« Qu’est-ce? Une guitare?

- En effet. Quelqu’un est venu te la livrer, quelques minutes à peine après ton départ. »

Je refermais la porte de notre chambre. Cela faisait une dizaine de minutes que j’étais de retour aux Jardins, ma besace remplie d’Omije, mais j’oubliais momentanément ma récente sortie à cause de l’instrument. Curieux, je me rapprochais de la guitare, attrapant son manche avant d’examiner sa confection.

« Depuis quand en joues-tu? Je ne t’ai jamais vu en pratiquer auparavant… » Me demanda mon frère en détournant brièvement les yeux du livre qu’il lisait.

Tout près de sa couche, j’étais en mesure de voir son havresac, dans lequel se retrouvait forcément son équipement pour les expéditions, et, en prêtant une certaine attention à mes environs, je constatais qu'Isley était bel et bien parti chercher mon sac, puisque ce dernier reposait désormais au-dessus de mon lit. Lentement, je reportais mon regard sur le visage de mon frère, grattant l’arrière de ma tête, confus.

« Parce que je n’en ai jamais joué par le passé, justement, et j’ai encore moins commandé un instrument de la sorte… Le livreur ne se serait pas trompé de destinataire? »

Isley me fit signe que non, se redressant machinalement sur son lit en passant ses jambes par-dessus celui-ci.

« Je lui ai posé la même question, mais il a insisté : une guitare, au nom d’Isiode Yüerell, lui aurait été transmise avec, pour demande, de la lui livrer en mains propres.

- … Tu sais, il faudra que l’on discute, toi et moi, du fait de jouer sur notre apparence.

- Et tu me feras la morale quand tu te seras excusé auprès de Mérédith et de Brethil pour ton comportement, répliqua-t-il instantanément d’une voix où le mécontentement grondait; Isley m’en voulait encore pour ce que j’avais fait à la jeune Immaculée et ce, même si j'avais amené le sujet de manière volontairement légère et taquine pour plaisanter.

- Je comprends que tu m’en veuilles pour ce que j’ai fait, soupirais-je finalement, abandonnant le sourire que je m'étais appliqué à étirer, mais mes actes n’étaient animés d’aucune arrière-pensée. Tout ce que je souhaitais, c’était sauver Brethil et lui faire comprendre que la Vie, celle qu’Edel nous a octroyé, mérite d’être vécue.

- … Crois-tu un seul mot de ce que tu racontes?

- Bien sûr, lui dis-je sans hésiter en hochant vaguement de la tête.

- Tu es vraiment incroyable. Tu déçois les gens et tu n’en ressens absolument aucun remords?

- Je ne peux contrôler ce que tu ressens au plus profond de toi vis-à-vis de mon action. Je te sais amer, furieux et extrêmement contrarié, je ne peux prétendre le contraire, mais tes sentiments n’influenceront guère les miens : pourquoi devrais-je me sentir coupable alors que Brethil est saine et sauve à présent? Pourquoi devrais-je désavouer la sincérité de mon geste pour lui donner des allures de fraude et de tromperie? Parce que tu te sens floué, trahis? M’exclamais-je en haussant un sourcil.

- Surtout parce que c’est exactement ça que tu as fait : tu as trompé la confiance de Mérédith!

- Mon approche t’es peut-être inconcevable, mais elle a donné des résultats et, aujourd’hui, je suis content d’une chose : que Lemingway soit en vie. »

Isley me fixait sans mot dire, les iris qu’il cachait sous des paupières mi-closes me lançant des éclairs de désapprobation. Cette conversation, je ne sais plus combien de fois nous l’avions eu depuis le jour où je lui avais annoncé que le problème de l’Immaculée était désormais chose du passé.

« Peut-être qu’un jour, tu prendras conscience que la finalité de tes actes n’est pas uniquement ce qui compte. Parce que, dans toute ta bienveillance et ta ô combien sincère bonté, tu oublies qu’il y a d’autres gens dans cette équation. Il ne s’agit pas seulement de toi et de ta conviction, mon frère : il y a aussi les sentiments des autres partis, et ce que tes actions leur causent. Je ne comprends pas comment tu ne peux pas voir cela… »

À mon tour, silencieux, je me mis à lorgner mon jumeau sans détacher mon regard du sien. Était-ce ma vision qui était véritablement fausse et étriquée? Étais-je réellement en faute et cherchais-je simplement à me trouver des excuses derrière toutes ces justifications? Je me savais parfaitement faillible, comme n’importe quel être vivant, mais tout ce temps, je croyais en ma conviction, au bien-fondé de cette dernière, et malgré ce qu'en disait mon frère, malgré ce que pouvait avoir dit Brethil, je ne me considérais aucunement en erreur.

« Tu tiens exactement le même discours que Lemingway… » Laissais-je tomber en soupirant tout en déposant la guitare près de mon havresac.

Instantanément, mon frère sursauta, son regard cherchant à capter le mien.

« Tu l’as croisé? Se surprit-il avant de froncer des sourcils. Et – laisse-moi deviner – ça ne s’est pas du tout bien passé? »

Mon frère pouvait être naïf parfois, mais à ce moment-là, il avait très bien compris.

« Par les Sept! Qu’est-ce qui t’es arrivé? Comment peux-tu te montrer aussi insensible? Aussi… froid et impassible? »

Il eut une pause durant laquelle je ne prononçais pas un mot, me délestant simplement des armes que je portais à ma ceinture et à mon dos.

« Tu as tellement changé… Est-ce de ma faute? De la tienne? Tu sais quoi? Je m’en fiche, en fait. Mais, pourrais-tu redevenir qui tu étais avant? Pourrais-tu redevenir mon frère? »

La tension dans la pièce était palpable et, à un moment, je finis par relâcher un ricanement, sec et tranchant.

« Il semblerait que tu ne me connaisses pas aussi bien que tu le prétends… » Murmurais-je.

Puis, je me tournais finalement dans sa direction, étirant un grand sourire à son attention, un sourire qui semblait triste, voire même désolé.

« Que veux-tu dire par-là?

- Que c’est ce que je suis, mon frère. Je n’ai jamais été autre chose que cela. »


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