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 Élévation | Chapitre 1, le Voyage

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Eerah
Æther des Bergers et des Wëltpuffs

Æther des Bergers et des Wëltpuffs
◈ Parchemins usagés : 3537
◈ YinYanisé(e) le : 20/07/2013
Eerah
Mer 26 Juin 2019, 22:36


Sur Basphel règne un silence glacé. Les premiers jours de la saison froide ont figé sur place les brins d’herbe, et recouvert d’une fine couche de givre chacune des marches de marbre menant à la Grand’Salle. La brume éthérée des nuits allongées s’installe dès que le soleil disparait derrière la mer de nuage ; c’est le halo bleuté des lunes triplées qui illumine à présent l’île-école. Les gouttières et ornements métalliques sont soulignés par la lumière, et le tracé des tuiles et des pavés s’estompe en de larges surfaces uniformes, sombres. Les grandes vitres des tours de l’université de renvoient mutuellement leurs reflets, on devient perplexe à les contempler ; leurs contours semblent jaillir de nulle part, avant de retourner au néant au détour d’une arcade. Des jardins accueillants, il ne reste qu’un dédale d’allées obscures ; les buissons fleuris, endormis, chuchotent faiblement, et s’agitent parfois au passage d’un rongeur nocturne. Aux abords de la fontaine, le clapotis de l’eau résonne sur les murs de la taverne, si ténu qu’on l’oublie dès qu’on en lève les yeux. Plus loin, les ponts d’amarrage s’étirent par-delà les rebords escarpés du récif flottant ; les cordages qui y pendent oscillent au vent. Les dernières chandelles sont soufflées derrière les vitres embuées des dortoirs ; dans l’aile réservée au département de l’Étain, derrière une porte en chêne du rez-de-chaussée, dort une jeune Déchue.

Perchée sur son ami et compagnon, Karl, un Wëltpuff adolescent et déjà d’une taille confortable, la tignasse ébouriffée de Rae se soulève au rythme de ses ronflements. Elle ne porte qu’un caleçon trop grand pour elle, emprunté à l’un des fils de sa famille d’adoption ; le reste de ses vêtements sont entassés dans un coin, pile informe presque aussi conséquente que l’animal sur lequel elle repose. Le loquet de la porte pivote, et elle s’ouvre doucement. Le parquet craque. D’un seul mouvement aérien, la Déchue s’élève, lévitant à quelques pieds au-dessus du sol ; ses yeux irradient d’une intense lumière blanche, et autour d’elle, ses cheveux flottent en une couronne de bronze. La voix qui s’échappe d’elle ne semble pas lui appartenir.

— « Que voulez-vous ? »

Au son de ses mots, elle agite un doigt et la porte se referme derrière l’intru, la clenche tourne et se verrouille. L’homme de grande taille la toise, inexpressif ; il baisse les yeux vers Karl, que le raffut n’aura pas réveillé. L’ancien esprit qui contrôle le corps de la jeune fille vient s’abattre sur l’inconnu, sans parvenir à s’y immiscer ; il sait ce que ça veut dire.

— « Vous êtes l’un d’entre eux, n’est-ce pas ? Je le sais. »

Elle flotte jusqu’au sol, s’y laisse tomber avec légèreté, et s’empare d’une chemise. Le visage stoïque de l’homme l’y suit. Sans que ses lèvres ne bougent, il s’exprime alors :

— « Habillez-vous, venez avec moi. »

La voix est neutre, ce n’est pas un ordre, mais ce n’est plus une requête. Rae hésite un instant, puis capitule. Ça n’a jamais vraiment payé de les contredire, de toute manière. Elle s’exécute, enfile un pantalon chaud et une paire de bottes de fourrure. Un veston, puis un manteau, un cache-oreille, et la voilà prête ; elle caresse doucement la tête de son Wëltpuff, qui remue à peine le museau à son passage. Lui n’a pas bougé, seuls ses doigts s’agitent, les doigts d’un artisan, larges, solides ; il ajuste son manteau, et lui fait signe. La Déchue lève la tête vers lui, son visage glabre, sans expression, et ses yeux noirs, abyssaux, et soupire.

— « Et maintenant ? »

Pour la première fois, l’étranger sourit faiblement, et derrière lui la porte s’ouvre à nouveau, laissant entrer le vent et le bruit si caractéristique d’une forêt. Par l’ouverture se distingue le début d’un sentier abandonné, ondulant au milieu d’arbres sombres ; les quelques rais de soleil qui percent à travers la canopée éclairent l’intérieur de la chambre d’une lueur chaleureuse. Rae ne cille pas, tristement habituée à ce genre de démonstration. Elle s’avance jusqu’au seuil, pose sa main sur l’encadrement, et avance la tête pour observer ; elle connait cette forêt, elle l’a gravée quelque part, dans un souvenir ancien, poussiéreux. La Déchue inspire, et s’avance. L’Æther jette un dernier regard au Wëltpuff, puis s’engage à sa suite. La porte se referme, et enfin, le calme retombe sur Basphel.

725 mots.


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Eerah
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◈ YinYanisé(e) le : 20/07/2013
Eerah
Lun 08 Juil 2019, 20:24

Derrière la porte, c’est un autre lieu ; à vrai dire, c’est une autre époque. L’air qu’on y respire a cessé d’exister sous cette forme, les plantes qui y poussent sont mortes depuis des siècles, les animaux qui y vivent sont retournés à la terre, et la terre elle-même a eu le temps de se retourner dans son sommeil. Pourtant les souvenirs qui l’habitent sont vivaces dans l’esprit d’Eerah ; le corps de Rae, lui, découvre des sensations que son occupant ne connait que trop bien. Il sait que ce bois n’existe plus, qu’il aura été enseveli dans la grande terraformation d’Avalon, que la terre a ravalé la terre, et emporté avec elle les péchés du passé.

— « Cet endroit a cessé d’être ; est-ce un souvenir ? »

Un papillon passe devant elle, deux ailes couleur de parchemin, sur lesquelles court un subtil filigrane doré. Au-dessus, le chant des oiseaux, au loin, la poésie du brame d’un cerf. L’homme marche, quelques pas en arrière, la porte a disparu, c’est à peine si ses pieds marquent le sol, c’est à peine si les feuilles bruissent sous ses talons. La Déchue lui jette un coup d’œil que d’aucun qualifieraient de mauvais, et se retourne. Même dans la lumière chaude et colorée du sous-bois, l’étranger est terne et glacé. Il avance sans lui répondre, et la dépasse sans faire mine de s’arrêter. Lorsqu’après une centaine de mètres, l’homme ne s’est toujours pas stoppé, elle jure et prends sa suite.

Ils marchent, en silence, pendant de longues minutes, une heure, deux, et bientôt le soleil vient à tomber. Rae fixe le sentier et avance tandis qu’Eerah réfléchit ; à défaut de prendre le temps d’apprécier ceux qui se dressent autour de lui, il trace les arbres de probabilité qui naissent de ces instants. De nombreux trains de pensée évoluent en parallèle de ce qu’il alloue à Rae, qui se contente de se mouvoir et d’observer, d’enregistrer. Elle n’a jamais vu ces arbres, mais lui, si. Alors elle transmet, et il analyse. Il sait vers où ils se dirigent, et il est certain que son guide en a conscience. Ils accélèrent, et le rattrapent.

— « Qu’est-ce que vous voulez ? »
— « Savoir ce que vous, vous voulez. »
— « Réponse absurde. Ce n’est pas du théâtre ou un roman pour jeunes femmes. Répondez. »
— « Et pourtant, c’est peu ou prou ce que je cherche ; mais regardez, nous approchons ! »

La Déchue redresse la tête, et ralentit. Devant eux, à l’orée de la forêt, sillonne le chemin qui mène à Avalon. La vielle Avalon, bourgade limitée en comparaison ce qu’il avait érigé, mais qui réveillait tout de même en lui les braises d’une mélancolie qu’il pensait éteinte. Dans le même temps, elle lui fournit de précieux éléments pour se situer dans le temps ; il reconnait certains bâtiments, certaines constructions, et note l’absence d’autres. À cette époque, il était simple Garde, et toujours bel et bien aveugle. Il n’avait pas encore quitté ses fonctions, et…

— « Ah, ça y est, je comprends. Je vois où vous voulez en venir. »
— « Vraiment ? »
— « Oui, et ce n’est pas par là. Je n’officiais pas dans la capitale, pas la majorité du temps en tout cas. »

Rae prit sur la droite et commença à longer la forêt. Le soleil orangé faisait danser leurs ombres sur les troncs.

— « Je sais. »
— « Bien sûr, que vous savez. Mais vous ne parlez pas beaucoup, et je m’ennuie. »

C’est la jeune fille qui parle cette fois, pas le roi millénaire, lui est trop occupé à ses propres affaires, alors elle en profite.

— « Vous savez, je ne sais pas si je suis une autre personne ou lui. Je sais que je suis lui, mais parfois, il me traite comme si nous n’étions pas un, mais deux. Alors je joue le jeu, je fais comme si lui était quelqu’un d’autre aussi. »
— « Amusant, c’est certain. »

Elle rit et hausse les épaules.

