J'étais dans le temple des esprits, ayant quitté la prison peu de temps après le retour d'Aria. La réunion, je n'avais aucune envie d'en parler, et je m'en fichais pour tout avouer. Non, il y avait quelque chose qui me préoccupait bien plus que cela. Je venais voir Mitsuko en réalité, personne d'autre qu'elle et j'entrai dans l'une des pièces, celle-ci assise sur une sorte de trône, me fixant avec des yeux dont je n'aurai su décrire l'émotion. « Parle donc Jun. ». Elle l'avait dit sans joie ni peine, d'un ton si neutre que j'en vins à penser que nous étions alors devenus deux étrangers. Je m'avançai pourtant, m'agenouillant devant elle, enfouissant mon visage contre ses cuisses. Je fermai les yeux, ça faisait tellement de bien, sentir son parfum, savoir qu'elle était l'une des seules personnes en ce monde qui ne chercherait jamais à me détruire. Au contraire, elle passa doucement sa main dans mes cheveux, me caressant avec délicatesse sans rien dire. Que pouvait-elle me dire de toute façon? Que j'étais piégé de la tête aux pieds et qu'il était trop tard pour reculer? Oh ça je l'avais bien compris et ma plus grande erreur avait simplement été de ramener Aria à la vie. Je n'avais guère besoin d'elle pour reconstituer les fragments et dès lors qu'elle m'avait donné cette information, j'aurai dû la laisser croupir à l'état d'esprit. Mes mains autour de la taille de la déesse se resserrèrent légèrement. Elle était à présent l'un des esprits du temple et moi un fidèle récalcitrant. La seule qui méritait de mourir était simplement Aria pour m'avoir créé ainsi. Je pouvais aimer d'autres femmes, comme la mienne par exemple, mais je ne pouvais en aucun cas cesser d'aimer celle-ci. C'était plus fort que moi, une malédiction qui semblait ne jamais pouvoir prendre fin, uniquement lorsqu'elle n'existerait plus. Mais j'avais été créé pour elle, je le savais et si Aria se promenait avec ce petit sourire confiant sur le visage dans son état actuel de faiblesse, c'est qu'elle savait qu'une fois sa descendante éliminée, je ne serai plus grand chose. Elle voulait le pouvoir et j'avais compris que la tuer ne ferait que l'arranger. Avec tout le mal qu'elle avait fait dans sa vie, son essence même totalement corrompue, elle ne ferait que devenir démone, une finalité pour elle qui lui donnerait assez de pouvoir pour avoir la puissance de me tuer en peu de temps. Elle avait besoin de moi et je dépendais aussi d'elle d'une certaine manière. Je n'avais plus envi de penser à tout ceci. Je savais que je ne pouvais m'arrêter maintenant, moi le méchant sorcier qui avait mis le monde à feu et à sang. Non, ne plus y réfléchir, me laisser doucement porter par les caresses de cette femme qui avait sans doute l'intention de simplement m'apaiser. J'aurai voulu plus, tellement plus, mais je n'étais pas en mesure de lui faire la moindre requête. J'avais envi de lui demander si elle était heureuse avec Zéleph, au moins, si elle avait retrouvé ses souvenirs concernant Naram et plusieurs autres choses. Pourquoi m'avait-elle ignoré par exemple lorsque Orion avait envahi les terres du Yin et du Yang avec ses zombies? Voulait-elle qu'elle est moi finissions ainsi, à nous déchirer? A nous haïr? Pourtant, lorsque je cherchais son amour, je ne l'avais jamais trouvé, et maintenant que je cherchais sa haine, je ne la trouvais pas davantage. Elle semblait interdite, distante à mon égard mais sans gentillesse ou méchanceté. « Mitsu, tu me tues... ». Elle m'énervait à me laisser l'approcher, à me caresser doucement sans que ses gestes ne reflètent un quelconque attachement. Mince, n'avait-elle pas une once d'amour pour moi? Je ne savais plus quoi penser pour être exact. Je savais qu'elle m'aimait, je l'avais toujours su, mais jamais ses paroles ou ses actes ne l'avaient prouvé. Alors quoi? M'avait-on créé de façon à ce que je crois dur comme fer à un amour de sa part qui n'existait pas? « D'après