Manalyë semblait avancer et cela réjouissait Daé. Il ne savait pas vraiment dans quelle direction cette île avançait, mais leur histoire de religion avait commencé à prendre un tournant intéressant, certain.e.x.s membres de l’île s’étaient même mis à personnifier l’arbre Mère de la forêt de manière plus intense que précédemment. Il était content, car il semblait au Rehla que les choses avançaient et ce sans qu’il n’ait grand chose à faire. Il songea quand même à faire en sorte que ses visites se fassent plus régulières et d’un autre côté il trouvait important de les laisser évoluer seul.e.x.s aussi. Encore un problème insolvable avec au bout uniquement des mauvais choix, mais il était relativement habitué à ce type de manoeuvre. Il s’éloignait en même temps que le chaud semblait quitter les terres qu’il survolait. Il avait pris le temps de se reposer et aimait secrètement le fait qu’il n’y ait aucune magie sur cette île. Cela lui permettait de couper avec les sollicitations incessantes qui habitaient son esprit. Il apprenait aussi à vivre différemment, à marcher, à grimper, à se lever pour aller chercher les objets dont il avait besoin. Et il essayait constamment d’horizontaliser sa posture, afin de donner du pouvoir aux Manalyën·ne·x·s et de ne pas prendre sur lui une charge qu’il ne serait pas capable de supporter ensuite.

Pour une fois, son vol lui faisait du bien, cela lui permettait de faire de l’ordre dans ces idées. Il avait tellement de choses à faire, tellement de pistes ouvertes et en même temps il ne savait pas vraiment ce que Phoebe attendait de lui. Il était sûr d’une chose : il y avait des attentes. Mais lesquelles… D’une part cette histoire avec Sombrevoyance qui allait peut-être l’aider à comprendre ce qui se passait sur cet archipel, puis la carte du ciel, puis le Monde des Rêves. Sans oublier ces gemmes qui étaient apparues de partout, son enlèvement pour divertir il ne savait qui en saignant quelqu’un dans une cellule étrange, si on ajoutait à cela que Daé était un être avec une vie émotionnelle, sentimentale, sexuelle, romantique et des aspirations, même si ces dernières se fondaient de plus en plus dans la notion de « Destin », la table commençait à se remplit avec trop d’abondance. Il se senti soudainement commencer à plonger malgré lui et se rendit compte qu’il s’endormait. Il s’était certes reposé plusieurs jours, mais malgré cela, la fatigue accumulée ces derniers mois se faisaient encore sentir. Il n’eût pas le temps de le supposer qu’un petit serpent blanc sortit de sa poche avant de devenir immense, assez grand pour supporter tout le poids et la fatigue eu Rehla. C’était Soie, le serpent dont il avait gardé l’oeuf avec attention lors de son premier passage à Ciel-Ouvert, qui lui proposait son aide. Il accepta à grand-joie, se posa sur son dos écailleux, humide et doux et sourit en la voyant virevolter à travers les courant aériens qui surplombaient les mers de Sympan. Il ne savait pas où il allait et Soie en avait conscience, elle lisait très bien ce qui se tramait dans sa tête, c’était sûrement comme cela d’ailleurs qu’elle avait senti sa fatigue. Malgré ses diatribes sur l’importance du calme, il avait soudainement été oppressé par ce silence et cette absence de magie et, sans avoir besoin de prétexter son départ, intérêt de son rang sur cette île, il s’en était allé.

Posé de tout son soûl sur Soie qui aménageait l’air autour du Rehla pour qu’il n’ait même pas à se tendre ou à gainer pour ne pas tomber, il trouva un seul point commun à tout ce qui le préoccupait ces temps - si on omettait la partie vie sentimentale et ce qui pouvait en découler - la Magie. Cette force étrange avec laquelle il jonglait maintenant si facilement, c’était un élément central de toutes ses préoccupations, de tous les dossiers - si on pouvait les appeler ainsi - sur lesquels il travaillait. Il prit le temps de regarder mentalement l’image de sa vie de plus loin et se rendit compte que ses parents seraient sûrement fier.ère.s de lui et que lui-même n’aurait jamais pensé faire autant de choses en même temps si on le lui avait dit il y a quelques années. Cette pensée le fit sourire. Il s’étira et se rendit compte par la même qu’il portait encore son pagne de l’île, il transforma cela en une tenue confortable de voyage, un mélange entre lin et polaire afin de ne pas geler sur le dos de ce serpent et prit le temps de contempler la mer.

