Uranie faisait les cents pas près de l'entrée du village, nerveuse. Elle guettait l'horizon sans relâche, attendant la venue de l'invité de Maëlith. Après de longues minutes d'attente, elle décida d'aller s'assoir un peu plus loin pour calmer le tambour de son cœur. Fermant ses yeux, la muse de l'astrologie prit de grandes bouffés d'air, frais et si pur, dans lequel flottait une touche de fleur de cerisier, de rose et de lilas. La jeune femme se concentrait sur sa respiration, et peu à peu, elle sentit les muscles tendus de tous ses membres se relâcher, et son rythme cardiaque s'apaiser. Tout de même gênée et mal à l'aise, elle se demandait vraiment ce qui était passé par la tête du conseil. Une telle idée ne pouvait que leur retomber dessus, et le courroux de la reine serait destructeur. Mais en tant que plus jeune muse parmi les sept, elle n'avait guère osé protester. Et maintenant, elle se trouvait dans une situation si délicate. Les secondes s'écoulèrent, puis les minutes. Uranie était prête à s'assoupir. Elle rouvrit soudainement ses paupières, comme si elle venait de se rappeler qu'elle avait une tâche à accomplir. Sautant d'un petit banc, elle accourut à l'entrée et vit avec horreur qu'un homme attendait. A sa vue, l'hystérie revint de plus belle. Plaquant sur son front une mèche blonde rebelle, elle alla se planter devant lui, les joues rouges de honte et s'inclina avant de prononcer aussi calmement que possible:

«Mon Seigneur Kuro, soyez le bienvenue à Maëlith. Veuillez me suivre, s'il vous plait.»

C'était à partir de maintenant que les ennuis commençaient. Souriante, Uranie se retourna et traversa le village aux bâtisses plus magnifiques les unes que les autres. Ce lieu n'était pas considéré comme la capitale des arts et des beautés pour rien. Elle se dirigea d'un pas vif vers la place centrale qu'une fontaine surplombait. Un groupe de petites orines étaient assises juste en face d'une femme à la longue chevelure d'ébène, une peau de lys d'une pâleur sans pareil et de grands yeux noirs envoutants. Sa voix résonnait à travers la place, claire comme du cristal:

«La princesse, admirant ce merveilleux habit, était à consentir presque délibérée; mais, par sa marraine inspirée, au prince amoureux elle dit : "Je ne saurais être contente que je n'aie une robe encore plus brillante et de la couleur du soleil." Le prince qui l'aimait d'un amour sans pareil, fit venir aussitôt un riche lapidaire, et lui commanda de la faire d'un superbe tissu d'or et de diamants, disant que s'il manquait à le bien satisfaire, il le ferait mourir au milieu des tourments.»

Extrait de Peau d'âne de Charles Perrault.

Émerveillées, les petites ne pipaient mot, à l'écoute de leur reine qui leur lisait quelques passages d'un roman. Sentant une présence étrangère, la jeune femme releva les yeux et posa doucement ses prunelles sur Uranie, puis que l'inconnu qui l'accompagnait. Lentement, elle laissa glisser le vieux lire aux pages jaunis qu'elle tenait du bout des doigts, et il s'affaissait sur la pierre claire de la fontaine. Au loin, les autres muses accoururent, et l'une d'entre elle alla jusqu'à la souveraine pour lui murmurer à l'oreille.

« Voici Alec Kuro, votre majesté, le Seigneur de la Nuit.»

« Mais je n'ai organisé aucune réponse. J'ai clairement spécifié ne vouloir recevoir personne pendant quelques temps, et tu sais pourquoi, Thalie.»

« Nous avons pris la liberté de l'inviter à Maëlith. C'était ça, ou vous seule, dans sa demeure.»

