Valéandre transpirait abondamment. Ses doigts s'enroulèrent autour de la rambarde et il se hissa sur quelques marches supplémentaires. Dans son dos, les plumes noires pendaient inutilement, absurdement encombrantes et lourdes. À part les agiter pour remuer la poussière comme disait sa mère, le Déchu ne savait rien en faire et préférait généralement les faire disparaître pour se faciliter la vie. Les potions qui le lui permettaient étaient soigneusement rangées dans sa chambre et il avait oublié d'en prendre sur lui, ce dont il prenait soin de se maudire à chaque fois que les muscles de ses cuisses et de son dos protestaient. Il avait la nuque raide à force de les tirer.
Ahanant, il parvint au toit transformé en terrasse qui offrait un beau point de vue d'Avalon. Le temps de reprendre son souffle, il en profita pour repérer Rajiv. Ils s'étaient donné rendez-vous ici la veille, après avoir sympathisé autour d'un verre. Pour élargir son panel culturel, Valéandre avait assisté à un spectacle de cabaret et en traînant à la sortie ensuite, avait croisé l'Oesman. Frappé par sa ressemblance avec Le Prince Charmant du Conte des Trois Royaumes, ils avaient parlé de ça, puis d'autres choses et Valéandre lui avait plus ou moins raconté l'entièreté de sa vie en réussissant presque à ne pas s'en plaindre. Avec lui, l'alcool le frappait aléatoirement, il pouvait soit devenir ivre de joie, soit devenir une serpillère de dépression, soit le faire devenir violent pour un rien. Ce soir-là, Rajiv avait eu la chance de découvrir son profil le moins désagréable.
Baignée par le soleil de l'après-midi, la terrasse était déserte, si ce n'était pour la silhouette du Déchu que Valéandre rejoignit en traînant des pieds. « La prochaine fois, on se donne rendez-vous là où je ne perdrais pas mon poids en sueur. » annonça-t-il en guise de salutation. Il attrapa le bas de sa chemise. « Tu permets ? » demanda-t-il, par politesse. Les Déchus tenaient moins aux manières que là d'où il venait, il commençait à s'en rendre compte mais la population était versatile et il n'oubliait pas son éducation. Il doutait toutefois que le Luxurieux crie outrage à la pudeur à la vue de son torse de poulet, aussi la question était-elle rhétorique. Le vêtement chuta au sol, non sans avoir été arraché avec de nombreux jurons sifflés par le brun en tâchant d'enlever la chemise sans la déchirer ni s'empêtrer dans ses ailes. Il exhala un soupir d'aise en sentant l'air frais apaiser sa peau humide et se laissa tomber, d'abord assis, puis sur le dos, les bras derrière la tête et les ailes étalées en large. Le sol lui brûlait la peau mais c'était supportable. « T'as de la chance de savoir maîtriser tes ailes, toi... » râla-t-il, rouvrant les yeux pour les poser sur son nouvel ami. « Tout doit être plus simple quand on a grandi à Avalon, je suppose. Ma mère aimait pas que je sorte mes ailes et maintenant, c'est juste un handicap. » Il étouffa un bâillement et s'étira. « Aujourd'hui, j'ai eu un cours qui... Rah, c'était ridicule, et c'est trop nul. » Il eut un rire un peu gêné, comme s'il revivait la scène. « On devait imiter des animaux, comme si on était des Evershas. Moi j'ai choisi le chien, parce que je connais une Eversha un peu particulière, elle était le chien de la famille de mon oncle et ils ont découvert un jour qu'elle était en fait une Eversha. Bref, je la connaissais puisqu'ils l'emmenaient à chaque réunion familiale ou quand j'allais parfois en vacances là-bas. Pralinette elle s'appelle, elle était mignonne en chien. Maintenant, elle s'appelle, euh... Philomena. Elle est à Basphel, et ça fait tellement gonfler ma tante de fierté que je crois qu'elle va exploser. » Il ricana bêtement à l'image. Lui n'avait pas été accepté à Basphel, ce qui le vexait énormément parce que si un chien pouvait y aller, alors pourquoi pas lui ? Il n'était quand même pas si stupide, si ?