« Que me réserves-tu ensuite ? » adressa-t-il dans le vent.

824 mots

Daé ouvrit les yeux trois mois plus tard.
Ses membres étaient engourdis et il sentait sa tête pulser au rythme de ses battements de coeur. Il ne comprenait ni où il était, ni pourquoi il avait aussi mal au corps, ni l’heure qu’il était, rien. Le ciel au-dessus de lui était nuageux, il distinguait, au travers de la canopée, quelques rais de soleil qui semblaient timidement arriver. Tout autour de lui, Soie, immense, blanc et enroulé, dormait aussi, protégeant le Rehla de son corps reptilien. Daé tenta de se lever, mais tituba, quelque chose n’était pas normal. Chancelant, il fût rattrapé par la queue agile de son serpent qui se mit sous lui pour lui fournir une chaise d’urgence. La tête triangulaire du compagnon de Daé arriva très vite face à lui. Le Destaty sourit en lui caressant le front et constata avec surprise alors que le serpent relâchait son corps protecteur que d’autres de ses ami.e.x.s étaient là. Synaën, Lélé, Flanelle, Velours, Satin, Mobile attendait autour du serpent, sans mot dire. La scène était d’ailleurs assez cocasse à cosntater, un serpent géant, une tigresse, une Weltpuff, un taureau, un cheval, ailé, un cerfeuil d’Od et un origami attendant au milieu d’une forêt.

Cette forêt, Daé la reconnaissait, c’était Manalyë, mais pourtant il était parti d’ici il y a quelques heures pour aller se reposer, pourquoi y était-il de retour. La réponse allait lui arriver en grand fracas : « L’ARBRE MERE L’A RÉVEILLÉ. LE ROI EST RÉVEILLÉ !!! » Le roi en question, plus exactement dans cette scène, Daé et sa tête dans le cul, reconnut immédiatement un de ses sujets de Manalyë et commença à en voir des dizaines d’autres arriver. Sa tête ne comprenait rien.

« Excusez-moi, pourquoi est-ce que vous vous extasiez de mon réveil après une sieste ? »
« C’était quand même une sieste de trois mois, Daé. »
« Hahaha ! Oui oui. »

Il comprit. D’un coup. L’habitant de l’île avait raison, ce n’était pas pour rien que tous ses compagnons de voyage s’étaient réunis. Il jura en oraédera. Trois mois. Il se leva et tituba encore, mais cette fois réussit à marcher. Il s’étira en demandant un verre d’eau, avant de se rappeler qu’il n’aimait pas l’eau d’ici. Le régla se retint d’afficher une mine écoeurée en goûtant l’eau au goût salin de la mer.

« Il me faut savoir ce qui s’est passé. »

Personne ne lui répondit. Evidemment, ses compagnons animaux privés de leurs magies ne pouvaient pas parler ici et les habitant.e.x.s de l’île n’avaient rien fait de spécial si ce n’est vivre pendant ce temps.

« Velours, on va à Lua Eyael: »

Le cheval n’hésite pas une seconde et déploya ses ailes alors que les autres animaux montèrent sur le serpent. Il allait devoir ramper jusqu’à pouvoir voler, mais ce ne serait pas la première fois qu’il ferait ça, même si c’était la première fois que ce voyage se faisait à autant.Tout le monde décolla.

La mère. La sensation de déjà-vu, la faim qui le tiraillait également. Les muscles engourdis, les yeux lourds de ces siestes qui durent une après-midi au lieu d’un quart d’heure et encore cette faim.

« Comment ai-je pu m’endormir aussi longtemps ?! »

Le cheval ailé tenta de répondre, comprenant bien toutes les préoccupations de Daé, les images que lui envoyaient ses camarades n’étaient pas claires, si ce n’était qu’il s’était endormi sur Soie, et qu’après quelques jours de voyages, il ne s’était pas réveillé, paniqué, le serpent avait ramené Daé sur l’île et il ne s’était jamais réveillé. Enfin si, trois mois plus tard.

Malgré ce très long sommeil, Daé se sentit fatigué sur le cheval, sûrement la retombée de l’adrénaline. Il était enfin sorti de la zone d’anti-magie qui agissait sur l’archipel dans lequel était son île, et les voix des étoiles revenant bourdonner dans sa tête après trois mois de calme n’étaient pas simples à gérer. Il décida de s’assoupir quelques minutes histoire de mieux récupérer. Il s’installa confortablement et s’endormit.

722 mots

Daé ouvrit les yeux trois mois plus tard.

Cette fois, il se réveilla dans une clairière entouré de gens qui semblaient chanter et prier. Ses membres étaient engourdis et il sentait sa tête pulser, encore. Les yeux collants, la bouche sèche, encore.

« LA MALÉDICTION EST LEVÉE !! »

Et la même voix qui crie, encore. Les pensées de Daé allèrent cette fois un peu plus vite. Il se rappela avoir déjà vécu ça, mais sans se souvenir vraiment des circonstances. Mais il le savait. L’agitation grandissait dans la clairière alors que toute l’île semblait rappliquer pour une fête improvisée. Le Rehla soupira, il n’aimait pas cette rexification, cette manière de le glorifier, il n’était pas plus utile, ni plus intelligent sur cette île que touxtes les autres. Sans magie, c’était un quidam qui ne savait pas survivre en forêt. Mais l’heure n’était pas à la lutte pour l’autonomie politique, l’heure était à la tentative de compréhension.

« Je suis désolé, nous ferons la fête plus tard. J’ai bien peur en effet que nous soyons victimes de quelque chose, mais de quoi je ne le sais pas. Amenez ici tous les gens qui m’ont vu partir et revenir. »

Le sérieux du Rehla ébranla légèrement la fête qui était en cours, mais les ordres furent répondus rapidement, quoi que dans une cohue assez générale à propos de « qui était là et qui n’était pas là ». Au bout d’un certain temps, les personnes concernées étaient réunies, avec à leur tête les deux gestionnaires de l’île en l’absence de son Roi. La conversation dura plusieurs heures pendant lesquelles le Rehla pesta environ soixante fois sur le fait que ce manque de magie était agaçant au possible, sous le regard parfaitement perplexe des habitant.e.x.s de Manalyë. Il prit des notes, dessina l’archipel, entoura de bulle certaines îles pour tenter de comprendre ce qui arrivait. C’était la première fois qu’il appliquait ses apprentissages en magicologie depuis longtemps et il se sentait spécialement rouillé. Malgré cela, les concepts commençait à se fluidifer, à force de les manier. Il commença à tirer les conclusions de son apprentissage à haute voix, plus pour se le dire à lui-même qu’aux personnes autour de lui.

« Ce n’est pas local, du moins il n’y a aucune magie qui semble pouvoir apparaître ici, du moins pas les formes que je connais. En plus, il n’y a que moi qui en ai subi l’effet, ça ne semble donc pas toucher mes compagnons, ni les habitant.e.x.s de l’île. C’est donc soit ciblé sur moi, soit en dehors de la zone de non-magie de l’archipel et pour une raison ou pour une autre, ça ne me touche que moi. Mh. Plusieurs hypothèses qui en découlent : De la magie noire, une malédiction précise. Peu probable : Je n’ai pas énervé de pratiquant.e.x.s récemment (enfin, même si faut pas les énerver pour être maudit.e.x.). Sinon, l’effet de quelque chose m’attend à la sortie. Ça c’est une vraie possibilité. L’effet de quelque chose doit m’attendre à la sortie. Mais…de quoi. Et surtout…comment le contrer ? »

Daé se frotta les yeux. Sans le vouloir, cela lui mit de la terre dans le coin de l’oeil. Il avait connu meilleur réveil. La nuit commençait à tomber, les arbres étaient maintenant complètement nus et les feuilles rouges et or jonchaient le sol de la clairière dans laquelle le Rehla avait installé son bureau de fortune, une souche donc. Il n’avait pas prévu de rester sur l’île aussi longtemps, il se demandait comment allait Yzex, où en étaient ces gemmes qu’il avait vues. Et le Ciel qui changeait, et le mariage de Neah, il devait aller au mariage, mais il l’avait sûrement raté ! Non ! Il devait se dépêcher. Mais là, la lourdeur des jambes, la fatigue, la colère, tout montait en lui. Il n’avait pas envie de réfléchir, ou plutôt si, il en avait envie, mais il en était incapable. Il demanda à Velours pour repartir, le cheval accepta immédiatement. Le Destaty regarda ses deux assisant.e.s : « Si par malheur je reviens endormi, mettez moi des gifles jusqu’à ce que je me réveille, même si j’en perds mes joues. » Il s’envola.

La même sensation, liberté, retour de la magie, apercevoir une petite faë amusée du coin de l’oeil, puis la fatigue. La lourde fatigue.