— « On fait ce qu’on peut, c’est comme ça qu’il m’a voulue, un peu plus détendue que ce que le temps a fait de lui. »

Ils parcourent le reste du chemin sans un mot, guidés par le son des insectes et du vent dans les hauts-feuillages. La Déchue mène son interlocuteur jusqu’à un campement fait de grandes tentes en toile de jute, au milieu d’une clairière non loin de la lisière du bois. Là, plusieurs Déchus s’affairent à la vie du camp, cuisine, forge et entrainement. Aucun ne relève la tête à leur arrivée, et Eerah en déduit qu’ils ne sont pas vraiment présents, ce qui simplifie largement le risque de paradoxe, et coupe court à toute la partie de son esprit occupée à déterminer ce qui se passerait s’ils venaient à modifier le passé. C’est à cet instant qu’il l’aperçoit ; bandeau gris serré autour de la tête, longs cheveux noirs, bâton et uniforme de Garde : Eerah Scaldes. Ni un roi, ni un leader ; il ne portait pas encore son vrai nom, n’avait pas encore appris à « voir ». Il n’avait jamais rencontré Erza. Il n’était encore personne. Rae lâcha, sans se tourner :

— « Et maintenant ? »

875 mots.


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Eerah
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◈ YinYanisé(e) le : 20/07/2013
Eerah
Dim 15 Déc 2019, 12:41


L'étranger se gausse ; un rire sans joie s'échappe de ses lèvres, à peine plissées par l'ombre d'un rictus. Agacée, la Déchue, elle, lève les yeux au ciel. Dans une prière muette à qui veut bien l'écouter, elle implore que son prochain kidnappeur ne soit pas un autre de ces ricaneurs psychotiques obsédé par les pauses dramatiques et les rires méphistophéliques. Habituée à ce genre de démonstration théâtrale, elle s'examine le dos de la main avec attention, notant la légère crasse qui entarte certains de ses ongles juvéniles. Consciencieusement, elle se sert de son autre main pour l'ôter, et du bout des doigts, éjecte la petite boule de terre ainsi formée. S'il est bien une chose qu'Eerah a appris au cours de sa vie – et qu'il a jugé bon de léguer à la jeune Rae – c'est qu'il ne faut jamais, en aucune circonstance, jouer le jeu des dramaturges. Ils se nourrissent et se réjouissent de l'appétit qu'ils exacerbent par leurs prophéties et leurs périphrases brumeuses, tout en mourant d'envie de dévoiler une vérité qu'ils se savent seuls à connaître. Elle le sent, aussi éthéré qu'il soit, se tenant droit comme un I dans son dos, tendu comme un ressort, prêt à répondre à tout déballer à la prochaine question. Et bien non, chuchote la conscience du Roi dans un coin de son esprit : qu'il fasse donc le premier pas. Rae se baisse doucement, remonte ses genoux sous son menton et les enserre de ses bras. De son regard aiguisé, elle parcourt le campement des yeux.

La plupart des soldats présents sont des hommes ; à cette époque-ci, Aya est encore reine et la société Déchue pas tout à fait encore aussi progressiste que pendant son propre règne. Les femmes demeurent accoudées aux lavoirs et maîtresses de maison ; à l'inverse, les bordels sont en grande partie réservés au beau sexe, et ce sont des établissements particuliers qui se chargent de satisfaire les clients homo et xénosexuels. Avalon fait le tiers de sa taille actuelle, et ses habitants constituent l'écrasante majorité du peuple Déchu, qui vit encore dans l'ombre oppressive du royaume Angélique. Les péchés sont encore considérés comme une tare, par une population surtout constituée d'anciens Anges, il faudra encore quelques années avant que l'essor des Déchus de sang atteigne son paroxysme, jusqu'à rendre anecdotique la présence d'ex-Ailes Blanches dans ses rangs. Le commerce est faible ; l'artisanat peu développé. Ils vivent comme des proies, à l’affût du prochain qui viendra les prendre, et leur seule défense sont les griffes émoussées de la garde, constamment postée dans les bois alentours, disputant aux autres peuples leurs maigres possessions et leur territoire anémique.

Devant Rae, une demi-douzaine de grandes tentes pouvant chacune accueillir autant de soldats et une autre à peine plus petite, marquée par un discret liserai rouge à son entrée, abritant le capitaine du détachement. Le campement est calme, beaucoup de ses soldats sont en patrouille. Eerah peut nommer chacun des trio comme si c'était hier ; Rufik, Sonja et Ali ; Hoji, Salim et Fuuta. Saël, Indimae et Eerah. Quelques longues secondes, son regard se pose sur le premier, un jeune homme aux yeux bleus perçants. Plus petit que lui, et doté d'une crinière blonde reconnaissable, ils ne se connaissent alors que depuis quelques semaines, et d'ici la fin de la nuit, ils se quitteront pour ne plus jamais se revoir. Juste à côté de lui, taciturne et au teint halé, Indi. Le Daedalus s'isole un moment, et Rae ne voit qu'un homme âgé, au dos bien droit. De ses mouvements précis on devine une expérience que seuls les siècles peuvent apporter ; il s'approche d'un homme et d'une tape discrète sur l'épaule, l'informe de sa présence. L'intéressé se retourne, et la jeune Déchue sait qu'il s'agit de l'homme dans sa tête. Elle le détaille en plissant les yeux, pas convaincue d'apprécier son aspect. On dirait un infirme. Un bandeau lui barre le visage et un bâton de pèlerin est niché au creux de sa main. Lorsque le roi revient, elle sait quelles cicatrices manquent à l'appel, elle sait que ses yeux sont gris et qu'ils apparaîtront bientôt au grand jour. Le bâton sera perdu dans la neige, et l'uniforme rangé dans un coffre. Sans un mot, elle sens la douleur d'Eerah fluctuer autour d'elle, comme un îlot sur une rivière sombre. Il y a encore de l'espoir pour le jeune aveugle ; l'homme à ses côtés, lui, ne verra plus jamais le jour se lever.

750 mots.


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Eerah
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◈ YinYanisé(e) le : 20/07/2013
Eerah
Dim 15 Déc 2019, 19:54


Elle est triste sans savoir pourquoi, morose sans savoir comment ; le roi, lui, est sombre et secret. Elle n'arrive pas à accéder à la mémoire de cet événement, il lui en refuse l'accès. Assise par terre, les genoux contre la poitrine, elle serre ses jambes contre elle, le nez enfoui dans les plis de son pantalon. Un frisson désagréable la parcourt, depuis le bas de son dos jusqu'au reste du corps : elle s'agite d'un tremblement bref qu'elle essuie d'un coup d'épaule et d'un claquement de langue agacé. L'humidité de la soirée gagne sa peau à travers ses gants hivernaux. Le sol était-t-il déjà aussi dur, l'air était-t-il aussi frais à leur arrivée ? C'est pourtant supposé être un rêve, une projection. Tout ça est faux, tout ça est déjà passé. Rae pivote la tête, mais l'inconnu a disparu. Pensive, elle reporte lentement son regard sur le camp. Elle voit le jeune homme blond et le vétéran au teint basané prendre leur envol, filer au Nord-Est, en direction d'une tour de garde où ils devront attendre Eerah. Le lieutenant, lui, les écoute s'en aller, puis il va se changer. Il laissera de côté les habits reconnaissables d'un garde d'Avalon pour enfiler une tenue sombre, plus discrète. Lui pense qu'il s'agit de camouflage, elle sait qu'il s'agit de faire un travail qu'il ne juge pas digne de l'uniforme. Il n'en avait pas honte, et n'en ressent aucun remord, mais sans le vouloir, la peau de la Déchue se hérisse d'une chair de poule qui ne doit rien à la nuit tombante. Elle se redresse, époussette ses fripes avec plus d'ardeur qu'il n'en faut pour les débarrasser de la terre qui s'y est déposée. La colline est haute, elle descend avec précaution, et part à l'Est. Elle sait déjà où ils trouveront leur proie.

À peine le campement caché derrière un relief, le silence retombe. Le soleil a disparu, au profit d'une nuit sans lune, sa présence n'a laissé qu'un rose pâle qui s'éteint peu à peu, puis le noir, et le hululement des rapaces nocturnes. Elle traverse un champ, entre dans un sous-bois. Les raccourcis, les passages sont encore là, tout frais dans sa mémoire, quand bien même la vallée, la forêt et la rivière ont disparu. Elle enjambe une branche, dépasse un tronc marqué au couteau de quelques paires d'initiales, y laisse glisser brièvement sa main. Quelques branches basses s'ouvrent sur une clairière presque parfaitement circulaire, clairsemée de coquelicots rouges, jaunes et orangés. Les hautes herbes qui leur flattent la corolle s'agitent au vent comme une étoffe, et s'aplatissent sans effort à son passage. Parvenue au centre de la percée, elle ralentit, puis s'arrête. Elle est en avance, elle le sait, et ces instants condamnés à disparaître sont peut-être une dernière occasion de profiter d'une époque révolue. Du bout des doigts, elle effleure et se laisse effleurer par la danse de la prairie, elle caresse les pétales et se laisse griffer par un chardon en fleur. Il la pousse à avancer, mais elle fait tout pour retarder son arrivée. Ils peuvent bien commencer sans elle. Mais au loin déjà, elle entends le bruissement des ailes. Soudain, un cri alarmé, et des branches brisées qui s'affalent à travers les feuillages. Involontairement, elle redresse la tête, et elle voit l'Ange filer dans le ciel ; derrière lui, une ombre gagne du terrain. Ils se percutent. Un cri, l'éclat d'une lame, et ils retombent. Elle ne les regarde pas, ses yeux sont fixés sur les ailes blanches qui les suivent, cruellement arrachées à leur propriétaire, et qui retombent lentement, portées pour la dernière fois par les vents.

