Rendez-vous au jardin

Thème.

De retour à l’atelier après sa course matinale _ et son égarement tout aussi habituel devant les désirables façades des bâtiments voisins _, Joliel avait informé Calanthe du passage de sa mentor. En conséquence, elle avait enfilé quelque chose de plus seyant et s’était rendue dans les Quartiers Simples. Bien que la porte eût été ouverte, la trentenaire n’arpentait pas les couloirs de sa demeure, et elle en avait logiquement conclu qu’elle se trouvait dans l’arrière-cour, à dorloter ses végétaux chéris. En douceur, la jeune femme poussa les battants de bois qui menaient au jardin. « Nux ? » Son appel resta sans réponse. L’appréhension lui nouait le ventre ; loin de se révéler une élève modèle, la Déchue ne faisait pas le moindre progrès. L’avidité chevillée au corps, chaque sortie ou presque se transformait en rêverie possessive. Au sein de la cité, elle parvenait miraculeusement à conserver un simulacre de contrôle ; les tourments, cependant, enflaient sous son crâne, et elle craignait à tout instant que la tempête n’éclatât. « Nux, où êtes-vous ? » Par-delà les arbres fruitiers, elle crut reconnaître l’assurance du timbre de la brune. Tâchant de se frayer un chemin sans abîmer la précieuse récolte, elle laissait les exclamations de la jardinière la guider. Le parfum d’un rosier interrompit son entreprise. Distraite par sa délicatesse, elle s’arrêta un moment. D’une blancheur dont seule la pluie volait l’innocence, les pétales s’épanouissaient à l’ombre. Ne pouvait-elle voler l’une de ces merveilles pour l’accrocher dans ses cheveux ? Ne pouvait-elle déterrer la plante, et la faire sienne en lui arrachant la vie ?

Ses doigts prêts à s’emparer des racines, la jeune femme secoua brutalement la tête. Il ne fallait pas céder. À regret, elle s’écarta de l’objet de son désir et reprit sa route entre les allées. Au détour d’un parterre de fleurs, elle découvrit son hôtesse. « Fais attention où tu mets les pieds, Calanthe. Tu ne voudrais pas écraser mes protégées. » Sensible à l’avertissement, cette dernière recula précipitamment. Son dos heurta le tronc d’un pommier ; les Aetheri eurent pitié de sa maladresse, et laissèrent sagement mûrir les fruits sur leurs branches. « Je suis désolée. » Pantoise, elle demeura immobile. Pourquoi diable ne pouvait-elle pas être plus concentrée ? Les cisailles de Nux se refermèrent brusquement. « Ne t’excuse pas quand tu n’as pas commis de faute. C’est agaçant. » Ne sachant plus où se mettre, la Déchue détourna la conversation sur un sujet, qui, elle le savait, rendrait la brune sensiblement plus enjouée. « Qu’est-ce que vous faites ? » La question lança cette dernière dans un monologue inspiré. Incapable de tout retenir, la blonde comprit cependant qu’elle escomptait créer une nouvelle espèce de fleurs, et que son assistance était requise. Quelque peu perplexe devant sa demande, elle acquiesça silencieusement. Naïvement, elle s’imagina que la chose ne devait pas être si compliquée, puisque c’était à elle qu’on la confiait. Dépourvue de toute notion de jardinage, elle convint d’un rendez-vous quotidien avec l’experte ; elle fut cependant informée qu’au bout de quelques jours, elle n’aurait plus rien à lui apprendre, et que seule sa persévérance lui permettrait d’atteindre son but.

La crédulité de la jeune femme fut rapidement détrompée. Après une première semaine aux côtés de Nux, il lui fallut se rendre chaque jour au jardin, lorsque le soleil descendait sur Avalon. L’opération était simple, mais d’une détestable lenteur. Chasser les insectes, croiser délicatement les tiges, arroser la terre, espérer un miracle. D’abord impatiente, elle gâcha de nombreuses pousses prometteuses. Avoir à portée de main de sublimes végétaux qui n’étaient pas siens entamait sa volonté. À plusieurs reprises, elle déroba des plants, avant de les ramener piteusement à leur propriétaire. Un soir, une invasion de parasites manqua anéantir ses efforts, et emporter avec eux une bonne partie des voisins. Avec l’aide de la Colérique, elle parvint à déloger les indésirables, non sans avoir répandu autour des précieuses un liquide à l’odeur nauséabonde. N’osant abandonner, de crainte de décevoir celle qui lui faisait confiance, elle désespérait intérieurement. Cela prenait une éternité. Répéter les mêmes gestes, encore et encore. Parfois, des bourgeons s’éveillaient, et, pleine d’espoir, elle scrutait attentivement le développement de leurs têtes vertes. Toutefois, il ne s’agissait jamais du spécimen qu’elle espérait. Alors, une rage muette au ventre, elle retournait à ses tentatives. Lorsque Nux jugea que la leçon avait suffisamment duré, elle provoqua la chance. Devant l’unique fleur qui se dressait au milieu des tiges brunes, Calanthe versa des larmes de joie. Précautionneusement, elle ouvrit le pédoncule pour recueillir son contenu : des graines colorées qu’elle déposa dans une bourse de lin. Au comble du bonheur, elle serra le sachet contre son cœur. La jardinière, cependant, lui réservait une autre épreuve ; elle l’informa qu’il lui fallait transmettre sa précieuse récolte à l’une de ses connaissances. La colère prit la jeune femme. Des semaines durant, elle était venue travailler la terre de ses mains, passant de l’espoir au doute en un battement de cils, et le résultat ne lui appartenait pas. Amèrement, la Déchue confia la besace aux bons soins d’un coursier. Elle ne comprenait pas. C'était cruel.

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Le Noël de Lexa: