Mertle n’était pas belle. Elle ne l’avait jamais été et, malheureusement pour elle, la gente masculine l’avait toujours trouvée disgracieuse voire laide, pour ne pas dire repoussante. Malgré les efforts de coquetteries de sa jeunesse, rien n’avait suffi au regard masculin pour masquer ce vilain faciès et enjoliver ces formes trop squelettiques. Très vite, la vieille bique avait donc abandonné l’habitude de s’apprêter pour plaire à autrui : ces artifices étaient devenus infructueux et ne faisaient que lui faire perdre du temps. Elle avait donc décidé de cultiver sa puissance à la place. Le résultat était plus ou moins concluant, selon le point de vue – une grande majorité s’accordait cependant pour dire qu’il s’agissait là davantage d’un échec que d’une réussite. Mertle était disgracieuse et elle le savait. Tout le lui rappelait : les enfants qui se mettaient à pleurer sur son passage, les miroirs qui se brisaient lorsqu’elle souriait à son reflet, les remarques moqueuses des demoiselles nées avec plus de charme… Pourtant, la vieillesse lui avait appris d’importants détails de l’existence : si l’on ne s’intéressait plus à son corps et qu’on le négligeait tout à fait, il nous le faisait payer de bien des manières désagréables. Une fois, elle avait essayé de lancer un sort sur elle-même, pour en analyser les effets et les ajuster selon ses désirs. Le contrecoup avait été catastrophique et, au lieu de la vilaine colique qu’elle était supposée provoquer, elle avait eu une poussée de furoncles apparaissant partout à travers son faciès. Mertle avait donc retenue la leçon : ménager son corps, à défaut de l’embellir inutilement.

L’arthrose avait été inévitable et son dos vouté lui provoquait régulièrement quelques grimaces et complaintes. Elle prenait souvent des potions antidouleur – dont elle soupçonnait l’apothicaire qu’ils étaient traficotés afin de lui infliger davantage de peine que de soulagement. En revanche, elle prenait grand soin de ses pieds. Ses souliers étaient arrangés grâce à des semelles et les nettoyait avec une brosse spéciale ! Ses ongles étaient parfaitement coupés et limés et, pour dire la vérité, elle avait de très jolis orteils. Dommage qu’il s’agisse d’une partie de l’anatomie communément répudiée et qui, de plus, se trouvait naturellement cachée dans les collants et les chaussettes.

Mertle était donc, ce jour-là, occupée à prendre soin de ses pieds, appliquant une lotion pour aider la circulation sanguine. Sur la petite table de salon, juste à côté de là où elle était installée, reposait une lime et un coupe-ongle en ferraille – qui ressemblait davantage à une machine de torture qu’à un équipement de coquetterie. La vieille femme renifla bruyamment avant de jeter un regard mauvais sur la cuisine où s’affairait Odette. « Eh ! Salle mioche ! Viens ici pour me masser les pieds. » ordonna-t-elle en claquant des doigts. « Et plus vite que ça ! C’est pas parce que t’as un polichinelle dans le tiroir qu’il faut te croire tout permis ! Pas de feignasserie avec moi ! »

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