Elle détourne le regard alors qu'ils atterrissent. Ça n'a prit que quelques secondes, pourtant elle a l'impression de sentir encore le souffle chaud d'un Ange anonyme contre sa paume, il lui semble voir encore son regard d'effroi se poser sur ses appendices dorsaux, l'incompréhension et la haine, mêlées à la peur et au dégoût. Elle reprend la marche, essuie sa joue du pouce ; elle en chasse une faiblesse qui n'appartient qu'a elle. Le roi lui se tait, il est plus troublé par la réaction de la jeune fille que par des actes qu'il s'efforce de juger nécessaires. Les oiseaux se sont tu, et le vent s'intensifie. Il amène de lourds nuages noirs qui nourriront la terre meuble qui recouvrira bientôt le visage de l'espion.

730 mots.


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Eerah
Mar 17 Déc 2019, 00:42


L'enfant se tient bien droite, les poings serrés, le visage baissé sur l'infortuné au sol. Il tente vainement de remuer, bâillonné, entravé. Ses mains bleuissent dans son dos, il s'irrite et se brûle la peau contre le cordage rugueux qui lui enserre cruellement les poignets. Impossible pour lui de s'allonger, ce serait porter à vif les deux grandes plaies qui lui ornent le dos ; alors il se contorsionne. S'il vacille trop, il tombera à plat ventre, le visage dans la boue moelleuse qu'a laissé la pluie du soir précédent. Un peu plus loin, l'équipe converse à voix basse. Rae se baisse, s'approche de l'Ange, le cœur au bord des lèvres. Le roi, lui, observe le visage d'un homme qu'il a mutilé, exécuté. Il ne tente pas d'expliquer à son hôte les raisons de ses actes, elle ne peut comprendre la peur qui prends aux tripes quand l'assaut démarre, ni la colère accumulée d'un peuple opprimé : il ne lui a légué ni l'un ni l'autre. Sans brusquerie, il l'oblige à tourner la tête, à s'éloigner, et elle obéit, mortifiée, petit pantin de chair abattu. Elle n'a pas besoin de savoir ni de voir ce qui suit. Lorsqu'ils dépassent un large tronc qui lui masque la scène, il la libère, mais elle continue d'elle-même à avancer. Ses pas lourds la mènent jusqu'à une large flaque, nichée dans le vide laissé par un vieil arbre déraciné. Les racines devenues branches se sont couvertes d'une mousse affamée, et chaque jour le tronc se creuse un peu plus, envahi par la vie. Sans un mot elle s’assoit, et dans l'eau immobile, Eerah lui rend son regard. Pendant un moment, ils se jaugent, puis les sourcils de l'enfant se froncent et elle lui jette :

— « Pourquoi tu es encore là ? »

Il sait ce qu'elle entend par là, mais d'un air feint d'ignorance, il hausse les épaules, son regard perçant fiché dans les prunelles brillantes de la jeune fille. Elle n'est pas dupe, et s'il peut tenter de lui cacher la vérité, elle la sait là, quelque part. Elle se triture les doigts, ses mains s'agitent sans qu'elle puisse les maîtriser.

— « Pourquoi est-ce que je suis forcée de te suivre, pourquoi je ne peux pas rentrer ? »

Quel sentiment étrange que de parler à son reflet et de ne pas le voir remuer les lèvres, se dit-elle. L'homme en face d'elle est immobile, froid. Il semble jeune mais ses yeux démentent son âge, et sa façon de l'observer sans rien dire la met en colère, une colère qu'elle estime juste ; à sa grande surprise, elle ressent l’approbation de l'homme. Elle se demande pourquoi ça alimente davantage sa rage.

— « Je ne veux PAS de tes excuses, ni de ta compréhension ! Je veux que tu t'en aille, que tu me laisse ! »

Il ne peut pas partir, elle ne peut pas s'enfuir ; un voile humide lui brouille la vue, et elle jette une poignée de graviers dans l'eau. Un instant, le reflet semble s'être éclipsé, puis il revient, et se fige à nouveau sur le miroir sombre. Son expression demeure indéchiffrable, et la petite commence à pleurer.

— « … Et moi, je suis quoi ? »

Au travers de ses larmes, elle croit le voir tressaillir, mais quand elle s’essuie les yeux, il a disparu. Son reflet lui renvoie l'image d'une enfant au visage défait, et les sanglots la prennent de plus belle. Pendant de longues minutes, elle se recroqueville et renifle. Immobile, le froid s’immisce dans ses fripes humides, il semble prendre la place du roi qui s'est éclipsé un peu plus loin, laissant Rae à elle-même. Au loin, un cri transperce la nuit, elle ne sursaute même pas. Elle connaît déjà chacun d'entre eux, bien malgré elle. La Déchue balance ses jambes en rythme avec les hurlements, la pointe de sa botte effleure l'eau qui semble se ternir peu à peu de la terre qu'elle y dépose. Le sel a laissé une marque maintenant sèche sur ses joues, ses yeux grand ouverts sont fixés sur un point au fond de la mare. Lorsque le dernier cri s'éteint, elle se lève aussitôt, et à grands pas, se dirige vers le groupe. À son arrivée, elle ne jette aucun regard au corps qui repose, flasque, au sol. Indimae et Eerah discute comme si rien ne s'était passé, quant à Saël, le dégoût se dispute à la fascination sur son visage, une curiosité morbide qu'il n'est pas certain d'assumer. La jeune fille le suit des yeux alors qu'il se penche au-dessus du cadavre, et qu'il demande aux deux autre ce qu'il faut faire du corps. Sans un geste, elle les regarde, alors qu'ils commencent à creuser une tombe de fortune, peu profonde et anonyme.

800 mots.


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Eerah
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◈ YinYanisé(e) le : 20/07/2013
Eerah
Mer 18 Déc 2019, 00:39


Elle flotte au milieu d'un vide tacheté d'étoiles lointaines ; le silence est assourdissant, et elle ne pèse rien. Elle n'a plus froid, elle n'a pas mal, elle n'a pas peur. Le temps n'a pas de forme, il s'écoule, c'est tout, et elle n'a plus notion de l'instant. Puis comme on éclate une bulle, le son, la lumière, la douleur et l'effroi reviennent ; elle vacille dans le roulis de ses propres émotions alors qu'elle se les réapproprie. Elle est essoufflée, ses pieds lui font mal. D'un coup d’œil circulaire, elle s'aperçoit qu'elle quitté la clairière – la forêt aussi, pour ce qu'elle peut en juger. Une substance poisseuse lui couvre les mains, et son nez est saturé d'odeurs de mort et de fer. De toute ses forces, elle met à haïr l'intrus dans sa tête, cet horrible cambrioleur qui lui dérobe sa vie et son ignorance. Il est encore là et elle le sens, il se tait et se terre comme un charognard repu. Furieuse, elle cherche autour d'elle et ses yeux s'arrêtent sur le cours d'un ruisseau qui clapote un peu plus loin. Elle s'y dirige d'un pas impérieux et, arrivée sur la berge, elle plante son regard dans le reflet à ses pieds.

— « C'est terminé ! Va-t'en ! Ramène-moi chez moi et... »

Elle s'arrête au milieu de sa phrase, les mots meurent dans sa gorge. C'est bien le roi qui lui rends son regard, mais ses yeux sont cernés et usés, son visage tiré. Il est habillé comme le lieutenant qu'il a été, mais son uniforme est sale et déchiré. Il se tient droit, mais la douleur se lit dans la ligne de sa mâchoire, crispée. Par réflexe, elle fait un pas en arrière. Un coup d’œil vers l'ombre du bois, plus loin, et elle avale sa salive, les mains plaquées sur la bouche. À nouveau elle s'avance, plus prudemment cette fois, mais ne trouve que sa propre image, à peine perturbée par le courant. Une voix s'élève dans son dos et elle pousse un petit cri en sursautant.

— « De bien tristes instants, en effet. »

L'étranger pose sur elle un regard dont la froideur trahit le manque de compassion. Elle s'apprête à répondre, mais le roi est plus rapide. La jeune fille se redresse de toute sa hauteur ; elle irradie d'une colère noire et froide.