les dernières rumeurs, c'est toi qui va me tuer Jun. ». Elle avait dit cela d'une façon si calme, comme si elle n'en avait rien à faire, la reine des glaces parfaite. Je relevai mon visage pour croiser ses yeux qui ne me quittaient pas. Je finis par me relever, énervé. « Alors quoi? Tu as l'intention de me parler comme si j'étais un étranger encore longtemps? Tu veux m'apaiser ou me faire culpabiliser? Mais je ne culpabilise pas Mitsuko! J'ai aimé tuer tous ces gens, semer le chaos, la destruction! Ce monde tombe en ruine et si seulement cette femme n'était pas revenue à la vie, j'aurai pu recréer quelque chose de meilleur une fois que j'aurai eu le cristal! ». « Mais tu ne peux t'en prendre qu'à toi même, Jun. C'est toi qui l'a fait revenir, simplement parce que tu voulais me défier. ». Je soupirai, sachant très bien tout ça. Finalement, je n'allais pas répondre. Au lieu de ça, je tendis juste mes bras, lui proposant de venir s'y glisser. C'était idiot, totalement dangereux car je savais qu'elle ne s'exécuterait pas, mais je dus bien admettre que je ne la connaissais pas tant que ça puisqu'elle finit par me rejoindre. Je refermai mes bras sur elle, soupirant de soulagement. Pourtant, lorsqu'elle ouvrit de nouveau la bouche, ce fut pour m'accabler. « Tu as tué des enfants auxquels je tenais juste pour toucher mon époux et ensuite tu oses encore penser à me demander si je suis heureuse avec lui? ». Elle lisait dans mes pensées, forcément. Elle savait comment me déstabiliser. « Alors oui, Zéleph me rend heureuse, Jun et oui je sais à quel point cette nouvelle te rend dingue. Mais que peux-tu faire contre ça? Vous vous êtes battus et tu as bien vu qu'il était plus puissant que tu ne le seras jamais. Que cherches-tu? A te torturer encore et encore? Ce n'est pas en me tuant que tu rompras notre lien, au contraire, ça te tuera presque et ça, tu le sais très bien. Seulement, maintenant c'est trop tard. Le mal est enraciné dans ton cœur et tu es pris dans un engrenage que tu ne pourras pas stopper. ». Je me courbai un peu, posant ma tête sur l'une de ses épaules. Elle était vraiment petite mais peu importait, j'étais fatigué, énervé, déprimé, torturé et j'en passe. J'avais juste besoin d'être avec elle comme par le passé et elle ne pouvait me refuser ça. Notre relation était tellement étrange, incompréhensible. « Zéleph est un crétin. ». Elle rit et je finis par l'imiter. C'était une sorte de moment qui nous appartenait, où on pouvait rire puis se déchirer, pleurer ou s'embrasser. J'aimais la tenir contre moi mais je la soupçonnai aussi d'user de sa magie pour vider mon esprit de tout ce mal qui l'habitait de plus en plus chaque jour. « Je n'ai pas retrouvé mes souvenirs concernant Naram, mais je ne le souhaite pas. Il me donne l'impression de n'être en aucun cas attaché à ma personne comme tout le monde semble le dire. Cet homme m'insupporte. ». « Ah... Et moi? ». J'avais reculé un peu, fixant de nouveau les traits de son visage, légèrement inquiet sur la réponse à venir. Après tout, le Mârid et moi étions tellement semblables parfois, il me hantait, m'obsédait, m'effrayait aussi. C'était étrange, quelque chose que j'avais du mal à saisir. J'avais l'impression de pouvoir le sentir de temps en temps, le deviner ou comprendre sa façon d'agir. Pourtant, je n'étais sûr de rien. Mais, à cet instant, je me demandais quels étaient les sentiments de cette femme à mon égard. « Je n'ai aucune réponse et tu le sais. ». « Il faudra bien que tu me le dises un jour. ». « Non. Cela n'a aucune importance et ne pourra rien t'apporter. ». Elle posa alors ses mains sur mes deux bras, me regardant d'un air grave : « As-tu seulement pensé à une issue de secours? ». Non, c'est vrai, je n'y avais pas songé. Si j'avais raison et qu'Aria réussissait à trouver le moyen de me prendre le cristal, alors je ne devais pas laisser les choses se faire. Cependant, je n'avais