pas très optimiste. « Prends quelques jours. » Il allait lui suggérer une visite à Saëla. Il savait que ça aurait fait plaisir à l’infirmière, mais il était conscient qu’il avait déjà atteint ses limites. Il l’avait déjà blessée plus qu’il ne l’avait voulu. « Reviens-nous en forme. On va avoir besoin de toi. » L’architecte espérait lui redonner du baume au cœur en la projetant dans un futur suffisamment proche et facile à atteindre. Il savait qu’un objectif l’aiderait à avancer. Il l’avait déjà vue faire.

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Shanxi se laissait glisser au fond de sa baignoire fumante, le regard bloqué sur le plafond. Elle se demandait déjà comment elle allait remplir sa journée demain. Les options ne manquaient pas, bien sûr, elle n’aurait que ça, du temps libre. Elle pourrait faire ce qu’elle veut. L’Okan détestait ça, en fait. Avoir trop de temps signifiait devoir combler les trous. Et ne pas le faire signifiait avoir trop de temps pour réfléchir. Non pas que le processus ne l’intéressait pas, mais l’ancienne captive n’aimait pas se retrouver seule trop longtemps avec ses pensées. Tous les adeptes de l’auto-flagellation devaient penser cela, en réalité. Une première idée lui vint : elle pouvait aller proposer son aide à l’infirmerie en tant que bénévole ? Sympan savait à quel point ils avaient besoin de bras supplémentaires en ce moment. Saëla risquait de profiter de l’opportunité pour l’ausculter, mais la vertueuse pouvait faire fi de ce maigre désagrément. Bien. Elle avait trouvé comment remplir sa première journée, mais les autres ? L’Okan pouvait profiter de ce temps-mort pour aller rendre visite à Helsinki. Elle n’avait pas l’occasion de le faire aussi souvent qu’elle le voudrait, et ce serait dommage de ne pas saisir cette opportunité. Mais ne travaillait-t-elle pas ? Mince, elle l’ignorait. Shanxi se pinça les lèvres, avant de porter ses deux mains jointes et remplies d’eau à son visage. Elle pourrait aller se balader peut-être ? Non, elle pouvait penser et marcher en même temps.


La vertueuse se redressa pour s’entourer d’une serviette. Visiblement, elle n’avait plus envie de se détendre. Une fois sèche et changée, Shanxi s’était installée à son bureau et commençait à parcourir les parchemins qui le recouvrait. Elle avait espéré trouver un projet sur lequel elle pouvait s’avancer, mais avait vite abandonné l’idée quand elle s’était rendue compte que ses schémas perdraient en fiabilité sans l’étude de terrain associée. La jeune femme se laissa violemment basculer contre le dossier de sa chaise dans un long soupir de résignation. Elle n’arriverait à rien ce soir, c’était évident. Elle aurait qu’à aviser sur le moment. Ou y réfléchir demain. Ses prunelles étaient encore rivées sur le parchemin qu’elle venait de glisser dans un coin de son bureau, tandis qu’elle soufflait sur la bougie qui éclairait faiblement la pièce. Lire dans le noir ne faisait heureusement pas partie de ses talents. Se décoller de son bureau chaque soir deviendrait bien vite une épreuve, si c’était le cas. Shanxi aimerait pouvoir éteindre son cerveau comme elle venait de le faire pour cette bougie. Son corps était peut-être au repos, confortablement installé dans son lit, mais sa tête elle, ne semblait pas vouloir se laisser aller au silence tout de suite. L’Okan repensait à ces nuits sans sommeil qui avaient fait partie de son quotidien. Elles aussi étaient propice à la réflexion. Beaucoup trop de réflexion. Depuis combien de temps cela ne lui était pas arrivé ? Ah, elle savait. Ses insomnies avaient cessé peu de temps après qu’elle ait commencé à travailler. Les premiers jours avaient été très difficiles. Elle avait connu une fatigue différente de celle à laquelle elle s’était habituée. Une fatigue saine, qui avait restauré le calme dans ses nuits. La jeune femme repensait aux paroles de Nejaka avec un pincement au cœur. Ce travail lui avait servi de repère, de point d’ancrage. Ça n’avait jamais été inconscient. Shanxi avait en fait laissé cette idée s’installer, en ayant conscience que sa guérison en dépendrait et qu’elle allait se reconstruire là-dessus. Elle avait l’impression d’être ridicule. Capricieuse. La plupart des gens auraient sans aucun doute l’impression que sa réaction était démesurée. Elle n’avait après tout pas perdu son travail. Elle était en vacances, et les vacances, c’était une bonne chose, pardi ! L’ange pouvait faire ce qu’elle voulait. Partir à la montagne ? Peut-être pas. Elle n’avait pas envie de recroiser ce psychopathe qui l’avait mordue. Et la mer ? Sans sa bouée ? Avec cette tempête ? Sûrement pas.

