Elle avait un nom, un visage et un corps à poursuivre, pourvu qu’elle l’atteigne à temps. Espionner quelqu’un n’était pas chose aisée pour une si petite personne dans un monde de Géants : tous se ressemblaient et sentaient de la même façon. Fort. Loin de l’image des marguerites et des fragrances florales, le monde de la Collectionneuse était vaste ; amenant parfois la Fae à des limites qu’elle arrivait difficilement à franchir, malgré les caps et les courants à contre-sens. Aujourd’hui, elle allait être assisté d’un sbire ; ô, non, elle ne serait pas seule dans sa quête. Pour le peu d’expérience qu’elle possédait du monde dissimulé des gens de l’ombre, elle se doutait bien qu’en tant qu’espionne, elle ne serait pas la seule sur le coup. En son for intérieur, elle ne savait pas si elle devait être rassuré ou non puisqu’après tout, un autre serviteur de la Géante à qui sa vie était allouée allait la voir à l’action.

« Tu dois être la Petite. » Lui avait-elle dit. Cette femme, aux cheveux courts. Son air de Géante pleine d’assurance en disait long sur ce qu’elle pensait de Rose-Alysse. « Tu ne dois pas te foirer. » Chose évidente à penser mais qu’elle se tenait bien de lui rappeler. « Quelqu’un pourrait vite t’écraser. » Rose-Alysse était perchée sur une chaise, toujours silencieuse. Si elle avait eu encore des ailes, elle se serait bien amusée à tournoyer autour de sa tête pour lui donner le tournis.

« Non. Qu’on ne se soucie pas de mon sort, Dame. » L’appellation fit minauder la démone. « Bien. Car ça ne sera pas mon cas. » D’un bond plus ou moins leste, Rose-Alysse prit une forme qu’on lui avait assigné d’office, d’un ancien démon de service en cage aujourd’hui. La copie n’était pas parfaite mais suffisante pour le rôle qu’elle avait à jouer ; elle serait la suppléante de l’espionne en charge. « Tu as un air stupide. » - « Quand je l’ai vu, il avait cette tête. Je n’y peux rien. » Une mine affreuse et pourtant de cette créature émanait quelque chose de doux. La femme ne tint pas son sourire et lui mit la main aux fesses, ce qui brusqua la Fae. Son sourire disparut en une moue déçue. « Il y a quelques parties que tu as quand même lésiné. » Elle aussi, son visage changea. « Je serai Bāll et tu seras… ? » - « Oskar. »

La course était longue et éreintante, le corps en devenait presque malhabile. « Arrête, on dirait un adolescent. » dit la fameuse Bāll d’un coup de coude bien placé, alors qu’ ‘’ Oskar ‘’ tenait ses lames de chasse. Elles avaient rejoint un petit groupe qui s’étaient formés, des serviteurs d’un Grand. Rose-Alysse, ou du moins ‘’ Oskar ‘’, n’avait pas vu le prétendu démon visé, celui duquel ‘’ Bāll ’’ devait se rapprocher alors que tous concourraient à celui qui tuent le plus. Ils arrivèrent à un tournant d’une sorte de colline rougeâtre où la végétation inexistante depuis des ères crevait le cœur de la Fae, qui se demandait bien si le paysage avait un jour connu Eau et Verdure. Les faes avaient-elles déserté les lieux pour que l’état en arrive là ? Un frisson moite parcourut son échine qui mourrait de chaud sous les étoffes de lin dont ses habits étaient fournis. Des cris retentirent dans le bassin dans lequel ils étaient. Le groupe se scinda naturellement pour chasser la ‘’vermine ailée’’, les ‘’pigeons’’ et Rose-Alysse n’espéra qu’une chose : fuir. Son instinct le lui criait mais sa raison la forçait à rester au près de la démone qu’elle suppléait dans la chasse. « Passe moi la bâtarde. Quand je la manie bien, parfois elle peut fendre un peu la tête. Ca ne tue pas d’un coup, mais la mort devient lente et... » Alors qu’elle expliquait la façon dont elle aimait voir ses proies mourir, Rose-Alysse vit un couple perdu, semble-t-il, très alertes passer au bout du chemin qu’elles avaient emprunté. Bāll ne les vit pas, mais le troisième homme qui les suivait depuis la colline, oui. Il fit interruption, brisant le descriptif qu'elle lui faisait d'un cerveau à maturation. « Eh bien Bāll, quand on voit un esclave, on le tue. » Étonnée par cette soudaine apparition, la démone se retourna. « Dans cette direction. » dit-il, poussant au passage le moins que rien, prenant les devants. Les deux espionnes se regardèrent et enjambèrent le pas. Il était bien plus facile à suivre quelqu’un sans une tonne d’objets sur les bras. Rose-Alysse, ou du moins Oskar, en fit tomber quelques uns au sol, ce qui l’obligea à se baisser et à tout ramasser. Pendant ce temps, ils étaient sortis de son champ de vision.