pas l'intention d'arrêter mon projet, même en connaissant les risques. Alors que faire? « Écris une lettre à Naram. ». Je faillis m'étouffer quand j'entendis ces mots, celle-ci continuant pourtant comme si de rien n'était. « Je ne l'aime pas mais je pense qu'il ne te tuera jamais. Peut-être est-ce que je me trompe mais si j'avais le choix entre tuer Edelwyn et la laisser vivre, peu importe ce qu'elle m'aurait fait, je préférerai la laisser vivre. Je crois que ce qui t'unit à Naram est semblable. ». Je finis par rire, lui faisait remarquer alors : « Si je pouvais, je le tuerai, alors je suppose que c'est pareil pour lui, Mitsuko. ». Elle sourit. « C'est ce que tu te dis mais je suis certaine que tu ne le ferais pas. Tu ne l'as jamais rencontré, ou alors aperçu que très brièvement, mais une fois que tu te retrouveras devant lui, je pense que tu ne voudras plus le tuer. Alors oui, écris lui. L'idée est simple : tu gardes ta lettre et si tu vois dans le futur qu'Aria va gagner, envoie lui celle-ci dans le passé en usant du cristal. ». « Et je lui dis quoi? ». « Tu lui dis de te transformer en génie. Sous son emprise, tu seras obligé de lui obéir, obliger de céder les cristaux. Tu ne pourras pas reconstituer le cristal maître et, de ce fait, le danger sera écarté. ». Je m'écartai brusquement d'elle, énervé. Elle se prenait pour qui pour me demander de faire un truc pareil? Moi? Demander à Naram de devenir un génie qui, en plus, serait sous ses ordres? Je préférai crever!

Pourtant, quelques heures après, elle m'avait convaincu, me rappelant que cela ne m'engageait en rien puisque je n'allais guère envoyer cette lettre maintenant. Néanmoins, j'en tremblais encore de rage quand ma plume commença à écrire sur le parchemin. Il était la dernière personne à qui j'avais envi de demander de l'aide, quelle qu'elle soit. « Tu le détestes hein? ». J'étais pitoyable, totalement puérile. « Oui. ». Et elle en profitait. Je souhaitai alors à cet instant précis que jamais elle ne retrouve ses souvenirs le concernant, que jamais ils ne s'entendent de nouveau, qu'elle le haïsse encore et encore, toujours plus.

« Naram, transforme moi en génie. ».

Je n'avais pas été capable d'écrire autre chose, de mettre ne serait-ce qu'une formule de politesse à son égard. Seulement, la déesse m'arracha la feuille des mains et la déchira sous mes yeux, m'ordonnant de recommencer avec une mine horrifiante. Je passai des heures à essayer d'écrire quelque chose qui lui conviendrait, totalement épuisé à la fin, capitulant face à Mitsuko qui n'avait guère de contraintes. Le sommeil, la faim, rien ne semblait l'atteindre. J'expliquai alors à mon double la situation, ce qui me poussait à lui demander de me transformer en génie, mes craintes, toutes ces choses que jamais je n'aurai avoué si le regard de la jeune femme que je ne pouvais m'empêcher d'aimer ne m'avait pas surveillé, si sa voix ne m'avait pas encouragé à écrire des choses qui me faisait rager. Mais je m'attachais à la seule pensée qu'elle le détestait, ce qui me conférait un avantage non négligeable sur lui. Moi qui avait mis le monde à feu et à sang, lui qui essayait de le sauver et elle qui me préférait. C'était tellement amusant au final. Je finis d'ailleurs par m'endormir sur la table lorsqu'elle m'indiqua que la dernière version de ma lettre était la bonne. Je me sentais idiot. J'étais roi, j'étais sensé être le pire des hommes, je la haïssais autant que je la désirais lorsqu'elle n'était pas à mes côtés, mais dès que je la voyais, dès que je savais que je n'avais qu'à tendre la main pour la caresser, alors tout le mal que je lui vouais disparaissait. J'avais juste envi de l'écouter, juste envi de répondre à ses attentes. Je me haïssais pour ça, je détestais l'emprise qu'elle avait sur moi mais, en mon être, quand j'étais à ses côtés, je me sentais bien, à ma place, prêt à tous les sacrifices. Je la détestais.

2018