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« Hum... » fit le petit homme d'un air très sérieux. Pour une fois, il essayait de réfléchir logiquement à la situation que lui exposait la jeune femme. « C'est un problème, en effet : si votre tête n'est pas coupée mais que vous avez l'impression de l'avoir perdue... Peut-être que la solution, c'est de la couper, pour de bon ! Scouic ! De cette façon, vous la perdrez pour de vrai et vous pourrez la chercher convenablement, jusqu'à la retrouver. J'ai une amie qui sait très bien les couper. Je vous ai déjà parlé de la Reine ? » La proposition pouvait paraître grotesque mais, dans son esprit un peu loufoque, tout cela faisait sens. Il essayait d'ailleurs de se montrer serviable et de bons conseils, bien que ses propos puissent le faire paraître comme quelqu'un lui souhaitant plus de mal que de bien. Il n'était pas très doué pour faire passer ses émotions correctement. Peut-être était-ce pour cela que ses seuls amis étaient tous un peu dérangés : un loir alcoolique, un lièvre drogué, un lapin perpétuellement au bord de la crise de nerf et une paire de jumeaux mesquins.

Le Chapelier écouta les confidences de sa camarade tout en dégustant des biscuits qu'il faisait apparaître de ses manches, ses poches, de derrière son imposante crinière flamboyante et, même, un qui venait de son soulier. Il montrait qu'il écoutait par ses mimiques exagérées - elles étaient pourtant authentiques, chez lui - et des hochements de tête pour ponctuer les révélations. Bien qu'attentif, il ne percuta pas l'identité de celle qui se trouvait devant lui. Il fut cependant attristé par cette tragique histoire familiale. Il la regarda se lever et aller s'installer vers la fontaine. Calmement - enfin, en sautillant, tout de même, on ne chasse pas le naturel aussi facilement - le Fou s'approcha de la princesse. « Vous savez, j'ai entendu parler de quelqu'un qui pourrait être disposée à vous venir en aide. J'ai oublié son prénom mais la rumeur dit qu'elle vient au secours de ceux qui le lui demandent. Une très grande et très noble femme, à n'en point douter. Pour la trouver, il suffit de se rendre au bord de mer et de réciter une incantation ! » Le Chapelier entra dans la fontaine qui lui servirait pour illustrer l'océan. Il n'avait pas pris soin de retrousser son pantalon. L'imposant bonhomme se racla la gorge. « Ce qu'il faut dire c'est : Tarabiscotée, elle pue de la bouche et des pieds ! Mais pif par pouf, la bonne Fae, elle a tout réparé ! » Tout en récitant la formule magique, il avait effectué une étrange chorégraphie qui avait éclaboussé la jeune fille qui s'était installée sur le rebord de la fontaine.

« Oui oui, une bonne Fae, bien-sûr. » avait répliqué le Fou lorsque la princesse avait proposé l'idée. Le Roi croisa ensuite les bras sur sa poitrine, son expression laissant comprendre qu'il réfléchissait intensément. « Hum... C'est une bonne question. » lâcha-t-il d'un air soucieux. Soudainement, il leva l'index de sa main gauche puis le trempa en le mettant dans sa bouche. Il le retira ensuite et le brandit fièrement en l'air, comme s'il essayait de capter la température ou le mouvement du vent. Il resta ainsi quelques secondes, son doigt s'activant en formant de petits cercles vers le ciel. Finalement, son investigation très rigoureuse sembla finir par payer ! « C'est... Par-là ! » s'exclama-t-il en abaissant son bras dans une direction un peu au hasard. Il n'y avait aucun chemin taillé dans le labyrinthe mais le ton utilisé était si confiant qu'il ne semblait pas laissé de place pour le doute. « Environs quinze minutes à dos de Chenille sous narguilé, dans CETTE direction ! » Il porta sa main en coupole autour de son oreille, comme pour mieux capter les sons, puis se penchant vers la direction qu'il avait pointé. « Regardez, on l'entend. Les vagues ne sont pas loin ! »