760 mots

Daé ouvrit les yeux un jour plus tard, avec quelques bleus sur le visage et le regard atterré de ses deux assistant.e.s en panique. Cette fois le Rehla comprit ce qui lui était arrivé. Du moins il comprit qu’il s’était à nouveau endormi. 

« Combien de temps ?! »
« Un… »
« UN MOIS?! »

« Un jour, Daé ! Un jour ! Nous sommes d’ailleurs vraiment désolé.e.s pour le nombre de gifles que nous avons dû vous mettre, nous pensions que… »
« Vous avez bien fait. Merci. »

Il était tellement en colère de s’être endormi à nouveau. Les arbres étaient encore verts, mais commençaient à tirer sur le jaune, le soir tombait. Il ne pensait pas que c’était une composante importante de ce qui lui arrivait, mais il le nota. Il se leva et tourna en rond, donna un coup dans un arbre en criant pour laisser sortir sa colère. Il n’aurait peut-être pas dû faire ça avant d’avoir regardé autour de lui, se rendant compte alors que presque toute l’île n’avait pas bougée de la clairière et qu’il venait de faire un trou de la taille de son poing dans un tronc sans s’en rendre compte. Il s’apprêta à s’excuser au moment où tout le monde se mit à applaudir. Il sourit. Tout était à la fois plus ardu et plus simple ici. Il s’échappa de la clairière infernale qui ressemblait en permanence à la fête nationale d’une état balbutiant et alla marcher dans la forêt.

Cet endroit était devenu, avec les mois, un lieu de repos. Un lieu de calme, de sérénité. Le Destaty avait l’impression que les habitant.e.x.s de l’île, qui connaissaient bien évidemment la forêt mieux que lui, avaient compris que ses promenades étaient des moments solitaires. Il n’avait d’ailleurs pas encore réglé le problème que lui posait le fait d’arriver ici et d’édicter ses lois, il devait les autonomiser, il ne venait pas d’un peuple très dirigiste. Enfin. D’une certaine manière, si. D’une autre non. Si lae Sin Luxinreis ordonnait quelque chose et que des prophéties allaient contre son ordre, les prophéties gagneraient. Et Daé n’avait eu aucune vision à propos de cette île. Sûrement à cause de cette magie qui n’arrivait pas. Il détestait cela. Il s’arrêta contre un arbre, il était verdoyant, magnifique, ses fleurs venaient d’éclore, pour quelques heures, avant de flâner et de devenir mortes à la tombée de la nuit. La magie existait. Il écarquilla les yeux et vida son sac de carnets de recherches et d’études. La magie existait. Evidemment qu’elle existait. Sinon ces arbres ne se comporteraient pas comme ça, ils étaient imprégnés de magie. C’était là sa solution. Ce lieu n’était pas baigné de cette capacité humaine qui empêchait la magie d’arriver, c’était simplement une autre…grammaire. Un autre langage. La magie existait. Il devait simplement tenter de comprendre comment faire revenir celle qu’il connaissait ici. Ou pas, mais en tous les cas il devait comprendre quelle langue magique était à l’oeuvre ici. Et pour ça, la Marche Terne pourrait sûrement l’aider. Il sortir un cahier assez bien tenu, peut-être le seul, qui contenait des marques pages alphabétiques et le parcourut rapidement. Il avait commencé à lister ici les formes de magie qu’il avait rencontré en essayant de les exemplifier et de donner des exemples.

La Magie des Cartes.

Ce n’était pas celle qui était à l’oeuvre sur ces îles, il en était quasiment certain, mais en revanche, cela correspondait à son problème le plus urgent. Comment sortir de l’île. C’était le plus probable. Et cela permettait de confirmer toutes ses hypothèses précédentes sur ce soudain sommeil. Personne ne lui avait lancé une malédiction, une carte s’était simplement promenée dans l’archipel, la créature en était sortie et elle ne pouvait pas passer la barrière qui recouvrait les îles, cela se produisait donc au même moment, toujours. Le moment où sa magie revenait et où celle de la créature de la carte existait donc également.

Il lui suffisait maintenant d’essayer de comprendre comment calmer cette créature. Il l’avait fait avec l’Ygdraë du passé, il pourrait sûrement le faire avec ce marchand de sable. Et pour ça, il avait un plan, un plan qui servirait d’entraînement à toute une île aussi. Il était temps de voir de quoi iels étaient capables.

756 mots

« Je sais que personne ici ne peut faire de magie et que vous n’êtes pas les personnes les plus dégourdies des terres de Sympan, mais… »

Un bruissement parcourut la foule à la mention de l’Aether créateur. Daé se souvint qu’iels ne connaissaient pas non plus ce nom-là, mais c’était une question pour un autre moment.

