Lorsque Naya rentra chez elle après la journée bien mouvementée pendant laquelle elle avait rencontré Marid, Mara et le beau Ludwig, son père arrivait lui aussi tout juste. Quand il avait appris par Rokia la disparition de sa fille, il avait envoyé ses hommes aux quatre coins de la ville pour la retrouver, en se ruant lui-même chez lui. En l’apercevant, son visage avait pris une étonnante teinte écarlate et il la prévint en s’époumonant qu’elle ne verrait plus jamais la lumière du jour. Puis, en remarquant sa cheville blessée, il la serra dans ses bras jusqu’à l’étouffer en sanglotant, geignant qu’il avait eu si peur de la perdre.
La jeune Naya se rua dans une brèche entre deux sanglots pour expliquer à son père à l’aide de grands gestes comment elle avait été sauvée par des soldats et emmenée à la caserne pour être soignée par le médecin de la garnison et qu’il fallait absolument qu’elle devienne son apprentie. Étant aussi fidèle que sa fille aux sautes d’humeur, le patriarche se mit à rire à gorge déployée en entendant une proposition aussi saugrenue. Il fit pourtant aller quérir ce fameux soldat qui avait sauvé sa fille et l’avait raccompagnée en lieu sûr. Cependant, le soldat était déjà parti. Soham Casan se décida donc à se rendre dans cette caserne pour récompenser lui-même ces héros. Il voulut envoyer sa fille dans sa chambre et l’enfermer à double-tour mais elle avait déjà été emmenée dans les cuisines par la vieille Azza qui voulait lui permettre de se remettre de ses émtions avec une bonne dose de miel à l’orange. Bon, il déciderait de sa punition plus tard…
Quand il fut revenu de sa visite, il était visiblement sidéré par ce qu’il avait vu. Certes, il connaissait l’état des finances de la ville mais il ne s’attendait pas à voir sa garnison en si piteux état. Même le don conséquent qu’il venait de leur faire ne changerait pas grand-chose à la situation. Les marchands encore présents à Utopia devaient trouver une solution pour aider leurs soldats… Un régiment en bon état était dans leur propre intérêt. En des jours de grande affluence comme c’était le cas aujourd’hui avec l’arrivée de la caravane, tous se rendaient compte de l’importance des protecteurs de la ville et de ses habitants. Sa fille était d’accord avec lui, et elle lui chantonnait à l’oreille qu’ils devaient trouver des moyens pour soutenir plus activement les soldats, tout en lui massant la tête. Elle aurait dû être punie bien-sûr, mais Soham appréciait tellement ses massages de tête…
Un peu plus tard, le fortuné marchand avait réuni un conseil de commerçants qui partageaient ses idées sur le nécessaire soutien de la garnison. Il fallait aller au-delà des dons financiers… Ils manquaient d’hommes. Le sacrifice devait être plus grand ! Ceux qui avaient plusieurs fils proposèrent que l’un d’eux rejoignent les rangs. Soham songea à sa fille et à son rêve de devenir apprentie à la garnison et secoua la tête en marmonnant dans sa barbe.
Quelques jours après, alors que Naya lui proposait d’enduire de crème ses mains fatiguée – elle devait être punie mais il adorait quand elle lui parfumait les mains – il raconta la décision qu’avaient prises plusieurs familles de marchants. Naya en profita pour défendre de nouveau son projet, voyant avec ravissement que son père ne s’y opposait plus avec autant de fougue. Ce fut par contre au tour de la vieille cuisinière Azza de s’emporter, jurant que tant qu’elle serait en vie, Naya n’irait jamais se promener au milieu d’hommes à demi-nu pour leur panser les mollets. Naya qui pouffa à ses propos fut sermonnée, et Azza n’accepta de lui adresser de nouveau la parole que quand Naya lui offrit de nouer ses cheveux. Elle aurait dû rester fâchée, mais elle aimait tellement quand la petite la coiffait…
Enfin, un beau jour, toutes les résistances tombèrent. A force de petites attentions, des cadeaux cachés dans les poches, des sourires et des compliments, Naya avait rangé tout le monde de son côté. Son père était même persuadé d’avoir lui-même eu l’idée d’envoyer sa propre fille en apprentissage auprès du médecin de la caserne afin de montrer sa confiance et sa gratitude. Les petits marchands suivraient rapidement en voyant que Soham Casan pariait ainsi sur la ville et sa garnison. Cet apprentissage de la médecine pourrait toujours être une corde de plus à l’arc de Naya quand viendrait le moment de la marier. Puis il avait rencontré la médecin qui la prendrait sous son aile et elle semblait stricte et professionnelle.
Le jour tant attendu de son entrée en apprentissage, Naya était prête dès l’aube, vêtue de la somptueuse robe de soie rouge que son père lui avait offert pour son anniversaire. Il fallut l’intervention d’Azza et de sa fille Rokia pour la convaincre que sa tenue était bien peu appropriée pour les tâches qui l’attendraient. Elle opta donc pour une tunique fine et cintrée de couleur bronze et Rokia lui fit une simple natte pour l’empêcher d’avoir ses cheveux dans les yeux. N’étant pas sortie de chez elle depuis le jour de l’attaque, l’enthousiasme de Naya était teinté d’une certaine forme de crainte. Pour la rassurer, Rokia lui avait promis de l’accompagner jusqu’à la caserne. Une fois devant le bâtiment, elle serra Naya dans ses bras avant de la laisser s’avancer à pas hésitants dans la cour de la caserne qui était pour l’heure vide.
Naya se dirigea en direction du baraquement qui servait d’infirmerie en tournant au coin d’un bâtiment, et finit par se heurter à un homme, trapu, bien planté sur ses deux jambes.
- Oh excusez-moi… lança la jeune fille en frottant son front douloureux.
- Eh ben, t’es perdue ma mignonne, lança le soldat dans un rire.
- Non non… Je viens voir Mara, marmonna Naya en se décalant légèrement.
L’homme la ramena vers lui en lui posant une main sur la taille, et lui proposa de l’accompagner. Le cœur battant, la jeune Casan s’apprêtait à décliner l’invitation quand elle entendit une voix l’appeler derrière elle.
- Naya ?