Il y avait eu… des cris. Ou, tout du moins, une discussion qui semblait assez peu cordiale. Siruu n’en avait rien à faire. De toute façon, ce n’était pas important. Rien ici n’avait plus de sens que les lumières. Elles étaient belles. Venaient-elles de lucioles, de papillons, des vers luisants ? Il y en avait partout. Les autres agissaient comme s’ils ne les voyaient pas. Peut-être était-ce le cas. Peut-être préféraient-ils simplement crier. La voix d’Alekto portait assez loin, mais ne poussait pas le blond à se tourner. Pour être honnête, rien n’aurait pu enlever son attention d’elles. Même quand il entendit un « Attention » qui lui sembla important, il ne bougea pas.
Mais la seconde d’après, tout fut obscur et flou. Le sorcier tenta de lever les yeux, non pas pour se sauver, mais pour continuer d’observer les lumières étranges que les autres continuaient d’ignorer. Seulement, elles s’étaient évaporées. Une partie de lui, son instinct peut-être, se dit qu’elles allaient forcément réapparaître, même aux yeux d’un autre. Cependant, il ne put prolonger cette demi-réflexion. Une vive douleur le prit au crâne.
Les mots manquent pour décrire ce qu’il éprouvait. Je dirais, à défaut de comparaison simple, que c’était comme si on avait transformé sa tête en un Morgenstern. Un Morgenstern brûlant, à moitié fondu. Au-delà de ça, le moindre de ses tendons semblait vouloir s’étirer au point d’éclater, et une froideur morbide semblait s’emparer peu à peu de son corps. Si le vide était une entité, il cherchait à le posséder. Pourtant, les sens du sorcier ne perdaient pas en force. Après un certain temps d’adaptation, Siruu put même comprendre qu’il était au sol, contre des feuilles. Manquant de vigueur pour combattre la chose qui l’écrasait, il se contenta de se retourner, pour faire face à l’adversaire. Aussi étrange que cela puisse paraître, il s’agissait d’Alekto. Il l’avait entendue être en colère, avant. Cela dit, il ne savait pas pourquoi elle aurait pu vouloir l’agresser.
Il ne resta pas bien longtemps à souffrir. On avait accouru l’aider, ce qui fit diminuer la douleur, mais Alekto s’agrippait aux bras du mage noir comme si sa vie en dépendait. Elle portait sur son visage une sorte de soulagement primal, comme un prédateur qui vient de faire tomber son gibier dans un piège. Ce sourire animal rappela à Siruu l’existence de l’écureuil. Il ne mit pas longtemps à faire le lien, comme si son cerveau fonctionnait plus rapidement une fois écorché à vif.
Après s’être débattu pour sortir son stylet de sa sacoche, le mage noir scarifia tout naturellement la peau grise de son adversaire. Il ne voulait pas l’écorcher, mais bien tracer une rune. Un symbole chargé du pouvoir de vérité, inspiré par les glyphes que les sages utilisaient dans les sorts permettant de dissimuler les mensonges. Cette rune pouvait révéler les fausses apparences, les tromperies en général, et elle punissait ceux qui avaient récemment essayé de déformer le vrai état des choses.
Alekto redevint l’écureuil. Fort heureusement, Edgar, un des anonymes et Stéphania purent intercepter l’animal, et le mettre en filets.
« La rune… elle est encore sous ses poils ? » — « Ses contours sont déformés… il n’y aura plus d’effets bientôt, avec les frottements et le mouvement. » — « Au moins on ne perdra pas son sang… bon, en route. De toute façon, quand ça redeviendra humain, ça sera toujours emprisonné. » Siruu ne pensait à rien de tout cela, demeurant allongé sur le sol. Ce n’était clairement pas le temps pour se reposer, mais il avait envie de remettre les choses dans leur contexte.
« Les lumières… est-ce qu’elles sont toujours là ? » Sans plus d’indications, cette phrase devait n’avoir aucun sens aux yeux des autres. Le blond ne comprit donc pas l’absence de réponse cinglante et amère de la part de Stéphania. En fait, personne ne l’avait entendu. Sa gorge l’empêchait de prononcer le moindre mot. Très rapidement, il se rendit compte que ce n’était pas la conséquence de l’attaque de l’écureuil, mais bien un effet de la rune. Après tout, n’avait-il pas lui aussi menti, en se faisant appeler Von Illuynqi ?
Siruu se releva rapidement, espérant que personne n’ait remarqué sa vaine tentative de parole, ou ne l’ait associé à la rune. Ce serait un désastre. Ses souhaits furent en quelque sorte réalisés quand il vit que tout le monde fixait un homme au lieu de s’affairer à partir. C’était un des deux anonymes restants. Il avait toujours eu l’air banal. Son corps n’avait pas bien changé, à l’exception de…
« Des veines foncées sur ton cou ! Tu as la Narcirra, toi aussi ? » Une telle manière d’articuler ses mots ressemblait presque à une pique indirecte à l’encontre d’Alekto, mais ce n’était probablement pas volontaire. « Il a essayé de se faire passer pour quelqu’un de sain en couvrant ça avec un sort ou une potion. Un mouvement de petit enfoiré. » Edgar avait jusque là fait preuve d’un sang froid relativement exemplaire. La situation l’avait usé. « Un de plus, un de moins… on y va ? » — « Je ne vais pas le pardonner comme ça ! » — « Ferme-la, on s’en occupera plus tard ! »
La discussion fut interrompue par le cri de Marcus, qui couvrait ses oreilles comme un enfant. Il voyait l’écureuil reprendre lentement la forme d’Alekto, à mesure que la rune perdait ses effets. Sa grande peur revenait. Siruu, lui, se contentait de rassembler ses forces pour tenir debout. L’expérience avait été éprouvante. Il aurait certainement craché des imbécillités lui aussi, si sa propre magie ne l’empêchait pas de parler — ce devait d'ailleurs aussi être le cas du malade —. Ce n’était pas plus mal. Son esprit était libre de remettre les choses en ordre. Peu à peu, à mesure que tout commençait à gagner en logique, il se demandait si les lumières allaient faire leur retour. Si oui, qui allaient-elles frapper ?
« Bon, que ceux qui tiennent debout et veulent partir vite viennent avec moi. J’en ai marre de passer des heures à vous dorloter. » Siruu ne rentrait pas tout à fait dans le premier critère, mais ne comptait pas rester ici plus longtemps.