Message I | 708 mots
Kyra Lemingway ~ Déchu ~ Niveau III ~ ◈ Parchemins usagés : 4910 ◈ YinYanisé(e) le : 22/03/2016◈ Activité : Tenancière (rang I) ; Négociatrice (rang I) ; Reine du monde des contes à mi-temps
Les yeux fermés, accoudé au garde-corps, tu profites des rayons chauds du Soleil d'après-midi. Chaud, tu l'avais aussi eut le matin. À travers les paupières closes, tu redessines mentalement le dessin de ta partenaire que tu avais quitté au zénith. Ses rondeurs avenantes, ses seins comme deux gros beignets dans lesquels tout donnait à croquer dedans — ce dont tu ne t'étais, d'ailleurs, pas gêné de faire — , ses larges hanches si confortables. Tu serais bien resté encore la matinée avec elle, en elle. Deux raisons avaient été la cause de ton départ. Ce garçon avec lequel tu avais fait connaissance la veille. Par le passé, tu t'amusais rapidement de la comparaison que l'on faisait entre toi et le Prince Charmant — ressemblance qui devait s'arrêter au physique. Tu t'attardais, depuis peu, un peu plus sur ce fait. Récemment on te parlait également de ce Doléas. Tu étais bien heureux de laisser ce rôle au frère de Kyra. Il correspondait bien mieux à un Ange. Valéandre n'avait, cependant, pas été la raison principale de ta séparation avec la Déchue. Cette raison t'était, d'ailleurs, particulièrement désagréable tant elle impactait ta vie de tous les jours, s'invitant même pendant tes ébats. Parfois cela se manifestait par des flashs, comme de soudaines réminiscences d'un souvenir que tu n'avais pourtant jamais vécu. D'autres fois c'était dans les événements du quotidien, comme le mouvement de l'herbe du Cœur Vert qui prenait des teintes abyssales et débordait d'écume, frappant violemment les enclos des Weltpüffs. Tu mettais ça sur le conte de ton voyage dans la Prison, comme une conséquence psychologique que tu espérais temporaire. Aussi avais-tu choisi de mettre ces événements de côté et ne pas te prendre la tête avec, songeant que ça allait passer un jour et que ça n'avait aucune conséquence grave.
Tu rouvres les paupières quand un râle essoufflé se fait entendre dans ton dos, te détournant alors du soleil pour faire face à Valéandre. Il paraissait au bord de l'évanouissement. « Ça fait travailler le cardio. » rétorques-tu, un brin moqueur, à sa plainte plutôt que d'accepter de voix vive sa proposition, prenant tout de même en considération le piètre état dans lequel la montée l'avait mise. Il fallait dire que tu n'avais pas songé à son incapacité à voler, chose particulièrement handicapante dans cette ville il fallait bien l'admettre. On voyait peu de non ailé dans cette partie de la capitale à cause de ça. « Fais-toi plaisir, te gêne pas. » réponds-tu ensuite comme tu t'adosses à la rambarde, un sourire en coin. « Tu devrais te faire faire des vêtements sur mesure tant que tu maîtrises pas tes ailes, tu galèrerais moins. » commentes-tu en le voyant s'emmêler dans ses ailes pour finalement déchirer son haut. « Ou alors apprendre une magie dans le style du contrôle du tissu. Ça reviendra moins cher en plus de pouvoir étendre son usage au reste du monde. ». Ton esprit erra quelques secondes sur un corps nu qui aurait été défait de ses habits d'un simple regard. Cette image en tête, tu comprenais pourquoi Oriane avait appris ce sort. Cela dit, tu ne comprenais pas pourquoi sa mère ne voulait pas qu'il expose ses ailes. Par honte à cause des Anges vivant à proximité ? Valéandre avait bien fait de se barrer alors. Les chaînes de la privation n'allaient guère à un Déchu. Tu retiens difficilement un sourire amusé à la mention de son cours et de son choix, qui se mua en un rictus coquin lorsqu'il