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Le jour levé, l’Okan avait commencé à se préparer machinalement, comme elle le faisait chaque matin de travail. Sauf qu’aujourd’hui, elle n’allait pas travailler. Du moins, pas au bureau. Chaque coup d’œil en direction de sa sacoche le lui rappelait. Pressée de quitter sa maison, ou de ne pas y rester en tout cas, elle s’était jetée en dehors sans même prendre de petit-déjeuner. Shanxi n’avait jamais raffolé de ce repas-là en particulier de toute manière. En fait, manger le matin la rendait malade, sans vraiment qu’elle ne sache pourquoi. Même dans sa première vie, sauter le petit-déjeuner était une de ses habitudes. Saëla avait essayé de faire changer cela lorsqu’elle était arrivée aux Jardins, bien évidemment, sans rencontrer un grand succès. Elle avait tout de même réussi à la convaincre de se forcer ne serait-ce qu’un peu, et l’Okan avait fait et maintenu l’effort même lorsqu’elle avait quitté l’infirmerie. Infirmerie dont l’ange venait de pousser la porte, à l’instant. A peine avait-elle commencé à chercher l’infirmière du regard, une soignante était venue la voir, probablement attirée par son air perdu. « Shanxi ! Qu’est-ce qui vous amène ? Ça fait un moment que vous n’êtes pas venue nous voir. Vous allez bien, j’espère ? » Le visage de l’Okan s’éclaira d’un sourire cordial alors qu’elle venait de reconnaître l’infirmière qui l’avait abordée. Elle s’était occupée d’elle à plusieurs reprises, lorsqu’elle séjournait ici. En fait, il n’y avait pas grand-monde parmi le corps infirmier qui ne s’était pas occupé d’elle, ou qu’elle ne connaissait pas au moins de vue. « Oui, tout va bien. Je venais juste vous rendre une petite visite, voir si vous n’auriez pas besoin d’un coup de main également. » Un rapide coup d’œil alentours lui avait indiqué que la journée était calme, pour le moment. Mais elle avait appris à ne pas s’y fier. Les patients pouvaient néanmoins affluer à tout moment.


« Oh, c’est gentil de votre part. Pour le moment on a pas grand-monde, donc on se concentre sur les soins des patients alités. On pourrait avoir besoin d’aide pour ça, éventuellement. » l’infirmière s’était interrompue pour réfléchir un instant. « On va recevoir une cargaison de matériel médical aussi, dans la journée, si tout se passe bien. » la soignante avait perdu de son entrain en mentionnant la livraison, mais s’était reprise tout aussi rapidement. « Des bras en plus ne seraient pas de refus, en tout cas. Venez avec moi, je vais vous montrer. » Shanxi acquiesça, hésitant à l’interroger sur le matériel médical. Elle se remémorait la situation à Haute-Terre. Ces mouvements de population au cours de ces dernières années avaient fragilisé leur économie, et certaines cités le ressentaient plus que d’autres. L’Okan se demandait si un jour, ils s’en remettraient. Elle avait l’impression que ça durait depuis une éternité. Dès qu’ils écartaient un problème, trois nouveaux venaient le remplacer. C’était une boucle infernale. La voix de l’infirmière l’avait heureusement tirée de ses pensées avant qu’elle ne puisse se noyer dans leurs flots. L’on lui expliqua alors ce qu’elle devrait faire aujourd’hui. Des bandages, distribuer les repas. Que des tâches simples qu’ils pouvaient confier à leurs bénévoles sans expérience dans le domaine médical. Shanxi s’approchait du lit de son premier patient. Sa journée pouvait vraiment commencer à présent.