1068 mots. Je cherchais un troisième jeu de mots, mais c'est pas simple 8D. Merci pour le récap des couleurs !
En tout cas il se passe beaucoup de trucs, mais on avance =D ! Dans quelle direction ? Je sais pas /sbaf.
Récap couleurs :
#669900 Stephania
#00cc00 Marcus
#ff99ff Patronum
#336699 Edgar

Deux étudiantes, sorcières accomplies en devenir, discutaient dans une bibliothèque. L’une lisait sur un philosophe au nom imprononçable, tandis que l’autre, visiblement ennuyée, griffonnait des dessins sur son carnet. « Et, au fait, t’étais là hier quand le groupe de sorciers bizarre est sorti de la porte de No ? » La première leva le menton. « Hein ? De quoi tu parles ? » — « Mais si ! Ils étaient bien amochés, boiteux, muets et accompagnés d’une cargaison ! » — « J’en avais aucune idée. Ils venaient d’où, ta famille a pu savoir ? » Les Valmondier étaient toujours au courant des dernières affaires du genre. « Père a pu les interroger. Ils étaient à Lyscenni, près du territoire des ondins sur Tælora. Puis ils ont pris un bateau jusqu’à Valera Morguis, et… bah, ils sont arrivés ici. » — « Attends, rembobine : qu’est-ce qu’ils faisaient là-bas, à Lyscenni ? C’est pour la Narcirra ? » — « Tout juste ! Enfin je crois. Mais cette fois c’était pas des solitaires qui rentrent à moitié dévorés. Ils étaient incroyablement organisés, et avaient énormément de ressources. »

Non loin, Lysium riait presque, en entendant la conversation. Tout lui semblait plus intéressant que ce livre d’économie, et ces ragots-là portaient pour lui une dimension quelque peu ironique. Il n’avait pas eu tous les détails, mais le compte-rendu qu’on lui avait donné montrait bien que cette expédition avait pris des airs de catastrophes. Enfin, au moins ils avaient ramené et isolé ce qui semblait être le bon butin, et sa famille aurait des parts dessus.
« C’était organisé par l’état ? » — « Non, il était plus occupé par la réception. Et puis on n’a pas osé demander aux sirènes de nous aider de ce côté-là, on a juste profité de la trêve temporaire. » — « Donc c’est des particuliers ? S’ils s’en sont sortis, celui qui a financé ça doit être aux anges… » Le nobliau, qui prêtait toujours une oreille à la discussion, grimaça. Les coûts avaient été immenses – notamment en termes de dédommagements aux familles, et ni lui ni les autres investisseurs n’étaient sûrs de revoir leur argent. Cependant, avec un peu de chance, cependant, cela pouvait se montrer extrêmement rentable.

