Fraises et tournesols
Solo

☙ Emma Peters - Multicolore

« Oooffff... » Dans le futur atelier vierge de tout mobilier, son soupir résonna sur les murs alors qu'elle s'étalait sur le dos à même le sol couvert de vieux journaux. Une forte odeur de peinture agressait ses muqueuses et les fenêtres auraient mérité d'être ouvertes mais Astriid avait perdu la volonté de se relever.

« Tu as des goûts douteux. » déclara Atae avec une passivité qui aurait mérité une médaille tant l'Archontesse paraissait incapable d'exprimer la moindre émotion. Avec le temps, l'Ygdraë pensait pouvoir deviner son humeur mais respectait le goût d'Atae pour le mystère. Tout ce qu'elle savait, c'est que derrière son apparence de jeune femme de petite taille se cachait une divinité mineure, mais mineure à quel degré ? Fallait-il créer un autel en son nom et l'inclure dans ses prières ? L'idée avait fait rire Atae, mais elle n'avait donné aucune indication pour clarifier le sujet. Dans le doute, Astriid ne la froissait jamais, mais ne l'idolâtrait pas non plus. En somme, elle se comportait avec elle comme au premier jour, la surprise en moins.

Actuellement, l'Archontesse fronçait le nez face aux murs. « C'est quand même curieux de peindre son atelier en rouge sang. » « C'est couleur fraises. » rectifia l'Ygdraë en roulant des yeux. « Mmh. » « Quoi ? » « Je pensais que tu comptais vendre des chocolats. » « C'est le cas. » « ... Quel est le rapport avec les fraises ? Ça n'a pas de sens. » « En effet ! D'ailleurs, je vais peindre des tournesols une fois que la base aura séché. » déclara gaiement l'Ygdraë en se redressant à moitié sur ses coudes. « Beurk. » conclut Atae. « Ce sera mignon, tu verras ! » « Ce sera hideux. Je parie que tu changeras d'avis dans... trois jours. » « C'est pas grave ! Je repeindrais par dessus ! » « Dans quel espace temps ? Tu as déjà à peine le temps d'aller au marché, à quand remonte ton dernier repas ? » « Euh, ce matin ? » répondit Astriid au hasard. Atae se téléporta subitement sur elle, accroupie au dessus d'elle et son nez collé au sien. « Mange. » articula-t-elle. « Mais d'abord, je dois - Bon, d'accord. » capitula-t-elle en voyant des éclairs parsemer les cheveux bleuets de l'Archontesse. « C'est quand même cocasse que quand je pars en Enfer, c'est à peine si ça te fait bouger un cil, mais sauter un repas, alors là... » « C'est primordial pour la santé d'avoir des repas réguliers. » déclara Atae d'un ton sentencieux. « Ben voyons... » Son marmonnement ne passa pas sous l'attention de la divinité. « Qu'est-ce que tu as dit ? » « J'ai dit, il me faut vingt oignons. » improvisa Astriid, ce qui lui valut une claque invisible sur le sommet du crâne.

Très chère Mancinia,

J'espère que tu vas bien, ainsi que Neah et les enfants. J'ai vu l'autre jour une exposition de tes bijoux dans une joaillerie, tu te surpasses à chaque fois ! J'espère un jour gagner suffisamment bien ma vie pour pouvoir m'offrir une de tes créations.

Quelles sont les nouvelles ? Je préfère ne pas trop me fier à ce que je lis dans la presse, si on les écoute, on se mettrait à croire que la terre est ronde !

De mon côté, mon projet avance bien, grâce à toi ! J'ai signé le bail de location la semaine dernière, merci encore pour le contact ! J'ai pu trouver mon bonheur si facilement qie c'en était suspect. Dans tous les cas, ça n'a pas beaucoup facilité les formalités administratives. Comme je ne suis pas une Mage, il y a tout un tas de paperasse à remplir.

Elle aurait voulu ajouter que c'était mille fois pire en Enfer pour annuler un Pacte mais jugea plus intelligent d'éviter le sujet. Elle s'était fait la promesse de plus jamais laisser ses problèmes toucher autrui, et en particulier Mancinia et ses proches.

J'ai commencé immédiatement les travaux. Le propriétaire du local m'a donné carte blanche, c'est une vieille dame qui n'a pour seule exigence que je passe la voir de temps en temps pour lui rapporter l'évolution des travaux, elle s'appelle Pâquerette et est formidable, je pense que tu adorerais discuter avec elle ! D'après elle, elle a eu une romance absolument incroyable avec un Dragonnier dans sa jeunesse, et elle a toujours des anecdotes fascinantes à me raconter à ce sujet ! Tu imagines ? Je vois parfois des dragons passer dans le ciel, mais je les vois rarement de près, je me demande ce que ça fait d'en chevaucher un. Ça t'est déjà arrivé ?

J'ai hâte que tu viennes visiter ma boutique ! Olonorin - c'est un Ygdraë qui, comme moi, s'est installé à Caelum pour y vivre - travaille en ce moment sur la façade. Il est ébéniste et ensorcèle le bois pour le sculpter selon la forme qu'il désire, c'est merveilleux, je pourrais le regarder faire pendant des heures.

Si tout se passe bien, je devrais pouvoir ouvrir d'ici quelques semaines. Laurier m'a dit qu'il viendrait m'aider pour l'ouverture. Il dit qu'il n'est pas gêné que nous soyons désormais concurrents mais comme il ne cesse de plaisanter à ce sujet, je pense qu'il n'est pas totalement sincère. Et il a raison, je vais voler tous ses clients ! Enfin, ça, c'est s'ils arrivent à trouver ma boutique. Elle est cachée dans une ruelle étroite en dehors des grands axes, dans une quartier reculé, je n'avais pas les moyens de m'offrir un local en plein centre-ville. Ça ne fait rien, j'ai prévu de faire une demande à la ville pour avoir l'autorisation de mettre un petit panneau indiquant l'emplacement de ma boutique, sinon je crains de ne pouvoir attirer personne et de devoir mettre la clé sous la porte. Qu'importe ! Je ne regrette absolument pas. J'ai aussi déménagé car Pâquerette me loue l'appartement au premier étage au dessus de la boutique ! Je pourrais t'inviter à prendre le thé sur mon balcon. C'est plus petit que ton jardin au Domaine de Qisard, mais j'essaierai de compenser en t'offrant une dégustation de chocolats !

Transmets à Sif toute mon affection, elle me manque !
Astriid Cëlwùn

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