Si un regard pouvait tuer, la jeune orine aux cheveux roux serait certainement déjà morte. Elle lut dans les yeux de sa reine que bientôt, elles allaient toutes devoir rendre des comptes. Mais aucun sentiment ne vint illuminer les traits lisses du visage d'ange de Lily-Lune. Elle se contenta de se lever avec une certaine élégance et annonça aux petites orines que c'était tout pour aujourd'hui. Elle se dirigea ensuite vers Uranie et le vampire le plus haut placé du moment. D'un geste de la main, elle indiqua à toutes les muses de déguerpir de sa vue au plus vite. Ces temps-ci, ces demoiselles prenaient de plus en plus de liberté. Lily allait devoir mettre les choses au point. Simplement vêtue d'une longue robe sombre aux motifs rouges qui soulignait sa silhouette élancée et mettait en valeur ses formes harmonieuses, deux clochettes se balançant et tintant au bout du laçage de son corset à chacun de ses mouvements, ses si longs cheveux à peine remontée, si elle était charmante, elle ne se considérait pas comme parée pour une rencontre royale. Peu importe, cela ferait bien l'affaire.

Elle s'arrêta à quelques pas du vampire puis esquissa une révérence tout en douceur, les yeux baissés avant de les planter dans le regard de son interlocuteur.

« C'est un plaisir pour moi de rencontrer le nouveau Seigneur de la Nuit. Soyez le bienvenu à Maëlith, votre Majesté. J'espère que votre voyage jusqu'à mon village s'est passé pour le mieux.»

Elle laissa un très léger sourire étiré ses lèvres naturellement d'un rouge sang, illuminant ses traits qui semblaient appartenir au monde céleste. Elle ajouta, plus à l'attention des muses du conseil qui devaient certainement les épier:

« Je suis navrée mais je n'ai rien préparé de spécial pour votre venue, j'aurai pu si seulement on n'avait dédaigné me tenir au courant de votre venue.»

Nullement effrayée par la proximité avec le Seigneur de la Nuit, Lily-Lune se tenait comme toujours naturellement bien droite et légèrement cambrée, contrairement aux autres Orines qui préféraient faire profil bas et courir se réfugier entre quatre murs. Un léger sourire polie et amicale étirait toujours les lèvres couleur sang de la jeune femme, qui gardait ses grands yeux noirs posés sur le visage blafard du vampire. Si ses traits d'ange demeuraient doux et sereins, elle n'en était pas moins irritée par le comportement des Muses et celles-ci auraient bientôt des comptes à rendre. Au moins était-elle rassuré de constater que, d'après les paroles d'Alec Kuro, elle n'était pas à la seule à avoir un entourage royale encombrant. Mais malgré ses dires, elle doutait qu'il soit réellement responsable de cette situation gênante, certaines Orines semblaient bien trop en savoir et leur attitude trahissait leur culpabilité. Elle ne répondit pourtant rien concernant ce petit malentendu, préférant régler ceci plus tard avec les siens. Maintenant que le vampire le plus puissant du moment était juste en face d'elle, autant en profiter. Se rendant compte qu'elle ne s'était même pas présentée alors qu'elle était plutôt discrète au sein des rois et des reines de ce monde au point que la plupart ignore jusqu'à son nom, elle ajouta doucement d'une petit voix chantante:

« Peut-être devrais-je déjà m'introduire un minimum, mon Seigneur? Car si votre nom est connu de tous, je crains avoir omis de me présenter officiellement. Je suis donc Lily-Lune Araé. »

Furtivement, la jeune souveraine laissa ses prunelles glisser sur son interlocuteur, détaillant son visage et sa tenue sans jamais dépasser les limites de la bienséance. Juste une petite curiosité à satisfaire quant à l'identité du vampire, pas celle qui présentait à qui le voulait bien, mais quelque chose de plus profond. Et la personnalité passait souvent par le style vestimentaire. Alec était tout de noir vêtu. Comme la plupart des créatures de la nuit, ou du moins, le cliché qui passait immédiatement à l'esprit quand on songeait à elle. Ce regard dura à peine une ou deux secondes, puis Lily-Lune déclara dans un murmure pareil à de petites clochettes tintant :

« Vous êtes là, face à moi, croyez-vous sincèrement que j'aurai l'audace de vous renvoyer d'où vous venez? »

En réalité, la demoiselle était largement assez caractérielle pour le faire, seulement, ce n'était guère dans son intérêt de couper à cette rencontre. Elle hocha la tête dans un petit mouvement bref. Une petite expression malicieuse illumina son visage blanc tandis qu'elle passait doucement une main dans sa si longue chevelure d'ébène, démêlant au passage de ses doigts fins quelques mèches entremêlées. La tête quelque peu baissée, elle observait Alec au travers de ses longs cils noirs avant de déclarer simplement:

