Jouer à chat et aux rubans

Nothing But Thieves - Pop The Balloon

À force de cajoleries excessives et de persuasion, l'équipe médicale avait finalement réussi à me pousser dehors. J'aurais voulu rester là-bas, dans les bras de celle qui m'avait séché puis consolé. Patiemment, elle avait attendu que je cesse de trembler de tous mes membres avant d'essayer de me raisonner et de m'assurer que j'étais en sécurité. En sortant de la tente, je pris soin de garder une distance de sécurité avec les berges du lac. Je me sentais encore sous le choc. Mes doigts effleurèrent mon cou et je tressaillis. Les marques violacées avaient disparu grâce aux soigneurs mais je sentais encore les doigts fantômes me maintenir de force sous l'eau.

Comme j'avais perdu mes vêtements dans la transformation, on m'en avait prêté d'autres, constitués d'un pantalon en soie bleu ciel assorti d'une chemise blanche aux manches bouffantes. Le tout était trop ajusté à mon goût et ma queue s'y trouvait à l'étroit. Ça me me rappelait désagréablement ces affreux vêtements avec des rubans que j'avais dû porter pour le mariage d'une nièce de Mamie Bellada. Je ne cessai de triturer les manches de la chemise en marchant. Leur texture me rappelait les rideaux en dentelle chez mes parents adoptifs, et j'avais follement envie d'y planter mes griffes pour les déchirer. « Excuse-moi ? Bonjour ! » Je levai les yeux sur la fille qui venait de m'alpaguer. Son sourire, aussi chaleureux et doux qu'une couverture moelleuse me fit tout drôle à l'intérieur et je répondis par un sourire automatiquement. J'estimai, à vue de museau, qu'elle devait procurer des caresses de qualité. « Bonjour. » ronronnai-je. Elle était vraiment jolie. J'avais envie de frotter mon visage sur le sien. « On cherche des joueurs pour le jeu du ruban, ça t'intéresse ? » Je connaissais le jeu du ruban, j'avais eu l'occasion d'y jouer avant d'intégrer Basphel. J'aimais tout dans ce jeu, mais surtout les rubans pour jouer avec ensuite. Les bisous des filles, ça me plaisait aussi énormément. « Bien sûr ! » « Formidable ! » s'extasia la Magicienne en frappant dans ses mains avec allégresse. « Il ne manque plus qu'une fille et on pourra commencer. » « Là ! » s'exclama une des filles. Quelqu'un attrapa familièrement ma main et tout le groupe se dirigea dans la direction indiquée. Il me semblait avoir déjà vu la fille quelque part, elle était à Basphel, c'était certain. Je n'en savais cependant pas plus. « Bonjour, est-ce que tu voudrais jouer avec nous au jeu du ruban ? Il ne nous manque plus qu'une personne. » De mon côté, j'examinais déjà les filles du groupe. Ma stratégie consistait à discerner laquelle serait le plus susceptible de se laisser attraper facilement. Ma queue se balançait lentement, mon instinct de chasseur frémissant déjà d'impatience.

