Je toquai à la porte. Un petit couinement de l'autre côté me fit comprendre que je pouvais entrer. J'enclenchai la poignée plaquée en or pour déboucher sur la chambre baignée de lumière. Sur la gauche s'offrait à moi un mélange de dorures baroques et une touche de romantique sculptée sur des meubles vieux d'un siècle ; un bureau simple où reposaient des encriers et une collection de plumes à écrire ; un fauteuil coquet d'un bleu de minuit dont le dossier semblait avoir été percé par une pluie d'étoiles filantes ; plus loin, une petite commode surplombée d'un miroir arrondi accueillait toute sorte de parfums, ainsi que quelques bijoux ; et pour finir, au fond de la pièce, une table basse d'un bois clair sur un tapis bleu cobalt aux motifs légèrement plus claires servait au bon maintien de deux tasses fumantes.Sur la droite, je détaillais un lit à baldaquin drapé de voiles également bleutés où couchaient d'énormes oreillers brodés ; des armoires assez larges de part et d'autre gardaient rangées des robes exquises comme les plus simples attirails ; des peintures, paysages paradisiaques comme scènes mythiques, toutefois de taille modeste, couvraient la paroi peinte en beige. Je portais mon regard sur les larges portes fenêtres se situant au milieu, pour distinguer -sur le beau balcon en croissant de lune- une silhouette familière. Une brise légère soufflait, et des battements d'ailes se firent entendre. Une chevelure blonde légèrement ondulée tombait sur ses épaules, sur une poitrine généreuse et des hanches arrondies. Les voiles, de couleur beige eux aussi, voletaient avec des coups de vent plus forts faisant plisser les feuilles vertes, accompagnant les deux ou trois cordelais tressés autour de sa ceinture. Une sublime créature, avais-je toujours pensé en regardant sa posture majestueuse et ses ailes épurées. Elle m'inspirait une admiration que je ne saurais attribuer simplement au fait qu'elle soit ma mère. Ses plumes m'avaient toujours émerveillée, étant enfant.

'' Bonjour, mère. Je la saluai formellement, après des années d'une absence silencieuse. J'avais voulu prendre mes distances, et je m'étais plus qu'appliquée dans cette perte de contact prolongée.
- Luli ! Approche ! Elle vint embrasser ma joue de ses lèvres, et enlacer mon corps de ses bras. J'étais légèrement plus grande, mais d'une carrure semblable. Je fus surprise par un tel rapprochement, et en vint à oublier qu'elle était celle qui m'avait séparée de ma sœur pour une question d'apprentissage. Je ne lui avais pas porté rancune, jamais. Je ne le pouvais pas. Elle symbolisait la perfection, drapée de pureté et d'élégance.
- Je suis venue, comme vous me l'avez demandé.
- T'ai-je forcé la main ? Elle parlait avec la même flegme mémorable que je lui trouvais auparavant. Il y avait une pointe d'amour dans ces messes basses, au timbre grave et sérieux.
- Pas du tout. J'estimais que je me devais de revenir. Elle m'invita à prendre place, à m'asseoir, ma main toujours dans la sienne.
- Je m'excuse de ne pas avoir pris de nouvelles récemment… Et de ne pas avoir été là pour vous, quand vous en aviez le plus besoin. Je la savais sincère.
- Je vous dois également des excuses. Pour mon départ… émancipé notamment. Je n'aurais jamais dû vous quitter de cette manière...
- Nous faisons beaucoup d'erreurs au nom de l'amour. Tu étais à la fleur de l'âge. Tu as toujours été une enfant si sage. Tu devais bien faire tes preuves et vivre enfin comme il se doit. Je me suis assurée de ta sécurité dans l'ombre, mais tous tes choix t'appartenaient.
- Il devenait de plus en plus difficile de revenir. De reprendre contact. Je sirotais enfin le thé à la menthe qui reposais devant moi, tandis que l'ange l'avait entamé depuis un petit moment déjà.
- Plus le temps passe, et plus il est difficile de trouver le courage de palier à nos défauts, ma belle Luli. Ne te reproche pas cela. Pour ma part, j'ai mon lot de responsabilités inassouvies.
- Suivez vos propres conseils. Vous n'avez pas de quoi vous en vouloir. Je savais que vous aviez beaucoup de responsabilités, au sein du conseil. Vous vous deviez de protéger les vôtres, notamment les plus faibles. Beaucoup étaient en bas âge lors du Chaos de Cristal, pour ne pas parler de la renaissance du Dieu Roi. Vous avez dû vous cacher, faute de combattants puissants dans vos rangs. Vous aviez… Tu avais beaucoup à faire. Elle but une autre gorgée, un sourire désolé en coin.
- Cela n'explique pas mon absence. Tu es ma fille, j'aurais dû veiller plus sur toi.
- Je ne t'en tiens pas rigueur. J'étais déjà adulte. Cela dit… Je n'ai pas pu empêcher le pire d'arriver. J'ai veillé sur Irisviel comme j'ai pu mais... Je baissai les yeux, faible.
- Tu n'y étais pour rien. Elle a creusé sa propre tombe, si je peux me permettre de parler en ces termes. Je te serais redevable si tu pouvais me communiquer l'endroit où elle est gardée, en surveillance. Je veillerai à la visiter moi-même.
- Vous… Tu te déplacerais ? Pourquoi ?
- Car elle aussi, elle est ma fille. Et ce peu importe quel crime, quel litige elle a commis. Elle est le fruit de mon sang, et il en restera toujours ainsi. Tant que je crois son esprit sain, j'essayerai de la sauver.
- Il ne l'est pas, mère. Il est corrompu, dompté par la folie. J'ai maintes fois mis ses folies sur le compte de l'inconscience et voilà où ça nous a mené. J'ai voulu attribuer cette responsabilité aux malheurs qu'elle avait traversés. Mais je crains que… il soit impossible de retrouver celle que nous connaissions. ''