« Suivez moi. »

D'un geste gracieux, elle indiqua avec un bras la direction à suivre tout en faisant quelques lents pas sur le côté, avant de s'élancer tout simplement à travers le village fleuri, lieu si naturel et qui n'avait pas volé sa réputation de capital des arts et des beautés. D'une démarche aérienne et élégante, Lily-Lune avança jusqu'à une grande demeure rouge noire et blanche d'un style architecturale doux et charmant qui collait parfaitement à la propriétaire. La jeune femme posa une main sur la poignée, et sans ouvrir la porte, elle tourna quelque peu la tête pour voir le visage du Seigneur de la nuit:

« Habituellement, il convient de recevoir les hôtes tels que vous dans les bâtiments officiels, mais je n'ai guère envie que certains villageoises viennent nous épier pour savoir le contenu de nos conversations et de nos éventuels décisions. Ainsi, permettez moi de vous inviter dans ma propre demeure. Le salon sera parfait. »

Elle jeta un regard noir aux alentours, sachant pertinemment que de petites curieuses devaient roder dans les parages. Au loin, elle vit une petite silhouette s'éloigner. Visiblement, elles avaient compris le message. Et il fallait bien dire que la plupart était trop intimidé pour s'approcher de la maison de la reine. Sans plus de cérémonie, elle tourna la poignée qui se déverrouilla grâce à la magie qui ne se laissait faire que par la paume de la jeune femme. Elle le conduisit à travers les pièces jusqu'au grand salon rond dont une partie du mur était couverte d'une longue bibliothèque remplis d'ouvrages aussi vieux que précieux. Près des grandes fenêtres, là ou la lumière était la plus claire et la plus pure, se trouvait quelques grands fauteuils simples mais élégants, toujours dans l'esprit du caractère si particulier de Lily-Lune. Elle désigna l'un d'entre eux auprès duquel elle se tenait debout, attendant qu'Alec Kuro s'approche et s'assoit. Elle s'éloigna ensuite pour aller près de la cheminée ou brulait deux ou trois buchettes parsemés de quelques brindilles pour récupérer l'eau chaude qu'elle avait laissé sur le feu. Tout en se préparant un thé, elle dit le sourire aux lèvres:

« Je vous aurai bien proposer quelque chose, mais je crains ne rien avoir pour vous. J'espère que cela ne vous dérange pas que je boive quelque chose. »

Enfin, une tasse au breuvage brulant embaumant la cerise et la rose – tout comme elle, quelle ironie – entre les mains, elle alla s'assoir face aux dirigeants des vampires. Si elle mourrait d'envie de poser une question, elle se garda bien de la formuler. Du moins, pour le moment. Pensive, elle songeait aux orines dehors, qui devaient trembler d'inquiétude pour elle, nerveuse de la savoir seule avec un de ses êtres buveurs de sang.

Lily-Lune posa avec délicatesse sa tasse de thé sur le rebord de la table basse en verre qui la séparait du Seigneur de la Nuit, après avoir bu une dernière gorgée du breuvage chaud et sucré. Tout en écartant du bout des doigts quelques mèches brunes, elle annonça simplement d'une voix clair, un sourire désolé sur les lèvres : « Monseigneur... Alec... Je suis vraiment navrée. Mais je crains de devoir vous abandonner. Veuillez me pardonner, mais j'aperçois par la fenêtre que je ne peux m'empêcher de guetter depuis peu quelques unes des Orines que j'ai chargé d'accomplir une tâche de la plus haute importance pour mon peuple. Et en vue de la panique que je lis sur leur visage, je ne peux m'attarder avec eux.» La jeune femme se releva, puis se courba légèrement face au vampire qui fit instinctivement de même.