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« Les bêtises, c’est fini pour aujourd’hui. » articulai-je à voix haute. Après ma déclaration, je pris une grande inspiration pour chasser quiconque serait tenté de remonter à la surface. Pandore avait suffisamment fait des siennes. Malheureusement, les rives du Lac Bleu étaient trop excitantes pour que les autres ne voulussent pas prendre le contrôle de notre corps. Chacun avait une raison que je devais museler du mieux que je le pouvais. Mon envie de croiser de nouveau Padmë frôlait le néant. Heureusement, ce ne fut pas la rouquine qui vint à ma rencontre. Je fixai la Magicienne. « Le jeu du ruban ? » « Oui ! Je peux t’expliquer les règles si tu ne les connais pas ! » « Je veux bien, oui. » Ce n’était pas tant le problème. Disons que tout ce qui était jeu pouvait vite faire remonter la personnalité enfant à la surface. « Et donc, si un garçon attrape mon ruban, je devrais l’embrasser et devenir sa cavalière lors d’un bal ? » « Oui exactement ! N’est-ce pas excitant ? » Elle frétillait presque, engouement que je ne partageais pas le moins du monde. « S’il te plaît ! En plus, ça tombe bien ! Le Vicomte Anthonius Halloy organise un bal ! Ce serait l’occasion ! Il adore les contes de Lieugro et de Narfas ! » Je sursautai presque. Je les avais lus et savais que Judas provenait de cet univers, aussi fou que cela pût paraître. Peut-être que ce bal serait l’occasion d’en savoir plus ? « D’accord, pourquoi pas. Et… juste… si aucun garçon n’attrape mon ruban ? » « Allons, nous sommes un nombre pair ! Je t’assure qu’il n’y a rien à craindre ! Quelqu’un te le chipera forcément à un moment. » Elle baissa le son de sa voix. « Au pire, si tu constates que ces gentilhommes ne sont pas bien malins, tu peux faire exprès de ralentir. Leur ego se gonflera à la vue d’une demoiselle en détresse, même si c’est faussement en détresse ! » Un rire lui échappa. J’acquiesçai, en comprenant la manœuvre.

« Prêtes ? » Je baissai les yeux sur mon ruban. Pandore avait déjà embrassé des garçons et des filles mais ce n’était pas vraiment mon cas. Je savais presque tout des agissements des autres mais ça ne voulait pas dire que je n’avais pas les miens propres. Tout était simplement flou. Cette impression s’estompa lorsque le signal fut donné. Je me mis à courir sans avoir pris le temps de trop détailler les garçons. Il me semblait que le groupe dans son ensemble était particulièrement attrayant. Finalement, je me fichais du résultat. Ça me ferait une expérience rien qu’à moi.

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Jouer à chat et aux rubans

Nothing But Thieves - Pop The Balloon

De façon inconsciente, je remuai mon derrière. J'avais beaucoup de choses à garder en tête : ne pas céder au réflexe de m'élancer dans la course à quatre pattes car ce corps n'avait rien de grâcieux ou d'agile ainsi, rentrer les griffes, ne pas feuler sur les autres garçons si possible. Vraiment, c'était trop, est-ce que quiconque de sain d'esprit s'attendait à ce que je me souvienne de tout ça en même temps ? Et j'irais même plus loin : est-ce que quiconque attendait d'un chat une telle discipline ? Les règles, c'était bien pour les toutous puants que rien ne rendait plus heureux que de donner la patte et qui s'épanouissaient en suivant les ordres de leur maître. Moi, je suivais mes propres règles, n'en déplaise aux autres. Je ne cherchai pas leur validation, j'étais libre comme l'air. Les filles s'élancèrent au coup de départ. Je me demandais si j'étais capable d'attraper tous les rubans ? Sans doute pas sous cette forme. En revanche, si je faisais les yeux doux aux filles après la course, je pourrais peut-être les convaincre de me les céder ? Je savais que personne n'y résistait, c'était juste beaucoup trop mignon, j'aurais pu faire fondre le cœur de n'importe qui, c'était mon super pouvoir, un que même les Humains ne pouvaient m'enlever.

