Un air suffisant marquait les traits de son visage d’ébène. Elle releva ses yeux d’émeraude vers l’importun, dardant un regard glacial.
« Évidemment ! »
Le mot claqua comme un fouet sur la chair d’un esclave. L’homme tressaillit comme s’il accusait le coup ; son visage se tordit dans une expression à mi-chemin entre l’admiration et l’effroi. Sa comparse se délectait de sa réaction. Elle s’accorda de porter une attention plus particulière à son invité. Elle rangea la rémige dans le porte-plume d’or disposé sur son bureau massif en wengé, et se redressa sur son large fauteuil de velours rouge. Ses doigts évoquaient les serres d’un rapace alors qu’ils s’enfonçaient mécaniquement dans les accoudoirs.
« J’ose tout de même espérer que tu n’as pas envisagé qu’elle put se soustraire à ma Surveillance ?
— C’est qu’elle change constamment d’apparence, bredouilla le petit homme au crâne dégarni d’un ton d’excuse.
— Mon cher Amaranth, je te croyais plus éclairé. Il me semble déjà t’avoir indiqué que nul ne peut échapper aux oreilles averties de mes Assistants. »
L’acolyte parut soudainement se ratatiner face à sa partenaire. La chamane dévoila des dents carnassières étincelant d’une blancheur presque trop parfaite.
« Qu’avez-vous appris ? s'enquit le quinquagénaire de sa voix fluette.
— Il semblerait que cette très chère Dame Noire ait un faible pour son Empereur. Mes agents m’affirment qu’elle chercherait à prendre la place de l’Impératrice.
— Est-ce là ce que vous avez l’intention de révéler, Zaltana ?
— Entre autre, oui.
— Quoi d’autre ? »
La jeune femme le transperça de ses prunelles inquisitrices et Amaranth eut l’impression qu’elle lui aspirait l’âme. Il se pétrifia à ce contact. Sa poitrine n’esquissait plus aucun mouvement ; il n’osait plus respirait par crainte que sa vie ne lui échappât. La sensation ne demeura qu’une fraction de seconde, mais il lui sembla que cet effleurement dura plus longtemps que sa propre existence. Alors, Zaltana leva le bras et pointa une direction d’un doigt filiforme.
« Tout est dans ce colis. »
L’homme s’en approcha d’une démarche mal assurée et se pencha timidement au-dessus du carton.
« Une lettre et un portrait ? C’est tout ? s'étonna le vétéran
— Ce ne serait pas tellement amusant de tout révéler.
— J’imagine que vous avez raison… Je peux la lire ?
— Si cela vous chante. »
‘Cher Destinataire,
L’information est le pouvoir et nous sommes l’information. Aussi avons-nous décidé de partager un fragment de nos connaissances avec vous. Pourquoi ? Vous n’avez pas besoin de le savoir. Dites vous simple qu’il s’agit là d’un cadeau de notre part - ou d’un dédommagement pour les éléments que notre organisation pourrait être susceptible de divulguer à votre sujet.
Il semblerait que la nouvelle épouse d’Elias Salvatore ait une attirance plus que douteuse pour l’Empereur Noir. Elle semble déterminée à ce qu’il la remarque et fasse d’elle sa favorite. Certains indiquent qu’elle briguerait le titre d’Impératrice Noire et serait prête à tout mettre en oeuvre pour ravir la place de Viviane. Les ragots les plus malsains rapportent qu’il s’agit là d’amour bien plus que d’orgueil.
De son côté, le génie ayant participé à l’épreuve sorcière de la Coupe des Nations - Heian Berwyn ou quelque soit son véritable nom - semble s’intéresser à une jeune Ygdrae du nom d’Astriid Cëlwùn. Personne n’a encore été en mesure de déterminer le lien qui les unit mais il est clair qu’il s’agit de quelque chose d’important.»
Le lecteur releva la tête et interrogea sa comparse du regard. Elle haussa les épaules pour marquer son ignorance.
« Ne me regardez pas comme cela, je n’en sais pas davantage. »
L’homme termina brièvement sa lecture. Le reste n’était pas très intéressant ; il ne s’agissait que de formules de politesses alambiquées et de mises en garde contre le fait de rechercher l’origine de la missive. Il reposa le document dans le carton et s’intéressa au tableau. Il représentait une scène intime du Conte des Trois Royaumes ; le moment où le Djinn - sous les traits d’Aladdin - s’emparait à la fois du corps de Jasmine - incarné par Adam Pendragon, et de l’Innocence de Belle, jouée par Laëth Belegad. Derrière la peinture, les pages du livre relatant de l’évènement étaient fixées au moyen d’une cordelette bleue.
« Vous êtes vraiment sûre que c’est une bonne idée ? Il semble que notre Destinataire soit plutôt du genre possessif.
— De toute façon, quand bien même il ne le saurait pas encore - ce qui me paraît fort improbable -, il finira bien par le découvrir. Nous ne faisons qu’accélérer les choses. »
L’homme ne répondit rien. Il observa l’oeuvre encore un temps avant de la reposer dans le carton.
« Amaranth ? Si cela ne vous dérange pas, je souhaiterai poursuivre mon travail. Puis-je compter sur vous pour transmettre notre présent à qui de droit ?
— Bien sûr », répondit l’intéressé.
Sur ce, il récupéra le colis et quitta la pièce. La chamane resta un instant à observer la salle avant de se replonger dans son labeur.
