Jämiel refermait l'ouvrage d'un claquement sec en poussant un soupir comme il poussa la porte de la demeure pour signifier son retour. Ce "Facilier" était ridicule. C'était un bon manipulateur et pourtant cet Imbécile s'était laissé avoir par le jeu des sentiments. Pire ! Un coup de foudre ? Réellement ? De toute façon la moitié des personnages de ce Conte n'étaient qu'une vaste blague. Celui dont on lui avait affublé le visage en faisait partie. Celui-ci s'était laissé dévorer par ses propres ambitions qu'il voyait déjà à portée de main tant son ego était démesuré. À comparaison, c'était comme s'il s'était lancé à la conquête du Monde dès le jour où on lui eu remit une Acanthys, officialisant son statut d’Élu d'Hel'dra. Un plan voué à l'échec, donc, n'importe qui pouvait le constater. Oui, la moitié des protagonistes lui sortait par les yeux. Cette "Mei" trop innocente pour qu'une telle personne puisse exister - ou si c'était le cas, ne vivrait-elle jamais assez longtemps. Ce "Shan Yu" qui avait bien trop de cartes en main et qui n'en eût jamais utilisé une seule - ou bien trop tard - le poussant à la fuite alors qu'il aurait pu tenir le monde dans le creux de sa main. Ce "Aladdin" qui pensait plus avec - et pour - ses organes génitaux qu'avec son crâne probablement vide de toute matière grise. Et tant d'autres encore. Mais malgré ce défilé d'insupportable protagonistes, il avait fini par trouver un intérêt à ce livre. C'était un jeu auquel il avait, bien malgré lui, prit part. La partie s'était conclue sur un échec, certes. Qu'importe. Car il ne s'agissait là que d'un conte, une fiction, et une nouvelle partie s'était déjà lancée depuis lors, réelle elle. Plus intense, moins visible - pour l'instant. Celle-ci, il ne se laisserait pas mener comme un pantin. Une voix l'attira tandis qu'il rejoignait le jardin.
« Bonsoir Jämiel. Tu rentres tard ce soir. ». Le Sarethi tourna son regard en direction de son paternel.
« Je n'ai pas vu le temps passer. Et je devais parler à Nóirín. » -
« Hum, je vois. Ne tardes pas trop, le dîner ne devrait pas tardé à être servi. ». Jämiel approuva silencieusement d'un signe de tête avant de rejoindre le jardin. Un coup d’œil lui fit comprendre qu'Auth ne s'y trouvait pas. Il déposa néanmoins la pitance qu'il avait récupéré pour la bête. Il savait qu'il reviendrait.
Jämiel fronça des sourcils face à l'absence de Bellone autour de la table. C'était étonnant.
« Bellone n'est pas encore rentrée ? » -
« Je pensais que tu le saurais mieux que nous. » répondit Líadan sans même poser un regard sur son fils.
« Il n'y a pas une chaîne qui nous lie l'un à l'autre. Je ne suis pas au courant de tout ses faits et gestes. ». Même si ça pouvait se discuter. Le regard que lui jeta l'universitaire poussa le jeune Sarethi à s'expliquer plus.
« Je n'ai pas besoin de la surveiller. J'ai plus confiance en elle qu... ». Il s'arrêta brusquement avant que les mots ne lui échappent, un mince rictus esquissant alors la commissure des lèvres de son paternel.
« Qu'en nous. C'est ça ? ». Jämiel ne dit rien, détournant le regard. C'était exactement ça qu'il s'apprêtait à dire. Il n'était cependant pas tout à fait sincère en songeant cela. Il savait que ses parents ne seraient jamais ceux qui causeraient sa perte ou sa mort. Mais il restaient Alfars. Quant à Bellone, elle lui était liée. Alors c'était une certitude : il avait bien plus confiance en son Lien avec l'Orine qu'en ses liens du sang. Il poussa un soupir. Elle devait simplement s'être attardée en quelques lieux. Il le saurait s'il lui était arrivé quelque chose, non ? C'est ce qu'il se demanda en rejoignant sa chambre.
« Owen. » appela-t-il, le Mur se présentant à lui rapidement.
« Tu me l'aurai immédiatement dis si quelqu'un s'en était prit à Bellone ? » -
« Bien sûr. » -
« Tu es certain que ta liste se met à jour automatiquement. » -
« Absolument. ». Pour preuve il fit apparaître l'épais grimoire entre ses mains et l'ouvrit, dévoilant une page à moitié noircie à l'encre. Jämiel ne doutait pas un instant que l'on puisse s'en prendre autant à elle qu'à lui. Dans la théorie, elle y était également préparée. Mais il n'avait pas songé aussi tôt. Pas alors qu'il n'avait même pas été jugé par Dothasi. Il donna quelques coup léger à la porte. Pas la sienne.