évoqua sa cousine. « T'inquiète pas, tu auras l'occasion d'en voir d'autre des filles en chien avec lesquelles passer du temps si tu restes ici. ». Si la proposition aurait plus excité l'un de tes pairs, l'Envie restait rarement indifférente à toute proposition, quelle qu'elle soit. Ton échange hier avec lui t'avait appris bien des choses sur le genre de personne qu'il était, la principale étant le péché qui semblait l'animer. Il n'avait pas été compliqué à deviner devant le récit qu'il t'avait tenu. Il n'était satisfait par rien, quand bien même il désirait beaucoup de choses. Tu te demandais à quel point cependant ce péché le touchait, aussi lui avais-tu ramené quelque chose. « J'ai un truc pour toi. ». Tu fourres une main dans la poche de ton pantalon pour lui tendre l'objet. En même temps tu laisses ta magie se diffuser jusqu'à l'adolescent. Ce n'était pas un sort bien compliqué dont tu faisais usage, mais qui s'avérait être plus utile que le nom le laissait penser, aussi t'y étais-tu consciencieusement entraîné. « J'imagine que ton mentor n'est pas du genre à faire de cadeau. ». De la part d'un Avare, c'était chose rare.
Mots 782 Pour le cadeau, je pensais à un bouton de manchette, mais t'as le droit de changer si tu veux o/
Le pouvoir utilisé : - Le plus beau des cadeaux ! | Ce don permet à votre personnage de donner l'impression que le plus simple des cadeaux est incroyable. Ainsi par exemple, si l'envie lui prend d'offrir un simple cailloux, la personne à qui il le donne aura réellement l'impression qu'il s'agit là de la plus belle des attentions et sera ravie de le recevoir.
« Des filles en chien ? » Intrigué, Valéandre souleva une paupière. La tonalité égrillarde du commentaire de Rajiv et son expression chafouine le mit sur la voie et il força un rire, pour ne pas avoir l'air d'un niais. Il commençait à comprendre que chaque mot qui devait franchir les lèvres d'un Luxurieux avait pour thème leur péché. Sans songer que cette même remarque pouvait s'appliquer à lui-même, Valéandre laissa son rire mourir rapidement. Sa mère aurait sans doute été scandalisée par de tels propos, et déçue de voir son fils s'abaisser à de telles bassesses. Cette seule pensée suffit à réveiller cette lueur de rébellion qui avait tant fait suer sa mère ces dernières années et il se redressa sur ses coudes. S'il devait vivre à Avalon, mieux valait qu'il s'adapte le plus rapidement possible à la culture locale et mettre de côté l'étiquette Magicienne.
« Pour moi ? Vraiment ? » Il tendit la main pour récupérer le cadeau et ses yeux s'écarquillèrent. « Woah... » Son poing se referma et fut ramené avec possessivité vers lui. Près de son torse, il rouvrit le poing pour examiner de plus près le bouton de manchette. Ses joues rosirent de plaisir et quand il eut fini de l'admirer sous toutes ses coutures, il le glissa dans la poche de son pantalon. « C'est vraiment gentil, merci beaucoup ! C'est la première fois depuis que je suis arrivé qu'on m'offre un truc. C'est pas Memphos qui va m'en faire un en effet... Ton mentor te fait des cadeaux à toi ? » Il fouilla dans ses vagues souvenirs de la veille, persuadé que le sujet du mentor de Rajiv avait été évoqué. « Je ne me rappelle plus, qui est ton mentor déjà ? Il est comment ? Il doit être mieux que Memphos en tout cas... » marmonna-t-il, la bouche tordue de déception. En toute objectivité, il estimait être tombé sur le pire mentor qui soit. Même un colérique aurait été mieux. Il préférait prendre des coups et supporter des cris que gérer l'homme dont le comportement s'apparentait à celui d'un rat et qui n'avait jamais dû être bienveillant une fois dans sa vie.