«…il va être grand temps de vous motiver, camarades. Comme vous le savez, plusieurs îles sont autour de nous et je crains que la nôtre soit en train de subir sa première attaque ! »

La foule bruissa encore plus fort. Daé n’était pas charismatique pour un sou, mais sur cette île les gens l’avaient choisi, un peu malgré lui comme roi, alors il faisait ce qu’il pouvait. Même si souvent son intonation était gauche et que son corps faisait bien trop peu de mouvements pour l’engouement qu’il souhaitait créer chez son peuple, cela semblait plus ou moins fonctionner.

« Vous avez bien entendu! Peut-être l’ignorez-vous, mais depuis quelques temps, à chaque fois que j’essaie de sortir de notre île bien aimée, je tombe dans un profond sommeil magique et je suis donc coincé ici. Il va falloir nous organiser bien et sérieusement pour que nous repoussions cette attaque. Sinon dans quelques jours, je crains qu’il nous arrive ce qui arrive à nos arbres chaque nuit… »

« La mort… » le mot se répandit dans la foule comme un murmure.

« Nous avons préparé une stratégie d’intervention que vos différent.e.x.s chef.fe.x.s, que vous avez décidé d’élire parmi les groupes que nous avons formé, vont vous enseigner. Le but de cette opération est simple, je serai en première ligne, nous allons devoir faire en sorte que je puisse m’éloigner le plus possible de l’île sans m’endormir pour ensuite aller affronter la menace qui pèse sur nous. » Le Rehl réfléchit un instant. « Encore un dernier détail…cette mission sera dangereuse, et afin que nous ayons le moins de perte possible, il sera déterminé un cordon de sécurité que vous ne devrez dépasser sous AUCUN prétexte. Me verriez-vous mourir devant vos yeux, je vous interdis formellement de dépasser le cordon qui sera mis en place. Est-ce que cela est clair pour tout le monde ? »

La foule approuva d’un signe de tête déterminé et silencieux. Le Rehla pensait que s’iels en venaient à dépasser le territoire qui était sorti des flots il y a quelques temps maintenant, iels risquaient de disparaître et il ne voulait absolument pas causer la perte d’un peuple qui lui avait fait confiance.

« A vos postes! L’opération commencera dans une semaine, à l’aube! »

Tout le monde cria et se répartit dans ses différents groupes. On commença à construire des bateaux rudimentaires qui permettraient de s’avancer un peu. On les construisit avec le moins de bois possible, remerciant chaque branche sciée pour nous permettre d’avancer. Au fur et à mesure du temps, le peuple de Manalyë semblait accorder beaucoup d’importance au bois sur cette île et cela convenait très bien à Daé, il leur fallait bien quelques croyances pour oublier l’inanité de l’existence. Une fois les bateaux construits, on construisit également des cordes, des contenants en quantité et certaines personnes trouvèrent un moyen de rafraîchir l’eau en profitant de la chute journalière des feuilles et en comprenant que les troncs mêmes des arbres se refroidissaient la nuit tombée. Au bout d’une semaine, tout le monde semblait fin prêt.

Tout le monde se retrouva, en rang, sur la plage, et Daé prit la parole.

« Voilà donc le plan, premièrement, sous mes instructions que je donnerai depuis le ciel, vous allez établir le cordon de sécurité dans la mer, comme discuté il y a une semaine. Une fois cela fait, nous allons préparer des avants-postes auxquels il y aura à chaque fois une personne pour guetter si quelque chose arrive de loin, de l’eau fraîche pour réveiller les éventuelles endormies à grand coup de seau, et deux personnes armées avec des bâtons en cas de problème à régler. Une fois que les avants-postes seront mis en place, je m’envolerai avec, autour de la taille, une corde, j’irai voir si je peux trouver notre ennemi et une fois cela fait…je lui expliquerai de quel bois Manlyë se chauffe! Est-ce que vous êtes avec moi ? »

La clameur fut faible, Daé avait toussoté sur la fin, mais fonctionnelle. Le peuple de Manlyë semblait prêt pour son premier exercice militaire.

