Je levai les yeux vers mon binôme lorsqu’il arriva dans la salle de travail. Certaines pièces adjacentes aux bibliothèques permettaient de se rejoindre et d’étudier en groupe, en parlant normalement. Je préférais me mettre là, même en étant seul. Je n’apprenais correctement qu’en relisant mes notes à haute voix. Aussi, parfois, lorsque Muscarine me contrariait trop, il m’arrivait de monologuer tout haut, en inventant les lignes du dialogue de cette sale truie. À chaque fois, je gagnais l’échange et il me plaisait d’imaginer remporter la joute verbale dans la réalité. Certaines choses m’avaient énervé récemment, comme le fait que Muscarine fût allée rencontrer d’autres hommes par le biais de l’AAAP. De plus, une rumeur circulait parmi mes amis selon laquelle je me serais moi-même rendu à ces rendez-vous. L’accusation était fausse. Entre ça et le rêve que j’avais fait plus tôt et qui ne cessait de me tourmenter, j’étais d’une humeur de chien.

« Salut. » fis-je à l’énergumène. Assis, il me semblait grand. Il devait l’être, un grand maigre qui aurait pu être élégant si une forme de bizarrerie ne semblait pas attachée à sa posture. L’idée qu’il pût être le bâtard de l’Empereur Noir me traversa l’esprit. Lui aussi était étrange, d’après ce que mes parents racontaient. Je ne l’avais jamais vu autrement que sur des fresques le représentant guidant un orchestre. Il tuait souvent une partie de son public. Néanmoins, mon délire ne s’attacha à moi qu’un temps. C’était impossible qu’ils fussent liés, aussi parce que ce qui était reproché au Grand Chaos était, entre autres, son absence de descendance. D’un autre côté, si j’avais engendré un Ygdraë, je ne m’en serais certainement jamais vanté.

« Je suis en train de faire des recherches sur ce qui attire les Vampires, comme convenu. » Muscarine était vierge, sans contestation possible. Si nous nous rendions tous les deux au bal, peut-être pourrais-je m’en débarrasser à cette occasion. Les accidents étaient bien vite arrivés et une grosse vache comme elle ne pourrait certainement pas fuir si un Vampire la prenait pour cible. Elle serait obligée de subir. Cette perspective créait dans ma bouche une salivation exquise. « Il y a des variantes en fonction des individus apparemment, même s’il y a des choses qui semblent toujours les pousser à consommer le sang. Ils préfèrent vraisemblablement celui des créatures bénéfiques… plus purs. Le sang des vierges et des puceaux aussi, même si j’ai plus l’impression que c’est une légende urbaine. Je ne comprends pas en quoi ça changerait quelque chose… » Je le fixai un instant et appuyai mon dos contre le dossier de ma chaise. « Hypothétiquement… si on te proposait de tuer quelqu’un, tu le ferais à quel prix ? » le questionnai-je, tout à fait sérieusement.

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« Salut. » Il rit, en regardant son binôme, un petit « hi hi » qui n’indiquait rien de particulier hormis une joie étrange de se retrouver en sa compagnie pour faire des recherches. Les Sorciers l’amusaient. Ils étaient si sérieux et pincés qu’il prenait un malin plaisir à les enquiquiner. C’était dangereux, certes, mais tout ce qui ne l’était pas n’avait aucune saveur. « Raconte-moi. » lui proposa-t-il, en sortant plusieurs objets de ses poches. Il les posa sur la table. Il y avait des babioles diverses et variées, ainsi qu’une sphère dont il n’avait pas encore résolu les mystères. Elle était apparue dans sa chambre un soir de pleine lune blanche. Il ne l’avait pas touchée, la chose étant bien trop suspecte. Au lieu de quoi, il l’avait délicatement fait glisser dans un récipient en utilisant une pince. Il avait répété l’opération avec celle qui s’était matérialisée près d’Adriæn. Il ne la lui avait pas rendue pour le moment. Il voulait d’abord l’étudier. S’il ne trouvait rien, il la lancerait sur l’Ondin afin d’en mesurer les conséquences. Il serait son cobaye.

Sympan sortit une feuille qu’il avait roulée sur elle-même dans un tube. Il la déroula après s’être assis, pendant que le spécimen aux yeux bleus lui détaillait la teneur de ses recherches. « C’est vrai que ce point est étrange. Peut-être que les Péchés des Déchus entrent en jeu ? Peut-être n’est-ce pas la virginité le facteur mais plutôt une préférence pour les individus qui ne se repaissent pas dans la Luxure ? Ce qui voudrait dire qu’une personne non vierge mais amoureuse serait toujours considérée comme bonne à sucer à leurs yeux… » Tranquillement, l'étudiant s'apprêta à expliquer ce qu’il avait trouvé. L’Ygdralfar adorait faire des tableaux et des schémas. Il avait passé des heures à faire celui qu’il tenait dans les mains. Néanmoins, la question du Sorcier coupa court à ses intentions. Il le regarda un temps sans rien dire puis un grand sourire un peu fou étira ses lèvres. « Tout dépend qui je dois tuer… » répondit-il, le plus sérieusement du monde, sans prendre la peine d’utiliser le conditionnel. « Il y a des risques non négociables. Et puis… » Son index et son majeur marchèrent sur la table, comme deux jambes en mouvement, jusqu’à se planter devant Léonidas. « … j’ai tendance à ne faire les choses que si j’y tire un intérêt scientifique. L’argent ne m’intéresse pas. Donc, pour répondre, je dirais : le prix de la science, même si je ne suis pas sûr de réussir à tuer quelqu’un. C’est un peu comme le viol, ça ne m’attire pas spécialement. » précisa-t-il. « Qui veux-tu tuer ? » Il valait mieux être fixé sur l’identité du ou de la chanceuse.

