La tanière des chats

Melanie Martinez - Training Wheels

Installée en tailleur sur son lit, Mazda éparpilla les différents éléments de couture sur sa couverture. Elle avait emprunté tout ce matériel à une camarade de classe avec laquelle elle avait vaguement sympathisé. Mazda n’avait pas vraiment d’amis, du moins elle ne les considérait pas comme tels. Les autres n’étaient pour la plupart que des éléments ambulants et interactifs qui tapissaient le cours de sa vie. Rare étaient celles et ceux qui savaient s’imposer à sa considération et obtenir son affection. A Basphel, ses homologues félins avaient droit à un traitement de faveur exceptionnel, mais parmi eux, Jasmin était parvenu à se hisser au sommet. Puisqu’elle avait grandi avec lui, Lupio était aussi un cas particulier : il avait la bonne tendance à être obéissant et lorsqu’il était propre, il constituait un coussin chauffant sur lequel elle avait passé bien des siestes.

L’Eversha attrapa une aiguille et la leva à hauteur d’yeux. On appelait ça un chas, mais elle préférait appeler ça un trou, car c’était moins perturbant. Il se situait à l'extrémité de cette petite tige de métal et il était minuscule. Depuis qu’elle s’était transformée en humaine, ses parents adoptifs avaient souhaité lui apprendre tout un tas de trucs, à elle et à Lupio. Chantalinora avait tenté de lui enseigner les bases de la couture, “histoire de dépanner”, tout comme elle l’avait déjà fait avec Blu qui savait maintenant réparer ses vêtements déchirés. Encore peu habile de ses mains à cette époque, le simple fait de tenir l’aiguille correctement avait été une tâche difficile qui lui avait donné envie de sortir les griffes. Mais le pire avait été l’épreuve suivante : faire passer un fin fil de coton à travers le chas. Mazda avait fait plusieurs crises de colère à ses premières tentatives et ces leçons n’avaient servi qu’à lui faire déchirer davantage de tissu qu’elle n’en rafistolerait jamais. Au bout d’un moment, Chantalinora avait plus ou moins renoncé et lui avait seulement montré comment elle s’y prenait, afin qu’elle eût au moins la théorie en tête.

Mazda en était donc là : à la théorie. Elle baissa les yeux vers son précieux coussin jaune, qu’elle avait posé entre ses jambes. Un trou sur le côté s’était formé à l’usure et le rembourrage menaçait de s’échapper et de s’éparpiller partout. Si cela venait à arriver, la basphélienne serait inconsolable. Elle devait donc s’en charger, coûte que coûte. Mazda attrapa le fil orange de sa main libre – ce n’était pas la bonne couleur mais au vu de l’urgence de la situation, elle ne pouvait se permettre de faire la fine bouche – et rapprocha les deux objets de ses yeux bruns. Là venait l’instant fatidique. Plus concentrée que jamais malgré ses tremblements nerveux, l’Eversha rapprocha le fil du trou. Elle n’avait pas le droit à beaucoup d’essais, car elle se souvenait qu’à force de tentatives, la fibre du fil finissait par se défiler et là alors, tout devenait impossible.

489 mots

La tanière des chats

Post-Malone - A thousand bad times

La porte de la chambrée s’ouvrit à la volée. Une boule effrayée et furieuse s’y engouffra à vive allure dans un tourbillon de couleurs vives et contrastées. La queue de Milo fouettait l’air comme s’il s’agissait d’un ennemi à tailler en pièces. Son sweat vert pâle était décoré sur le devant de quelques touches plus foncées. Mazda fut la première chose qu’il avisa ; et le coussin de couleur criarde qu’elle tenait, la seconde. Sa main fila vers celui-ci : ses griffes se refermèrent dessus et il vint le plaquer contre son museau. Il poussa un grognement de douleur et, mécontent, stressé, paniqué, jeta le coussin jaune sur le matelas de sa camarade. Plusieurs taches rouges en altéraient désormais la teinte unie. La raison en était simple : le garçon-chat saignait abondamment du nez. L’odeur du fer le prenait à la gorge et ses mains recouvertes d’hémoglobine lui rappelaient immanquablement son échec cuisant et sa mort imminente.