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Daé avait bien conscience que nonante pour-cent de son plan ne servait à rien. Il n’y avait besoin ni de personnes aux postes de guets des rafiots créés pour l’occasion, ni de gens avec des bâtons prêts à se défendre, mais cela permettait surtout à son peuple de s’entraîner. Ce qui l’intéressait vraiment, c’était de pouvoir être ramené grâce à une corde en cas de problème et que des Manlyën.ne.x.s soient préparé.e.x.s à le réveiller. Il déploya ses ailes qu’il faisait toujours sortir en arrivant sur l’île pour éviter qu’elles ne puissent plus apparaître à cause du manque de magie et s’envola, une corde fermement nouée autour de sa taille. Les avants-postes devinrent de plus en plus petit et il arriva tranquillement à ce qu’il avait mentalement identifié être la limite de l’archipel, l’endroit où la magie se désactivait et l’endroit où cette carte du Tarot Maître semblait agir. Et soudainement, sans un bruit, il se réveilla.

La rue était pavée, le temps était frais et il n’y avait personne. Au loin, plusieurs maisonnettes et derrière celles-ci, ce qui ressemblait à un manoir. De la condensation s’échappait de la bouche de Daé lorsqu’il respirait et il essaya de faire apparaître des gants et une tenue plus chaude, mais rien ne fonctionnait. Encore cette foutue magie. Il ne savait pas vraiment s’il était resté dans Manalyë, s’il en était sorti, mais il était sûr que la créature de la carte commençait à l’inviter à sa rencontre. Il avança.

Ses pas étaient lourds, légers, tristes, heureux, tout à la fois. Parfois les maisons se transformaient et devenaient plus grandes, plus petites, biscornues et discrètes ou droites et présentes, tout semblait se mouvoir en tout temps. Il avança encore et essaya de se rapprocher du manoir qui était au loin et duquel il entendait venir, tout doucement, porté par l’air frais, une berceuse. Il ne savait pas ce qui se tramait là-bas, mais une berceuse, c’était parfaitement ce qu’il cherchait. Tour à tour, ses pas étaient immenses, ou petits. Où était-il tombé encore ?

Alors qu’il avait perdu le manoir de vue, une forme apparut soudain à ses côtés et une personne magnifique lui tendit à boire.

« Vous devez être fatigué, Daé Miirafae. Prenez donc un peu d’eau, je vous promets que je peux vous aider, dites-moi ce que vous souhaitez et vous l’aurez. »

Il détestait qu’on le reconnaisse. Encore plus dans une situation où il n’était pas en contrôle. Il réfléchit un instant, puis sourit en comprenant.

« J’ai pour habitude de ne pas accepter l’aide des génies. Même dans leur territoire. »

Lae génie en face de lui se renfrogna, agacé.e d’être démasqué.e si vite. Le Rehla savait que les Génies le connaissait, il avait chez eux eut le malheur de se faire connaître, chose qu’il aurait préféré éviter. Heureusement, cette mystérieuse race le considérait comme un sorcier, il avait normalement réussi à maintenir sa vraie identité secrète.

« Comment je suis arrivé ici ? »
« Je croyais que vous n’acceptiez pas l’aide des génies, Miirafae. »

Puis iel disparut. Le peuple des rêves savait se montrer plus capricieux que de raison. Il s’était endormi c’était une chose, mais cette fois, il était arrivé dans le Royaume des Rêves, un endroit où, il le savait, il n’avait pas assez de talent pour créer sa propre magie et moins encore pour influer le rêve dans lequel il se trouvait. Il ne lui suffisait plus que d’attendre.

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« Regardez! Il monte! Allez-y, Daé!! Vous pouvez y arriver! L’ennemi ne nous arrêtera pas, je sais que vous pouvez y arriver. »

Alors qu’il était en l’air, pendant une fraction de seconde son vol s’était arrêté, ses yeux s’était fermé. Sa tête avait franchi la barrière magique qui entourait l’île et son corps était sur le point de le faire. Son esprit appartenait déjà tout entier au rêve. Au loin, si les guetteur.euse.x.s avaient eu une formation convenable, iels auraient pu voir qu’une fae aux ailes d’anges semblait chanter une berceuse en regardant fixement le Rehla, mais malheureusement pour lui, personne ne semblait ne s’en inquiéter. Et tranquillement, le corps du jeune Miirafae - était-il encore si jeune ? - entama sa lente chute, millimètre après millimètre, dans un temps qui semblait encore comme suspendu. La fae le regardait tomber avec malice.


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Assis depuis ce qui pouvait être des secondes ou des siècles, Daé se rappela qu’il n’avait toujours pas eu de vision concernant sa mort et se demande s’il trouvait que c’était une bonne ou une mauvaise chose. Alors qu’il réfléchissait à cela et qu’il voyait un peu de passage au loin, soudain, la porte du manoir était devant lui. Apparemment, son hôte.sse.x et lui-même étaient prêt.e.x.s à se rencontrer.