Au second coup de sifflet, je bondis en avant et trébuchai le temps d'accorder le jeu de mes deux jambes. Pas étonnant que les bipèdes soient si lents, c'était si peu pratique de n'avoir que deux pattes pour avancer et ils n'avaient aucun équilibre ainsi. Quand il pensait qu'ils vivaient toute leur vie avec cet handicap, ça le peinait presque pour eux. Lui aurait voulu ne jamais cesser d'être chat, sauf quand les filles lui faisaient des bisous et que leurs mains le caressaient partout, là il devait admettre que c'était vraiment chouette. Je me mis sur les traces d'une petite rousse avec une jolie robe bleu ciel mais me fis doubler par un Magicien aux jambes ennuyeusement longues. Râlant entre mes crocs, je déviai ma trajectoire jusqu'à une autre fille, celle aux cheveux pâles que nous avions accosté plus tôt. Mes pupilles s'obscurcirent en visant ma nouvelle cible et je couru sur ses talons. Une présence s'incrusta dans mon dos, puis à côté. Immédiatement, ma tête tourna et, mes oreilles plaquées contre mon crâne, je feulai rageusement sur le malotru qui osait chasser la même proie que moi. Surpris, il sursauta et ralentit et j'en profitai pour le bousculer et continuer ma traque. « Attrapée ! » m'écriai-je, surexcité. Je m'étais ramassé pour lui bondir sur les épaules, me souvenant un peu trop tard que j'étais plus lourd qu'elle. Nous nous écrasâmes au sol, moi sur son dos et le nez dans ses cheveux. Je roulai sur le côté pour m'asseoir dans l'herbe, une expression dénuée de toute contrition sur le visage. Je lui souris de toutes mes dents pointues et chipai le ruban noué sur son poignet. Les mouvements indociles du tissu coloré détournèrent complètement mon attention de la fille et je me laissai tomber sur le dos pour m'amuser avec le ruban en lui faisant me chatouiller le nez. Ravi, je ronronnai profondément.

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« Oh ! » m’exclamai-je, lorsque je sentis un poids me percuter, me faire tomber et m’écraser. Hormis mon assaillant, j’avais été poursuivie par deux garçons. L’un avait rapidement abandonné lorsqu’il s’était approché de moi. Il m’avait peut-être confondue avec une autre de loin et avait renoncé lorsqu’il s’était aperçu de son erreur. Le deuxième avait battu en retraite à la suite d’un bruit étrange en provenance de mon agresseur.

Quand mon corps percuta le sol, j'éprouvai comme un tremblement de terre à l’intérieur de notre système. La guerre que se menaient les différents protagonistes dominants s’arrêta quelques secondes, avant de reprendre comme si de rien n’était. Je soupirai, soulagée qu’aucun ne fût sorti et n’eût pris ma place. Je relevai les yeux vers le garçon. Son sourire m’arracha un haussement de sourcils. Il avait l’air drogué. La suite ne fit que confirmer mon hypothèse. « Tu as de la chance… Je suppose. » dis-je. Ni Judas ni Persée n’avaient montré le bout de leur nez. Le Démon aurait probablement cherché à l’étrangler, voire plus si affinité. Le Sorcier aurait montré sa maîtrise de l’art du sarcasme et aurait tenté de l’assassiner par un moyen détourné. Toutes les identités du système n’étaient pas maléfiques. Héra aurait aimé jouer avec lui. Malheureusement pour les autres, je demeurais en contrôle, en contrôle et totalement démuni face à cet adolescent qui jouait avec le morceau de tissu tout en ronronnant comme un matou bien heureux. Je me contentai donc de le regarder en silence jusqu’à ce qu’une fille, celle du début, arrivât. « Oh il a attrapé ton ruban ! » Elle avait toujours le sien. Un air espiègle faisait briller ses yeux. « Tu lui dois un bisou et une invitation au bal du Vicomte Halloy ! » Je tournai de nouveau mon regard vers le garçon et le fixai de haut en bas « Oui… non. Ça va aller. » déclarai-je, en me relevant. « J’irai seule, merci bien. » Je n’allais pas amener ce truc qui se roulait par terre au bal. Il serait capable de jouer avec la nape, de s’accrocher aux rideaux et de se cacher sous les jupes des filles. « Tu ne peux pas faire ça, voyons ! Le pauvre ! » « Le pauvre ? » demandai-je, en fixant encore l’adolescent. Il n’avait pas l’air désœuvré. « N’importe quoi. Tout ce qui l’intéresse, c’est ce foutu ruban. » C’était clair comme de l’eau de roche. De toute façon, je n’avais pas besoin de me coltiner un garçon pour aller au bal. Si je m’y rendais, ce serait pour enquêter sur Judas.

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