Enfin au bout, l’homme qui avait surgi avait à ses pieds trois corps. Il essuyait déjà sa lame sur le tissu de son pantalon, imbibée d’un sang si noir que Rose-Alysse eut du mal à distinguer la suie environnante du liquide prétendu pourpre. Elle reconnut le couple qui s’enfuyait, deux jeunes anges, deux femmes d'apparence juvénile. Le troisième corps arrêta Rose-Alysse dans le début de sa phrase qui laissa tomber toutes les affaires. « Bāll ... » Il releva la tête et, tel un prédateur, fondit sur la quatrième proie. La fae, ou plutôt Oskar, n’eut pas le temps de réagir que son corps fut plaqué contre le roc. Pensant avoir perdu sa couverture, le démon lui ôta le doute « Quand on disparaît, veillez à rester terrer. On ne se dissimule pas face au Maître. » Il planta sa dague dans le roc ocre et sa tête cogna la paroi. Ce qu'il pensa être de la chair, pour un bref instant, n'étaient que les vêtements du prétendu servant. Rose-Alysse, quant à elle, se débattait entre les tissus, dénudée mais débrouillarde. Elle tomba finalement sur le sol terriblement chaud, en face de la grosse chaussure du Géant.

Un instant qui parut long. Il regarda autour de lui et retira la dague. Quelques fines gouttes de sang perlaient de l'objet métallique, laissant prétendre qu'il n'avait pas vécu une illusion. Plusieurs minutes sur le qui-vive passèrent, sans qu'il ne se doute que la personne qu'il cherchait s'était logée près des fourreaux qu'il baladait, là où elle était certaine qu'il ne viendrait pas fouiller. Avoir la taille d'un demi-doigt pouvait avoir du bon, parfois. « Argh ... La prochaine, Oskar, sera la bonne. J'ai la flemme de te courir après. Je sais que tu m'entends. » La mission de la Petite reprenait, tandis que la chasse prospérait.


Mots 1 053

Skiadram attira un de ses congénères dans une ruelle « Voilà tes cent grammes de graines de datura, fais-en ce que tu veux mais je te conseille de ne pas les couper avec d’autres substances, tu es un bon client, ça me dérangerais que tu meurs à cause de la toxicité de la plante… » Le démon d’en face examina les graines puis, sans les quitter du regard, tendit une bourse de kanives à Skiadram « Ne t’inquiètes pas pour moi, je connais la cons’ que j’achète. » Skiadram acquiesça silencieusement et saisit tranquillement sa paie. L’acheteur eu un vague sourire et lui lança un kanive. Skiadram l’attrapa vivement et regarda son client interloqué. Ce dernier s’alluma un joint et déclara « C’est parce que tu es un des seuls trafiquants en vendant en ce moment. La plante est rare et les autres dealers sont partis à la chasse à l’ange. » « J’en ai vaguement entendu parler, il y a une lâchée c’est ça ? » L’individu hocha de la tête « Elle a débuté ce matin, si j’étais toi j’en profiterais tant qu’il est encore temps… » Skiadram tourna les talons et se mit à marcher l’air satisfait dans les rues de Sahōdara. Les yeux rivés vers un oiseau blanc traversant le ciel, il songea « Une chasse à l’ange hein ? » Un rapace survint et agrippa férocement l’oiseau de ses serres avant de le déchiqueter sur un toit non loin. Un sourire malsain se dessina alors sur le visage du démon « Ma foi pourquoi pas… »