— « Et ensuite ? »

L'intéressé semble ravi qu'on lui pose la question. Il frappe dans ses mains avec entrain, et les vallées boisées disparaissent. Comme un coup de marteau, le soleil heurte la rétine de l'adolescente avec violence ; son visage se crispe et ses paupières s'abaissent par réflexe, tandis qu'elle s'abrite derrière ses avant-bras. Quelques instants s'écoulent, et pendant que Rae s'échine à s'habituer à la luminosité, le roi tends l'oreille. Il écoute le bruit du vent dans les cols, il sent l'odeur blanche de la neige et l'humidité qui commence à gagner les bottes de la Déchue. Avant-même qu'elle n'ouvre les yeux, il sait, et se met en marche – il n'avait pas besoin de ses yeux la première fois, elle n'en aura pas besoin non plus. Autour d'eux s'élèvent les monts de l'Edelweiss Enneigée, et il faudra encore une vingtaine de mètres avant que la jeune fille ne puisse profiter de la vue. Lorsqu'enfin elle peut ouvrir les yeux sans qu'ils s'emplissent de larmes, elle s'arrête, et contemple, bouche bée.

Ils progressent le long d'un col suspendu au-dessus d'une profonde entaille dans la terre, au fond de laquelle scintille une lame d'argent ondulée. Sur ses bords s'accrochent des conifères déclinés en diverses teintes de vert et de gris ; en grimpant, leurs couleurs s’effacent sous un manteau de neige ivoire, puis parfaitement blanc. Chaque pic est une dent de roche qui se détache avec précision sur le ciel uniformément bleu. Aussi loin qu'elle peut porter le regard s'étend le domaine de prédateurs ambitieux et de proies insaisissables. Le vent froid qui presse contre ses vêtements d'hiver semble violemment laver la crasse et l'horreur de la nuit précédente. L'instant d'émerveillement passe, et ses yeux se perdent au loin. Elle n'a de choix que d'avancer, et ce constat ne fait qu'amoindrir la beauté du paysage. C'est cependant avec une résolution renouvelée et l'assentiment reconnaissant du roi qu'elle remonte son col, et commence à lentement tracer son chemin au travers de l'épaisse couverture de poudreuse.

732 mots.


Élévation | Chapitre 1, le Voyage GqzDWY

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Æther des Bergers et des Wëltpuffs

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Mar 24 Déc 2019, 17:50



— « Continue d’essayer. »

S’entendre prononcer ces mots alors qu’elle touche au désespoir achève d’agacer la jeune fille. Ils ne viennent pas d’elle, c’est lui qui la fait parler, comme si c’était le seul moyen de faire passer son message. Ce sentiment étrange de manque de contrôle s’accompagne de la désagréable impression d’être une marionnette bien obéissante. Avec un claquement de langue enragé, elle jette le piolet au sol, et épousseté la neige de son manteau. Du revers de la main, elle essuie une partie du mur de glace devant elle, découvrant le visage du Dædalus. Elle lui adresse le plus sombre des regards.

— « Pourquoi, exactement, est-ce que je suis obligé de creuser un accès dans un tunnel dans un rêve ? On ne peut pas juste le traverser, ou trouver un autre chemin ? Vous ne pourriez pas reprendre votre place, et me laisser repartir à Basphel ? »

L’intéressé hausse les épaules. Il n’a pas son mot à dire dans les plans tissés par les Ætheri ; il ne décide pas des épreuves que ceux-ci lui imposent. En la faisant se baisser pour ramasser l’outil, il lui rappelle qu’elle n’est pour l’instant que locataire de ce corps. Incapable de faire autrement, elle obéit ; elle en profite pour l’insulter à voix basse en Anatæma. Puis les acerbes jurons disparaissent sous le bruit du métal contre la glace. Après être apparu au milieu des montagnes, ils avaient marché jusqu’à un ancien feu de camp, que seul les restes d’une tente avaient pu lui indiquer, et c’est là qu’elle avait trouvé ses gants et les deux piolets d’escalade dont elle se servait comme de pioche. Puis elle avait continué, le chemin qui bordait le pic s’était soudainement enfoncé en son sein, dans un tunnel qui s’avéra bientôt bloqué par une épaisse congère de gel.

Alors elle creuse, elle marmonne et creuse, parce qu’elle n’a rien d’autre à faire. Elle ne peut dormir, car elle n’a pas sommeil ; elle ne peut manger, parce qu’elle n’a pas faim. En réalité, elle ne peut qu’espérer que l’épreuve prendra fin, et qu’après ça, il la laissera en paix. Sa frappe se fait plus hargneuse, ses coups plus violents, et bientôt le roi relâche son emprise sur elle, il se recule pour la regarder travailler. La lumière filtre à travers le mur de glace ; chaque nouvel éclat arraché à sa surface lisse la rapproche un peu plus de son objectif. Les secondes passent, les minutes s’égrènent. Une heure est passée, mais elle creuse encore. Pourquoi cette lueur ne s’approche pas ? Est-elle vraiment plus brillante que tout à l’heure ? Un nouveau coup s’abat, un nouveau morceau cède ; puis elle tombe à genoux, pivote et s’affale contre la roche. Le souffle court, elle exhale avec difficulté. Un désagréable filet de sueur coule dans son dos ; mais elle ne peut pas enlever ses fourrures, il le lui interdit. Un coup d’œil à gauche, et elle voit l’œil gris du Déchu qui l’observe avec inquiétude. De ses dernières forces, elle lui décoche un coup de piolet, et il disparait. Un soupir apaisé, puis elle s’endort, d’un sommeil sans rêve.

Lorsque ses paupières s’ouvrent de nouveau, il lui faut un instant pour s’apercevoir que ce n’est pas son lit, qu’elle n’est pas dans sa chambre de Basphel. Il fait froid et elle a mal aux mains, aux bras, au ventre. La caverne est silencieuse, mais dehors, le vent hurle, brutal. Son dos mouillé semble glacé à présent, elle claque nerveusement des dents. Puis soudain, dans l’immobilité froide de la grotte, son piolet s’élève doucement dans les airs, comme attrapé par une main invisible. Il flotte lentement jusqu’au mur, et s’arrête à un doigt de la glace, avant de s’agiter, comme victime d’un frissonnement. Le tremblement semble diminuer, à moins qu’il n’accélère ? L’outil semble flou, il ondule comme un mirage. D’un coup, sa pointe se fiche au centre de la paroi, et un son cristallin résonne longuement. Un écho harmonieux s’en échappe, mais au lieu de se dissiper peu à peu, il enfle, comme si plusieurs instruments se joignent à lui. Le son couvre bientôt le bruit du vent ; il l’empêche maintenant d’entendre sa propre respiration.

Soudain, le mur explose, il se fragmente en une infinité d’échardes étincelantes, et elle n’a que le temps de lever le bras pour s’en protéger. Lorsqu’elle ouvre les yeux à nouveau, elle voit les éclats de glace flotter à quelques centimètres d’elle, comme figés dans une sphère immatérielle autour de son corps. Ils retombent, et le silence avec eux. Au milieu du passage, une flaque étincelante se solidifie rapidement, là où se trouvait l’outil. Dans le reflet ainsi créé, le Roi l’observe, il ne dit rien.

790 mots.


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Mer 25 Déc 2019, 13:43


Du sang, des cendres, des lames, des larmes, de la boue, des cris, des pleurs, encore du sang. Du sang et de la boue, de la terre poisseuse, des lames souillées. Du sang, de la boue. Du sang.

Rae se réveille en sursaut. Tout est sombre, et un instant, elle cherche des yeux la fenêtre. Elle n’est pas là. La grotte est plongée dans l’obscurité, seule la lune se reflète infiniment dans la glace, et propage autour d’elle cette lueur bleutée. Un frisson la prend et elle s’arrache à la paroi dans un bruit de tissu arraché. La sueur qui a coulé de ses cheveux semble l’avoir soudée au mur. Hagarde, elle enjambe la flaque métallique sans y prêter attention. La caverne s’enfonce dans la montagne, elle suit un couloir qui n’a pas été creusé par les éléments mais par la civilisation, bien qu’il semble ne plus avoir été parcouru depuis des lustres. La lumière décroit mais il n’y a rien à voir, juste un couloir qui avance et sinue paresseusement, plat et exempt de tout obstacle. Elle avance sans réfléchir, en se tenant les bras, transie de froid. Les seuls bruits qui l’accompagnent sont les échos de ses propres pas, assourdissants.

Une étoile attire son regard ; elle pivote vivement la tête, mais ce n’est que l’extrémité brillante d’une stalactite. Elle semble porter un rayon de soleil, et la jeune Déchue cligne des yeux plusieurs fois avant de remarquer que le fond du couloir est plus lumineux en avant qu’en arrière. Elle presse le pas et trébuche, se redresse. Chaque enjambée l’approche un peu plus de la sortie, et comme une gifle, soudain, le vent, le soleil et le ciel la prennent et l’enlèvent. Le ciel est bleu, plus bleu qu’il ne semble n’avoir jamais été ; le soleil chaud, plus chaud que jamais. Elle ferme les yeux et sourit, se laisse réchauffer par l’astre. Devant elle s’ouvre le sentier d’une longue descente vers une vallée verdoyante, un petit morceau de monde à l’écart de tout, et en son centre, une immense tour, droite et blanche. Elle est encerclée par la ligne argentée d’une rivière qui s’enroule autour de manière surnaturelle. Plusieurs champs colorés de fleurs jaunes, rouges et blanches, au milieu d’une ceinture boisée qui s’écoule des flancs des montagnes qui les dominent. Rae hume l’air, observe le mouvement du vent ; il est calme, tourne et s’enfonce vers la tour. Alors elle sort ses ailes, et bondit en quelques pas jusqu’au bord de l’à-pic, puis elle saute.