« Croyez moi lorsque je vous dis être désolée, mais cette rencontre improvisée n'était guère appropriée. En guise de pardon, je tâcherais si vous le voulez bien de passer vous voir, dans votre terrain, dès que l'occasion se présentera. Nous aurons surement l'occasion de nous revoir.» Elle lui sourit, presque timidement, avant de l'inviter d'un geste de la main à la suivre pour qu'elle le ramène près des grandes portes. Sur le chemin, ils bavardèrent de tout et de rien, mais certainement pas de politique. Les au revoir furent brefs, des plus rapides. Lily-Lune ne voulait guère paraître impolie, mais elle avait d'autres chats à fouetter, et ils semblaient plus menaçants et encombrants...

« Que se passe-t-il donc, à la fin?» Lily-Lune observa de son regard froid les quelques orines qui, nerveuses, n'osaient même pas affronter ses grands yeux noirs et se contentaient de marmonner quelques mots d'excuses tout en se perdant dans la contemplation de la terre battue. « Ma Dame, nous avons entièrement dégagés les sous-terrains. Mais certaines d'entre nous sont persuadées d'avoir entendue des pleurs... Comme dans la légende...» - « Pardon?»

« Pleurs ma belle petite fleur, bientôt, tu mourras, de peine, de trahison, la fin approche. Tes deux larmes sont aussi précieuses que les plus magnifiques joyaux que ces terres ont porté. Tu es magique jusque dans tes larmes. Déverses dans la première toute la bonté dont tu as fais preuve, l'amour que tu as ressentis et partagé. Celle-ci est une véritable bénédiction. Elle sera une aubaine pour le premier qui pourra la toucher du doigt. Pleurs encore mon enfant, ce n'est pas terminé. Ta second larme, laisses s'écouler toute ta rage et ta colère, laisses toi envahir de haine, fais toi violence. Et la malédiction frappera celui qui voudra s'en emparer. D'or et d'argent sont ses deux petites gouttes, aussi fragiles que du cristal, nous irons les dissimuler quand tu ne seras plus. Meurs, petite fleure. Meurs.»

C'était les drôles d'écrits qu'une Reine bien antérieure à Lily-Lune avait retrouvé dans les archives, petit morceau de papier jauni et usé plié en deux dans un autre ouvrage, d'astronomie. De là était né la légende des Larmes d'Orine, et de ses pleurs incessants. « Que toutes les Orines sortent des galeries. Il est tard. Tout le monde chez soi. Je m'occupe personnellement de cette affaire.»

[hrp: Bon ben, on va essayer de s'incruster, je garantie pas le résultat XD]

      Maëlith... Royaume des Orines... Alors que venait-elle faire là? Elle, une Ombre? Elle soupira, n'aimant guère cette situation à l'avance. Cela sentait les ennuis et pourtant, elle y allait les deux pieds en avant! Et si elle savait où elle allait, la jeune Ombre ne savait toujours pas les raisons! Très pratique, bien évidemment... Et pour couronner le tout, parce que sinon cela ne serait pas marrant, sa mission la mènerait directement auprès de la Reine des Orines... Aaliah leva les yeux au ciel à cette pensée... Ce n’était pas tant qu’elle n’aimait pas la reine, au contraire Aaliah avait souvent bien du respect pour les porteurs de couronnes ─ et c’était probablement pour cette raison qu’elle avait été envoyée vers Maëlith ─ seulement, elle ne connaissait pas vraiment la reine des Orines. En fait, il y avait bien des choses qu’elle ignorait dans cette aventure et elle n’aimait pas du tout ça.

      Un mystère entourait les souterrains que la Reine avait ordonné de dégager. Un mystère peu rassurant, puisqu'il attirait une Ombre... Et tous savaient ici-bas, que la venue d'une Ombre était rarement de bon augure. Aaliah leva les yeux vers l’horizon et regarda la ville des Orines. Elle était arrivée à destination et sa nature d’Ombre lui dictait de bien mauvaises choses. Le mystère des souterrains n’était pas plaisant, l’Ombre pouvait ressentir une sorte de malédiction. Une intuition qui parcours l’échine et rend l’atmosphère lourde. Cependant, Aaliah n’avait pas le choix, elle devait aller là-bas.