« Bellone ? ». Il n'avait pas envisagé cela plus tôt. Peut-être était-elle juste rentrée avant tout le monde. Malgré l'absence de réponse, il poussa la porte et tomba sur une pièce plongée dans le noir, faiblement éclairée par quelque rayons lunaire, et l'Orine déjà assoupie. Un soupir de soulagement gonfla la poitrine du Sarethi qui fit marche arrière.
Pourtant ce sentiment ne dura pas longtemps. Lorsque Jämiel put constater situation similaire le lendemain, il s'adressa à nouveau au Mur, en d'autres termes cette fois-ci cependant, plus rude, après avoir refermé la porte de sa chambre derrière lui.
« Surveille Bellone. Je veux savoir pourquoi elle passe inaperçue aux yeux de tous ici et qu'est ce qui peut tant l'épuiser. Quand quitte-t-elle la maison et quand revient-elle ? Comment, et pour aller où ? Pour faire quoi ? ». S'il la veille il s'était inquiété de la situation de l'Orine, ce soir il se trouvait blessé. Il ne s'était jamais senti le besoin de la faire surveiller. Aujourd'hui, pourtant, il doutait d'elle. Après tout il n'était pas grand monde dans cette hiérarchie et elle n'était même pas censée être liée à lui. Ce qu'il y avait de pire ? Il avait dit, le jour d'avant, qu'il lui accordait plus de confiance même qu'à sa propre famille qu'il savait ne le trahirait jamais de la sorte. Si elle avait réellement retournée sa veste, probablement ne l'excuserait-il jamais pour un tel acte, liés ou non.
Le visage en appui sur le poing, son regard ne se détachait pas de la carte. Une adolescente aux long cheveux roux et à l'air méprisant.
« Jämiel ? » -
« Quoi ? » répondait ce dernier sur un ton agressif. Rohán arqua un sourcil.
« Inutile de m'agresser. Je voulais juste te faire remarquer que c'était inutile de continuer la partie actuellement. » -
« Ah ? Tu as quelques choses de prévu ? » -
« Non. Mais tu n'es pas concentré dessus, je le vois bien. Autant arrêter maintenant parce que c'est ennuyant. ». L'Arcesi poussa un soupir. Inutile de nier, il avait raison. Ça avait été le cas toute la journée.
« Par curiosité, t'avais qui ? » -
« La Princesse Salvatore. » répondait Jämiel en lui rendant le plateau.
« Princesse, hum. Le genre de personne absolument détestable et condescendante pour être née avec une cuillère en argent dans la bouche et avoir son avenir tout tracé. » -
« Ça ne doit pas l'empêcher de veiller sur ses arrières. Princesse ou pas, les opportunistes n'hésiterons pas à l'évincer à la moindre occasion. » -
« Tu défends les Sorciers toi maintenant ? Tu as peut-être raison remarque, si cette alliance prend. Je me demande si ça va se faire ? » -
« Ce n'est pas ça la question. Ce qu'il faut se demander c'est, si ça se fait, qui sera le premier à tenter la faire à l'envers à l'autre ? ». Un sourire narquois se dessina sur le visage du Drielsha.
« Tu n'as pas tort. ». Ponctuant cette remarque, Jämiel recula sa chaise pour se lever.
« Tu t'en vas du coup ? » commenta Rohán en appuyant sa joue contre son poing, son regard ne quittant pas la silhouette du Sarethi.
« Je vais m'occuper de ce problème qui me prends la tête avant que ça ne me dépasse. » -
« C'est si grave que ça ? » -
« Je n'en ai pas la moindre idée pour dire vrai. ».
En rentrant chez lui, Jämiel trouva Auth en train de se disputer avec Patoune. L'éternel conflit entre chien et chat. Il les laissa pourtant se débrouiller dans leur désaccord animalier. Ce ne sera pas la première fois qu'ils se croiseraient, autant qu'ils s'habituent chacun à la présence de l'autre.
« Maître. ». La voix aussi déformée que son corps d'Owen attira l'attention du Sarethi. Toutefois il ne répondit rien, se contentant d'attendre. Depuis son réveil il était dans l'attente de ce moment.
« Elle n'a pas bougé de la journée. ». L'Arcesi fronça des sourcils.
« Comment ça elle n'a pas bougé ? » -
« Depuis hier soir elle est toujours allongée et plongée dans son sommeil. ». Jämiel marqua un temps, celui pour assimiler les mots du Mur.
« De quoi ? ». En réalité il n'était juste pas certain d'avoir comprit ce qu'il venait d'entendre, ce qui se lisait clairement sur son visage.
« Tu es en train de me dire qu'elle a passé sa journée à dormir. Qu'elle ne s'est pas réveillée une fois depuis hier. C'est ça ? ». Ce que le Hère confirma. A nouveau Jämiel resta silencieux pendant plusieurs secondes avant de reprendre la parole.
« Continue à la veiller. Je reviens. » ordonna-t-il enfin en faisant demi-tour sans même prendre le temps de poser ses affaires. Il n'arrivait pas à imaginer qu'une telle chose soit possible. Ce devait être autre chose. Aussi se dirigea-t-il en direction de l'université où il savait son paternel s'y trouver encore.
Sur place, il dû faire des pieds et des mains pour qu'on le laisse s'adresser à son propre père, lui-même étonné de le voir se présenter à lui. Leur relation n'était pas des plus cordiale en même temps, cela pouvait donc se comprendre. Toutefois, il avait quelque chose à lui demander. Quelque chose qui transcendait ce ressentiment qu'avait Jämiel à son encontre.
« Jämiel. Je ne m'attendais pas à te voir ici. » -
« En fait... J'avais une question. » -
« Ça ne pouvait pas attendre que je rentre ? » -
« Non. » trancha le jeune Alfar avec plus d'assurance qu'il n'avait justifié son arrivé, attirant par la même la pleine attention de Líadan.
« Bien. Je t'écoutes. » -
« Est-ce que c'est possible de plonger quelqu'un dans un sommeil perpétuel ? ». L'universitaire prit une inspiration, le temps de réfléchir à la réponse à offrir à son fils.
« Probablement. Il n'y a que peu de choses irréalisables avec la magie. » -
« Dans ce cas, qu'est-ce qui pourrait plonger une personne dans cet état de sommeil ? ». Le Nerethi arqua un sourcil.
« Il y a bien des sorts de contrôle des rêves. Améliorés, peut-être peuvent-ils forcer la victime au sommeil. Mais ce serait de la magie de haut niveau et maîtrisable par peu de personne. Qui plus est, il y a le facteur durée. La magie d'un homme n'est pas illimité et à l'épuisement de celle-ci le sort prendra fin, réveillant la victime. » -
« Alors quoi ? Si ce n'est pas un sort, elle est où la cause ? » -
« La cause ? ». Líadan dévisagea quelques instants son fils avant de reprendre.
« La solution alternative aux sorts. Les potions pour la majorité du monde. Les parfums pour un Alfar. ». Jämiel fronça des sourcils. Si ça avait été un parfum, il l'aurait senti, non ? A moins qu'elle n'en ait été victime hors de la demeure.
« A mon tour de te poser une question. Tu as quelqu'un en particulier en tête qui aurait été touché par un tel sort ? » interrogea Líadan en s'enfonçant dans son assise, entrecroisant ses doigts face à lui. Le jeune Alfar resta silencieux, aussi le Nerethi insista-t-il, se répétant d'un ton autoritaire.
« Jämiel. A qui pensais-tu en me demandant toutes ces informations ? ». L'adolescent leva les yeux qu'il planta dans ceux de son père.
« Bellone. ». Le visage de l'universitaire se durci.
« Tu en est certain ? » -
« J'ai demandé à Owen de garder un œil sur elle aujourd'hui. Elle n'a pas ouvert l’œil depuis hier soir. » -
« Et elle est en vie ? » -
« Evidemment ! Il me l'aurait dit si c'était un cadavre qu'il avait surveillé ! » s'agaça le Sarethi. Et il l'aurait su, tout simplement. L'Arcesi resta silencieux plusieurs secondes à ces paroles, le regard perdu sur Jämiel, en pleine réflexion.
« Rentre. Je vais voir ce que je peux faire. ».
Lorsque Jämiel fut de retour, il rejoint la chambre de l'Orine et s'apprêtait à donner quelques coups à la porte avant d'entrer, par réflexe, avant de se souvenir. Poussant la porte, il la trouva comme le lui avait dit Owen. S'installant à ses côtés, il l'observa un instant. Elle ne semblait pas en souffrance. Non, c'était exactement ça. Elle dormait.
« Il n'y a toujours rien sur ton livre ? » demanda-t-il à l'attention du Mur qui nia, tandis qu'il posa son regard sur la pièce, à la recherche d'indice ou de ce qui aurait pu cause son état. Le Sarethi fit claquer sa langue sur son palais à cette réponse. Evidemment. Ce serait trop simple. Ça n'avait aucune importance. Peu importe le temps que ça prendrait, mais il retrouverait cette personne. Il ne laisserait personne s'en prendre trop facilement à lui. Il ne laisserait encore moins le monde s'en prendre si facilement à Bellone.