La sensation est délicieuse, elle se laisse planer et de glisser paresseusement sur le drap léger des courants. C’est à peine si ses rémiges s’agitent tant l’air est clément, et elle se laisse guider avec joie, reposant ses muscles et sa peau endolorie. Çà et là, elle remarque d’étranges canaux creusés dans la roche. On dirait qu’on y a démarré une carrière sans jamais la finir, comme un coup de cuillère à pot donné directement dans la falaise. L’homme dans son esprit lui murmure que ceux sont eux qui sculptent le vent pour lui permettre de si aisément s’y déplacer. La vallée entière semble conçue pour ses semblables. Et effectivement, elle se sent poussée jusqu’à la tour, mais elle n’y file pas droit, comme si on avait voulu qu’elle visite, qu’elle observe l’endroit avant d’y être portée. Elle passe devant d’anciennes ruines, au-dessus de grandes parcelles de terre autrefois cultivées, et maintenant à l’abandon. Le courant ralentit, et glisse paresseusement le long d’une rivière, elle peut même voir de grandes truites évoluer à la même vitesse qu’elle, dans l’eau. Par son reflet, elle voit le Roi qui nage à leurs côtés, une expression sereine peinte sur le visage. L’espace d’un instant, elle cesse de lui en vouloir et l’observe dans tout ce qu’il a de royal, de paisible. Ils volent côte à côte, puis il disparait soudainement alors qu’elle se voit soulevée par un pilier d’air chaud qui s’enroule autour de la tour blanche. Elle monte et monte encore, passe devant l’ivoire sans défaut qui la compose, et qui semble – aussi absurde que ça puisse paraitre - avoir été taillé d’un seul bloc. Elle n’y décèle aucune fenêtre, pas de meurtrière discrète ou de mâchicoulis, juste un immense obélisque figé dans le temps et l’espace, épargné par les éléments qui ont gratté la perfection du reste de la vallée. Sans effort, elle est portée jusqu’au sommet de la tour, où elle se pose, du bout des pieds.

747 mots.


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Eerah
Mer 25 Déc 2019, 20:09


Le sommet de la tour est un cercle parfait qui pourrait aisément contenir plusieurs maisons et leurs jardins ; ses bords étaient aiguisés comme si la pierre sortait de chez le tailleur. Dans cet ivoire lisse et brillant, elle peut voir le Dædalus mimer ses mouvements à ses pieds. À moins que ça ne soit elle qui l’imite ? Il sait exactement où aller et Rae n’est plus sûre de qui du reflet ou du reflété mène la marche. Cette pensée étrange investit son esprit : et si la réalité était là, de l’autre côté de cette surface polie ? Un vertige la prends, mais elle n’arrive pas à faillir, ni à trébucher. Les mouvements lents et précis du Roi l’en empêchent. Il baisse les yeux vers elle ; et elle se doit de lui rendre la pareille. Alors il redresse la tête, et elle l’entend s’éclaircir la gorge.

— « Désolé. Il vaut mieux que je reprenne la main, à partir d’ici. »

Il est impossible de décrire avec précision ce qu’on ressent lorsqu’on devient soudainement le reflet d’un autre. Vos mouvements ne vous appartiennent plus ; vos pensées deviennent floues, elles suivent docilement le chemin que l’original leur impose. Dans cet état second d’hébétude, elle s’interroge, elle se demande comment est-ce qu’il pouvait sembler à ce point maitre de lui-même lorsqu’il était encore de l’autre côté du miroir. Le Déchu intercepte la question avant qu’elle n’ait fini de la formuler dans ce qu’il reste de son esprit. Il la rassure, l’apaise d’une lame de confiance et soudainement, elle oublie qu’elle ne devrait pas oublier. Calme, obéissante, elle épouse ses déplacements à la perfection, elle acquiesce à ses réflexions sans les remettre en question. Puis Eerah la dissimule quelque part au fond de sa propre conscience. Il s’étire avec délectation au vent frais de la vallée, ravi d’enfiler encore une fois sa propre peau. On ne peut oublier la chaleur du soleil, mais on peut se languir de sa caresse. Il approche du centre du cercle.

Alors qu’il avance, le marbre semble se changer en lait ; ses pieds s’y enfoncent sans résistance, comme dans un bain. La pierre liquide lui arrive jusqu’au bassin, puis il tombe. Il ne flotte pas ; c’est une chute dans la froide obscurité de la roche. Pourtant elle ne pèse rien sur ses épaules, elle ne tente pas de l’étouffer en s’insinuant dans sa bouche, dans ses narines. Il peut se souvenir de l’effroi qu’on ressent à se sentir piégé, au milieu du néant, mais il n’est plus question aujourd’hui de l’éprouver à nouveau. La chute se prolonge, peut-être plus longtemps que la première fois, ou peut-être pas ? Lorsqu’il reprend sa marche, c’est au centre d’un couloir si long qu’il semble sans fin ; il jette un œil en arrière et la moitié de la distance parcourue suffirait à faire entrer trois fois le diamètre de la tour. S’il en croit ses yeux, il faudra au moins un jour avant d’en venir à bout. Alors il refuse de les croire, et soudain il passe le pas d’une salle assez grande pour accueillir le plus grand des bals.

Elle se trouve là, fière et nue, sa peau blanche et ses yeux de glace posés sur lui avec une malice certaine. Son sourire est chaleureux, mais joueur ; elle tient en équilibre sur un doigt une couronne haute et pointue en glace.

— « Eerah, chou ! Quel plaisir de te revoir après toutes ces années ! Comment vas-tu ? Tu vois que tu as fini par obtenir tout ce que je t’avais promis. »
— « Et pas grâce à toi, petite voix. »
— « En es-tu sûr ? »

Un sourire de chat étire son visage, ses yeux se plissent et ses joues tâchées semblent bleuir légèrement, détail qu’il n’aurait pu remarquer la première fois qu’ils se sont rencontrés. Elle se lève de son trône et court à sa rencontre ; en arrivant à ses côtés, elle attrape doucement son bras et dépose sur sa joue un baiser frais.

— « Eh bien. Moins énervé, mais toujours aussi sérieux ! Déride-toi un peu, enfin ! Tu aurais pu venir me voir, quand même. »

Il soupire et marmonne :

— « Désolé. »
— « Trop tard ! »
— « Quoi, trop tard ? »
— « Trop tard, je t’ai déjà pardonné ». ajoute-elle avec malice, en l’entrainant le long des sculptures en bas-relief qui tapissent les murs de la salle.

741 mots.


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Mer 25 Déc 2019, 23:23


Chaque mur est orné d’un bas-relief extrêmement détaillé de ce qu’il reconnait comme étant des moments de sa vie ou de la vie d’Avalon. Lorsqu’il les a parcouru des doigts, presque un millénaire auparavant, ils n’étaient porteur d’aucun sens. Un homme nu, en compagnie d’un tigre ; une ville sur une ville, des îles dans les nuages. Si c’est aujourd’hui évident, il n’y a vu en premier lieu que les folies d’un artiste laissé à lui-même pour emplir les murs sans fin d’une salle gigantesque. Mais à présent, cette longue fresque a des airs prophétiques qui seraient à un doigt de le mettre mal à l’aise s’il n’avait jamais été confronté à plus étrange au cours de sa longue vie. Pendant quelques moments de silence, Eerah avance, la petite voix à son bras. Il laisse couler son regard gris sur le marbre blanc, et s’arrête devant une scène d’ébats entre lui, Erza et deux amies Déchues. Sans s’en rendre compte, il se penche légèrement en avant : le niveau de détails est surnaturel, chaque statue semble pouvoir s’animer soudainement et l’attirer à elle. La petite voix laisse échapper un petit rire qu’elle tente vainement de masquer en plaquant une main sur sa bouche, et en regardant ailleurs, un air mutin plaqué sur le visage. Le Roi lève les yeux au ciel et l’emmène un peu plus loin. Si l’on omet les scènes de vie gravées aux murs, le reste de la pièce est assez sobre. Un trône siège au bout de la salle, il est surélevé de quelques marches, et domine une longue piste de danse délimitée par les motifs discrets du dallage. Plusieurs fenêtres hautes et minces éclairent le hall à intervalles réguliers, mais deux immenses chandeliers viennent compléter le tableau et apporter une deuxième source de lumière qui met mieux en valeur les jeux d’ombres sur les bas-reliefs. La petite voix le prend par la main pour le tirer vers une autre scène. Elle y est elle-même représentée, et elle tient la main du Roi, en pointant du doigt une sculpture qui la représente, sur laquelle elle…

— « Pas mal, hein ? »
— « Troublant, oui. » convient le Déchu à contrecœur.
— « Oh allez, lâche toi un peu ! Mille ans qu’on s’est pas vu et on dirait que tu es toujours le même petit garçon ! »
— « J’avais au moins cent-huit ans à l’époque. »
— « C’est bien ce que je dis. » réplique-t-elle, en partant d’un nouvel éclat de rire.

D’une pression de la main, elle l’entraine vers le milieu de la pièce. Sans l’attendre, elle commence à danser, et une mélodie familière monte du sol pour l’accompagner. Eerah s’approche doucement, en la détaillant du regard, elle qu’il n’a jamais vu qu’en rêve ou du bout de ses doigts. De plus près, sa peau n’est pas blanche, mais d’un bleu pastel très clair ; ses cheveux eux sont blancs, coupés courts en une frange qui lui surligne le regard. Ses grands yeux brillent aux reflets de lumières qui n’existent pas, et son irisé d’un bleu profond, illuminé de l’intérieur comme le soleil à travers un glacier. Pas de parure, ni de maquillage, ses taches de rousseur se suffisent à elles-mêmes. Même dans cette tour glacée où s’engouffre le vent, elle ne porte qu’une très courte robe diaphane, plaquée sur des formes presque enfantines : elle n’a pas beaucoup de poitrine, et ses hanches sont à peine assez larges pour qualifier sa silhouette en « A ». Le regard du Dædalus suit ses courbes discrètes, et ses yeux s’arrêtent sur les pieds de la jeune femme, qui n’en sont pas vraiment, puisque ses jambes se terminent chacune sur un sabot fendu d’un noir nacré où on croit voir briller le canevas moucheté d’un ciel étoilé. Il se fige, interdit :

— « Qu’est-ce que tu es, en réalité ? »

Elle lui adresse un large sourire entre deux arabesques.

— « Ce que tu as fait de moi, idiot ! Et arrête de me regarder comme ça, c’est mal élevé. »
— « Pas chez moi. » contre-t-il.
— « Je sais, continue. » avant de rire à nouveau.

Il se fend d’un rare sourire. Elle était si différente que dans sa mémoire ; il l’avait souvent perçue comme manipulatrice et retorse, mais ses souvenirs de cet évènement restaient embrumés. Elle n’avait jamais vraiment menti, mais à la manière des Ætheri, n’avait jamais été des plus limpides. Il la regarde bouger en rythme quelques instants encore, avant d’aller à sa rencontre. Avec une expression ravie, elle se saisit de sa main et de son épaule, et l’entraine.

768 mots.


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Eerah
Jeu 26 Déc 2019, 16:56


Ils valsent et tournent ; Eerah se prête volontiers au jeu, mais il n’a jamais été grand amateur de danse. L’orchestre invisible termine son morceau sur un claquement de timbale qui s’éteint lentement, et la petite voix s’écarte de lui, avec une révérence parfaitement exécutée. Il lui rend la politesse et en se baissant, croise le regard de Rae. Il peut y lire curiosité et jalousie, mais elle n’a pas la force nécessaire pour l’en sermonner. Il hésite un instant avant de se redresser, quand, comme pour répondre au souhait de la petite fille emprisonnée, sa partenaire demande candidement :

— « Est-ce que je peux danser avec elle un moment ? Juste pour discuter et dire bonjour, nous n’avons pas été présentées ! »

Le roi la considère quelques secondes, le visage impassible. Dans son reflet, au sol et au plafond, la jeune Déchue se retient d’avancer vers la petite voix, mais déjà celle-ci s’approche et se penche vers elle, en lui tendant une main, la paume vers le ciel.

— « Allez, viens ! »

Timidement, Rae accepte son offre, et elle sursaute au contact de la peau fraiche et bleutée. Avec un grand sourire, l’étrangère aux sabots l’amène jusqu’au centre de la piste de danse, et une mélodie plus vive s’élève. D’abord avec gaucherie, puis plus aisément, elles entament un petit pas bien connu en Avalon. Lorsque la petite voix la fait tourner sur elle-même rapidement, la jeune fille éclate d’un rire qui semblait perdu, et elle s’aperçoit alors qu’elle a quitté ses vêtements chauds et usés pour une robe rouge, magnifique, et de petits souliers assortis. Elle lève un regard étonné vers la maitresse des lieux.

— « C’est vous qui faites tout ça ? »
— « La robe ? Non, ce n’est pas moi. » fait-elle avec un sourire mystérieux.

La Déchue fronce les sourcils puis une lueur s’allume dans son regard et elle cherche des yeux le reflet du Roi, mais – bien que cela semble impossible – il regarde ailleurs, alors même qu’elle le fixe de ses yeux. Ravie, elle continue de danser en observant le tissu qui flotte autour d’elle lorsqu’elle pivote. Tardivement et pourtant à point nommé, la femme bleue fait les présentations :

— « Eh bien bonjour, Rae. Je suis celui que grand monsieur un peu grincheux appelle la petite voix. Mais moi, je m’appelle Ævæ. »

Elle hausse les sourcils malgré elle, en réponse au reflexe facial du Roi ; elle ne comprend pas qu’il soit à ce point étonné qu’elle ait un vrai nom.

— « Bonjour dame Ævæ, je m’appelle Rae. Je vous trouve très belle. » avoue-t-elle comme si elle ne pouvait faire autrement.
— « Oh ! » s’exclame la petite voix en riant, « C’est très gentil de ta part, tu es très jolie aussi, petite Rae. » puis d’une voix plus douce : « Comment-vas-tu ? Il t’en fait un peu voir de toutes les couleurs aujourd’hui, non ? »
— « Ce n’est… Pas une journée facile, c’est vrai. Mais comment est-ce que vous savez que… Ah, les sculptures. »

Involontairement, son regard parcourt les murs proches comme si elle essayait de s’y reconnaitre. Sa partenaire de danse hoche lentement la tête. La musique s’affaiblit un peu alors qu’elle s’arrête et se baisse, en se mettant à la hauteur de son interlocutrice. Elle passe ses pouces sous les yeux de la jeune fille, et celle-ci sens les poches qui avait commencé à lui tirer les traits disparaitre. Ses lèvres gercées se referment sans mal, à nouveau lisses et roses pâle. Une caresse sur la joue et une vague de fraicheur la traverse, elle a l’impression de sortir le visage de l’eau d’une rivière d’été. L’espace d’un instant, elle s’oublie et oublie les problèmes qui l’accablent. La petite voix sourit et dépose un baiser sur son front.

— « Tu es très courageuse. Ne soit pas trop en colère contre lui, il n’a pas son mot à dire dans ce qui lui arrive non plus. Et puis, le pire est passé. Quand il était plus jeune, il avait l’air tout le temps fatigué et triste, et en colère, toujours en colère. Mais toi, tu l’as beaucoup aidé, même si tu ne le sais pas. Est-ce que tu crois que tu peux continuer à être là pour lui, au moins jusqu’à la fin du jour ? »

La paresseuse est hébétée, mais elle hoche la tête, d’abord par reflexe, puis fermement, avec une assurance retrouvée. Même si lui semble s’en méfier, Rae est persuadée de sa bienveillance. Elle prend la main sur son épaule et s’éclaircit la gorge.

— « Je vais faire de mon mieux, ma dame. »
— « Parfait. Ce que tu es mignonne ! Je suis certaine qu’on pourrait être de bonnes amies un jour ! »

Et elle s’écarte ; cette fois, en douceur, elle se sent passer de l’autre côté du miroir, mais c’est en pleine possession de ses moyens, et avec calme, qu’elle observe le Roi et la dame bleue reprendre leur conversation.

835 mots.


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Eerah
Jeu 26 Déc 2019, 16:59



— « Ce qu’elle est chou ! Elle a vraiment hérité du meilleur ! »

Il lui lance un regard de côté, et elle se lui assène une petite tape sur le bras. Son sourire mutin s’agite et ses yeux pétillent.

— « Mais j’aime bien l’ensemble. Alors, que vas-tu faire, maintenant ? »
— « Je ne sais pas. Je pensais arriver au cœur d’un souvenir quand j’ai vu la tour, mais force est de constater que ce n’en est pas un… »
— « Ah oui ? Pourtant ça s’est bien passé. Tiens d’ailleurs, on dirait que tu arrives. Tu m’excuse un instant ? »

Un grand bruit résonne dans la salle, et Eerah tourne la tête pour voir un homme emmitouflé dans plusieurs épaisseurs de laine entrer dans la pièce en s’appuyant lourdement sur la double porte. La musique s’éteint, et la petite voix va se placer un peu en avant du trône, les mains dans le dos. Quand le roi lui lance un regard interrogateur, elle place un doigt sur sa bouche et lui adresse un clin d’œil. Il reporte son attention sur le nouveau venu. À son bandeau et son bâton, il comprend vite que le souvenir l’a enfin rattrapé. Il observe attentivement cet ermite émacié, qui semble porter sur ses épaules le poids de toute la tristesse du monde. Qu’il est accablant de se voir ainsi accablé. Et énervant de comprendre à quel point on surestime toujours l’importance de ses propres problèmes. Il meurt d’envie d’aller le saisir par les épaules, de le redresser d’une tape derrière le crâne, de lui montrer en quoi son attitude est ridicule. Mais il ne sait que trop bien comment il aurait réagi si quelqu’un s’était arrogé le droit de le traiter de cette manière. Alors il s’applique à rester muet, et il se déplace sans bruit jusqu’aux côtés de la femme bleue en observant la suite.