« Vous vous débrouillez drôlement bien, dites moi. » La jeune femme eut un petit rire. « J’en suis pas à mon premier. J’étais souvent dans les pattes de ma mère quand elle recevait des patients à la maison. Elle a fini par m’apprendre deux-trois choses. » son sourire était nostalgique. Shanxi ne parlait presque jamais du passé. Les rares fois où elle avait ne serait-ce que mentionné un membre de sa famille à quelqu’un se comptaient sur les doigts d’une main. La douleur que ses souvenirs lui apportaient était principalement responsable, bien sûr, mais il y avait également une part de culpabilité. L’Okan estimait avoir perdu le droit d’affirmer ses liens familiaux depuis qu’elle avait fait le choix de rester morte à leurs yeux. Parfois, lorsqu’elle se sentait vraiment à l’aise, il lui arrivait de briser cette règle. Certaines personnes la mettaient dans ces conditions. Elles pouvaient lui être inconnue, comme cette infirmière, ou elles pouvaient lui être proches, comme Helsinki. Le simple fait d’avoir pensé à son amie lui avait fait relevé la tête quand la porte du dortoir s’était ouverte. Ça aurait été trop beau, de la voir franchir le seuil maintenant, mais le visage accroché au corps qui venait de passer l’encadrement n’appartenait pas non plus à une étrangère. « Shanxi ? On m’a dit que tu étais ici, mais j’avoue que j’ai eu du mal à y croire. » Le rire caractéristique de Saëla résonna doucement dans la pièce. « Tu es venue donner un coup de main ? » - « C’est ça. Tu seras heureuse de constater que je n’ai encore tué personne. » l’Okan s’était autorisé cette petite boutade, en sachant que ce type d’humour semblait faire fureur chez le personnel soignant. « Non, elle travaille même très bien. » assura l’infirmière qui l’avait prise sous son aile pour toute cette matinée. « J’en doute pas ! C’est dommage que je sois partie si tôt, j’aurais bien voulu t’emmener avec moi pour les visites. » elle plaisantait bien sûr, Saëla savait que les bénévoles ne pouvaient les accompagner chez leurs patients. « Bon, non pas que je veuille vous couper dans votre élan, mais ça te déranges pas si je te l’emprunte quelques minutes ? » - « Non, bien sûr. Tant que tu n’oublies pas de me la rendre ensuite. » Saëla donna une petite tape dans le dos de sa collègue, avant d’inviter Shanxi à la suivre dans une salle d’examen. En passant la porte, l’ancienne captive ne put retenir un sourire. Je le savais. « C’est tellement rare de te voir ici, tu ne m’en voudras pas si je profite de l’occasion pour improviser une petite visite médicale ? » la question était rhétorique, et l’infirmière n’attendait pas vraiment de réponse de la vertueuse. Elle l’examinerait de toute façon. « Alors, comment vas-tu ? »

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« Tu sais, en général, les jours de repos, c’est fait pour se reposer. » l’infirmière avait à peine relevé les yeux de son examen pour lui lancer un regard taquin. « Mais ça a l’air d’aller, alors je t’épargnes la leçon pour cette fois. » Elles échangèrent un sourire tandis que Shanxi reboutonnait son chemisier. « Ne penses pas que ça va t’exempter de ta visite médicale, cela dit. » L’Okan haussa un sourcil, à mi-chemin entre la surprise et l’amusement. « Je n’ai rien dit. » - « Pour le moment. » Le silence retomba un instant, comme si la soignante espérait entendre une confession de la bouche de sa patiente, mais rien ne vint. Saëla soupira. « Enfin, je suis contente que tu sois venue aujourd’hui. Si tu pouvais venir à tes examens avec autant d’entrain... » Quelques coups contre la porte l’avaient interrompue. Une infirmière glissa son visage dans l’encadrement, en entrebâillant la porte. « On commence à avoir un peu de monde. Vous avez fini avec la salle d’examen ? » - « Oui, on vient de finir. » Les deux femmes se rapprochèrent de la sortie. « C’est le début des hostilités. » souffla Saëla devant les rangées de lits qui se remplissaient. Leur journée était loin d’être finie.