Avec un soupir, Valéandre se frotta les yeux pour en chasser les larmes générées par les rayons de soleil braquées sur ses rétines puis se passa une main dans ses cheveux qui termina de le coiffer. Avec satisfaction, il songea que sa mère en aurait eu un coup au cœur de le voir aussi débraillé, à moitié nu en public, les cheveux en l'air comme s'il sortait d'une nuit agitée. « Y a vraiment tant que ça des... euh... des filles de petite vertu, ici ? » demanda-t-il au blond d'un ton intentionnellement dégagé. « J'ai toujours pensé que c'était un a priori que tout le monde avait sur Avalon, à cause des Luxurieux. »
Message II | 490 mots
Kyra Lemingway ~ Déchu ~ Niveau III ~ ◈ Parchemins usagés : 4910 ◈ YinYanisé(e) le : 22/03/2016◈ Activité : Tenancière (rang I) ; Négociatrice (rang I) ; Reine du monde des contes à mi-temps
Un sourire en coin ourle tes lèvres. « Oriane ? Y a pas photo que je m'en suis mieux sortie que toi sur ce coup-là. ». Elle pouvait se montrer sévère parfois, bien sûr, mais jamais de la vie tu n'échangerais de Mentor pour autant. « Je pourrais vous présenter si tu veux. Je suis sûr que tu l'apprécierais. » ajoutes-tu, ne songeant cependant pas seulement à son caractère dans cette remarque, avant de te laisser glisser le long du garde-corps pour te mettre à hauteur du Déchu et vous éviter mutuellement un torticolis. « De petite vertu ? ». La surprise d'entendre une telle expression de la bouche d'un Pécheur t'avait fait répéter les mots du garçon avant que ne t'échappes un rire. Ce petit avait, à l'évidence, trop longtemps vécu avec les Magiciens pour qu'il en vienne à s'exprimer comme eux. « Pardon. Je veux pas me moquer. ». Un peu quand même, tu ne pouvais totalement le nier non plus. Le pauvre garçon ne partait pas avantagé dans la cité du vice avec l'éducation prude des Mages Bleus, mais ce n'était rien qui ne soit impossible à améliorer. À condition d'être bien accompagné, et tu te ferais un plaisir de faire partie de ceux-là, juste pour avoir l'occasion de le voir se confronter à sa mère avec toute l'insolence dont on l'avait privé. « Je ne sais pas s'il y en a "tant", mais c'est sûr qu'il y en a beaucoup. Pas uniquement des Déchues d'ailleurs. Avalon c'est un peu la capitale des péchés, n'en déplaise aux Démons. ». Ils n'avaient qu'à revoir leur formule d'accueil aussi. L'Enfer n'était pas le meilleur endroit pour passer des vacances. « Tous ceux qui passent leur temps ici ne sont pas forcément là pour profiter d'une soirée libertine. Il y en a qui font des marathons de resto ou de bar, d'autres viennent seulement pour se payer un lit de luxe et passer la meilleure nuit de leur vie. Mais le sexe fait toujours plus parler que le reste. » lui expliques-tu avant de te pencher vers lui, baissant d'un ton comme lui confiant un secret d'importance. « Cela dit, des "femmes de petite vertu", comme tu dis, tu peux aussi les trouver hors d'Avalon. C'est seulement qu'elles s'assument plus ouvertement chez nous. ». Tu marques un court temps comme tu retrouves le contact de la barrière derrière toi, un rictus étirant tes lèvres. « Ta mère et ton père, ils sont mariés ? Ou est-ce qu'ils l'ont été ? ». Tu supposais que non, et dans ce cas Valéandre prendrait conscience que la concupiscence se foutait des convenances et qu'elle se trouvait parfois chez ceux que l'on soupçonne le moins. Toutefois tu savais aussi qu'il existait des Déchus précautionneux des mœurs des étrangers. Ceux-là n'étaient pas souvent Luxurieux cependant. « Viens, suis-moi. » reprends-tu en te redressant. « Si je t'ai demandé de venir ici, c'est pour que tu découvres un peu le quartier. Ça devrait te plaire. ».
