Quand bien même la Dame Rouge n'aimait pas partager le pouvoir, elle détestait plus encore le fait d'avoir à traiter avec des abrutis. Quand bien même elle avait décidé de défier le Monarque Démoniaque pour un temps, elle ne pouvait le faire seule. À vrai dire, ses objectifs étaient différents de ceux qu'elle affichait avec une impertinence qui la caractérisait. Elle voulait bien plus que monter de toutes pièces une rébellion. Elle n'était, en plus de cela, pas certaine que l'intéressé, contre qui elle se battait, saurait la contenter plus que quelques lunes. Elle ignorait combien de temps sa lubie durerait ; sans doute aussi longtemps que la langue folle du Démon assénerait des paroles qu'il pouvait exécuter sans la moindre difficulté. Était-elle attirée par le pouvoir ? Sans doute. Qui ne l'était pas ? Hormis les créatures idiotes et influençables ? Elle ne s'en plaignait pas. Après tout, il fallait bien des faibles d'esprit à manipuler, une bonne masse d'individus qui pouvaient facilement servir de chair à canon. Elle n'avait que faire des Démons. Elle trouvait la majorité inintéressante. Pourtant, le nombre avait son importance. Quand bien même sa puissance dépasserait bientôt celle de la moitié des Souverains de ce Monde, elle n'aurait de poids véritable que lorsqu'elle serait capable d'écraser les armées de ses adversaires de la sienne. Malheureusement pour Zane, elle allait se servir chez lui. Oh peut-être que d'ici quelques temps, elle lui rendrait ce qu'elle lui piquerait. Ce n'était qu'un jeu après tout. Elle n'était pas tenue de rester son adversaire durant des lunes non plus. « C'est amusant, toutes ces femmes qui semblent tourner autour de cet homme. » fit son mari avec un petit air amusé. Elle ne se formalisait plus du fait qu'il lise dans ses pensées sans lui demander son avis. « Je ne tourne pas autour de lui. Je lui fais face. ». Il y avait une différence. Quand bien même certaines femmes aimaient rendre piquante une relation avec dans l'esprit d'écarter les cuisses à la fin, ce n'était pas son cas, du moins, pas avec lui. Elle ne tournait pas autour de ses ennemis, elle les éliminait s'ils en valaient la peine ou finissait par se lasser si ce n'était pas le cas. Elle finit par regarder celui dont elle ignorait toujours l'identité. Plusieurs théories tournoyaient dans son esprit mais, malheureusement, aucune ne lui convenait. « Où allez-vous, ainsi vêtue ? ». Le corps de la Dame Rouge était entouré d'une épaisse fourrure d'un gris foncé à l'apparence soyeuse. « Dans la Forêt des Murmures. » dit-elle distraitement, plaçant un médaillon autour de sa gorge. Elle savait depuis longtemps qu'il posait des questions uniquement pour faire la conversation. Il savait ce qu'elle voulait entreprendre et cela se ressentait aux discours décousis qu'ils tenaient parfois. « Vous ne devriez pas rendre public un tel lieu. ». « À vrai dire, j'ai réfléchi également à l'avenir de cette femme. Quand bien même a-t-elle réussi à se cacher de ceux qui veulent sa mort, je pense que rendre son existence légèrement plus mouvementé pourra l'aider à s'élever vers d'autres priorités que les beaux yeux d'un homme aussi prévisible que les tomates qui poussent dans n'importe quel potager elfique. ». « Je sens que vous n'êtes pas contente. ». « Effectivement. Quoi qu'il en soit, rencontrer les sept individus dont j'ai besoin dans la demeure des Syrkell ne pourra qu'être bénéfique à mes yeux. ». Il leva les yeux au ciel. « Je n'aime pas que vous la mettiez en danger. » dit-il simplement, paroles qui étonnèrent la Dame Rouge. Elle ne releva pas, voyant en ce commentaire une faille qu'elle devrait étudier prochainement. Si cet homme appréciait l'Ultimage, il devait la connaître. Il soupira. « Prochainement, je ferai quelque chose qui vous plaira sans doute. En attendant, comme je vous l'ai déjà dit plus d'une fois, je suis un homme occupé. ». « Je ne vous retiens pas. » fit-elle sans la moindre émotion dans la voix. Elle était une femme occupée également. « Oh et... une dernière chose. Il semble que la magie soit légèrement instable en ce moment. Je ne sais pas si cela est une conséquence de la guerre que se livrent les Divins mais faites attention à vous. ». Elle détestait ce genre de conseils. Aussi, elle ne répondit pas, se contentant de se téléporter dans la Forêt des Murmures. Elle avait choisi d’œuvrer à visage découvert.