Il poussa la porte. Elle était faite de sable et se désagrégea sous ses doigts, cela le fit sourire. Le manoir était joliment décoré, mobilier baroque, couleurs froides, mais réconfortantes au mur, vert sapin, bleu nuit. Quelques moulures au plafond couronnaient le tout. Parfaitement dans les goûts du Rehla, sans aucune surprise vu le Royaume dans lequel il se trouvait. Il avança et constata avec amusement que chacun de ses pas laissait derrière lui un trou dans le plancher et du sable qui coulait de celui-ci. Quel élément étrange que le sable. Il prit les escaliers qui lui faisaient face et se dirigea vers la pièce de laquelle la berceuse lui venait. Les escaliers se désagrégèrent également après son passage, laissant derrière lui des dunes et monticules qui offraient un spectacle désertique, désolant et assez mélancolique.

Il fit disparaître la porte de la pièce d’où venait la musique en l’effleurant des ses doigts et entra dans une chambre à coucher terriblement bien rangée. Des étagères au mur avec des carnets, des instruments d’astrologie que même lui n’avait jamais vu, des objets dont il ignorait l’utilité et la puissance. De la lavande en bouquet flottait autour du lit, en son centre, un homme âgé dormait et à ses côtés, une fée aux ailes d’anges chantait, en sueur. A peine Daé fût-il entré que la fée s’agaça, agita des bras en continuant de chanter et d’un geste du menton referma la porte derrière lui. Elle lui pointa du doigt un livre qui apparut alors devant lui. Il le prit dans ses mains et l’ouvra à la page du signet. « TIREZ-VOUS » était écrit en lettres capitales sur le livre qui se transforma instantanément en sable.

Le Rehla sourit et sortit de la pièce, la porte se referma derrière lui et il en profita pour explorer les alentours. Le deuxième étage comportait deux autres pièces, l’une ouverte et l’une fermée. Il se dirigea vers la porte entrouverte, la poussa, occasionnant par la même un trou dans celle-ci et arriva dans un bureau, lui aussi extrêmement bien tenu. Chose étrange, alors qu’il était entré dans ce bureau, rien ne se transformait en sable, comme si ici, la magie de cet endroit s’opérait différemment. Il parcourut rapidement les textes et comprit qu’il était dans la maison d’un magicien, ou d’un sorcier, mais en tous cas de quelqu’un pour qui la magie semblait n’avoir que peu de secrets. Certaines pages étaient floues, non pas à cause du manque de clarté des notes, mais sûrement à cause des règles étranges du Royaume dans lequel il se trouvait. Il aurait aimé prendre des notes, mais il n’avait rien sur lui pour, alors il essaya de retenir le plus d’éléments possibles. Il compulsa rapidement toutes les notes, se battant avec les livres qui, à peine les saisissaient-il, luttaient pour se remettre à leur place, il essaya d’en maintenir certains par la force tout en tournant des pages récalcitrantes à se montrer, il réussit à en piéger un pendant au moins deux bonnes minutes en créant un stratagème à base de contrepoids avec son corps contre un meuble qui était bien fixé, mais c’était peine perdue. Cette pièce n’avait pas envie d’être lue. Il sortit, découragé, et se dirigea vers la seconde.

C’était une salle de bains. Bien décorée, très bien rangée également, sans aucune surprise au vu du lieu, et dans laquelle un grand miroir de pieds trônait à côté d’une baignoire en ivoire. Il se regarda et son reflet était flou, il était à la fois enfant, vieux, mort, vivant, pâle, bronzé. Les reflets étaient les rêves des rêves, avait-il lu une fois dans un recueil de poésie sorcière. Il le constatait par lui-même.

Alors qu’il s’observait en riant, on toqua à la porte. Il se rendit compte que la berceuse s’était arrêtée. Il se retourna instantanément en levant les bras.



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Ses yeux étaient malins, presque amusés de la situation de pouvoir dans laquelle iel se trouvait. Quatre ailes, aussi petites que le corps auxquelles elles étaient rattachées battaient calmement en vol stationnaire, ses vêtements étaient simples : un morceau de tissu à moitié déchiré rose pâle posé au travers de son corps qui tenait sans aucune attache. Dans sa main droite, une baguette s’agitait en direction de Daé et iel semblait la brandir comme l’arme qui empêcherait Daé de bouger. Et iel avait raison. Le Rehla n’avait ici aucun pouvoir, très vraisemblablement, lae fae angélique en avait, le rapport de force était clair. Sa voix mutine résonna alors que la porte qui s’était transformée en sable derrière ellui se reformait tranquillement :


« Qu’est-ce que tu es venu faire ici ? »

Daé rit, agacé.

