L'euphorie chronique et ambiante dont nous bénéficions ne s'imputait guère à la magie de faës mais à celle des plantes, d'après les dires de mon interlocuteur. Je me retrouvai fort disposé à le croire, d'autant plus qu'il déclinait la myriade d'effets potentiels propres à cette magie, tel un fervent spécialiste. Tantôt toxiques, tantôt bienfaisantes, les plantes revêtaient de curieux mystères que je ne cherchai point à élucider spécifiquement. Détente et apathie eurent raison de mon corps ; pourquoi théoriser un effet aussi apaisant, dans un état enclin à l'affranchissement de tout tracas ? Quelle honte y avait-il à demeurer ignare dans un domaine ? Ou plusieurs, même ? N'avais-je point toujours fait l'impasse sur diverses considérations géographiques et historiques de mon vivant ? Botanique et sorcellerie se logeaient à la même enseigne. La magie de la fumée ? Je me contentai d'en souffler en cercles concentriques, à l'image du faë, libérant un rire franc lorsqu'il manifesta son enthousiasme relatif à cette pratique.  « Faut-il encore que je maîtrise une quelconque forme de magie. J'ai bien peur qu'il s'agisse-là d'un domaine où je suis bon dernier. » Plus déplorable encore que les sciences et humanités citées précédemment, ma pratique de la magie avoisinait le néant. Je ne pouvais cependant me targuer de m'être réellement penché sur un tel art, mes autres lacunes m'apparaissant comme prioritaires à combler.

J'inspirai une nouvelle latte et écoutai son récital tout en me complaisant dans la contemplation des astres. Lorsqu'il me complimenta sur mon apparence, un sentiment de fierté et de supériorité générique m'anima. Il était toujours bon de recevoir des éloges, quand bien même fussent-ils répétitifs, pour constater le caractère immuable et universel d'un attribut valorisable. Cette réaction se révélait cependant étrangement détendue au vue des circonstances. Si j'affectionnais tout discours mélioratif en provenance d'une demoiselle, qu'un tel registre fût adopté par un homme me dérangeait, usuellement. Il n'en fut cependant rien présentement : je me contentai d'apprécier ce portrait dépeint par Olwë sans jauger ses sous-entendus, répondant avec auto-satisfaction.  « Que voici une représentation flatteuse, mais néanmoins agréable à entendre. J'ai conscience de mon charisme, il est vrai. Force est de constater que je le sous-estimais : j'ignorais qu'il atteignait également les hommes. Ma préférence s'oriente cependant à l'égard des femmes, sachant que je demeure sélectif. Celles qui ne démontrent aucune résistance, cédant à la moindre de mes impulsions, ne m'intéressent guère. J'apprécie la résistance, le défi, pour mieux savourer le triomphe de l'avoir conquise. » Je m'exprimai sur un ton totalement décomplexé, sans doute pour ne point briser la quiétude du moment présent. Je préférai considérer son aubade telle une volonté de me couvrir de louanges sans conséquence spécifique associée plutôt qu'autre chose, me souciant peu moi-même de l'impact que détenaient mes propos.

Sans doute Olwë ne désira point forger de silence outrancier ; il m'invita à parler à mon tour. Je me demandai si ma stratégie de conquête l'avait intéressée ou au contraire rebutée, mais peu importait. Dans cet état, j'étais largement disposé à étaler mes ambitions, aspirations et projets. Les mots me venaient avec un naturel fascinant, plus spontané encore que d'ordinaire.  « Moi ? Qui suis-je ? Un chasseur avant tout, avide de défis en tous genres. La raison pour laquelle j'ai foulé ces terres n'est autre qu'une traque – la traque de connaissances et de découvertes. Longtemps j'ai vécu cloîtré dans un bourg, et pour la première fois, il m'est donné de découvrir le monde. A l'origine, je venais contempler la cascade. Jamais je n'aurais songé faire la rencontre d'un être tel que toi. Si je ne m'abuse, tu es même le premier représentant de ta race que je découvre. Je comptais me diriger en direction d'Avalon, tant on m'a vanté cette cité. Viendra un jour où je regagnerai les miens, bien entendu. Mais pour l'heure, j'applique ce proverbe qu'on attribue à Perry l'Ornithorynque « qui détient la connaissance s'affranchit de l'ignorance ». J'ignorais le ressenti des fleurs hier encore. »

Une élégante expression, ne serait-ce qu'à la rime. J'inspirai profondément, puis me levai. Cette décontraction généralisée m'invitait à subvenir à quelque besoin physionomique. Le vertige s'empara subitement de moi lorsque je me dressai sur mes jambes. J'en perdis l'équilibre pour m'écraser au sol, ou plus précisément sur mon infortuné interlocuteur. Je grimaçai. Voilà qui n'était guère raffiné de ma part.  « Je ne maîtrise point tous les effets de la plante... Tu me vois marri de cette chute. Point de blessure, rassure-moi ? » Je libérai le faë de l'oppression de mon poids, m'écartant sur le côté, pour constater sa réception de mon atterrissage.