L’obscurité d’Amestris laissa place progressivement aux ombres tentaculaires des abords d’une vaste forêt. Les halos lumineux de cette clarté spectrale créaient d’improbables poursuites au travers des feuillages qui avaient fini par captiver le regard du grand dadais avançant en tête de procession.

Perdu dans ses pensées Loyd finit par refaire surface en frissonnant.

_ Je vois, avoua t-il en levant un sourcil. J’ai cru comprendre que les sorciers ne sont pas non plus tendres entre eux.

L’adolescent finit par sourire tout en enfouissant ses mains dans les poches. Toupinou ne semblait plus pouvoir s’arrêter de parler. Elle avait mille et une questions à leur sujet, toutes aussi surprenantes que personnelles et le petit humain, bien peu enclin habituellement à tenir sa langue, dut tout autant se contenir pour ne pas se risquer d’attirer sur lui les foudres de ses aînés.

Derrière lui, son frère Livaï et son ami Bélor ne disaient plus rien. Ils avançaient silencieusement au gré des pas de la petite blonde qui les menait soit à bon port, soit à leur perte. Les deux humains restaient méfiants à son égard, mais sans rien laisser paraître de cette inquiétude non moins justifiée. Ils se contentaient d’observer, tout en commentant de temps à autre, à voix basse, les échanges entre les deux gamins.

_ Ton frère se débrouille mieux que toi avec le sexe opposé. Moi qui pensait que c’était un trait de famille, pouffa Bélor.

Livaï dévisagea son ami de côté, dans une petite moue boudeuse, avant de frotter ses égratignures du bout des doigts.

_ Très drôle …

Livaï s’arrêta de parler en croisant le regard de son frère. Par dessus son épaule Loyd venait de s’assurer qu’il n’allait pas trop loin dans ses explications.

_ En fait, poursuivit-il à l’intention de Toupinou, nous voyageons surtout à cause de mon frère … C’est une tradition de voyager de royaume en royaume, une sorte de périple initiatique … Nous débordons légèrement pour les affaires du père de Bélor. Ce n’est pas toujours amusant et parfois dangereux, mais j’aime beaucoup me faire une idée du monde par moi-même.

Le regard perdu devant lui Loyd souriait, confiant. Il ne se l’était jamais avoué mais cette situation lui plaisait plus que de raison. Si les drames de son passé n’avaient pas fait de lui ce qu'il était aujourd’hui, peut-être n’aurait-il jamais quitté l’enclave de son village.

Légèrement en retrait, Livaï et Bélor en étaient venus au même constat. Ils n’avaient pas eu besoin de se regarder pour partager cette conclusion. Tandis que la petite blonde arrêtait leur course à l’orée d’une clairière, devant le seuil d’une petite chaumière, Livaï s’avança vers son frère.

Sa lourde ossature se pencha au-dessus de lui, avant qu’il n’appose son bras sur son épaule.

_ Tu sais, souffla t-il un brin embarrassé, je suis content que tu sois là … Je veux dire avec moi et dans tout ce périple, comme tu le dis …

Face au malaise de son frère et à cet aveu soudain, Loyd se débarrassa de l’étreinte fraternelle d’un mouvement du bras. Un petit sourire en coin, il le regarda un bref instant avant de baisser son visage vers le sol. Les bras croisés, c’était maintenant à lui de ne plus vraiment savoir quoi dire.

_ Elle t’a jeté un sort la vielle rombière ou quoi … Tu vas m’offrir des fleurs ? railla t-il un brin moqueur et maladroit.

Coupé dans son élan par le retour de Toupinou, Loyd devint brusquement rouge face au présent inattendu qu’elle tenait entre ses fins doigts de porcelaine. Les yeux émerveillés par tant d’attention, Loyd redressa son regard face au visage gracile de sa nouvelle amie. Un large sourire fendit ses lèvres, les étirant à outrance dans un franc sourire débonnaire.

_ Merci, baragouina t-il.

Mort de rire, Bélor s’avança vers Livaï, le gratifiant au passage d’une légère tape dans le dos.

_ Pour elle, les remerciements, pour toi, les moqueries ... Pas de doute, c’est un Grimr.


Livaï se contenta de répondre d’un léger sourire. Il n’en voulait pas à son frère. Sans un mot de plus, il donna un coup dans le pli du genou de son cadet et se pencha pour saluer la petite jeune femme alors que Loyd se raccrochait à elle pour ne pas tomber.

_ Mademoiselle Toupinou, poursuivit Livaï amusé, merci pour votre générosité. J’espère vous revoir un jour. En attendant, portez-vous bien.

Il laissa place à Bélor, qui souleva son chapeau en s’inclinant respectueusement.

_ Prenez soin de vous, gente demoiselle.

Loyd s’était redressé, mal à l’aise. Il avait gardé ses mains à hauteur des épaules de la petite blonde, comme si l’improbable contact avec celles-ci lui avait brûlé la paume des mains. Il dévisagea d’un oeil noir la silhouette de son frère qui s’éloignait, avant de reprendre légèrement tendu,

_ Je suis désolé, j’espère ne pas t’avoir blessée.

Le jeune homme reporta son attention sur le bracelet qu’il s’empressa de placer autour de son poignet.

_ Je l’aime beaucoup. Merci.

Dans un large sourire, Loyd hésita brièvement avant d’enlacer amicalement la petite blonde face à lui. Il la serra plus fort, puis la relâcha dans un éclat de rire franc.

Sans un mot de plus, il amorça ses pas à la suite de ceux de ses aînés, allongeant une dernière fois son bras vers elle pour la saluer.

_ J’espère que nos routes se croiseront de nouveau, Toupinou.

Confiant en l’avenir et le coeur léger, Loyd rattrapa, non sans courir, Livaï et Bélor. Les deux humains avaient repris leurs interminables discussions sur les négociations de Bélor. Ces chamailleries n’avaient pas vraiment d’importance pour Loyd qui, lui, repartait avec l’impression d’avoir réussi la sienne ; quelque part en ce monde, il venait de déjouer tous les pronostics en se liant d’amitié, lui l’humain, avec une sorcière. C’était ironique et diablement euphorisant.

Le sourire aux lèvres, il devança fièrement ses aînés, ouvrant la marche vers le soleil levant.