« C'est ça, ouais... » Le sourire que Valéandre tâcha d'esquisser pour marquer qu'il ne lui en tenait pas rigueur vira en grimace vexée. Les moqueries, il commençait à avoir l'habitude. Il ne les supportait pas toujours très bien, et pouvait les remâcher des jours durant avec une rancune plus grosse que lui. « Oui, je sais ça ! » réagit-il vivement. « Enfin, j'en ai jamais vue dans le quartier où j'ai grandi, mais je sais bien que ça existe dans euh, dans certains coins quoi. » Des lieux mal famés, aurait dit sa mère, où il avait formelle interdiction de se rendre. Ici, tout était différent. Mais quelque part, l'ordre de sa mère barrait toujours le chemin vers les maisons de plaisir, comme si son courroux pouvait traverser les frontières pour le transpercer sur place.
« Non, pas vraiment. Je suis le fruit d'une simple aventure. Je ne connais pas mon père, je ne connais même pas son nom. Elle me dit que ça n'a pas d'importance. Je ne sais même pas s'il est au courant de mon existence. S'il sait et qu'il n'a jamais cherché à me retrouver, je suis content de ne l'avoir jamais connu. » Enfant, l'absence d'un père ne l'avait pas troublé outre mesure. À l'adolescence cependant, alors qu'il traversait des crises tantôt dues à cette première condition, tantôt dues à son Péché, il avait beaucoup souffert d'avoir grandi sans père. Le jour où sa mère avait surpris dans son journal intime - elle avait pris cette mauvaise habitude de le lire - cet inconnu qu'il s'était mis à idéaliser, elle en avait ri aux larmes. Ce jour là, la colère de Valéandre avait été dévastatrice et il avait été puni pendant plusieurs lunes après avoir eu quelques mots malheureux envers sa mère.
« C'est vrai ? Fantastique ! » En un bond, le Déchu fut sur ses pieds. Il renfila sa chemise irrémédiablement froissée et suivit son guide nouvellement proclamé. « Où est-ce qu'on va ? » demanda-t-il en prenant soin d'enfoncer les pans du vêtement dans son pantalon comme il en avait l'habitude. Puis ses sourcils se froncèrent et il les ressortit dans un élan de rébellion qui le fit se sentir mieux. Avec un grand sourire, il enfonça ses mains dans ses poches et déambula aux côtés de Rajiv, fier de ses premières désobéissances. Il avait l'air d'un malandrin, et n'avait jamais été plus heureux. « Tu as toujours vécu à Avalon ? Tu vis seul ? Comment tu gagnes ta vie ? » Curieux de connaître le quotidien de ses homologues pour s'empresser de les imiter, Valéandre profitait d'en avoir un sous la main pour l'étudier sous toutes ses coutures.
Message III | 464 mots
Kyra Lemingway ~ Déchu ~ Niveau III ~ ◈ Parchemins usagés : 4910 ◈ YinYanisé(e) le : 22/03/2016◈ Activité : Tenancière (rang I) ; Négociatrice (rang I) ; Reine du monde des contes à mi-temps
Un rictus moqueur étire la commissure de tes lèvres lorsque Valéandre te révèle ignorer sa filiation paternelle, te confortant ainsi dans tes premières suppositions. Sa mère était bien de ces femmes de "petite vertu". Le jeune Déchu ne releva cependant pas ce détail. Chose redoutable que le déni. Tu n'en fis rien non plus cependant. Son arrivée à Avalon était encore trop récente, il serait en pleine dissonance cognitive et ça n'aurait, donc, aucun intérêt. Cela étant, tu n'étais pas plus étonné que ça de l'absence du géniteur dans la vie de l'adolescent. Toi-même il avait fallu que tu sois téléporté chez les Magiciens pour que Nymeria te confronte à ce sujet. Quant à Oriane, c'est la magie qui lui avait permis de découvrir sa filiation paternelle. Et encore, elle n'avait aucune idée de l'identité véritable du géniteur sinon qu'il s'agissait d'un Pendragon, ce qui ouvrait l'infinité des possibles. « Tout est intéressant ici pour quelqu'un comme toi. ». Les Hauts Quartiers sont surtout fréquentés par les personnes riches ou importantes - quoique l'un va souvent de pair avec l'autre. Aucune vitrine d'Avalon n'égalait celles de ce coin de la ville. Montrez ça à un Envieux sans le sou, bien sûr qu'il le désirera bien plus que ce que l'antiquaire de la Ruche devant lequel il passe tous les jours pouvait proposer. « Personnellement j'ai une préférence pour une petite librairie, spécialisée dans la poésie. Elle est pas très loin d'un bordel de luxe en plus. ». Tu souris, rêveur. Les tarifs t'avaient autant marqué que ce que tu y avais payé, qu'il s'agisse de livres ou de putes. « On peut y faire un détour si tu veux. » reprends-tu sans préciser de quel établissement tu parlais.