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Il y eut un moment de flottement où la Dame Rouge resta interdite. La chaleur qui l'accabla lui indiqua clairement qu'elle n'avait pas atterri là où elle souhaitait se rendre. Elle soupira, se demandant si son époux était à l'origine de la farce ; une force, qui plus est, étonnement peu glorieuse. L'étendue de sable chaud aurait sans doute ravie la Démone si elle n'était pas vêtue pour un tout autre climat. Elle se mit à rire légèrement en imaginant un Vampire subir le même caprice magique. Qu'importe cette défaillance soudaine, elle n'allait pas rester dans le Désert longtemps. Elle attendait afin de voir si quelque chose de spéciale était censée arriver. Parfois, le hasard n'était absolument pas à l’œuvre et le Destin répondait bel et bien présent. Puisque rien ne se passait et que sa peau commençait à devenir moite, elle se téléporta de nouveau, arrivant cette fois à bon port. Exactement où elle se trouvait peu de temps avant, une vieille femme apparut, comme si elle venait de couper l'espace, découper une porte dans le paysage. Elle sourit d'un air mystérieux et presque hautain. « Tic tac. » fit-elle doucement, ses paroles s'envolant au lointain, portées par le vent aride.

Au milieu des arbres à l'apparence effrayante de la Forêt des Murmures, la Dame Rouge avançait petit à petit. Elle faisait attention où elle mettait les pieds car l'endroit était néfaste à quiconque ne prêtait guère attention à l'environnement hostile. Elle pouvait posséder toute la magie du Monde, les plantes étaient malines et des créatures difformes auraient tôt fait de s'en prendre à elle sans réfléchir. Le pire fléau, à son sens, était la bêtise. Une personne raisonnable réfléchirait à deux fois avant de s'attaquer à elle. Un idiot foncerait tête baissée, ce qui pourrait la surprendre si elle n'était pas préparée à toutes les éventualités. La Collectionneuse passa doucement sa main sur sa gorge, la descendant légèrement pour tirer vers le médaillon dont le secret était caché entre ses seins. Là, pendue à la chaîne, il y avait une sorte de clef énigmatique. Cette dernière n'était pas faite pour entrer dans une serrure comme les autres. La forme était originale. La Démone sourit. Il n'y avait que deux personnes vivantes au Monde à détenir ceci : l'Ultimage et elle. Liée à une famille qui avait été annihilée jadis, Edwina en était la dernière descendante. Aria, quant à elle, était la gardienne de la deuxième clef car les Syrkell avaient eu une confiance aveugle en elle. La Dame s'approcha d'un arbre aux traits irréguliers et enfonça le médaillon à l'intérieur de ce dernier, une propriété imposante apparaissant alors au beau milieu de la forêt, tel un murmure qui aurait toujours été présent mais que la conscience des êtres n'aurait pu révéler auparavant. La frontière de la propriété était marquée par d'énormes grilles en fer forgé. Mitsuko sourit. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas mis les pieds ici. La dernière fois, sans doute n'était-elle qu'une adolescente à la recherche d'une prise à laquelle s’agripper. Pourquoi revenir après tous ces siècles ? Elle n'en avait aucune idée. La pensée que l'endroit serait un lieu de réunion parfait avait germé dans son esprit dès qu'elle en avait retrouvé la clef. Les déménagements avaient parfois du bon. Elle espérait que ceux qu'elle avait appelé viendraient. En attendant, elle comptait bien visiter de nouveau ce lieu. Elle n'était pas sûre de s'en rappeler dans les moindre détails. Jadis, sa chère « tante » lui donnait des cours dans quelques pièces. Celle-ci lui avait murmuré les mots qui avaient forgé son caractère et qui lui avaient permis de reprendre ce qui lui appartenait. Sans les Syrkell, sans l'une d'entre elles, elle ne serait rien aujourd'hui. Elle n'aurait jamais rien été. C'était pour cette raison qu'elle aimait l'Ultimage, qu'elle souhaitait la protéger et l'aider à s'élever à la place qu'elle méritait. Elle avait une dette énorme envers ces Sorcières qui avaient atteint une puissance surprenante avant de se faire assassiner les unes après les autres sans qu'elle ne puisse rien faire.

Lorsqu'elle entra, la magie du lieu opéra, le feu commençant à brûler aux deux extrémités de l'escalier qui amenait à la pièce principale. Se propageant dans des rigoles emplies d'huile, les pièces de la demeure s'éclairèrent toutes les unes après les autres, redonnant un semblant de vie à ce qui était abandonné depuis bien longtemps ; du moins, c'est ce qu'Aria pensait. Un élément avait changé, et pas des moindres.