« Oh, c'est bien normal ! Il faut se serrer les coudes, entre gens qui égarent leur tête. » C'était même un devoir ! Ne jamais laisser un coéquipier dans l'embarras ! Vous imaginez, s'il devenait fou et allait trouver un cordonnier pour le débarrasser de sa tête ?! C'était une solution horrible : ces artisans de pacotilles n'étaient que des charlatans, des bouchers ! Ils n'avaient aucune grâce et leur travail était bâclé ! Bien loin d'être aussi raffiné que la création de chapeaux. « Mmh oui je sais, je fais cet effet là à beaucoup de gens. » lâcha l'usurpateur, l'air de rien. Il ne semblait pas du tout embarrassé par la soudaine proximité. « C'est le chapeau, qui fait cet effet. » expliqua-t-il en donnant une chiquenaude sur le rebord de son haut-de-forme, qui se retrouva déséquilibré et menaçait désormais de glisser du crâne chauve et de tomber.

« Que diriez-vous d'une partie de criquets ?» demanda le Chapelier en sautant sur le rebord de la fontaine. Puis, réalisent son erreur, il partit dans un rire tout en secouant la tête d'un côté à l'autre, comme s'il essayait d'imiter un métronome sur un tempo particulièrement rapide. « Hohohoho ! Je voulais dire, de croquet. Pas de croquette. Ce n'est pas un met très distingué et, pour tout vous avouer, ça a bien moins meilleur goût que ce que les chiens prétendent. » Le petit homme sauta à nouveau à pied-joints dans ce qui de transformait désormais en pataugeoire. « Ou désirez-vous trouver une bonne Fae ? J'ai entendu que les nains en avaient en promotion, au marché. Ou bien, mon ami de la mer, celle-là au moins, elle est gratuite. Service garanti ou remboursé. »

« Comment ? On ne pratique pas ce vénérable sport matin, midi et soir, là d'où vous venez ? » demanda le Chapelier. Il sembla réfléchir une seconde puis haussa les épaules ainsi que les mains vers le ciel. « Mmh, chez moi non plus. Mais nous buvons du thé. Beaucoup de thé. C'est devenu une institution ! » Un sport à part entière, pourrait-il même dire : à force de boire tasse sur tasse, la vessie se remplissait vite et s'était à celui qui se retenait le plus longtemps pour foncer jusqu'au petit coin pour se soulager. Le Chapelier était devenu particulièrement compétant dans ce domaine. Il battait tout le temps ses amis ! Sans doute parce que la moitié était déjà mis à mal part d'autres substances nocives et que le reste ne s'intéressait que peu à cette discipline pourtant très enrichissante. « Oh oui, bien sûr, que je vous apprendrai, petite tête ! » déclara-t-il lorsqu'elle lui demanda son aide, tout en abattant affectueusement son énorme main sur le crâne de la brune. Ses caresses mirent en pagaille sa chevelure. « C'est mon devoir de vous instruire à cette tradition ! » Il attrapa la jeune femme par les épaules et l’attirât un peu plus loin, près du terrain. « Vous allez-voir, je suis excellent ! Avec moi, vous apprendrez les règles en quelques minutes seulement ! »

Une fois près des arceaux, le Chapelier ôta son magnifique couvre-chef et le posa sur la tête de son élève. « Tenez-moi ça, je vous prie. » Le vieil homme s'empara du maillet et l'examina d'un peu plus prêt. « Mmph... Par chez moi, on utilise de vrais flamants-roses. Ils sont plus coopératifs. Et ils visent mieux. » Le jugement s'entendait dans son timbre, une pointe de déception sans doute. « Enfin bon : tenez-vous là. » Il positionna correctement sa camarade de jeu. « Prenez ces balles. » Il en donna quatre à la brune puis fit demi-tour. De son pas lourd mais sautillant, il alla à l'autre bout du terrain, de telle sorte qu'il fut obligé de hurler la suite des instructions pour être certain de se faire entendre. « Vous allez me lancer la balle. Moi, je la renverrai le plus loin possible à l'aide de ceci ! » il désigna l'outil qu'il avait entre les mains. « Vous devrez alors courir le plus vite possible pour retourner la chercher puis revenir là où vous vous trouvez. » Il mima le fait de courir en agitant l'index et le majeur, les ongles pointés vers le sol. « Moi, pendant ce temps, je me devrais de passer le nez sous chaque arceau. Mais ce n'est pas tout : je ne peux pas me déplacer en courant. Sois à cloche-pied, sois en roulade, sois sur les mains ! J'ai le droit de m'arrêter à l'un des arceaux mais si vous arrivez à votre point de départ alors que je suis entre deux, je suis éliminé. »

« Bien ! Commençons, très cher ! » L'homme tapa le bout du maillet sur le sol puis le leva, prêt à frapper le projectile que lui enverrait sa concurrente. Penché en avant, il agita les fesses, comme pour se tenir prêt à bouger.

J'espère que Anna voulait pas participer au jeu de croquet de la reine de cœur. 8D

La première balle fut lancée. Le pas-si-petit-que-ça bonhomme, qui se tenait prêt afin de la frapper de toutes ses forces, tirait légèrement la langue sous l'effet de son intense et plutôt inhabituelle concentration. Lorsque le projectile se rapprocha, suffisamment pour qu'il puisse l'atteindre, l'homme à la chevelure enflammée exécuta un petit saut pour se positionner dos à la Princesse. Il se pencha tout à fait en avant, les jambes tendues, si bien qu'il de retrouvait à regarder la demoiselle à travers ses mollets, son crâne frôlant le gazon parfaitement taillé. Les mains dans le dos, il essaya de viser correctement. Sa partenaire semblait quelque peu maladroite et la trajectoire ne fut pas aussi directe que nécessaire. Cependant, même sans cela, il n'y avait tout bonnement aucune chance pour que le pitre eut réussi à frapper sa cible correctement ! « Bien sûr, que vous relancez ! Jusqu'à ce que nous y parvenions ! Je ne suis pas quelqu'un de pressé. Je n'ai pas d'oreilles de lapins ni de montre. Ce n'est pas encore l'heure du thé et puis, de toute manière, les castors n'ont pas encore de dents ! Il faudra s'en inquiéter, lorsque ce sera le cas. » proféra-t-il, avec l'air solennel des grands sages. Le Chapelier se repositionna correctement. Il agita une fois de plus son popotin, tenant fermement le maillet à deux mains, sa langue dépassant toujours au coin de ses lèvres. Cette fois-ci, la balle dessina une cloche parfaite. Le Roi sauta sur son pied gauche, leva la jambe droite et passa le maillet par dessous pour taper. Statistiquement, il n'avait absolument aucune chance de réussir. Mais il semblait qu'une bonne étoile veillait sur lui puisqu'il ne manqua pas sa cible ! Dès la balle renvoyée, il se rua au sol en direction du premier arceau, sans se soucier de là où se trouvait la balle. Il alterna entre roulades, cloche-pied et poirier, s'écrasant la face à chaque fois afin de glisser des narines gonflées sous les arcs métalliques. Son manque de précaution fit qu'il termina son tour avec plusieurs bleus, les cheveux emmêlés et ses vêtements recouverts de terre. Il avait même réussi à trouer son pantalon. « C'est l'expérience, très chère. Mais ne vous en faites pas : peut-être bénéficierez-vous de la chance des débutants. » Ils inversèrent leurs rôles et échangèrent encore quelques balles - le Chapelier se révélait être un bien piètre tireur, plus encore que la demoiselle.