Sur le chemin, tu prends le temps de satisfaire la curiosité du garçon. « Oui, j'ai grandi ici. ». Tu avais prononcé ces quelques mots légèrement blasé. Parler de l'enfance était compliqué pour toi. Non à cause de mauvais souvenirs, mais parce que tu n'en avais simplement jamais eu. Lorsque les gens partageaient leurs souvenirs d'enfance, les jeux qu'ils avaient eus, les amitiés naissantes aujourd'hui perdues, lorsqu'ils parlaient de cette pâtisserie qui leur rappelait la maison après l'école, ce livre qui n'avait jamais quitté la table de chevet et qui avait été lu et relu par les parents, puis par soi-même, toi, tu n'avais rien à dire là-dessus. Et comme tu étais las de devoir chaque fois justifier ce manque, en plus de subir ensuite les questionnements des autres, tu t'étais mis à mentir et à te créer de toutes pièces ton propre passé. « J'ai longtemps vécu avec Oriane. C'était plus pratique pour apprendre à gérer mon péché. ». Beaucoup de Luxurieux fonctionnaient ainsi. La Luxure avait cela de particulier qu'elle pouvait rapidement devenir problématique. Les Colériques avaient peu ou prou le même problème d'ailleurs. Il était plus sûr pour tout le monde qu'un Déchu étreint par l'un ou l'autre de ces péchés soit surveillé par un égal et quasiment à toute heure du jour et de la nuit. Encore aujourd'hui il t'était plus que difficile de résister à la vision des courbes d'un corps, surtout s'il était dénudé, même partiellement. « Je touche une redevance sur les ventes du conte des Trois Royaumes. Et de tous les produites dérivés également. Mais je commence à réfléchir à trouver un emploi quand même. Faut varier les expériences après tout. ». La justification n'était pas tout à fait vraie. Les revenus que t'offrait ta participation au Conte des Trois Royaumes ont suffi pendant un temps à pourvoir à tes besoins. L'oisiveté te convenait totalement, aussi ne t'étais-tu jamais pressé à trouver un emploi jusqu'alors. Mais l'engouement public était maintenant totalement porté sur ceux de Lieugro et de Narfas, faisant ainsi pâtir les ventes du préquel. Si tu voulais continuer à profiter de cette partie de la capitale, travailler devenait une nécessité. En dépassant un couturier, tu t'arrêtes devant la vitrine. Y était exposé sur un mannequin un gilet de costume en velours bleu roi, ciselé de motifs brodés plus sombres et maintenu par trois boutons nacrés. A côté, un corset d'une même matière, rouge vif agrémenté de tulle lie-de-vin, celui-ci maintenu par de fins lacets de soie blanche. « Je te parlais de sur-mesure tout à l'heure. Ça te dirait d'essayer un peu ? ». Est-ce qu'il allait lui payer ? Il fallait pas exagérer non plus. C'était pas lui son mentor. C'était bien à ce dernier que la facture reviendrait, quand bien même il ait des oursins dans les poches.
La main de Valéandre s'égara sur un sachet de gâteaux laissé sans surveillance sur un banc par sa propriétaire, une enfant qui se faisait sermonnait par un parent. Un petit sourire de chat naquit sur ses lèvres en sentant le poids de sa convoitise dans sa poche. Il se sentait un peu coupable d'avoir subtilisé le goûter de la fillette, mais le mouvement était réflexe. L'envie se passait de préméditation dans son cas.
