Assis sur son lit, dodelinant de la tête, Ultan fixait son regard sur un livre, posé sur une des étagères de sa chambre. Il paraissait ailleurs, vide. En réalité, il n’en était rien. Il se rassurait en adoptant cette posture. Le sommeil ne l’avait pas accompagné, sa nuit avait été agitée. Comme souvent. Lorsqu’il était anxieux, il ruminait. Ses pensées tournaient dans son esprit et rendaient pénible son endormissement. Il ne souffrait pas particulièrement d’insomnie, en temps normal. Mais la période des examens de fin d’année arrivant à grands pas, il était de plus en plus difficile pour le garçon d’avoir une nuit apaisée. Il n’avait que onze ans et déjà, une immense charge sur ses frêles épaules. Il ne voulait pas décevoir. Il voulait aussi prouver sa valeur et sa capacité.

Sa mine était fatiguée, il se leva péniblement, porta de l’eau à son visage. Il espérait que son manque de sommeil ne joue pas trop sur sa concentration. Il s’habilla, sans grand enthousiasme. Les tissus glissaient sur son corps un peu trop mince. Il plaqua ses cheveux vers l’arrière, ne conservant que quelques mèches indisciplinées, qui retombaient nonchalamment sur le haut de son front.

« Ultan, tu vas être en retard, dépêche-toi ! » S’époumona sa mère, à l’étage inférieur.

Il souffla un coup. Il n’avait pas envie de descendre, pas envie de l’entendre le sermonner sur la tête qu’il avait. Il ne voulait pas connaître ses recommandations, ses conseils, qui étaient en réalité des ordres, voire des menaces dissimulées.

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Il était le seul enfant de la famille, tout reposait alors sur lui. Il serait l’avenir de la famille et leur faire-valoir. Il se devait d’être exemplaire, irréprochable et se surpasser en toutes circonstances. Surtout, pour son âge, dans les études.
Il avait été envoyé dans l’établissement scolaire de Belwien dès ses quatre ans. Toute sa scolarité du premier cycle se déroula dans cette école, la meilleure du Troisième Plateau, d’après ses parents. Ces derniers l’avaient forgé dans ce moule de perfection. Il devait être le meilleur, un point c’est tout. Dans les faits, ce n’était pas tellement vrai. Il était bon, avait des résultats excellents, le garçon était assidu, intelligent et plutôt vif d’esprit. Il savait écouter les consignes qu’on lui donnait, les comprendre et les appliquer efficacement. Néanmoins, il n’était pas le meilleur de sa classe. Ses parents, contrariés par ce manque flagrant de bonne volonté, engagèrent alors plusieurs professeurs particuliers. De manière à le booster, à accentuer ses compétences et le modéliser parfaitement. Si bien qu’il n’avait plus de temps libre. Il passait son temps journalier à l’école, de manière très protocolaire, puis en rentrant, les devoirs qui en découlaient. Et encore après, les professeurs pour combler les matières où il se montrait un peu plus faible. Et d’autres matières venaient s’ajouter. Telle que l’art des bonnes manières, savoir se tenir correctement, avoir un verbe et un geste éloquent. Devenir un parfait adulte, en somme.

L’enfance d’Ultan lui avait été volée, il n’avait pas le temps de jouer, pas le temps de se faire des amis. De nature très peu sociable, son isolement forcé marqua encore ce trait de caractère. Il ne savait pas comment se comporter avec les autres, on lui apprenait à être un adulte, avant de lui apprendre comment être un enfant. Il ne profitait pas de la naïveté et de l’innocence de son jeune âge, plongé très rapidement et malgré lui dans une société sans pitié. Seul le mérite l’emportait. Il ne fallait pas créer d’amitiés, faire attention aux sentiments des gens, il fallait simplement se faire des connaissances, susceptibles de devenir des alliés. Ou de les écraser, comme de misérables insectes. La loi du plus fort, du plus méritant, de celui qui réussirait le mieux et se démarquerait.

Le jeune Altar se révélait plus doué pour la littérature et les arts, que pour les sciences. Il appréciait les mots, leur façon de se lier entre eux, de s’aligner pour former de jolis vers. La syntaxe était riche et variée, il souhaitait se l’approprier. La puissance des mots pouvait être bien plus forte que celle des gestes. Il voulait en faire de solides alliés, utiliser à son escient, les mots avaient le pouvoir de dominer les plus faibles, de les amadouer et de leur faire faire ce qu’on voulait. Il apprendrait, avec le temps, à devenir manipulateur, séduisant les autres par de belles paroles. Les promesses, le monde a besoin de cela.

Pour le moment, Ultan se battait avec son algèbre. Il ne supporterait pas qu’Avorim, un camarade de classe, le surpasse. Avorim portait les cheveux mi-longs, il était brun et sa peau était grisâtre, il était légèrement plus grand que lui. Les filles de la classe semblaient le trouver beau, avec leur manière de le regarder, de rigoler à ses paroles, même quand elles n’étaient pas spécialement drôles. Le jeune Dalior ne prêtait aucune attention aux filles, cela lui passait au-dessus. Il se trouvait bien trop jeune pour penser à cela, puis de toute façon, il n’avait pas de temps à leur consacrer. Pour autant, Ultan enviait parfois cet Avorim et il se détestait pour cela. Il ne devait pas avoir de raisons de jalouser un autre individu. Ainsi, cela prouvait qu’il était plus doué que lui, meilleur d’une façon ou d’une autre. Il ne supportait pas l’idée. Ses parents l’avaient conditionné de cette façon. Son esprit de compétition se révélait alors farouche et ravageur. Il voulait l’écraser, faire en sorte de ne plus avoir une once d’envie à son égard. Il redoubla d’efforts, même s’il ne portait pas dans un premier lieu son affection sur les sciences, cela devait changer. Elles allaient devenir sa matière préférée, qu’il le veuille ou non. Il allait en manger encore et encore, jusqu’à en vomir. Mais il les embrasserait. Il allait tout faire pour développer son côté scientifique. Il avait déjà acquis une certaine logique, le tout était de poursuivre dans cette voie, que son cerveau sache analyser et raisonner mathématiquement. Cela s’apprenait évidemment et son professeur particulier l’aidait en ce sens, à apprendre méthodiquement, puis les mécanismes allaient s’imbriquer d’eux-mêmes.