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Le bois crépitait sous les assauts incessants du feu. Dès que la Dame Rouge avait passé les premières marches, sa tenue avait totalement changée. Chaque être qui entrait dans la demeure Syrkell voyait ses habits troqués contre des tenues plus appropriées aux us et coutumes du lieu. En contrepartie, quiconque sortait des murs de la bâtisse sans être averti finissait nu. Aria observa un peu la pièce principale au plafond si haut qu'il aurait fallut être bien six, montés les uns sur les autres, pour l'atteindre. La Reine Blanche avait dû venir ici quelques fois et la Démone en trouva la preuve de diverses manières. « La couronne ? » fit-elle en trouvant un vieux parchemin qui parlait d'un artefact aux dix-huit jumeaux. Elle n'était guère au courant des recherches de l'Ultimage sur cet objet. Oh, bien entendu, l'intérêt de la Reine pour les Alfars ne datait pas d'hier mais de là à souhaiter en devenir elle-même une de temps à autres... L'avait-elle seulement trouvée ? Les yeux dans les flammes, la Collectionneuse sourit. Cela ne faisait aucun doute, surtout que la demeure menait tout droit à Drosera. Ce lieu était un endroit stratégique parfait et, bien qu'elle ignora tout des affaires des Syrkell, ces dernières devaient faire du commerce avec les Alfars dans des temps reculés.

Après un petit tour, la Démone décida de s'asseoir dans l'un des confortables fauteuils de la salle, du thé apparaissant sur la table basse. La demeure Syrkell était semblable au Manoir Taiji, indépendante, comme si l'Âme d'un être hantait les lieux. En réalité, il ne s'agissait que de magie, une magie qui, malgré la mort de celles qui avaient construit ce lieu, perdurait dans le temps. Quoi qu'il en soit, Aria avait pris l'habitude de fixer elle-même les lieux de rendez-vous. Décider lui permettait de choisir un environnement propice dans lequel elle pourrait ne point perdre son temps en cas d’absentéisme de ses invités. Elle avait d'ailleurs amené avec elle plusieurs documents qu'elle devait lire ; des informations en provenance de divers individus qu'elle employait depuis des années. Ces informations étaient l'une de ses nombreuses fenêtres sur le Monde. Les Vivants lui rapportaient les nouvelles certaines et les on-dit, et les Morts lui soufflaient les secrets qu'ils avaient pu entendre, présents dans les salles du trône et dans les conseils restreints sans que personne ne se doute de la menace qui planait en réalité. Les Esprits avaient une grande utilité, bien qu'ils se montrent souvent capricieux. Elle se rappelait fort bien de cet Esprit qui lui avait donné un rendez-vous au cœur d'un lieu appartenant à présent au passé. Il l'avait trompée, simplement pour le plaisir de la voir se déplacer pour rien ; aussi parce qu'il savait pertinemment qu'elle ne pourrait rien faire contre lui. C'était pour cette raison que la Dame Rouge ne faisait plus aucune exception à son principe. À présent, qu'importe qu'elle ait besoin des autres ou les autres d'elle, elle seule fixait les modalités des rencontres. Calmement, elle amena la tasse à ses lèvres, ses yeux se posant sur l'horloge qui trônait dans la pièce. Les Syrkell avaient été riches et influentes ; pour l'époque, elles possédaient de multiples objets qui pouvaient être, encore aujourd'hui, considérés comme modernes. Beaucoup de peuples ne les avaient pas encore acquis. Plus elle y réfléchissait, plus elle trouvait que l'écart entre les races était souvent flagrant. Certaines civilisations possédaient un raffinement sans égal alors que d'autres en étaient toujours à puiser de l'eau au sein de puits et à avoir une hygiène plus que douteuse. Les Démons faisaient plutôt partie de la seconde catégorie à ses yeux. Plus le temps passait, plus elle réfléchissait au bien fondé d'appartenir encore et toujours à une nation qui n'était pas la sienne à l'origine. Il y avait bien d'autres horizons plus prolifiques... Elle y songeait et les possibilités qui s'ouvraient à elle était nombreuses. Elle ne voyait qu'un nuage gris à l'horizon : les Humains. La Dame Rouge sortit de ses pensées lorsqu'elle entendit la porte s'ouvrir. Bien sûr, ses invités seraient sans doute étonnés par le changement de tenue imposé mais ce ne serait pas un mal. Ainsi, tous seraient à la même enseigne. Elle leur avait légèrement expliquer la situation, bien entendu, mais elle attendait de les avoir en face d'elle pour entrer dans les détails. Elle avait besoin d'eux. Ils étaient vieux, ils la connaissaient. Elle espérait qu'ils la soutiendraient.

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