« Un rendez-vous ? » fit-elle en admirant la carte. Elle venait de la trouver sur la table basse de sa demeure, bien consciente, contrairement à tous ceux qui avaient dû recevoir la même chose, de sa provenance. Si elle ne connaissait pas la véritable identité de son mari, malgré des années de mariage, elle avait compris qu’il faisait partie de ces individus qui aimaient façonner le Monde dans l’ombre et que tout ce qui était signé d’une seule lettre avait de grandes chances d’être de son fait. « Vous vous moquez de moi ? » ajouta-t-elle en se tournant vers lui. Il était torse-nu et jouait à un jeu appelé « le Dædal ». Il l’avait créé en hommage au Souverain des Déchus, une sorte de jeu d’échec à la complexité telle que seuls les individus à l’intelligence développée pouvait en comprendre les règles. Il en avait envoyé trois exemplaires au concerné ainsi qu’à quelques Souverains et autres personnalités qu’il jugeait aptes à apprécier soit l’objet en question, soit d’y jouer. Le plateau était particulièrement vaste et le jeu magique. L’objectif était de renverser le roi adverse, avec ses propres troupes, dans un dédale de lieux divers et variés. La carte changeait selon l’humeur des joueurs et le roi sur le territoire duquel se déroulait la partie avait un net avantage. On pouvait y trouver les figures de royauté actuelles, le Monarque Démoniaque en Enfer – partie réellement difficile à gagner, sauf à compter sur une inattention du joueur adverse – la Reine des Abysses au cœur de la Cité Engloutie, etc. Il était possible de jouer à plusieurs à distance, ce qu’il faisait, chaque joueur incarnant un Roi ou une pièce maîtresse de son armée. Cela étant, le Dædal était réservé aux Grands, à ceux qui pouvaient retenir les positions et anticiper, ceux qui avaient une bonne connaissance des terrains et de la réalité. Il était également possible de jouer seul, contre la magie du jeu qui était particulièrement tenace. « J’attaque les toits avec Elros. » fit-il, un brin amusé de jouer l’Impératrice Blanche. Il avait déjà gagné les royautés lyrienne et angélique. Là, il s’attaquait à Nementa Corum mais n’était pas sûr de l’emporter. Son adversaire était particulièrement méticuleux. Après avoir contemplé avec délectation quelques Sorciers se faire congeler, il se tourna vers sa femme, un petit sourire en coin aux lèvres. « Je me suis dit que cela vous ferait le plus grand bien. Peut-être que vous comprendrez à quel point je vous manque et que vous consentirez même à accéder à ma requête initiale. ». Il aimait beaucoup le Dædal, notamment parce que le jeu rendait les alliances possibles entre les différents Souverains. Les guerres n’en étaient que plus réalistes et destructrices, même si parfois le jeu se bloquait de lui-même de ce fait : quand deux camps d’égale puissance se formaient, entrer en conflit signifiait la destruction mutuelle. C’était ainsi que la paix finissait par s’installer généralement. « Écoutez, Aria. Je sais à quel point le fait d’accoucher vous effraie compte tenu de ce qu’il s’est passé la dernière fois. Seulement, je vous assure que cela ne se reproduira pas. Vous mettrez au monde un nourrisson en pleine forme qui sera voué à un avenir prodigieux. Je ne vous demande pas de l’élever, ni même de vous attacher à lui, simplement d’accepter de le porter. Et ne complotez pas dans l’objectif de m’éliminer, s’il vous plaît. Notre accord était particulièrement clair dès le début et, comme convenu, je vous aide dans vos entreprises. Ce que j’ai demandé en échange me semble peu en comparaison, même si je sais que vous vous débrouilleriez très bien sans moi. ». Il sourit et s’approcha, passant ses doigts sur sa joue avant d’éloigner une mèche flamboyante de son épaule. « Allez à ce rendez-vous et nous reparlerons de tout ceci ensuite. J’ai vraiment envie de devenir père et c’est vous que j’ai choisi comme devant être la mère de mon enfant. C’est notre Destin et vous finirez par le vouloir aussi, même si je comprends que vous me trouviez impatient et un brin agaçant. ».

Aria avait fini par céder quant à la rencontre. Elle s’y était rendue, constatant avec joie qu’il s’agissait d’un dîner aux sources chaudes du Volcan Ardent, au beau milieu des Terres Arides. L’endroit, normalement rempli de touristes, avait été privatisé pour la soirée et des domestiques – sans doute de ceux qui travaillaient pour son mari – la guidèrent, lui recommandant d’ôter ses vêtements pour plonger son corps dans l’eau chaude dans l’objectif de se détendre. Ils viendraient plus tard afin d’apporter des bouchées diverses sur des plateaux, une nourriture facile à manger compte tenu du fait qu’il ne s’agissait pas d’un dîner traditionnel. Ils lui demandèrent si elle désirait boire quelque chose en attendant l’homme qui l’accompagnerait et, pour une fois, elle consentit à s’alcooliser un peu, réclamant du champagne. Elle avait pensé un instant faire une farce à son rendez-vous, en prenant l’apparence d’une vieille femme ou d’un monstre hideux mais elle s’était ravisée. Elle arborait donc une silhouette légèrement différente de la sienne propre et des cheveux roux coupés en un carré plongeant qui habillait son visage ainsi que ses yeux verts. Elle aviserait quand elle le verrait. S’il l’ennuyait, elle le ferait fuir pour profiter seule des sources. S’il était agréable, elle resterait un peu en sa compagnie. Elle soupira d’aise, l’eau chaude détendant ses muscles. Elle n’avait rien gardé de ses vêtements ; à quoi bon ? La pudeur ne faisait plus partie de son vocabulaire depuis qu’elle avait fêté ses quinze années. Elle réfléchissait à son mari. Il voulait qu'une troisième branche Taiji se crée de la base, il ne le cachait pas. L'objectif d'une telle opération était moins clair, cependant.  

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