Après plusieurs tours, le Roi soupira, s'étalant par terre, regardant le ciel. « Pouah ! » Il avait perdu le compte et n'avait pas la moindre idée de qui menait la partie. Il s'en moquait. L'important n'était pas de gagner. De toute manière, il aurait bien vite oublié sa victoire : autant que la brune remporte le jeu ! « Mmh... » L'homme se releva soudainement en position assise. « Je n'en peux plus ! J'ai les pieds qui suent, c'est la preuve que j'ai bien joué ! » Il se roula en boule et effectua un mouvement de balancier pour se remettre debout. « Que diriez-vous de vous baigner, maintenant ? » L'homme s'apprêtait à sauter à l'eau avant de se rendre compte d'un détail d'importance. « Ah, mais j'oubliais : vous n'êtes pas apprêtée pour une telle activité. » L'homme s'approcha brusquement de sa camarade et, sans la prévenir, il arracha ses vêtements ! CRAAAC. Les vêtements cédaient. Pourtant, en dessous de ceux-ci, la fille en manque de compagnie portait exactement la même tenue. A ceci près que ces vêtements étaient faits dans une matière qui rendait la baignade agréable. « Voilà qui est mieux. » Satisfait, le Chapelier s'apprêtait à faire demi-tour.

En gros, la tenue, c'est un maillot de bain géant qui a exactement la même apparence que la tenue qu'avait Aurore.

Le Chapelier sentit une brise sur le sommet de sa tête. C'était une sensation différente de d'habitude : son crâne n'était plus dégarni. Il ne comprit donc pas immédiatement ce que cela signifiait. A la place, il conclut qu'un mauvais temps se préparait. Qu'un gros nuage rempli de pluie approchait dangereusement. Au lieu de lever la tête pour s'inquiéter de l'état du ciel, comme toute personne dotée d'un minimum d'intelligence l'aurait fait, il la baissa. Il s'accroupit au-dessus de l'herbe et se pencha jusqu'à apercevoir une fourmi. Ce n'était pas le meilleur des choix. Il aurait préféré un verre de terre. Ils étaient bien plus fiables. Quoi que, les fourmis ne vous décevaient jamais lorsqu'il s'agissait de travailler ou lorsqu'elles vous promettaient de faire quelque chose. Quoi qu'il en soit, il n'avait pas d'autre option que celle-ci, cette fois-là. « Mmh, dis-moi petite fourmi. Va-t-il pleuvoir ? » demanda-t-il à l'insecte tout en la suivant - c'est que ça avançait drôlement vite, ces petites bêtes. « Non parce que j'ai senti un vent du sud un peu frisquet et mon nombril m'a raconté que - » Il s'arrêta de parler à l'appel de la demoiselle en sa compagnie. « Qu'y a-t-il ? » demanda, curieux, celui qui murmurait aux antennes des insectes. « Ah, il faut faire la course ?! J'ARRIVE ! » Le bonhomme sauta sur ses pieds et détala le plus vite possible. Il adorait courir ! Il en avait l'habitude : on l'envoyait souvent paître en le chassant à coup de balais. Il ne comprenait pas trop pourquoi. On avait essayé de lui expliquer, une fois, que s'inviter de façon inattendue chez les gens pour dévaliser leur garde-manger n'était pas très apprécié. Il n'avait pas compris. Après tout, il leur laissait de véritables merveilles en échanges ! Des graines, des fruits à coques, parfois même : des canards ou des pelotes de laine. C'était fort utile. Surtout les canards. Ils faisaient de parfait compagnons, lorsqu'on était seul. Leurs "COINS" étaient très réconfortants.

Le Chapelier Fou finit par rattraper la blonde. Elle semblait à bout de force. Pour sa défense, ils venaient de terminer une partie de croquet fort intense. Et ils n'avaient pas encore eu l'opportunité de faire aérer leurs pieds. Ceci dit, ce n'était pas une mauvaise idée. Autant courir, danser, sauter, galoper maintenant et prendre un bain ensuite, lorsque toutes leurs folies seraient terminées. Un seul bain leur serait suffisant, de cette manière. Économiser l'eau était important. « Voulez-vous faire une pause, petite fille ? » demanda-t-il en s'arrêtant à sa hauteur. Un chapeau avait repoussé sur sa tête, comme un champignon. Celui-ci était cependant différent. Il s'agissait d'une toque en fourrure brune, avec une queue duveteuse tombant sur le côté de sa tête. « Ou bien... Voulez-vous faire une course de patin ? C'est vrai que c'est plus simple. Bon, pas très pratique, sur l'herbe, mais rien n'est impossible pour deux personnes aussi brillantes que nous ! »

Non c'est parfait.