      Elle regarda un instant sa louve, qui fidèle, l’accompagnait toujours dans ses déplacements, aussi long et dangereux soient-ils. L’Ombre se remit en route, la louve trottinant, méfiante, à ses côtés. Heureusement, il commençait à se faire tard et la jeune femme, éternellement encapuchonnée et vêtue de noir, se fondait dans les ombres de la nuit qui s’étendait doucement sur la ville des Orines. Elle avança en silence, croisant peu de monde et les seuls qu’elle croisât ne semblaient guère l’apercevoir, trop presser probablement de rentrer chez eux. L’Ombre ne leur accorda pas plus d’importance et discrètement fini par rejoindre les galeries que la reine avait libéré de leurs décombres passé. Aaliah regarda le trou béant qui menait sous la terre et une sensation étrange intrigua son instinct d’Ombre. Il y avait là plus d’un mystère, mais lesquels ? Devait-elle voir la reine des Orines de suite où bien devait-elle jouer les curieuses solitaires ? Il était peut être préférable de lui signaler sa présence…

      L’Ombre se retourna et remarqua quelques orines qui traversait encore les rues et décida d’aller dans le sens contraire de leur marche. Il lui semblait que c’était par là qu’elle trouverait leur reine. D’ailleurs, le flair de sa louve ne la trahit pas dans son choix. Quelques pas à peine, elle vit une silhouette qui ressemblait vaguement à la description de la reine Lily-Lune. L’Ombre s’approcha d’elle et ôta son large capuchon pour lui adresser la parole, par respect pour son statut.

      « Majesté ? demanda-t-elle toutefois afin de s’assurer de s’adresser à la bonne personne. Je me nomme Aaliah Z’Odra. L’ouverture des souterrains me mène jusqu’à vous, car ils semblent renfermer un mystère intriguant. Mystère dont j’ai besoin d’en découvrir l’origine. Me permettez-vous de me rendre à l'intérieur de ses galeries?» demanda-t-elle alors.

      Aaliah ne précisa pas sa race, car elle savait que cela était inutile. Sa nature d'Ombre ne faisait aucun doute, il n'y avait qu'une Ombre pour venir aussi tard, et finalement, ce détail là n'était guère le plus important pour le moment...

Des murmures surpris et choqués flottait sur le passage d'une sombre silhouette dont on ne pouvait percevoir les traits, dissimulés sous une épaisse cape. Apparition douteuse et inquiétante, la plupart des Orines préféraient se reculer ou s'empressèrent de rejoindre la Vénus pour se placer derrière elle. Calme et imperturbable, Lily-Lune suivit de ses grands yeux noirs cette ombre venue des ténèbres, immobile et muette. Pourtant, elle n'était guère ravie de voir surgir cette drôle d'étrangère car ce n'était ni le moment ni le lieu. Maëlith était un lieu protégé et secret, introuvable pour ceux qui n'y avait jamais mis les pieds, et voilà qu'un illustre inconnu arrivait dans les parages, tel une fleur. Mais elle avait pour habitude de ne pas tirer de conclusion hâtive et se contenta d'attendre que cet étrange personnage arrive à sa hauteur. D'un geste, elle découvrit son visage. Une jeune femme en apparence, aux traits fins quoique fort peu accueillant, de toute évidence, elle appartenait au peuple des Ombres. Lily-Lune hocha doucement la tête à son premier mot, lui confirmant qu'elle était celle qu'elle cherchait. Mais ce que la dénommée Aaliah confia ne plut guère à la souveraine, bien qu'elle n'en laisse rien paraître. Ce fut une Muse qui prit la parole, furieuse :

« Comment osez-vous ? Êtes-vous à ce point ignorante ? Ce village n'est pas ouvert à qui le veut ! Et vous venez nous narguer !» D'un bref geste de la main, Lily-Lune l'incita à se faire au plus vite Certaines avaient la langue bien trop pendue, et un sens du respect approximatif. Lily ne cautionnait pas ce genre de comportement déplacé. Dans un soupire, elle fit quelques pas pour se rapprocher de l'Ombre. Un léger sourire aux lèvres, elle entreprit d'éclaircir la situation avec plus de diplomatie que Melpomène. De sa voix douce et claire, elle commença: « Aaliah Z'odra. Pardonnez ce manque de politesse, mais les voyageurs et les passants se font rares dans les parages, d'où l'étonnement et la méfiance de mon peuple. Aussi, vous semblez détenir des informations que nul n'est censé savoir, si ce n'est les miennes.» Les souterrains n'étaient là que pour le bien-être des Orines, personne ne devait les connaître. Ils étaient le moyen le plus sûr pour que les petites sortant pour la première fois et les plus vieilles se déplacent en toute sérénité. Comment cette demoiselle avait pu apprendre leur existence ? « Vous en conviendrez, c'est assez fâcheux. Comment savez-vous cela? »

