Le Réprouvé lui décocha un rictus saturé de moquerie. « Parce que finalement t’as envie de baiser avec moi ? » Sans lâcher sa main, il entreprit de gravir la colline. « Je savais que tu finirais par tomber sous mon charme irrésistible. Ça se finit toujours comme ça. Enfin, non, en général, ça se finit l’un sur l’autre, au milieu d’un champ… et c’est vrai qu’il y a l’air d’y avoir pas mal de champs, ici, mais on va pas faire ça. Je ne suis pas un garçon facile, tu sais. Il faut me mériter, et, bon, t’es un Sorcier, alors je te fais pas un dessin. Enfin… peut-être que si tu me ramenais la tête de ton père en guise de cadeau, j’accepterais de t’embrasser. Ou celle de Val’Aimé, tiens ! » Il haussa les épaules. « Pour le reste… On verra en temps et en heure, hein. » Il lui jeta un regard en coin. « Il paraît que chez toi, justement, faut prendre son temps. Mes parents m’ont dit que vous aviez pas le droit de baiser tant que vous étiez pas mariés. Et que de toute façon, vous baisiez pas vraiment. » Un ricanement lui échappa. « C’est con que vous soyez tous de gros connards : mon peuple aurait pu vous apprendre. » Il regarda vers le haut de la colline. « En fait, je pense que chez moi, on se marie moins que chez toi parce qu’on n’a pas besoin de ça pour baiser. Vous, vous êtes tellement en manque que vous êtes obligés de vous marier pour plus vous toucher la nouille tout seul. » Une moue glissa sur sa bouche. « Et puis aussi, notre mariage est un peu problématique. Parce que quand t’es marié, tu peux baiser qu’avec ton mari ou ton épouse, sinon tu crames, ou tu meures, je sais plus. Y’a pas grand-monde de marié dans mon entourage alors je sais plus trop à quoi ça ressemble. Mais bref, t’as pas le droit d’aller voir à droite à gauche et, bon, chez nous, c’est compliqué. Je t’emmènerai dans une taverne, un jour. Tu comprendras. » Le rouquin laissa s’exprimer un petit rire. « Tu pourras te vanter d’être le seul Sorcier à avoir expérimenté ce que c’est que le vrai sexe ! Et pas vos trucs de chochottes qui jouent à touche-pipi du bout de la bite, là. »

Lorsqu’ils arrivèrent en haut de la colline, il interrompit son monologue, essoufflé. « Fiou, c’est fou comme ça grimpe, hein ? » lança-t-il à l’intention de la foule, le sourire aux lèvres. Comme s’il se rappelait soudainement qu’il tenait toujours la main d’Érasme, il la lâcha avec brutalité. Il n’avait pas plus envie de l’épouser que quand il était arrivé mais, gage oblige, il allait le faire. Lorsqu’ils retrouveraient les autres, il tâcherait d’éviter le sujet. S’ils finissaient par le savoir, il paraderait en prétendant qu’aucun défi ne l’arrêtait et qu’à la fin, ce serait lui qui gagnerait le Jeu. Tandis qu’on leur prodiguait des indications pour qu’ils se plaçassent afin de débuter la cérémonie, le regard de Dastan s’attarda sur le Prince Noir. Ce Jeu aurait-il une fin ? Quand ? Laquelle ? Il fronça le nez. L’idée lui déplaisait. Il eût brutalement peur que tout ne s’arrête, qu’il ne demeure d’eux que des souvenirs à croupir dans des mémoires éparpillées, et de leur Jeu que quelques actions insipides et immémoriales. Non. On devait se rappeler leurs noms, leurs visages, leurs exploits. Le Jeu grandirait à mesure qu’ils s’élèveraient, jusqu’à ce qu’ils pussent, à travers lui, mettre le monde à feu et à sang. Un sourire satisfait étira les lèvres du Bipolaire, au moment où le maître de cérémonie liait à nouveau leurs mains pour qu’ils passassent au poignet de l’autre un bracelet de filaments bleu et argenté, tissé depuis les herbes des vastes plaines. Les yeux bronze du rouquin se posèrent dessus. Ils étaient jolis. Surtout, ils étincelaient de céruléen. Il avait bien choisi sa tenue, et Érasme avait mal choisi son île. Il sourit encore, puis plongea son regard dans le sien : « C’est rigolo, j’ai l’impression d’épouser Lucius. Dommage que ce ne soit pas lui. » - « Vous pouvez témoigner un geste d’affection envers votre époux. » précisa le maître de cérémonie, empêchant une éventuelle rixe d’éclater. Le Réprouvé le dévisagea, puis reporta son attention sur le Mage Noir. Il sembla réfléchir une seconde, puis sourit à nouveau, passa un bras autour de son cou et lui colla sur la joue un baiser claquant. Tout sourire, il chuchota dans le creux de son oreille : « Maintenant, j’attends la tête de ton père. » Il ne s’arrêtait pas, jamais.