Son premier cycle s’acheva ainsi, sur les bases qu’il avait acquises, sur le travail acharné pour combler ce qui lui avait fait défaut et progresser, encore. Toujours se surpasser, ne jamais relâcher. Il avait appris à aimer les sciences et elles le lui rendaient bien. Dans la dernière année, il avait battu haut la main ce ringard d’Avorim. Il ne le jalousait plus. Jusqu’à la prochaine personne avec qui il rentrerait en compétition. Il semblait avoir besoin de cet esprit combatif, de se comparer aux autres, d’analyser les gens et les situations, pour mieux faire, pour se démarquer. Pour le moment, cela portait ses fruits.  

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Ultan avançait la tête haute, déterminé à obtenir avec brio son premier diplôme. Il avait refusé le petit-déjeuner préparé par sa mère, mais cette dernière avait insisté. Il se força à avaler alors quelques bouchées. Il avait opté pour quelques fruits, en plus grande partie de mûres. Il en raffolait et elles étaient réputées à Drosera. Le sucre aidait à sa concentration et à garder son énergie. Il s’agissait de la première grande épreuve de sa scolarité. Il ne fallait pas qu’il se loupe. Réussir à obtenir son diplôme, c’était une évidence. Mais il fallait de surcroît, qu’il excelle, afin de pouvoir prétendre à un des meilleurs établissement du second cycle.

Sa mère, Ethéïs avait souhaité l’accompagner, elle avait revêtu une magnifique tenue, dans les tons crème, pour mettre en valeur sa silhouette gracile. Sa beauté était douce, ses traits reflétaient la pureté et l’élégance d’une femme de son rang. Ultan avait hérité de sa peau diaphane, légèrement satinée. Elle portait la tête haute, sur son cou long et fin. Sa démarche et ses mouvements étaient gracieux, elle semblait comme flotter sur les pavés, tant son pas était léger. Ultan observait souvent sa mère et il lui arrivait de jalouser la grâce de ses gestes. Il se trouvait parfois un peu brouillon. Cela était dû à la maladresse de l’enfance, rien de plus. Il allait gommer avec les années les aspects qui lui déplaisaient, afin de devenir entièrement la personne qui lui convenait d’être. Il pouvait modeler son image dans le temps, elle n’était pas figée. Au contraire, tout pouvait se transformer, avec de la patience et de la détermination.

Ils marchèrent alors tous deux mère et fils, côte à côte. Ils gardaient une certaine distance, sa mère ne lui démontrait pas de preuve significative d’affection dans l’intimité de leur demeure, elle restait davantage distante et imperturbable à l’extérieur. Ultan ne s’en formalisait pas, ou plus. Certains disaient qu’il était difficile de ressentir le manque pour quelque chose que l’on avait jamais connu. Cette phrase était vraie et tellement fausse en même temps. Le garçon souffrait d’un manque cruel d’attention affective, de réconfort et d’amour. Il ne s’en rendait pas véritablement compte. Mais ce sentiment n’allait jamais le quitter.

Pour le moment, il tentait de garder l’esprit concentré sur les épreuves qu’il allait devoir passer. Il avait passé tant de temps à réviser ses leçons, à parfaire ses connaissances, à pousser toujours plus loin, qu’il attendait beaucoup de cet examen.
Il laissa son regard cheminer sur les cascades alentours, l’eau se mêlant à la roche puis à la végétation. Ce contraste fabuleux, transcendé par la clarté des rayons de l’astre du jour. Il gratifiait chaque jour les puissances divines d’avoir accordé à la nature cet esthétisme rare et délicieux, dont il ne saurait se priver.

« Ne me déçois pas. »

Il s’agissait des derniers mots prononcés par sa mère, lors de la brève conversation qu’ils avaient eu, avant que le jeune Alfar ne rentre dans la salle de classe. Il ne s’agissait pas là d’encouragements de sa part, mais toujours cette force de menace qui flottait au-dessus de la tête du garçon. Ce dernier ne prenait pas les mots de sa mère à la légère. Il la connaissait, il savait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur. Il voulait la rendre fière de lui, il voulait lui montrer qu’il n’allait pas la décevoir, qu’il donnerait le meilleur de lui-même et plus encore. Comme il l’avait toujours fait jusqu’à maintenant. Mais aucun mot ne sortit de sa bouche, il était comme paralysé face à elle. La crainte qu’elle se méprenne sur ses intentions, ou bien qu’elle juge qu’il prenait les choses trop à la légère. Il afficha alors une mine déterminée, il inspira un grand coup, tournant la tête et dardant son regard vers l’entrée de la salle. Il allait les écraser. Il s’élèverait au-dessus des autres. Il le fallait.
L’obtention du diplôme était primordial, en ressortir avec le maximum de points positifs était son objectif.
Il s’éloigna alors de sa mère, lui accordant un dernier petit regard, alors qu’elle avait déjà tourné les talons.