« Une librairie ? » Ses yeux s'embuèrent sur une vision de bibliothèque au bois rutilant aux reflets de feu, fraîchement ciré. En son ventre, les plus beaux et les plus rares ouvrages s'y exposaient. Les reliures, de toutes les tailles, respiraient une valeur telle qu'elle ne se convertissait pas en monnaie trébuchante. Autre chose le fit saliver. Quels services pouvaient proposer un bordel de luxe ? Il en savait assez pour savoir ce que les plus basiques offraient, mais qu'en était-il de ceux de luxe ? Réalisant qu'il avait le bec ouvert, il le referma. « Oui, oui d'accord. Bonne idée. » acquiesça-t-il sans prendre le temps de réfléchir. Il n'avait rien dans ses poches pour se payer plus qu'un repas, sauf si une des filles du bordel rêvait du bout de gâteau récemment acquis. Un homme pouvait rêver.
« Je vois... » En résumé, Rajiv vivait sa plus belle vie. Il disposait d'autant de temps libre qu'il était possible d'en posséder, bénéficiait d'un péché qui semblait le satisfaire, et n'avait pas à se soucier d'argent. Valéandre tâcha de réprimer la jalousie qui noircissait son cœur mais celle-ci ne fit que grossir. Son humeur redescendue dans les chaussettes, il se mit à traîner des pieds à côté du chanceux.
Leurs pas les menèrent de ruelle en ruelle jusqu'à un commerce devant lequel ils s'arrêtèrent. Maussade, le Déchu leva les yeux sur la vitrine. « Woah... » Sa main se leva et le bout de ses doigts effleura la surface transparente. De beaux vêtements, il en avait vu son lot lors des mondanités où sa mère adorait le traîner, et il avait haï tous ceux qui portaient les plus belles toilettes, y compris les femmes, aussi belles que des fleurs avec leurs robes colorées, à jupons, à froufrous ou à dentelles. La mode à Avalon différait, et Valéandre la trouvait plus confortable à porter. Il se souvenait encore avec déplaisir de ces fois où sa mère l'avait contraint à porter un corset sous sa chemise pour souligner la finesse de ses hanches, car c'était soi-disant à la mode du moment. « Je... Oui... » souffla-t-il, comme hypnotisé par les vêtements exhibés.
Quelques minutes plus tard, plus longues pour Valéandre qui avait passé un certain temps à caresser les broderies, Valéandre sortit de la cabine. Il avait opté pour le bleu, pas par préférence, car il aimait les deux, mais après avoir laissé le vendeur choisir pour eux. Aussitôt, ce dernier, armé de rubans, s'agenouilla près de lui pour prendre fiévreusement ses mesures. Il marmonnait entre ses dents et Valéandre cessa de lui prêter attention pour regarder le miroir où il put se voir. Le souffle coupé, il admira comment la coupe du gilet mettait en valeur la ligne de ses épaules, qu'il trouvait trop étroites lorsqu'il se regardait nu. « On dirait que je fais partie de la royauté, un prince... » soupira-t-il en se caressant le torse. Mais il n'était pas comme Rajiv. Même dans les contes, il n'avait jamais incarné quiconque. Il poussa un nouveau soupir.
Valéandre transpirait abondamment. Ses doigts s'enroulèrent autour de la rambarde et il se hissa sur quelques marches supplémentaires. Dans son dos, les plumes noires pendaient inutilement, absurdement encombrantes et lourdes. À part les agiter pour remuer la poussière comme disait sa mère, le Déchu ne savait rien en faire et préférait généralement les faire disparaître pour se faciliter la vie. Les potions qui le lui permettaient étaient soigneusement rangées dans sa chambre et il avait oublié d'en prendre sur lui, ce dont il prenait soin de se maudire à chaque fois que les muscles de ses cuisses et de son dos protestaient. Il avait la nuque raide à force de les tirer. 
gotheim pour 
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