« Qu’est-ce que JE suis venu faire ici ? Une question pour une question : Pourquoi tu m’endors en permanence lorsque je passe à côté de toi ? »

Un temps.

« Tu cherches à sauver ton amie Ygdraë ? »

La tête de lae fae infirma rapidement l’hypothèse du Destaty. Il supposait qu’il y avait un lien entre ces différentes cartes dont il avait entendues parler et peut-être voulaient-elles se protéger de quelque chose, se soutenir mutuellement, mais lae fae ne semblait pas comprendre ce qu’il disait. Il chercha dans son sac machinalement et se rappela du contexte dans lequel il était et soupira.

« Je n’ai pas d’amie, j’ai mon maître et il doit dormir. »

Iel regardait souvent derrière son épaule, essayant de tendre l’oreille sur la respiration lente et apaisée qui ronronnait depuis la pièce d’à côté. Daé s’avança tranquillement, sachant très bien que sans sa magie il ne pouvait compter que sur son intelligence pour lae faire plier. A peine eût-il fait un pas que son interlocuteurice brandit sa baguette encore plus avant.

« Arrête-toi! Il faut que tu partes d’ici! »

« Je ne peux pas. »

La tête de lae fae se contrit.

« Sinon, je te fais dormir! »

Iel savait très bien ce qu’iel pouvait faire.

« Est-ce que tu as de quoi écrire ? C’est pour t’expliquer quelque chose. »

« Fais avec tes doigts. »

Le Rehla sourit et sentit un picotement lui traverser la pulpe des doigts. Iel était vraiment maître en cette partie du Royaume. Daé commença à dessiner une cartographie simplifiée des différents plans d’existence. Il fit une ligne horizontale pour figurer les terres de Sympan, une ligne en traitillés pour figurer l’archipel de Maggie, dont il ne connaissait pas encore l’origine, même s’il se doutait que Sympan n’y était pas pour grand chose, et fit un grand cercle passant sous les terres et une flèche qui arrivait dans ce cercle.

« Nous sommes là. Je ne suis pas réveillé. Je suis en train de dormir. Si tu veux me faire dormir, rien ne changera. Nous sommes actuellement dans un autre Royaume que le mien, celui des Rêves. Ici tu as tous tes pouvoirs, mais sur les terres qui sont les miennes je suis en train de dormir. Tu comprends ce que je veux dire jusque là ? »

Iel acquiesça lentement, son visage concentré sur le dessin.

« Bien. Dans notre monde, tes pouvoirs posent problème. Parce que autour de toi, les gens s’endorment. Même moi, tu ne me connais pas, mais peu de ce genre de magie m’atteint. Donc je ne peux pas me réveiller, parce que sinon je me rendormirai et reviendrai ici et je ne peux pas m’endormir, car je dors déjà. Tu me suis toujours ? »

Son visage était encore plus contrit, mais iel fit signe au Rehla de continuer avec sa baguette.

« Le seul moyen que je vois de partir d’ici, c’est que tu viennes avec moi dans mes terres, mais que tu protèges ton environnement de tes pouvoirs. »

Iel perdit le fil.

« Protéger, l’environnement, de mes pouvoirs ? »

Daé réfléchit un instant. Fit disparaître les dessins aériens qui les séparaient.

« Ici, tu es où ? »

« A la maison. » dit lae fae sur un ton évident.

« Tu sors parfois de la maison ? »


« Oui! Quand je m’ennuie. »

« Tu es sorti·e dernièrement ? »

« Mh…….oui. Vers de jolies îles. HAN! C’est toi qui a essayé de venir me dire bonjour ?! »

« Oui! C’est moi! C’est ça que j’essaie de te dire! Mais tu m’as pas laissé te dire bonjour ? »

« Je peux pas. Le seul à qui je peux parler c’est mon maître. »

Iel semblait ne pas comprendre sa vraie nature. Et c’était déjà un peu le cas avec la carte du Passé récupérée il y a quelques mois. Il fallait donc lae convaincre de sortir de sa maison avec le Rehla. L’affaire n’allait pas être facile.


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