« Ouai, mais bon faut pas se préoccuper de ça. L’important c’est surtout qu’on pourrait bien éradiquer la Narcirra un jour, avec ce qu’ils ont récupéré. » — « J’espère bien. J’ai un cousin mort, à cause de ça. C’est bête, parce qu’il allait peut-être marier une Naseph ! » La seconde élève, en apprenant la nouvelle, eut un rictus qui trahissait son sadisme. « Aie. Si ça c’est pas une perte… enfin bon, il faut rester positifs. » Le regard de Lysium avait fini complètement désintéressé de son livre, pour lui préférer la discussion entre ces deux amies-là.

« Et du coup, ceux qui sont allés à Lyscenni sont des esclaves ? » — « Oui, je crois ! Enfin, certains. Il y avait aussi une fille atteinte de la Narcirra et sa jumelle, dont on m’a dit qu’elle était légèrement... débile. » Rire nerveux. Les deux durent se taire : la bibliothèque n’était pas le lieu le plus approprié pour blaguer. « Peut-être que c’est la forêt qui l’a rendue comme ça ! » — « Peut-être bien, oui. D’ailleurs il y avait aussi un homme très musclé qui dégageait quelque chose d’étrange. C’est le seul dont on a le nom, un certain Marcus. Il a été admis à l’hôpital tandis que les autres ont dû aller vers Valera Morguis. Je pense qu’il a dû être traumatisé lui aussi. » — « Oh. Et le reste c’était des esclaves ? » — « Je sais pas, pour être honnête. Ils étaient quoi… douze, au départ ? C'est un bon nombre, ni trop grand ni trop petit. Ils voulaient être discrets et efficaces. En tout cas à la fin il en restait six ou sept. Il devait y avoir quelques esclaves dans le lot, clairement. Puis l’aller comme le retour ont été meurtriers. D’ailleurs je crois qu’ils en ont perdu un en bateau. » — « C’est dommage, ça. Survivre à Taelora, mais pas à quelques jours sur les eaux… enfin, au moins ils n’ont pas été dévorés par les sirènes en ville. » — « Tu vois le positif dans tout ! De toute façon, je pense qu’après des heures à souffrir le martyre dans la nature, ils sont tellement affaiblis que… enfin tu vois l’idée, quoi. » — « Je vois. » Moment de silence. Celle qui lisait de la philosophie raviva la conversation.

« Et du coup, ils sont où ? On sait ce qu’ils ont récupéré ? » — « Probablement beaucoup de venin ou peut-être les serpents eux-mêmes, en admettant qu’ils aient pu les maintenir en état. En tout cas, ça doit être lié à la Narcirra… ou alors c’est une chose complètement différente. Enfin bon, la cargaison a été escortée en sécurité jusqu’à Valera Morguis hier. Père a soudoyé quelqu’un pour le savoir. » — « Ils vont étudier ce qu’ils ont récupéré, forcément… » — « Oui. Enfin, si ça se trouve ce n’est plus en état. Les seuls à le savoir vont probablement pas donner d’informations tout de suite… » La conversation s’essoufflait de nouveau, mais cette fois, ce fut la dessinatrice qui changea de sujet. On put voir un éclat traverser ses yeux.

« Au fait, j’ai vu que tu étais devenue amie avec Lindrel ! Elle est chou, hein ? Je l’adore aussi. Quel dommage, cette affaire de recel… » Les sorciers en devenir cultivaient de nombreuses qualités. Paraître le plus innocent possible tout en manipulant autrui représentait l’une d’entre elles. « De quoi ? C’est grave ? » — « Ah, tu ne savais pas ? Il ne faut pas la juger, c’est… c’est juste sa famille. Je ne sais pas si je dois te le dire… c'est pas mon genre. » Lysium esquissa un sourire. Il savait de quoi cette élève-là était faite. « Non, dis-moi ! Ma mère me tuerait si elle apprenait que je traînais avec quelqu’un qui patauge dans des affaires louches comme ça. Faut que je sois au moins au courant. » — « Eh bien, c'est que… » La jeune sorcière lâcha son carnet, prenant un air grave et préoccupé. Au fond, elle souriait, songeant au mensonge qu'elle avait élaboré le soir d'avant. Cette machination, elle la voyait comme son remède, sa potion miracle. Néanmoins, plutôt que de guérir la Narcirra, elle soignerait une inflammation qui lui déplaisait : la popularité grandissante de Lindrel, une camarade de classe.