48 heures plus tard, près de Jvālāmukhi…

« Cette fois-ci tu ne m’échapperas pas… » Perché en haut d’un rocher, Skiadram était accroupi. Il guettait, prêt à tirer de son arbalète au moindre mouvement suspect. « Je devrais peut-être changer de position… Quoique ce rat finira bien par sortir de sa cachette… Hum que faire ? » À peine Skiadram eu une seconde d’inattention que l’Ailé sprinta jusqu’à un autre grand rocher « Et merde et merde ! » Le démon décocha un carreau mais il loupa sa cible d’un mètre. Skiadram fulmina « Assez de cette chasse à l’affût ! Il n’est pas question que cette colombe décérébrée me fasse perdre davantage de temps ! » Le Saraini déploya vivement ses ailes grisâtres et pris de l’altitude. Là, il repéra sa proie en un rien de temps, un jeune ange aux courts cheveux argents dont une des ailes était estropiée. Skiadram forma et extirpa soigneusement une flèche en os de son corps, chargeant de nouveau son arbalète, il mit sa cible en joue, le sourire aux lèvres « Héhéhé à nous deux maintenant… » *Flich* Skiadram sentit quelque chose s’enfoncer au niveau de son épaule. Il tourna alors lentement la tête pour observer un carreau d’arbalète étranger, fiché à travers son épaulette de cuir. D’abord silencieux, Skiadram éructa soudainement « Qui ose ?! » Les ailes du démon virèrent au noir abyssal et ce dernier se retourna nerveusement. Devant lui, volant également, un démon le tenait en joue d’un air narquois « Tu m’excuseras, j’élimine la concurrence. » Skiadram l’examina rapidement de la tête au pied, en plus d’être plus grand et épais, son congénère lui semblait être de puissance supérieure, d’où le ton arrogant de ses paroles. Mais notre Saraini n’allait pas se démonter pour si peu, il serra les poings et enveloppé d’un nuage ténébreux, il revêtit son apparence démoniaque. Les mâchoires de son crâne canin s’entrouvrirent alors et d’une voix sortie d’outre tombe, il déclara fermement « Dégage il s’agit de ma proie. » Le démon d’en face ricana « Eh bien eh bien ? On pète plus haut que son cul ? Dans mon quartier les merdeux comme toi on les trucide, approche donc que je t’inflige une correction ! » Il n’en fallut pas plus pour provoquer Skiadram, il dégaina sa lame des anciens, fendit l’air d’un puissant coup et vociféra « Ne me sous-estime pas ! »

L’ennemi fut surpris par les rafales provoquées par la lame mais eut le reflex de créer un bouclier magique pour s’en protéger. Skiadram pesta « Maudit soit-il, il peut créer des protections… qu’importe ! Je lui ferai regretter son insolence ! » Ni une ni deux, notre démon prit de l’altitude et, l’épée au bout des mains, commença une attaque en piqué pour percer le bouclier. Mais l’adversaire n’était pas stupide, il tira un nouveau carreau sur Skiadram, pensant le faire changer de direction. Mais c’était mal connaître Skiadram, ce dernier densifia son crâne et le carreau ne fit que l’écorcher au front. L’arbalétrier voulu de nouveau réagir mais étant à court de temps, il préféra se concentrer sur le renforcement de son bouclier. La lame ne pénétra qu’à moitié le bouclier mais Skiadram put tout de même entraîner le démon dans sa chute et ils se crashèrent ensemble. C’est l’arbalétrier qui s’écrasa en premier, Skiadram, lui, amorti sa chute sur son adversaire. Le sol se craquela. Notre Saraini s’empressa de se relever et de s’écarter du démon ennemi. Celui-ci se releva plus lentement, ayant subi la chute de plein fouet, il grogna avec haine « Tu vas me le payer petite vermine… » Ses muscles s’épaissirent et de multiples veines se firent apparentes sur l’ensemble de son corps. Le regard profondément noir et déterminé, il se saisit d’un gros rocher juste à côté de lui et le souleva à l’aide de la superforce. Une goutte perla du front de Skiadram. Le rocher tendu vers le ciel, le musculeux démon hurla « Meurs !!! » Et le sol se déroba sous ses pieds.