Lorsque Milo vivait en permanence sous la forme d’un chat, sa nature, son mode de vie, ses instincts et ses désirs s’accordaient parfaitement. Il pouvait se lover dans n’importe quel recoin étroit, ramper sous un grand nombre de meubles, se faufiler dans la plupart des interstices, grimper aux arbres, réclamer des caresses ou de la nourriture à toute heure du jour ou de la nuit ; son existence était d’une simplicité presque écœurante – plus il passait de temps sous cette forme humaine, plus il s’en rendait compte. Cet épisode-ci le lui rappelait avec une amertume toute particulière. En traînant dans les couloirs de l’école, l’adolescent avait repéré ce qui ne manquait jamais de capturer son attention : une souris. Toute petite, grise, calée dans l’angle d’un mur où elle dégustait quelques miettes abandonnées par des élèves peu précautionneux. Aussitôt en alerte, il s’était tapi près du mur, près pour une course-poursuite endiablée. Cela n’avait pas manqué : le petit rongeur avait fini par repérer le prédateur, et la chasse avait démarré. Courir avec ce corps malhabile relevait du défi. Sa gestion dans son ensemble se révélait d’une grande difficulté. Preuve en fut de cet instant où, sûr de lui, il avait voulu plonger derrière la souris dans un trou dans l’un des murets de la cour. Milo avait sauté tête la première vers celui-ci, comme il l’aurait fait sous sa forme de chat, et s’était lamentablement écrasé contre les pierres. Absolument paniqué, il avait fui dans l’autre sens, presque certain d’être au bord de la mort.

Milo se jeta sur le premier bureau venu et en balaya le contenu pour trouver quelque chose, n’importe quoi, il n’était même pas certain de ce qu’il cherchait exactement, il voulait juste que le saignement s’arrêtât, il ne voulait pas mourir. « Mazda, aide-moi ! » couina-t-il, désespéré. « Ça saigne trop, je vais mourir ! »

470 mots

La tanière des chats

Smash Mouth - Walkin' On The Sun

Plusieurs fenêtres parsemaient tout un pan du mur du dortoir. Leurs rebords étaient vite devenus mes lieux préférés. Garnis de coussins, de couettes et de vêtements de mes humains préférés, ils devenaient des nids douillets, parfaits pour la sieste lorsque j'avais la flemme de me déplacer jusqu'à la salle dédiée. Le seul défaut de cette dernière était qu'elle n'était pas juste à côté du dortoir.

Sous forme humaine, j'étais trop grand pour m'y installer, mais c'était justement ça aussi qui me plaisait et qui faisait tout son charme. Le plus étroit, le mieux. Après avoir longuement réfléchi au chemin que traçait le soleil dans le ciel, j'en avais déduit quel rebord accueillerait ma sieste pour être réchauffé de façon optimale. J'y étais actuellement, baignant dans le halo doré du soleil, plongé dans des rêves dont je ne me souvenais jamais au réveil, complètement nu car dans le dortoir, tout le monde comprenait et s'en fichait de la pudeur. Allongé sur le dos, mon corps dépassait dangereusement de sorte qu'un mouvement dans mon sommeil aurait pu me faire basculer. C'était déjà arrivé. Mes jambes étaient relevées contre le mur et j'avais un bras calé derrière la tête, l'autre sur le ventre et un léger ronflement à mi - chemin vers le ronronnement sortait de mon nez.

Au chahut qui démarra, j'ouvris un œil mécontent sous des sourcils froncés. Dès lors que je compris que la panique de Milo n'inquiétait pas ma propre intégrité mais uniquement la sienne, j'y devins absolument indifférent et ma paupière se rabaissa. Mais j'étais réveillé désormais. Des fourmis engourdissaient le bras sous ma tête et ma position me donnait mal au bassin. En outre, un désagréable picotement courait sur mon torse. Avec un soupir agacé, je rouvris les yeux pour les baisser sur mon buste. « Et crottine. » Maman était contre les vulgarités, alors dans les situations extrêmes, elle passait par des variantes, que j'avais adopté sans m'en rendre compte. Mon épiderme affichait désormais une vilaine teinte écrevisse. À la pensée de la torture des jours à venir, j'eus envie de me rouler en boule et de disparaître. À la place, je me levai et allai fouiller dans les tiroirs jusqu'à trouver de la crème hydratante. Adoptant ma mine la plus misérable, je me tournai vers les autres. « Hé ! Quelqu'un veut bien m'en mettre ? J'ai pris un coup de soleil. »

Quoi ? Je détestais la sensation de la crème entre mes doigts et sous mes griffes. Une fois, cédant à mes pensées intrusives, j'avais léché les résidus de crème et ça avait été absolument infâme.