Le souvenir se déroule sans heurt. Il se voit ramper puis crier puis supplier, et écarquille les yeux devant la patience et le calme déployés par la petite voix devant cet enfant geignard. Elle semble bien plus chaleureuse et bienveillante que dans sa mémoire, ce qui n’a probablement aucun sens, puisqu’elle est là, devant lui, sa mémoire. Force est de reconnaitre pourtant que la petite Déchue n’a pas entièrement tort. Il se désintéresse de sa propre personne pour observer « Ævæ », et la découvre compatissante, penchée sur lui, l’air soucieuse. Combien d’autres personnes survivent uniquement dans ses souvenirs, déformés et caricaturés jusqu’à ne plus être que l’ombre de ce qu’ils ont vraiment été ? Qu’en est-t-il de ceux qu’il a tués, ou forcé à oublier ? Etaient-ils tous aussi mauvais et coupables qu’il l’avait jugé ? Encore une fois et comme à l’époque, Eerah se voit contraint d’apprendre encore des enseignements de la petite voix. Il sourit.

Quelques minutes plus tard, le Déchu en haillons disparait lentement. Il ne gardera effectivement qu’un souvenir brumeux et altéré de cet évènement. Les mains sur les hanches, la femme bleue lui tourne encore le dos, elle fait face à une fenêtre et au soleil qui s’infiltre à travers. Lorsqu’elle finit par soupirer et qu’elle se tourne vers lui, il lui semble apercevoir un éclat brillant disparaitre sous ses yeux, mais l’instant d’après, elle lui sourit largement et avec insouciance.

— « Une bonne chose de faite ! »
— « Je te dois des excuses. »
— « Trop tard, je t’ai dit, bien trop tard, je t’ai déjà pardonné. »

Elle se frotte les mains et approche en faisant claquer ses sabots sur le dallage de marbre, alors qu’il était persuadé de ne jamais l’avoir entendu arriver.

— « Mais j’ai bien peur qu’à nouveau nous ne devions nous dire au revoir, mon Roi. Montre-leur de quel bois tu te chauffe ! »
— « Attends, la petite… Ævæ. Tu dis que c’est un souvenir, mais tu me parle et tu me prends contre toi comme s’il n’en était rien. Tu es une Æther, c’est ça ? Une déesse ? »

Elle éclate de rire et l’enlace.

— « Vil flatteur ! Mais non, non, il n’en est rien. Allez, file, et cette fois, ne m’oublie plus. »

Alors elle le tire à lui et l’embrasse, sa langue comme un glaçon, ses lèvres douces et fraiches comme la bise. Il se fige, lui rends son baiser et la tour disparait, avec ses statues, et sa femme bleue.

734 mots.


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Eerah
Ven 27 Déc 2019, 17:59


Rae s’assoit lourdement sur la grande pierre qui domine la vieille Avalon. Elle n’a jamais vu de ses propres yeux l’ancienne cité, mais c’est à peine si elle tient sur ses jambes. La journée – si on peut vraiment la qualifier ainsi – a été épuisante. Une série de sauts entre diverses époques, divers lieux, sans interruption. Ils passaient du jour à la nuit, du matin au soir, d’un continent à l’autre, parfois en l’espace de quelques minutes seulement. D’abord, ils avaient visité une vieille chaumière, dans les terres d’émeraude, et un peu plus loin, un campement établi depuis plusieurs semaines. Là-bas, une tente et un feu de camp y étaient perpétuellement entretenus. Un fil, sur lequel séchait une truite salée était tendu entre deux arbres, et souvent l’aveugle dépenaillé méditait dans l’herbe et dans la rivière, seul. Il lui arrivait de pleurer, apparemment sans raison. Mais le Roi ne voulait pas s’attarder sur place, elle avait senti le regard agacé qu’il avait posé sur lui-même. Le paysage changea, et ils le suivirent lors d’une longue marche jusqu’à Megido, qui, là encore, n’avait rien de semblable à la ville des Orishas qu’elle connait. Elle était plus petite, plus simplement découpée. Alors il était entré dans une auberge et s’y était nourrit sobrement, en évitant l’alcool ; puis quelques jours avait passé, et il s’était fait embaucher aux termes, d’abord pour nettoyer, puis pour prendre soin des curistes.

Elle l’avait vu coucher avec une femme blonde aux airs sauvages, une Réprouvée férale qui avait su enflammer le cœur et la volonté du futur Roi. Ce n’est qu’à partir de ce moment que l’homme dans sa tête avait semblé éprouver un peu de fierté à l’encontre de son écho du passé. Peu après, elle avait reconnu la femme comme étant Erza Taiji Stark, celle qui se hissera à son tour au sommet d’un peuple. Les instants suivants s’étaient enchainés rapidement ; des complots, des alliances, des réunions secrètes et un coup d’état. Des rencontres et souvent, la Réprouvée. Elle a suivi sa vie sans l’interrompre, et ça les a mené jusqu’à ce souvenir. Elle sait rien qu’à l’atmosphère qui règne, à la tension qui habite le Roi, que c’est un moment important. Perchés sur un promontoire rocheux, ils attendent patiemment la rencontre entre le nouveau Dædalus et l’Ultimage. Le reste est inscrit dans les livres d’histoire : elle est la clé de la reconstruction d’Avalon.

Le soleil est presque tombé lorsqu’ils apparaissent dans éclat lumineux bleuté. Elle est là et elle rit légèrement à une remarque qu’ils n’ont pas entendue. Puis d’autres Déchus arrivent en volant et elle reconnait certains des Vincidi. Rae se penche en avant, attentive ; c’est un moment d’anthologie qu’elle s’apprête à vivre. Mais ils sont tous figés, on dirait qu’ils attendent. Ils parlent de choses banales, visiblement tendus. Soudain, elle est là. Elle ne s’est pas matérialisée, elle n’a pas fait crépiter l’air avant de soudainement apparaitre ; non, elle est simplement là comme si elle avait toujours été là, et peut-être effectivement l’a-t-elle toujours été. Elle est magnifique, mais ce genre d’adjectif ne s’applique pas à elle. Avant de s’atteler à la tâche, elle décoche un regard amusé au Roi, parfaitement consciente de sa présence. Et après quelques échanges, la terre se met à trembler. Eerah la laisse maitre de leur corps pendant que ça se produit, et elle tourne sur elle-même, émerveillée. L’ancienne ville chute dans les entrailles du monde ; c’est comme si un géant sous la terre se retournait dans son sommeil. Les plaines et les vallons se plissent comme un drap, et ce qu’on nommera le plateau s’élève sans jamais s’arrêter. Le bruit est assourdissant, inimaginable. Et soudain, toute activité cesse, aussi brusquement qu’elle a commencé.

Il la laisse s’imprégner encore un peu de cette vision, puis le miroir bascule à nouveau. La nuit tombe, le noir se fait, et la petite chambre de Rae se referme sur le Dædalus. Le Wëltpuff n’a pas remué d’un poil lorsqu’il est apparu, son ronflement régulier se poursuit paisiblement. Eerah s’assoit sur le lit et il croise les doigts le regard perdu dans le vide. L’étranger entre par la porte et la referme derrière lui, et là encore, Karl ne réagit pas.

— « Quelle créature étonnante. » lâche le Roi à haute voix.

Un sourire amusé lui étire les lèvres, et il passe ses doigts dans la laine chaude de l’animal. L’intéressé roule sur lui-même et s’approche du lit. Comme pour lui-même, il ajoute :

— « Je t’envie, grosse peluche. »

Puis il tourne son regard gris vers l’inconnu, et pendant un moment ni l’un ni l’autre ne parle. Ils se jaugent et malgré le sourire insolent qui flotte sur les lèvres de l’homme, le Déchu peut lire sa tension, pour la première fois peut-être depuis leur rencontre. Pour la première fois peut-être il a son mot à dire, et lui au moins ne sait peut-être pas déjà ce qu’il s’apprête à décider. Un temps indéterminé s’écoule, et enfin l’étranger prend une inspiration. De manière très puérile, mais avec un sourire carnassier, c’est à ce moment-là qu’Eerah prend la parole, avant qu’il n’ait pu dire quoi que ce soit.

— « Oui, oui, je vais venir avec vous, etcetera, etcetera. Mais avant ça, vous allez sortir et patienter devant la porte, le temps que je mette mes affaires au clair. »

Le temps de cligner des yeux, il s’en est allé. Le Roi soupire, et se lève, il va se tenir droit devant le miroir.

917 mots.


Élévation | Chapitre 1, le Voyage GqzDWY

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Eerah
Ven 27 Déc 2019, 20:11


Immobile, le Roi fait face au reflet de la jeune Déchue, dans sa jolie robe rouge. Elle aussi se tient droite, docile, elle le regarde non plus avec dégout, mais avec indulgence, et pendant ces quelques instants, ils se comprennent enfin. Puis elle détourne le regard, et observe sa chambre dans le dos du Dædalus. Elle se retourne, et c’est un sentiment de complétude et de soulagement qui l’envahit ; Karl est là, il ronfle doucement et sa chaleur irradie jusqu’à elle. Son lit l’attend, comme si elle l’avait quitté quelques instants plus tôt, ce qui est surement le cas. La pile de vêtements sales est là, et par la fenêtre elle voit un morceau du parc de Basphel. Elle lisse sa robe du plat de la main, et l’enlève précautionneusement, avant l’accrocher à un cintre. Puis elle se déshabille complètement, et enfile une simple tunique de lin. A petit pas, elle s’approche du miroir, et il est là, il attend de l’autre côté. Rae passe une mèche de cheveux derrière son oreille, et elle se convainc de croiser son regard – elle a peur qu’il traverse la glace à nouveau, mais il lui adresse un sourire fatigué.