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Le fait qu’il parût fou me satisfit. S’il parlait, personne ne le croirait. Mon père, bien que de plus en plus absent, m’avait professé un jour que l’important n’était pas le secret à tout prix. Plus un secret était visible et gros, plus il paraissait n’être qu’un mensonge. Il en allait de même avec les interlocuteurs à qui on les confiait. Ainsi, le point sur lequel ne pas déroger était celui-ci : faire en sorte que la personne qui pourrait être amené à parler se décréditât en ouvrant la bouche. L’aveu amusé marchait également parfaitement pour noyer le poisson. Une phrase comme « Oui, bien entendu, j’ai envie de tuer ma femme ! » suivie d’un sourire radieux attirerait les rires et me laverait de tout soupçon. J’allais égorger cette truie, par l’intermédiaire d’un autre ou directement. Ce n’était qu’une question de temps. J’écoutai donc le prix de mon interlocuteur. Peut-être pourrait-il la garder vivante un temps ? Après tout, une fille obèse comme elle ne pouvait être qu’un excellent sujet d’expérience. Combien de fois pourrait-il tailler sa chair avant qu’il n’en restât rien ? Beaucoup. Un régime définitif lui ferait du bien. Quant au reste, le fait qu’elle parût plus vieille qu’elle n’était, c’était aussi un argument en faveur de la science. L’imaginer en cobaye me fit ressentir une satisfaction malsaine. « Il s’agit de ma fiancée, Muscarine Paiberym. » avouai-je, sans aucune honte, le sourire du parfait gendre fixé sur les lèvres. Il me croirait ou non. « Elle appartient à une famille influente, comme la mienne. Néanmoins, elle est… particulière. Dégoûtante. » Le fait qu’il me fallût lui faire des héritiers juste après la cérémonie de mariage ne cessait de me hanter. Comment allais-je trouvé l’entrée ? Comment allais-je pouvoir m’enfoncer en elle ? Sa graisse me barrerait l’accès. Il allait me falloir utiliser des cordages ou autres outils capables d’écarteler son gros corps lipidique. Je n’arriverais probablement même pas à entrer en érection devant ce gros tas. « Ton prix sera le mien. Sache juste que si tu m’en débarrasses, elle pourra te servir de cobaye. C’est une sorte de… monstruosité à elle toute seule. Elle aurait sa place dans un zoo ou un cirque. Tu pourrais te faire une fortune et tout le monde sait que la science a besoin de moyens pour se développer. Les recherches coûtent cher. » Ce n’était pas de moi. Un professeur s’était récemment épanché sur ce problème dans le milieu scientifique, invoquant le fait que ceux qui avaient de l’argent ne le dépensaient que pour leur propre bénéfice, quitte à obliger les professionnels à cacher une partie de leurs résultats ou à jouer sur les mots. Je trouvais ça logique. Personne ne désirait aller contre ses propres intérêts, moi le premier. « Tu crois pouvoir le faire ? » demandai-je, tout à fait sérieux.

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« Ta fiancée ? » Sympan ricana. C’était croustillant à souhait. Qu’avait-elle fait pour mériter un tel châtiment futur ? L’avait-elle trompé ? L’avait-elle énervé pour une raison obscure ? L’Ygdraë était loin de se douter que la seule existence de la Paiberym était un problème en soi. Son crime ? Vivre. Dommage fromage. « Muscarine… ça me dit quelque chose. » Il mit un certain temps avant de trouver. Il avait surpris des étudiants en train de se moquer d’elle. D’après eux, elle était obèse et vieille. « Je vois… C’est donc son apparence physique qui te rebute. » Drejtësi avait une physionomie normale. Ni grosse ni maigre. Elle était plus épaisse que le scientifique mais ce n’était pas bien dur. Maigre comme un clou, la plupart des gens qu’il croisait étaient plus imposant que lui. Ça ne l’avait jamais dérangé. Il préférait qu’on l’oubliât. « Je ne sais pas si je pourrais coucher avec une femme obèse. Il faudrait que je le fasse, pour la science. » Serait-il attiré sexuellement ? Il n’était ni raciste ni grossophobe. Une Sorcière obèse ne le rebuterait pas. Et puis, ce serait un pas de plus dans les expériences qu’il menait avec sa copine. Serait-elle plus jalouse qu’il couchât avec une belle fille ou qu’il le fît avec une fille jugée laide par la norme ? Le prendrait-elle pour un fou au point de vouloir le quitter ? Plusieurs questions méritaient d’être posées. Il lui en parlerait. « On n’a jamais assez de cobayes, c’est vrai… » Il se demanda ce que la concernée en penserait. Voudrait-elle devenir son jouet ? Ou voudrait-elle jouer avec lui contre son fiancé ? Après tout… il pouvait dire oui à l’un et rapporter tout à l’autre afin de voir si elle avait mieux à lui offrir. Ça se faisait. Les affaires étaient rudes et, comme il l’avait souligné, les recherches coûtaient cher. « Ça se pourrait bien. Laisse-moi y réfléchir quelques jours. Je te donnerai ma réponse après le bal de Seaghdha. » Le temps pour lui de mettre sur papiers hypothèses et théories. Le temps de rencontrer Muscarine également. Il l’approcherait l’air de rien. Si elle se montrait méprisante, il aurait sa réponse. Et puis… quelque chose d’autre le tentait bien. S’il arrivait à construire ce qu’il voulait avec les autres mecs, Léonidas pourrait peut-être les rejoindre. Détruire Muscarine deviendrait alors une cause commune. Il devait y songer.

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Fin