Pourtant une idée traversa l'esprit de la Vénus. « Mais peut-être qu'après tout votre venue est un cadeau des cieux.» Elle rit doucement sous le regard éberlué du Conseil qui ne comprenait guère. Elle continua : « Il se passe des choses étranges dans ses galeries, nous avons de nombreuses légendes à leur sujet, et je m’apprêtais à m'y rendre pour tirer au clair cette affaire. Seule, bien entendue puisqu'il est hors de question que qui que ce soit m'accompagne.» Elle fit une courte pause. « Dans les Orines, s'entend.» - « Majesté...» voulut intervenir Thalie. Mais cette dernière préféra se taire, car elle vit dans l'éclat des prunelles noires de Lily-Lune qu'elle ferait mieux de ne rien ajouter. « Si vous tenez tant que ça à résoudre un mystère, je vous propose simplement de m'accompagner. Cela vous convient-t-il? »

Lily-Lune ignora les protestations de son entourage. Le regard fixé sur Aaliah, elle souriant, attendant tout simplement une réaction de sa part. Puis lentement, elle se mit à marcher, invitant l'Ombre à la suivre d'un geste du bras. Dans le silence glacial de la nuit, elles purent s'éloigner ensemble du cœur du village. « Excusez cette accueil. Mais c'est assez peu courant, et la situation est déjà tendue, tout le monde est sous tension.» Elle sourit. Peu à peu, elle entraînait l'Ombre dans des coins plus sauvages jusqu'à arriver à une porte dissimulée sous les feuillages et les branchages.

[hrp: Décidément, je ne suis guère un modèle de ponctualité ]

      L'Ombre arqua un sourcil, intriguée. A peine eut-elle fini de parler à la reine des Orines que déjà une furie lui répondit. Celle-ci la traita d'ignorante, lui rappelant donc au passage que le village n'était guère ouvert à tout-venant. Aaliah se demanda alors depuis quand les Ombre n'inspirèrent plus la crainte d'autrefois... Le côté sombre et mystérieux de la mort avait-il donc perdu de son charme d'autant? Ou était-ce elle qu'il n'effrayait plus comme avant? Avant, sa venue signifiait un suicide à venir et personne n'aurait osé élever la voix contre une Ombre sans crainte son courroux et la faux de la Mort. Il fallait croire que les temps changeaient... Comme la jeune femme n'était pas venue en ce lieu pour semer la mort et le trouble, elle resta impassible à cette provocation. Elle qui pourtant, à une époque peu lointaine, s'emportait pour un rien, répondant parfois avec véhémence et glacialement à ceux qui se permettaient de la provoquer. Heureusement, l'Ombre ne dut pas attendre longtemps avant que la reine n'exigeât de l’irrévérencieuse un silence plus prompt à une discussion. La reine s'excusa d'ailleurs pour cet égard de politesse, argumentant que la rareté des passants en ce lieu provoquait l'étonnement et la méfiance de son peuple. La reine rajouta également que l'Ombre détenait des informations que nul autre ne devait connaitre. Ce qui, pour elle, était fâcheux. L'Ombre arqua à nouveau les sourcils lorsque la reine s'interrogea sur la manière dont elle avait obtenu ses informations... Les gens oubliaient-ils que les Ombres étaient aussi mystérieuses que tous les secrets que pouvait porter les Terres du Yin et du Yang? Il n'avait guère de peuple plus mystérieux... Pourquoi un peuple qui détenait les secrets de la vie et de la mort, ne connaîtrait pas le plus enfoui des secrets des autres? Lorsque le trépas frappait, bien des défunts parlaient, mais ceux les Ombres pouvaient les entendre... Une fois mort, nuls n'étaient tenus à ses promesses passées.

      Cependant, cela ne semblait guère déranger la reine plus longtemps. Elle vit dans l'arrivée de l'Ombre un cadeau des cieux... Vraiment? L'Ombre n'avait pourtant rien d'un ange que l'on eut pu trouver dans le royaume céleste. Elle regarda la reine un peu perdu en l'entendant rire. Une reine étrange, assurément... La reine Lily-Lune lui parla alors des étrangetés qui se passèrent au coeur de ses galeries et son intention de s'y rendre afin de percer ce mystère. Elle précisa qu'elle souhaitait au départ s'y rendre seule, ne voulant guère que quiconque l'accompagne. La reine précisa que le quiconque s'appliquait principalement à son peuple, les orines. Son discours récolta un timide « majesté » qui fut bien vite stoppé par un regard royal. La reine savait s'imposer face à son peuple sans prononcé le moindre mot. Elle proposa alors ce que l'Ombre avait déjà comprit, tout comment les orines qui avaient suivi la conversation: venir dans les galeries avec elle, pour percer leurs mystères ensemble.

      Autour d'eux, quelques protestations s’élevèrent. Toutefois, l'Ombre ne sut guère si cela était dû au fait que le reine se rendît dans les galeries en ignorant les probables danger ou si c'était parce qu'elle si rendait avec une Ombre. Peut-être un peu des deux... Une reine et une Ombre au coeur de mystérieuses galeries, cela faisait plutôt mauvais conte. Cependant, Aaliah ne s'interrogea pas plus longtemps et suivit la reine. Après tout, elle n'avait besoin que de son autorisation et puisque celle-ci lui avait proposé de l'accompagnée... Refuser une demande de reine, cela ne se faisait pas! De plus, un signe de bras l'invita une fois de plus à suivre son sillage. Arrivée à sa hauteur, la reine s'excusa de nouveau pour l'accueil reçu. Il y avait des tensions qui rendaient les gens un peu plus nerveux que d'habitude, semblait-il.

      « Cela n'est rien », répondit-elle, acceptant de ce fait les excuses données.

      Aaliah n'était pas là pour discuter de l'accueil peu chaleureux des orines. En tant que Ombre, elle avait finalement l'habitude des accueils peu courtois. Rare était celui qui accueillait la mort avec le sourire. A par les sages qui avaient compris que c'était là le but final de tout une vie et un passage vers une autre, Aaliah pouvait compter les accueils chaleureux sur les doigts d'une seule main.

      « Que pouvez-vous me dire sur le mystère que renferme ces galeries? Que risquons-nous d'y trouver? », demanda-t-elle alors pour rompre le silence.

      L'Ombre n'était pas spécialement curieuse, mais puisqu'elle se rendait au coeur des intrigantes galeries, autant avoir une idée, même plus ou moins vague, de ce qu'il pourrait s'y trouver...

Lily-Lune, dans un geste lent et élégant, écarta une longue mèche noire qui s'évertuait à lui tomber devant les yeux pour la placer derrière son oreille, un petit sourire sur ses lèvres aussi rouge que l'était le sang. Elle avançait d'un pas vif à travers les allées du village pour s'éloigner du cœur de Maëlith et arpenter des terrains plus sauvages et naturels, pensive, et elle finit par répondre à l'Ombre qui l'accompagnait en cette belle journée de printemps :