La nuit était tombée depuis une heure au moins, si ce n’était pas plus. L’Okan marchait à l’affût dans les rues vides des Jardins. Son séjour dans la Montagne de l’Edelweiss l’avait rendue bien moins friande des balades nocturnes. Cette fois-ci, elle ne pouvait être mal accompagnée, puisqu’elle était seule. Mais cette solitude, cette vulnérabilité, faisaient partie du problème. Chaque silhouette croisée faisait monter la tension d’un cran. Shanxi n’arrivait jamais à se décider entre la peur de découvrir le visage de son agresseur sous leurs atours, et celle de ne pas le voir venir car elle n’avait pas osé lever le nez pour croiser leur regard. Ce n’est que lorsqu’elle avait passé le seuil de sa porte que la jeune femme avait retrouvé un semblant de calme. Un sentiment factice qu’elle parvenait à entretenir chaque jour grâce à cette routine qu’elle répétait. La vertueuse n’avait pas eu le temps de ruiner sa nuit de sommeil en pensant à ce qu’elle ferait le lendemain cette fois-ci. Cette journée l’avait bien trop épuisée et la suivante était arrivée trop vite à son goût. Celle-ci avait d’ailleurs mal commencé. L’ancienne captive avait passé sa matinée à errer à la recherche d’une occupation, et ses efforts n’avaient hélas pas été couronnés de succès. Elle avait alors fini sous un arbre, assise, accueillant un flot de pensées qu’elle avait cherché à éviter depuis que ses congés avaient commencé. L’Okan reposa sa tête contre l’écorce dans un long soupir. Elle avait retrouvé la liberté, et pourtant la jeune femme avait l’impression de passer son temps à fuir. Elle réalisait que cette méthode n’avait peut-être finalement pas été le meilleur choix. S’enfermer dans une dynamique anesthésiante de travail lui avait fait croire à une amélioration si fragile qu’il n’avait rien fallu de plus que quelques simples jours de congés pour tout faire voler en éclats. La migraine la gagnait rien que d’y penser. Un mal qu’elle ne pouvait pas non plus chasser en l’ignorant. Cela ne voulait bien évidemment pas dire qu’elle ne comptait pas essayer. Shanxi s’était redressée péniblement, protégeant ses yeux du soleil. La sensation de chaleur qui remontait sa colonne commençait à lui faire regretter son temps d’exposition prolongé. Il fallait croire que cet arbre n’avait pas suffi à la protéger.


A contre-coeur, l’Okan avait décidé de regagner son logement. Un vertige l’avait faite s’appuyer contre la clôture qu’elle s’apprêtait à franchir. La vertueuse avait brièvement rouvert les yeux pour constater que son repas venait d’être évacué d’une manière peu élégante. Et elle ne s’en était même pas rendue compte. Le visage enfoui pour éviter de voir le paysage tourner, elle avait étouffé un juron à l’attention d’une démone qu’elle n’avait plus vue depuis longtemps.

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Les paupières de l’Okan papillonnaient lentement en direction du plafond. L’état dans lequel elle s’était trouvé sous cet arbre, et même maintenant, était le résultat d’une mauvaise décision de sa part. Shanxi devait vraiment avoir un talent pour faire les mauvais choix. Elle aurait pu accepter de n’avoir que peu d’options, voir même aucune, comme ses pairs, et rester derrière ces barreaux jusqu’à ce que leur sauvetage n’arrive. L’ancienne captive déglutit péniblement alors que ses pensées s’orientaient vers Giniyi. Elle voulait oublier, mais n’en avait pas le droit. Ethel le lui interdisait, les vertueux à qui elle avait arraché les yeux le lui interdisaient, et finalement, elle-même se l’interdisait. La jeune femme aurait peut-être dû leur dire la vérité ? A Saëla ? A Helsinki ? A tous. Ils ne l’auraient peut-être pas acceptée parmi eux, et ils auraient été en droit. Ils auraient connu un sentiment de justice, et Shanxi aussi. Peut-être l’Okan avait-elle besoin de se sentir rejetée par ses pairs pour donner une consistance ou au moins justifier ce décalage qu’elle ressentait ? L’ailée avait l’impression d’être à la dérive depuis sa réincarnation, et celle-ci n’avait fait que grandir depuis qu’elle avait rejoint les Jardins. Elle n’était plus magicienne. Elle n’était même pas l’ombre de ce qu’elle fut. Mais elle n’était pas plus une Ange. Non, elle n’était ni Ange, ni Magicienne, mais  se trouvait quelque part entre les deux.


Shanxi devait sa situation à personne d’autre qu’elle-même. On lui avait tendu la main, et elle avait refusé. Elle aurait pu aller retrouver sa famille, mais avait choisi de ne pas le faire par couardise. Le peuple angélique lui avait offert une nouvelle vie, et elle était en train de la gâcher en se privant d’une rédemption qu’elle ne pensait pas mériter. Caressant du bout des doigts la monture du caillou qui lui transperçait le dos, la vertueuse décida qu’elle en avait assez. Sa culpabilité n’était pas prête de partir, et Shanxi ne voulait de toute façon la voir s’en aller que d’une seule manière. Arrêter de la nourrir pouvait déjà être un bon début. Et l’Okan pouvait commencer à le faire en rétablissant la vérité, ou au moins en arrêtant de mentir aux personnes qui comptaient à ses yeux. L’appréhension menaçait déjà d’étouffer ce faible regain de courage qu’elle s’était trouvé, tandis que son regard glissait au-delà de la fenêtre de sa chambre. Comment Helsinki allait-elle réagir ? Sa nouvelle solution venait de lui créer un problème, mais pour une fois, courir ce risque ne lui semblait pas être un mauvais choix.

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FIN.