Skiadram écarquilla les yeux, son adversaire avait disparu en une fraction de seconde. Il s’approcha prudemment du gouffre et constata qu’il n’en voyait pas le fond. Il trembla et sourit légèrement… avant d’éclater de rire « HAHAHAHA ! Si inattendus ! Si comiques ! Ah les aléas de la nature… » Un silence s’installa « Diable et moi qui étais venu chasser des emplumés ! Pourquoi faut-il que notre peuple soit aussi divisé ? » Tandis que Skiadram faisait la moue il crut reconnaître une aile familière dépassant d’un roc au pied de la montagne. Oui il la reconnaissait… elle était estropiée « Tiens, tiens, tiens… Mais que vois-je là ? » Notre démon dévala la pente à pas de loup tout en épiant les mouvements de l’ange mais, le voyant s’éloigner, Skiadram accéléra la cadence « Pas question de le perdre de vue cette fois… » Arrivé au pied de la montagne et ayant suivi discrètement le chemin qu’avait emprunté l’ange, Skiadram faisait à présent face à un dédale de rochers « Hum ! A-t-il repéré ma présence ? L’idée du labyrinthe n’est pas mauvaise mais insuffisante pour que je perde sa trace… On ne sous-estime pas Rekto Skiadram ! » Prenant une posture de plus en plus prédatrice, Skiadram se déplaçait à présent le corps en avant, proche de la quadrupédie, il se fiait désormais au duvet, aux empreintes de pieds et tâches de sang laissés çà et là. Il sentait qu’il remontait la piste, oui, de plus en plus. À chaque indice Skiadram devenait un peu plus excité, un peu plus nerveux à l’idée de trouver sa proie. Un vrai carnivore.

Et Skiadram trouva satisfaction. Marchant faiblement et s’appuyant sur les rocs, l’ange lui tournait le dos. À l’image d’une casserole en ébullition, Skiadram se sentit bouillir, bouillir jusqu’à déborder. Alors son crâne de loup se fissura et il fondit sur sa victime.

Plaquant l’ange au sol, il lui enfonça ses griffes profondément dans les épaules avant d’en arracher des morceaux de chair ! Il prit le visage horrifié de l’Ailé entre ses mains, le fixa de ses grands iris blancs, lui sourit de ses dents proéminentes et lui hurla d’une voix hystérique et inhumaine « JE T’AI TROUVÉ !  » Puis ria à gorge déployée. L’ange se débattit mais vainement, Skiadram prenait toujours garde de s’en prendre à plus faible que lui. Paraissant retrouver un certain calme, ce dernier prit une voix étrangement douce « Allons, allons, du calme petite créature… Je ne te veux aucun mal. » Un semblant de lueur d’espoir apparu alors dans les yeux du jeune Ailé. Skiadram pouffa « Tu n’y a quand même pas cru j’espère ? Comme si un démon pouvait dire ça, sérieusement ! Si nous étions dans une histoire, n’importe quel lecteur aurait vu la supercherie ! » L’espoir s’éteignit « Passons à présent ! Je sais que ce n’est guère original, vu et revu mais tu sais ce que font généralement les démons avant de tuer quelqu’un ? » L’ange sanglota et recommença à se débattre de plus belle « Oui c’est exact ! Ils jouent avec aussi longtemps que possible ! » « Pitié non ! » Skiadram éclata une nouvelle fois de rire « Ah ma phrase favorite ! Écoute il est très rare que je sois aussi euphorique, tu ne vas tout de même pas gâcher mon plaisir ? » Skiadram sortit sa longue langue bifide et l’air dément il déclara « Amusons-nous toi et moi ! » Avant d'enfoncer ses pouces crochus dans les pupilles de l’ange.