L’Ange regarda leurs deux mains, silencieuse puisqu’elle parlait trop. Elle savait pourquoi. Elle avait tendance à vouloir combler les vides avant même de les voir apparaître, tout comme elle cherchait à maquiller ses failles. Elle avait parfaitement conscience de l’importance de ce qu’elle venait de lui révéler. En temps normal, elle n’en aurait rien dit, cependant, ces sources faisaient ployer sa force avec une facilité bouleversante. Moins inouïe que la fois précédente, mais tout de même. Elle sourit doucement à sa réponse, amusée. Non. Il pourrait la lâcher. Les gens ne restent pas parce qu’on le leur demande ou parce qu’ils savent ce qu’ils feraient endurer en partant. Ce sont des attentes qui ne peuvent pas tenir. Ils restent s’ils en ont envie ; et Laëth, pour avoir tout quitté, le savait certainement mieux que le commun des mortels. « Vous pourrez toujours. Seulement, vous le ferez en connaissance de cause. » Ce qui ne changerait pas grand-chose, elle en était convaincue. Elle baissa les yeux un instant, avant de les remonter vers les siens en sentant ses doigts sur sa joue. Elle frissonna quand son pouce caressa ses lèvres. Sa rétine troublée renvoyait une myriade d’émotions. Jamais seule. « Je ne sais pas. » souffla-t-elle. « J’ai plein de défauts, vous savez. » Et on lui avait trop souvent donné l’impression qu’elle n’avait pas sa place dans les cœurs. C’était faux ; elle se le martelait, pourtant, les crevasses criblaient déjà sa chair, et c’était trop tard. C’est peut-être ça, le plus ironique. Les gens les plus aimables qui craignent de ne plus recevoir d’amour quand les plus exécrables sont persuadés de toujours avoir une horde à leurs pieds. « Mais j’espère que vous voyez juste, pour les deux. » Un léger sourire courba sa bouche.

Elle frémit virulemment. La chaleur des sources s’était dissipée ; à vrai dire, tout avait disparu. Elle se redressa, assise. Kaahl n’était plus là. Les bains s’étaient évaporés, tout comme le ciel étoilé. La jeune femme se trouvait au milieu du dortoir. Le bois du bateau l’enrobait de sa coque protectrice. Elle percevait le son chanté par les remous des vagues, dehors. La respiration de ses compagnons de route rythmait leurs songes. Avait-elle rêvé tout cela ? Des gouttes d’eau tombèrent sur sa couverture. Elle passa les doigts dans ses cheveux trempés, avant de ramener ses deux mains sur son visage et de pousser un long soupir. Elle avait bien quitté les lieux. Combien de temps ? Une heure, trois, quelques minutes ? Quelqu’un s’en était-il rendu compte ? Elle pivota la tête pour bien observer les alentours. Personne ne semblait avoir été tiré de sa nuit. De son côté, le voile du sommeil l’avait quittée. Son cœur battait la chamade et ses pensées s’entrecroisaient jusqu’à s’emmêler. L’Ange se leva, attrapa un vêtement chaud et, sur la pointe des pieds, sortit. Un vent frais soufflait sur le pont. Pour autant, il ne faisait pas très froid. Laëth s’enveloppa de son manteau, serrant ses bras autour d’elle. La toison de la voûte céleste surplombait le navire. La lune veillait, douce et maternelle. Pieds nus, l’Ailée marcha jusqu’à la proue. Ses prunelles constellées d’étoiles scrutèrent l’horizon, aussi attentives que pensives. Elle croisa les bras sur le bastingage, inclinée. Les eaux noires tremblaient d’éclats argentés. Elle se remémorait la scène des bains, ses ressentis en vrac et son esprit en désordre. Il était moins facile d’échapper aux émotions écrasées par l’ambiance des lieux maintenant qu’elle se trouvait sur le bateau, avec pour seule compagnie celle de la nuit. Malgré tout, leur rencontre s’était mieux déroulée que la première fois. Aurait-ce pu être pire ? Elle n’osait pas douter des trésors d’imagination que les Aetheri pouvaient mettre à l’œuvre. Au moins, elle ne s’était pas effondrée. Elle avait vacillé et chancelé, craint et détesté, sourit et aimé, mais elle n’avait pas chuté. Elle avait tenu sa promesse, celle de ne pas faillir autant. Elle n’avait pas été impeccable : la honte carminait ses joues lorsqu’elle songeait au baiser dont sa langue portait encore le goût. Elle aurait sans doute pu éviter la claque, aussi. Toutefois, elle avait fait preuve d’un minimum d’aplomb et de retenue, ce qui lui permettait de pouvoir encore parader aux côtés de sa Vertu. C’était sans doute l’essentiel. Avec cette question qui rôdait, aussi dérangeante qu’entêtante : pouvait-on tomber amoureux si vite et si facilement ? L’aimait-elle ? Le Magicien avait ouvert les portes du doute ; la pièce était vaste et les recoins sombres cachaient bien des horreurs. Elle ne choisirait pas d’y entrer. On l’y pousserait, car si l’Amour est pur, il ravage tout sans se soucier des plaies futures.

FIN

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