451 mots

La tanière des chats

Mon majeur glissa le long de mon nez pour remettre mes lunettes dignement en place. Je posai ma valise sur le pas de la porte et attendis là quelques secondes. J’émis un rire macabre et énigmatique. Je connaissais déjà deux des protagonistes qui se terraient derrière ces murs. C’était eux qui m’avaient amené ici. Je ne les avais pas revus depuis puisque j’avais été affecté dans une autre chambre le temps de clarifier ma situation. Maintenant que j’avais passé le test d’adhésion et que j’étais considéré comme un étudiant comme les autres, la direction avait jugé bon de me permettre de rejoindre ceux qui me ressemblaient.

Mon sourire s’élargit en y songeant. J’avais peut-être légèrement forcé les choses. Les élèves de mon dortoir avaient capitulé face à mon machiavélisme. La nuit, je m’approchais d’eux doucement et me postais sur leur édredon, les yeux fixés sur leur visage de poupon endormi. Là, j’attendais qu’ils se réveillent avant de feuler. J’étais venu à bout de leur psyché en leur apportant des cadeaux que les humains n’arrivaient pas à comprendre : des cadavres d’oiseaux et de souris ensanglantés. En un rien de temps, j’étais devenu la terreur de ma chambrée. Il était devenu évident que nous n’étions pas au même niveau.

À présent que je m’apprêtais à retrouver des êtres aussi puissants et diaboliques que moi, je ressentais une pointe d’excitation. Mes deux futurs compagnons ne m’avaient pas paru particulièrement démoniaques à Juvaniel mais les chats savaient cacher leur jeu. Ensemble, nous conquerrons Basphel. Puis une fois que l’école serait sous notre joug, nous conquerrons le monde !

« Mwahahaha. »

Je ricanai et me baissai pour soulever de nouveau ma valise. J’ouvris la porte, sans savoir qu’une tornade était passée par là avant moi, et entrai dans mon nouveau repaire. Le Duc Paiberym et sa mine effrayée me manquaient mais j’étais résolu à devenir une encore plus horrible version de moi-même pour le faire mourir de peur une bonne fois pour toute. Je deviendrais son pire cauchemar et lorsqu’il recroiserait ma route, il blanchirait d’effroi.

Mais alors que je m’apprêtais à trouver la tanière du mal, le spectacle qui s’offrit à moi me rendit perplexe. Étais-je tombé dans une maison de fous ? S’exerçaient-ils à devenir clown ? Je relevai le menton, mécontent.

« Tsss. Il va falloir vous reprendre. Nous ne gouvernerons jamais le monde ainsi. »

Je laissai tomber ma valise au sol, repositionnai mes lunettes sur mon nez et fis quelques mouvements qui étaient censés être une chorégraphie brève de super méchant.

« Je suis Zébulon Noirbuisson et je vais vivre avec vous à partir de maintenant ! Ensemble, nous accomplirons de grandes choses et ferons trembler le monde ! »

Même si ça semblait très mal parti.

452 mots

La tanière des chats

Dvorak - Symphonie n°9 - Mouvement 4 (Allegro con fuoco)

« Chère Câline,

Maman m’aide à écrire cette lettre. Papa est revenu hier et m’a appris plein de choses sur les constellations. Il a dessiné une carte que je t’envoie ! Les astronomes ne sont pas encore tous d’accord sur les nouveaux noms des étoiles et des constellations. Papa m’a dit que celle qui était en haut à gauche s’appelait la constellation de l’edelwyn. Elle ressemble à cette pierre qui ressemble elle-même à une sorte de fleur. Papa m’en a dessiné une que je te joins au courrier. Il parait que les Magiciens ont appelé la constellation du bas « Élan de Suris » et celle du milieu à droite « Papillon de Yaveäth ». Mais tous les gens qui vivent sur le continent où elles sont visibles ne sont pas d’accord. »

[....]

Gros bisous !

Taram. »

Concentrée sur sa lecture, Calypso ne faisait pas tellement attention à ce qu’il se passait autour d’elle. Elle entendit tout de même les cris de détresse de Milo, la demande d’Eden et les exigences de Zébulon, nouvellement arrivant. Avant de s’adresser à eux, elle s’étira longuement. Après avoir coincé la lettre entre ses jambes, elle attrapa le pot de crème et commença à en étaler sur le chat cramé. Ses yeux s’accrochèrent plusieurs fois sur l’ouvrage de Mazda. L’envie de jouer avec le fil la titilla nerveusement, si bien que son œil droit frémit plusieurs fois. « Mais non tu ne vas pas mourir. » tenta-t-elle de rassurer Milo. « De toute façon, tu as plusieurs vies, non ? » On lui avait raconté une légende à ce sujet. Depuis, elle y croyait dur comme fer. Elle remonta les yeux sur Zébulon. Peut-être qu’elle pourrait l’embaucher comme danseur la prochaine fois qu’elle chanterait ? « Bienvenue ! » lui dit-elle. « J’ai une idée pour accomplir de grandes choses ! » Elle essuya la crème sur sa peau. Elle adorait la crème, comme elle adorait l’eau. Elle se dirigea vers un bureau et étala la carte du ciel du Continent Naturel dessus. « Et si on trouvait des noms pour les constellations ? Après, il suffirait de répandre ces noms à Basphel et… » Et… Bonne question. « On pourrait même faire un concours avec les chiens ? Et on voterait pour nos noms préférés ? » Avait-elle pris la mesure des besoins de chacun ? Peut-être pas tout à fait. Malgré sa sociabilité, elle restait un chat. Et quand elle avait une idée en tête, c’était délicat de l’en déloger. « Celle-ci a déjà un nom officiel apparemment. Mais les autres non… »

427 mots

Carte des constellations du Continent Naturel:

La quête de l'edelwyn

La tanière des chats

PVRIS - I DON'T WANNA DO THIS ANYMORE

Un ouragan tumultueux interrompit brutalement sa concentration et lui fit manquer le chas de l’aiguille. Le phénomène météorologique ne lui laissa même pas le temps d’être stupéfaite : il se jeta sur elle, et tout ce que Mazda put faire fut de sortir les griffes et de se pétrifier. Son aiguille à coudre lui tomba des mains et disparut dans les plis de ses draps. L’horreur déforma son visage. Mais ce n’était pas ce qui rendait la situation aussi affreuse qu’elle ne l’était vraiment. Ce qui rendait la situation affreuse, c’étaient les étincelles carmines qui s’étaient mises à pleuvoir devant elle ; c’était la furie de Milo, qui venait de s’emparer furieusement de son coussin préféré ; c’était les taches sombres qui imprégnaient le tissu jaune à mesure que son camarade y frottait son nez.

Aspirant plus ou moins un filet d’air, Mazda trouva enfin la force de pousser un cri, à mi-chemin entre la terreur et la colère. Ses mains s’agitèrent hors de son contrôle pour chasser Milo, qu’elle tapa à plusieurs reprises sur la tête. Dès qu’il quitta son lit, elle se campa sur ses mains pour feuler de plus belle. Elle se fichait pas mal de ses appels à l’aide. Ce sale chat de gouttière avait non seulement gâché toutes ses chances de réparer son coussin avec patience, mais surtout, il avait détruit son coussin. Tout était fichu. Cela la rendait si furieuse qu’elle avait envie de pleurer. Ses yeux brillaient de larmes qu’il n’était toutefois pas question de laisser tomber. Mazda jeta un coup d'œil implorant à Eden, puis Calypso, mais ceux-ci étaient affairés à d’autres problèmes qui ne la rendaient pas plus sensible. Elle tourna son attention vers la porte qui s’est rouverte, sur le qui-vive, prête à en découdre avec le prochain arrivant qui oserait s’en prendre à son travail ou à violer son espace vital. La vision d’une nouvelle tête, qui ne lui disait absolument rien, ne fit qu’accentuer son attitude menaçante. Le fait de ne rien comprendre à ce que racontait le nouveau, Zébulon-truc, n’aidait pas à la détendre. Gouverner et faire trembler le monde ? Pour quoi faire ? Pourquoi venait-il les déranger avec ses aspirations stupides et totalement hors de propos ? Ahurie, elle en revint une seconde à Calypso. C’était une gentille chatte, bien plus que ne pouvait l’être ce sale Milo, mais parfois, elle était tellement à côté de la plaque que c’en était agaçant. Maintenant était l’un de ces moments. Un grognement fit vibrer le fond de sa gorge.

-Je vous déteste tous !

Il n’y avait qu’une seule personne dans cette pièce qui faisait exception à cette affirmation et qui la comprenait vraiment, et cette personne se trouvait sur l’un des lits en face du sien. D’un bond malhabile, Mazda quitta son territoire pour se réfugier derrière Jasmin. Elle aurait aimé qu’il restât à sa place, ainsi ils auraient pu faire une sieste réconfortante l’un contre l’autre, mais le roux préférait visiblement s’occuper du cas désagréable de Milo. Et Mazda ne pouvait qu’approuver. De tout cœur avec lui, elle se réfugia dans sa cabane, où elle se mit en boule. Elle aussi voulait une cachette comme celle-ci. Elle devrait demander à Blu ou à Otoris de lui en construire une.

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