Pabamiel revêtait une texture festive et laissait échapper le fumet de la niaiserie de l'humanité. A quoi bon danser ? A quoi bon se saouler ? A quoi bon rire ? Tout cela était d'une utilité médiocre et sans nom. Dzaal ne comprenait pas que l'on s'amuse sinon pour se voiler la face vis-à-vis de la réalité et profiter d'artifices superficiels. Ce qu'il savait en revanche, c'était que nul n'était bon malgré les sourires et les airs enthousiastes ; de ses proches à celui qui vient en aide, ils attendaient tous un retour systématique de quelle forme que ce soit.
Il préféra donc laisser traîner ses oreilles dans les tavernes et les bruits de groupe, à l'écoute de tout ce qui pourrait lui permettre de rentrer chez lui ou de rendre sa perte de temps moins inutile. De son banc, derrière une vitre légèrement teintée, il observait les clients gesticulant sur la terrasse couverte d'un joli paravent de soie. C'est alors qu'il prit le temps d'analyser qu'il s'en rendit compte. Tout ici était différent de chez lui. Les odeurs, les teintes, le ciel, l'architecture, les vêtements, l'ambiance... Une bouffée d'adrénaline lui monta à la tête. Dzaal commençait à se sentir perdu dans un monde complètement différent et inconnu. Comme démuni face à tant de nouveautés, il se laissa aller contre le mur derrière lui et glissa doucement sous la table, comme pour se cacher.
Sa vision à ras du mobilier, il entraperçut entre des coudes de buveurs voisins un échange pour le moins suspicieux. Un petit tas de poussière blanche était disposé sur les larges planches de leur table tandis qu'ils se murmuraient à l'oreille. Et les verres remplis de bière qu'ils avaient disposés devant étaient sans aucun doute pour camoufler l'échange. De derrière en revanche, c'était un pur spectacle. Dzaal dessina sur ses lèvres un petit rictus. Le jeune démon avait assez vu de ce genre de chose pour savoir ce que les individus trafiquaient au nez et à la barbe de tous.
Profitant de cette petite découverte pour mettre un peu de piquant dans ce voyage plutôt morne, il se redressa, but sa choppe d'un trait puis se dirigea vers les deux individus en proie à un échange murmuré particulièrement teinté d'agressivité liquoreuse. Sans demander son reste, il s'installa entre eux tout sourire. Ils le regardèrent, hagards, sans savoir comment cacher le produit qu'ils se disputaient, entrecoupés de regards dans les quatre directions du bâtiment. Une situation cocasse qui maintint un certain niveau de calme vu l'entourage, et surtout le patron de la taverne pas très loin. L'un d'eux lança un regard entendu à l'autre qui se mordit la langue avant qu'il ne s'en aille sans demander son reste. Le second se leva à son tour, mais Dzaal lui posa une main sur l'épaule, peut-être inconscient des répercutions que son geste pourrait avoir.
Sans retirer sa main de cette épaule plutôt large, il analysa le petit tas argenté tandis que l'inconnu gardait le silence. Puis Dzaal lui jeta un regard interrogateur.
- Je n'en ai jamais vu de comme ça...- Si t'as de l'or, elle est à toi.Les affaires pouvaient commencer...
Mais elles s'arrêtèrent presque immédiatement. Il ne disposait ni d'or, ni d'aucun bien de valeur. Et à vrai dire, ce n'était pas ce petit tas qui l'intéressait...
- Je n'achète pas ce que je ne connais pas.Dzaal posa sur lui un regard entendu, et contraint, l'individu acquiesça.
- D'accord, mais pas ici. Suis-moi.L'inconnu reprit alors sa poudre argentée, souffla sur les restes qui s'envolèrent comme des paillettes, puis ils sortirent avant de se diriger vers les ruelles, à l'écart de la foule.
Après de longues minutes de marche durant lesquelles ils redescendaient vers le bas de la cité, il s'interrompit et se posta contre un muret partiellement cimenté. L'individu lui présenta alors un échantillon que Dzaal prit la "peine" de goûter. A défaut de ne devoir en prendre qu'une partie, il inspira l'ensemble sous les yeux ébahis de son interlocuteur qui lâcha un juron. Sans qu'il n'y ait d'effets notoires, ce dernier lui intima de rembourser ce qu'il venait de consommer. La vue du démon se brouilla, ses jambes le lâchèrent et une douleur fulgurante lui traversa le crâne.
Le néant.
***
Quand Dzaal revint à lui, c'était le petit matin et la rosée avait imbibé la surface de ses vêtements. Sa tête reposait sur un coussin molletonneux. A intervalle régulier, il sentit des gouttes chaudes tomber sur sa joue. Il ouvrit lentement les yeux au moment où le coussin se mit à bouger. Un drap bleu... une robe ?!
Il se mit rapidement debout, peut-être trop vite vu les teintes rouges qui passèrent devant son regard, et observa la jeune femme dont un filet de sang glissait d'une de ses narines à ses lèvres, puis gouttait sur sa robe se tachant un peu plus. Grimaçant au mal de tête qui restait planté là, il abandonna la jeune femme à son sort.
Chancelant, il fit demi-tour. Il avait besoin d'une information... oui, une information que la belle -
dont les symptômes ne faisaient aucun doute - pouvait peut-être lui transmettre. Il se nettoya le visage comme il put -
non sans user des habits propres de la jeune femme - puis, après quelques claques qui rougirent ses joues, elle se réveilla enfin pour le guider à travers les rues de Nobu jusque chez elle.
A l'intérieur, dont la porte fut à moitié défoncée avant que lui-même n'arrive, il la coucha et se fit un brin de toilette à l'aide d'un récipient partiellement rempli d'eau croupie. La laissant dormir afin qu'elle puisse répondre à ses questions, il s'assit sur une pierre qui délimitait l'entrée et gratta du couteau son unique tunique tachée de rouge brunie.
Passablement énervé, son regard démoniaque se posa sur les gens qui passaient devant lui, tantôt ivres, tantôt méfiants, tantôt normaux. Il n'avait pas remarqué les traces de poudre argentée qui étaient restées collées dans ses cheveux.