LA VOIE DU TIGRE

Solo

Les deux hères s’observèrent longuement. Ce fut Hans qui finit par prendre la parole. « Et bien, jeune disciple, il est temps de nous quitter. Tu es entêté, borné et d’une personnalité bien complexe, mais tu ne manques pas de courage et de volonté. Tu accompliras tes rêves, je n’en doute pas. » Vadim hocha la tête et fit quelques pas, s’éloignant de l’ineffable Aether aux longs cheveux de jais, il capta un instant son regard mordoré et lorgna avec un sourire son inséparable fouet. « Oui… Il est temps que je parte. Je vous remercie pour votre enseignement. » Ses lippes frémirent légèrement. « Au revoir Vadim Howl. » ; « Au revoir Hans. Puissions-nous, nous revoir un jour prochain. » Hans l’observa un instant et sourit. « Sans aucun doute, jeune disciple. » Sans savoir que jamais plus, il ne poserait les yeux sur l’indicible esprit du temple.

Le réprouvé se tourna vers le milieu dans la pièce et avança. Inspirant profondément, il passa le portail, ne sachant pas si un jour il reviendrait en ces lieux chargés d’histoire. La chaleur le prit d’assaut. Les dix astres solaires abattaient leurs rayons et le contraste entre la fraicheur du temple et le dehors était d’autant plus saisissant, qu’il avait récemment combattu au sommet d’une montagne balayée par la neige. Vadim ressentait les affres de la fatigue, malgré le soin que la magie de William lui avait prodigué. Il se savait en sécurité en ces lieux, peu d’hères connaissaient son existence et il n’y avait pas âme qui vive. Même les animaux ne semblaient pas présents ici. Aussi, il s’éloigna de l’inénarrable fontaine et s’installa à l’ombre d’un arbre plus imposant que les autres. Il s’allongea, prenant soin de poser Zul’dov à ses côtés. Longuement, il expira, contemplant la voûte céleste et son paysage dépourvu de nuages. Puis, les bras du sommeil l’emprisonnèrent avec douceur. Ses paupières se scellèrent malgré lui et il se laissa emporter, s’abandonnant cette étreinte salvatrice.

Lorsqu’il ouvrit les yeux, rien n’avait bougé. Les journées paraissaient sans fin ici. Au loin, la fontaine s’écoulait toujours. Il était reposé, prêt à reprendre la route en sens inverse. Prêt à retrouver les compagnons qu’il avait laissés derrière lui. Il connaissait par avance leurs réactions. Le premier regard suffirait. Ils constateraient le retour de l’azur dans ses prunelles, Eliott en serait soulagée. Les lippes du réprouvé s’étirèrent. Son caractère, ses mots, son implication, tout sera différent. Il ne serait plus sous l’emprise de l’incube, mais n’aura rien à voir avec celui qu’il fut jadis. Il était autre chose. Il était réprouvé. Une alchimie entre ange et démon. Mais des interrogations le taraudaient, des mots lancés par les deux Aetheri. Leurs phrases s’étaient révélées bien énigmatiques à certains moments, concernant sa filiation. Un doute persistait et il craignait d’en découvrir plus. Peut être ne savait-il pas tout. Mais la vérité n’était pas toujours bonne à entendre.

Le voyage fut long et Vadim le passa à ruminer ses pensées. Il avait atteint la ville et les reliquats de sa fatigue s’étaient amplifiés. Il voulait un lit, plus que tout, mais savait pertinemment qu’il serait débordé de questions venant de deux de ses comparses. Il tenterait de rejoindre sa mansarde discrètement. Cependant, quand il parvint à l’auberge de Marianne, la nuit était tombée depuis quelques heures déjà. Il la salua en entrant et elle lui répondit d’un sourire chaleureux. Sans mot dire, il grimpa à l’étage et franchit la porte de la chambre qu’il partageait avec Eliott. Mussel et Ysaline demeuraient dans l’alcôve voisine. Lentement, il ôta ses vêtements, ainsi que l’arme du temple. Il s’étira et se glissa sous les draps immaculés du grand lit. Eliott bougea et se tourna vers lui, ses grands yeux bleus ouverts, l’observant avec curiosité. Ses lèvres s’étirèrent en remarquant l’éclat céruléen des prunelles du réprouvé. « Tu es revenu. » La phrase avait plusieurs sens et le proscrit avait discerné chacun d’entre eux. Il attira l’ange à la peau de porcelaine contre lui et la serra dans ses bras. Il y avait longtemps qu’il ne lui avait pas témoigné de véritable affection. Elle déposa doucement ses lèvres sur sa joue et caressa sa joue. « Tu es en un seul morceau… Comment ça s’est passé cette fois-ci ? » Vadim la repoussa avec gentillesse et se mit en position pour dormir. « Nous aurons tout le temps de parler de ça demain. Je suis épuisé. » Et la nuit emporta les deux hères dans son sommeil. Demain, tout serait différent.