Cela pouvait sonner pessimiste, mais j'avais conscience de l'ampleur de la vérité que j'énonçais là. J'avais vu de mes propres yeux la démence dans son regard, je m'y étais contemplée avant de devoir tourner les yeux, car c'en était trop pour moi. Irisviel n'était plus, et j'avais pris bien longtemps pour y croire. Dual devait sûrement encore faire son deuil, n'ayant pas encore refait surface. Il m'avait juré d'assumer à nouveau son rôle dès qu'il aurait achevé sa quête. Il n'en aurait plus pour longtemps, espérais-je.

'' Je ne compte pas l'abandonner pour autant. Elle a beaucoup trop souffert pour subir l'abandon d'un autre de ses êtres chers. J'ignore si je peux encore me considérer comme tel. Mais je ne la laisserai pas tomber. Tu ne dois pas en faire de même, Luli. Tu as supporté ses excès de colère, de joie, d'affection et de violence ces dix dernières années.
- Ne dis pas ça comme s'il s'agissait d'un fardeau. Elle était ma sœur, même si j'ai passé mon enfance loin d'elle. J'étais très heureuse d'être son appui, de la réconforter. Mais… bientôt c'en était trop. Je n'ai pas su y mettre un terme. Non pas que je fasse passer les liaisons amoureuses par dessus les liens du sang. Mais elle a été la cause de plusieurs histoires qui se sont mal terminées.
- Ta sœur avait toujours eu une étrange obsession envers… ses être proches. Que ce soit son frère, pour ne plus le mentionner, ou que ce soit toi. Même ses enfants j'ai cru comprendre. Elle avait toujours eu des tendances quelque peu extrêmes. Cela ne m'étonne pas qu'elle ait… interféré avec tes relations, uniquement pour te garder près d'elle. C'était sa façon de t'aimer j'en suis sûre. Or, elle ne te convenait pas. Et je comprends parfaitement d'ailleurs.
- Je me sens désolée d'avoir eu à l'enfermer.
- Tant que l'on prend bien soin d'elle, tout va bien. On verra si elle fait des progrès lors de sa réhabilitation.
- Je l'espère, car j'aimerais qu'elle soit présente pour ce qu'il y a à venir. J'ai un bon pressentiment.
- Moi aussi. J'ai entendu qu'on a retrouvé un de mes petits-enfants ??
- Tout juste. Nahestël est revenu. Je lui ai vaguement parlé de toi. Il m'a dit ne pas vouloir se faire d'illusions. Il voulait tout bonnement te parler, te rencontrer. Vous vous ressemblez je trouve, pour le peu que j'ai pu voir de lui. C'est un brave garçon. Il n'a pas eu la vie facile non plus.
- Malheureusement… J'espère qu'il ne s'en veut pas. Pour sa sœur j'entends… Les sujets sensibles l'étaient toujours autant après des années. L'on ne se remet jamais entièrement d'une tragédie tant qu'on ne l'a pas pleurée, tant qu'on n'a pas vécu auprès des nôtres la perte ressentie.
- Je pense qu'il ne revit pas souvent les souvenirs de cette époque. Tant mieux d'ailleurs. Je l'emmènerai avec moi la prochaine fois.
- N'hésite pas à lui dire qu'il est le bienvenu. Que l'Histoire ne se répétera pas.
- Je lui ferai savoir. Je lui souris.

Ravie et en même temps hésitante au vu de notre complicité, j'avais peur de connaître les mêmes déceptions. Je craignais de revoir jouer les trompettes de l'abandon et de l'injustice. Toutefois, j'avais foi. Et la foi, ça fait vivre les coeurs. La famille était devenue son coeur, ses membres représentant son âme. Elle avait changé, et pour le mieux je l'espérais.

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[ Eulalie x Inokentia ]