— « Bonjour, Rae. »

C’est la première fois qu’ils communiquent réellement l’un et l’autre, la première fois qu’il ne lui transmet pas une impression ou qu’il ne la soumet pas à un ordre mental. Elle baisse les yeux à nouveau, mais il semble avoir complètement gagné son indépendance. Dans le reflet, elle le voit s’asseoir au sol, les jambes croisées. Timidement, elle répond :

— « Bonjour, mon Roi. »

Il rit, et elle prend conscience que c’est peut-être la première fois qu’elle entend son rire.

— « Plus pour très longtemps, peut-être même déjà plus ; ce sont les Vincidi qui vont reprendre la main, il n’y aura plus de Roi ni de Reine en Avalon, du moins je l’espère. »
— « Ce serait une première. »
— « C’est vrai ! » et elle voit une lueur de fierté dans son regard ; « Le changement est nécessaire, et je suis convaincu que c’est pour le mieux. La monarchie a des avantages et des inconvénients, qui aujourd’hui ne se valent plus l’un l’autre. Nous verrons bien ce qui en ressortira. »

Qu'il était curieux pour une enfant de discuter politique en compagnie du chef d’un peuple tout entier. Il s’adresse à elle comme à un pair et cela lui plait beaucoup. Son regard se voile et elle demande, timide :

— « Qu’est-ce qu’on va faire, vous et moi ? »
— « Toi, tu vas continuer ton apprentissage, car c’est très important, et plus tard, tu auras la liberté de faire tout ce qu’il te plait. Moi, je vais te laisser tranquille. »
— « Mais !.. »

Elle n’est pas certaine de savoir pourquoi elle proteste. Au début de la journée, elle voyait la présence de l’homme dans son esprit comme une intrusion, un viol de tout ce qu’il y a de plus sacré. Après l’avoir suivi pendant les épisodes les plus marquant de sa vie, elle est effrayée de le voir s’en aller. Elle n’a pas envie d’être suivie en permanence, encore moins par quelqu’un d’aussi important que le Roi, mais sa présence à ses côtés lui donne un sentiment d’invulnérabilité qu’elle n’est pas prête à abandonner aussi facilement.

— « Vous… Vous pouvez rester si vous voulez, je ne vous en voudrai pas. »
— « Oh, si. Tu dis ça maintenant, mais qu’en sera-t-il quand tu trouveras quelqu’un ? Quand tu voudras être seule ? Un corps n’a pas à être partagé, et celui-ci, je te le donne. »
— « Vous me le donnez ? Comment ça ? »

Un silence tombe entre eux, et il soupire.

— « Quand j’étais Roi, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire d’Avalon une cité parfaite, et pour faire des Déchus une civilisation évoluée, où chacun peut trouver sa place. J’ai mis en place des infrastructures, des lois, et des institutions pour qu’en cas d’urgence, tout puisse fonctionner sans l’aide du gouvernement. J’ai choisi des personnes compétentes, à qui je confierai ma vie sans hésiter pour s’occuper de sujets importants, pour que même après mon hypothétique mort, tout puisse continuer à être administré. Je l’ai fait parce que c’était la meilleure chose à faire pour mon peuple, et je ne le regrette pas. Mais en faisant ça, je me suis poussé moi-même en dehors du trône. Métaphoriquement, bien sûr. Je n’ai jamais eu de trône, c’est la meilleure des idées pour attraper une escarre. »

Il est debout à présent, faisant les cent pas dans sa chambre comme un lion en cage.

— « Le temps a passé et j’ai fini par tomber à cours de solutions à apporter. Je suis usé, Rae. Ca fait plus d’un demi-millénaire que je suis roi, et personne ne devrait avoir le droit de diriger aussi longtemps. Je suis fatigué et j’en ai marre, alors j’ai choisi d’abdiquer, mais à ma manière. Le faire publiquement et officiellement aurait envoyé un très mauvais message, alors j’ai planifié mon propre assassinat. Ou plutôt, j’ai laissé aboutir une tentative d’assassinat – tiens, ça aussi, c’est usant à force, les gens manquent d’originalité, tu sais ? »

De toute évidence il n’attend pas de réponse, alors elle ne dit rien. Elle n’arrive toujours pas à comprendre ce qu’elle a fait pour mériter les confessions d’un souverain.

— « Tu sauras que lorsqu’on devient roi, ou reine, on est obligé de prendre des précautions. Déjouer des tentatives de meurtre, c’est une façon de procéder, mais encore faut-il les voir venir, et dans mon cas, c’était surtout un moyen de me garder en forme. Quand on est vraiment prévenant et qu’on y met les moyens, comme moi, on a recours à d’autres solutions, et l’une d’elle, c’est la magie. J’ai appris à ne plus mourir, ou en tout cas, à toujours renaitre de mes cendres. Mais c’est un procédé souvent contraignant, et il faut des années pour revenir à son état d’origine. En attendant, le corps meurt, et on renait. On repart de zéro, on redevient un enfant. Et cet enfant, c’est toi, petite Rae. »

Elle se fige. Sans lui laisser le temps de réfléchir, il relâche une quantité de souvenirs enfermés, il fait la lumière sur ce qu’il lui a caché depuis le matin. Elle demande, d’une voix effarée :

— « Ce n’est pas mon corps ? Il n’est pas à moi ? »
— « Si, il est à toi et à personne d’autre. Il t’appartient parce que tu es moi, moi avec quelques souvenirs en moins. J’ai vécu ma vie pleinement, et le bonhomme désagréable qui nous suit depuis ce matin va m’accompagner pour que je réalise encore une chose. Mais ce corps et cet esprit, à présent, c’est à toi qu’ils appartiennent, et c’est ta responsabilité de les emplir de souvenirs. »
— « Mais… Vous allez mourir ? »
— « Non. Peut-être. Je ne suis pas sûr, mais j’aime bien ça. Ça change. »

Le reflet dans le miroir se brouille et le Roi disparait, et une jeune fille en tunique de lin apparait. Rae sursaute devant son reflet, mais la voix d’Eerah résonne dans son esprit.

— « Hé, on dirait que tu as grandi, non ? »
— « Vous allez juste partir, comme ça ?! », demande-t-elle, la colère dans la voix.
— « Tu comptes m’en empêcher ? », il réplique, et elle peut presque voir le large sourire de prédateur qui lui barre le visage.
— « Non. Mais ne partez pas tout de suite. J’ai peur. »
— « Je sais. Mais ça va aller. D’ici la fin de la semaine, tu auras de mes nouvelles, je ferais jurer l’étranger. »
— « J’ai pas envie de le revoir. »
— « Oh, moi non plus. Je te souhaite de ne jamais avoir à faire avec l’un d’entre eux. »

Elle se détourne du miroir, caresse la tête de Karl. Il ne réagit pas, et cela fait rire le Roi.

— « Quel admirable gardien. J’ai toujours adoré ces bêtes-là. Tu en prendras bien soin, j’ai une petite idée sur la personne qui te l’a fait confier. »
— « C’est mon meilleur ami, il est fidèle et courageux. »
— « Alors tu n’as rien à craindre. »

Rae hésite, et elle jette un œil à la belle robe rouge accrochée dans la penderie.

— « Merci pour la robe. »
— « Ah ! Content qu’elle te plaise. Je ferais en sorte qu’on t’en envoie toujours une à ta taille, quand tu grandiras. »
— « Qu’est-ce que vous allez faire pour Erza ? »
— « Et ça, ça me concerne, petite curieuse. Je dois y aller, Rae. »

Elle hoche la tête lentement. Elle le sens s’extirper doucement, et elle frissonne. Bientôt elle sera seule, seule dans sa tête, et cette perspective, inexplicablement, l’effraie. Une dernière fois, elle entend la voix du Roi résonner, et il lance, enjoué :

— « Je te laisse avec un petit cadeau, j’espère que ça te sera utile. »

Eerah s’échappe, il s’éloigne, immatériel, et observe la jeune fille regarder autour d’elle, perdue. Elle se précipite devant le miroir et scrute son reflet, mais rien. Alors elle s’étend sur son lit et elle pleure doucement, mais le Déchu refuse la tristesse. Il la regarde avec une certaine tendresse, et imagine la tête de ses professeurs lorsqu’ils découvriront ses étranges aptitudes en matière de magie mentale. Rae du Cœur Vert fera parler d’elle, ça c’est une certitude. Dans le noir, Karl se relève et va se coller à son amie ; elle renifle et referme ses bras sur la laine. Il sourit, et traverse la porte. De l’autre côté, l’étranger lui saisit le poignet et ils disparaissent de Basphel, pour de bon cette fois.

1631 mots.


Élévation | Chapitre 1, le Voyage GqzDWY

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