« En réalité, je ne suis pas vraiment certaine de ce que l'on va bien pouvoir trouver dans les galeries. Elles sont aussi anciennes que mon peuple, mais ont été longtemps inutilisées. Je viens à peine de les faire rouvrir. Mais les jeunes femmes à qui j'ai incombé la tâche de les remettre en état sont souvent venues se plaindre à moi de quelques faits pour le moins étranges et mystérieux. Au début, je n’ai pas réellement prêter attention à toutes ses rumeurs. Les Orines ont beaucoup d'imagination. Peut-être un peu trop parfois. Elles ont tendance à s'emporter pour un rien. Mais à force, j'ai du me rendre à l'évidence, surtout quand certaines sont revenues blessées, plus ou moins gravement.» Elle soupira. « Ces tunnels souterrains sont immenses, profonds, sur plusieurs étages, un véritable labyrinthe, avec des couloirs sans issu. Il a été créé de sorte à ce que seule une Orine connaisse le véritable chemin, rapide et sûr, pour rentrer à Maëlith ou en sortir en toute sécurité. A l'époque de sa construction, il y a de cela des siècles, la Vénus avait fait appel aux Nains pour les aider dans les travaux. On sous-estime souvent ses êtres. Ils ont creusé avec hargne et vigueur, peut-être un peu trop, et ils auraient réveille dans les tréfonds de nos terres de drôles de créatures qui auraient mieux fait de continuer à dormir.» Elle fit une petite pause, pour laisser la jeune femme à ses côtés le temps s'assimiler toutes ses informations. « Durant un temps, les Orines auraient vécu avec ces monstres des anciens temps avant de les enfermer, sur ordre d'une autre souveraine qui les craignait trop. Voici une partie des légendes de notre race.» Et ce n'était pas foncièrement une bonne nouvelle qu'elles risquent de croiser des créatures perdues, colériques et affamées.

« Bien évidemment, en tant que la Reine des Orines, je me dois de chasser ces choses, si elle existe bel et bien.» Elle sourit. Elle ne savait pas trop quoi penser de cette histoire et elle comptait aviser au fur et à mesure, préparée à toute éventualité. « Mais il y a une autre rumeur, qui m'intéresse bien plus que ces histoires d'épouvantes, fondées ou non. On l'appelle le mythe des deux larmes d'Orine. Car notre race porte le nom de la fleur qui aurait mis au monde les deux premières réelles membres de notre espèce. Avant de retourner faire partie de la nature, devenir fleur, elle aurait versé deux uniques larmes, elle, qui n'avait pas de sentiment. Dans l'une, celle qu'on nomme d'Or, elle aurait laisser couler son amour et sa bonté, tandis que dans celle d'Argent, elle aurait déversé sa haine et sa rancœur. Elles se seraient ensuite cristallisées pour ressembler à de petites perles, fragiles, qu'un seul contact humain détruirait.» Une belle histoire, si l'on peut dire. « Elles seraient donc des concentrés purs de la magie d'Orine. L'une donnerait une bénédiction à celui qui l'effleurerait et l'autre, une malédiction.» Ce que voulait Lily-Lune était très malsain, et elle le savait. Cependant, elle ne pouvait s'empêcher de voir les avantages d'une pareille entreprise. « J'ai fais beaucoup de recherches dans les Archives de la Grande Bibliothèque de Maëlith pour tâcher de discerner ce qu'elles pourraient contenir exactement. J'en suis arrivée à certaines conclusions.» Alors qu'elle avait donné des détails précis auparavant, elle restait volontairement évasive sur ce point.

Lily-Lune avait entraîné l'Ombre jusque dans les tréfonds d'une forêt. Sans la moindre hésitation, elle se dirigea vers deux grands arbres et écarté doucement le lierre pour dévoiler une petite porte. «Êtes-vous toujours disposer à vous enfoncer dans les ténèbres ?» Encore une fois, elle sourit, car elle avait choisis ses mots avec soin et rien n'était du au hasard. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la proximité de la mort ne la dérange pas le moins du monde, et elle était plutôt à l'aise face à cette Ombre mystérieuse et peu loquace. Lily-Lune était ainsi, elle s'adaptait à son interlocuteur. Et comme pour accompagné ses paroles, un bien macabre cri qui n'avait rien d'humain résonna à travers toutes les galeries. La Vénus haussa ses délicats sourcils noirs, espérant silencieusement qu'aucune Orine ne s'était attardé dans les parages. Elle avait déjà beaucoup à faire en ces charmants lieux et ne tenait pas particulièrement à se lancer dans une mission de sauvetage.

« D'ailleurs, Aaliah.» ajouta Lily-Lune de sa belle voix chantante. « Je m'appelle Lily-Lune.» C'était après tout la moindre des choses que de se présenter, et la Vénus ne tenait pas spécialement à ce qu'on l'appelle à tout bout de champs par des titres pompeux, d'autant plus si elles tombaient dans une situation d'urgence. Et sans plus rien ajouter, la jeune femme entra dans la pénombre des tunnels.