La Voie du Tigre
« Stronger »

Une histoire de famille, m’avait-il, autrefois, raconté. L’œil brillant, le sourire aux lèvres, il s’était agenouillé devant moi certainement dans le but d’attirer mon attention. Mais le jeune garçon que j’étais ne prêtait plus aucun intérêt à ses histoires de victoire, qu’il m’avait raconté et raconté des centaines de fois au point que je les connaisse par cœur. Loin de l’humilité que faisait preuve certains gagnants, Bartholomew Uokel, surnommé par ses fans L’Invincible Uokel, aimait retracer son cheminement qui lui avait permis de se rendre là où il se trouvait aujourd’hui: dans l’ordre, il nous récitait les entraînements qu’il avait suivi dans une école militaire et qui lui avait permis de s’endurcir, ensuite il nous énumérait ses victoires contre des adversaires aux noms peu connus – sans, évidemment, passer par les nombreux échecs qu’il avait dû essuyer en cours de route – et finalement, il nous racontait pour la énième fois sa participation à la Coupe des Nations et comment il était parvenu à sortir, par trois fois, victorieux de cette célèbre compétition. J’avais soupiré d’avance à son approche, me mettant déjà à disposition de fuite lorsque je le vis s’avancer vers moi pour finalement s’agenouiller. J’étais fatigué par tout ceci et j’en avais plus que marre de devoir écouter ces histoires à dormir debout. J’étais convaincu qu’il avait imaginé la moitié de ces « exploits », prétentieux et narcissique comme il l’était. Alors, lorsqu’il avait commencé à parler, je ne l’avais, au départ, pas du tout écouté. Comme l’on dit souvent: l’information rentrait par une oreille et sortait par l’autre, tant qu’après un instant, il se demanda sérieusement si je l’écoutais et je fus bien forcé de lui répondre par l’affirmative; il allait être sur mon dos pendant longtemps si je ne l’avais pas fait. Cependant, lorsqu’il reprit son récit, je me rendis bien vite compte qu’il ne s’agissait pas de ces trois victoires à la Coupe des Nations, de son entrainement « à la dure », comme il l’aimait le raconter, dans son école militaire, mais plutôt une tout autre histoire…

En m’arrêtant sur le chemin qui m’avait permis d’accéder à cette fontaine mythique, je la contemplais avec fascination, n’ayant jamais vu quelque chose d’aussi beau, magnifique depuis des lustres. Force était de constater que pour une fois, Bartholomew, mon très cher père, n’avait pas raconté que des absurdités au jeune enfant que j’avais été. Le chemin jusqu’au Temple des Esprits était l’une des plus grandes et des plus belles merveilles de ce monde. D’abord le champ des coquelicots, puis ensuite cette grotte luminescente dans laquelle je m’étais mis à suivre ces étranges étoiles lumineuses, comme incrustées dans la pierre des cavités souterraines pour atterrir au cœur de ce qui me semblait être un jardin, dont l’œuvre principale se tenait juste devant moi, cette fontaine sans socle déversant son soûl dans un trou qui ne pouvait avoir de fin. C’était impressionnant.

Mon père, en me parlant de ce fameux Temple, si vous vous souvenez bien, avait commencé par me dire qu’il s’agissait d’une histoire de famille, mon père ayant suivi l’une des voies de ce Temple et son père, avant lui, ayant fait de même. Aujourd’hui, c’était à mon tour de suivre les traces laissées par mes aînés. Mais, ne voyant pas d’un très bon œil la nécessité de me rendre puissant uniquement pour m’élever et de me créer des légendes, je m’étais promis d’accomplir la Voie que j’avais choisie dans le but de prêter main forte à ceux qu’ils en avaient besoin. Je ne voulais pas que des événements, comme ceux survenus au Musée, ne se reproduisent.

« C’est vraiment ce qui te motive, jeune guerrier? »

La voix, naturellement douce et soyeuse, n’avait pourtant rien de menaçant et pourtant, propulsé par la surprise, mon corps sursauta à l’entente de sa voix. Sentant mon cœur battre dans mes oreilles, je me tournais lentement pour voir qui se trouvait dans mon dos. Mais là où aurait dû se tenir un corps, une silhouette, une personne de chair et de sang, ne se trouvait rien. Que du vide, de l’air. Je fronçais des sourcils, sondant les environs d’un œil aiguisé, attentif au moindre changement. Peut-être que l’être qui venait de s’adresser à moi était invisible?

« C’est moi que tu cherches? Chuchota avec douceur une voix juste au-dessus de mon oreille.

- Aaaaah!! »

Je perdis l’équilibre avant de finir au sol, grimaçant légèrement suite à l’impact. Je me frottais les côtes, avant de constater qu’une ombre se tenait devant moi. Aussitôt, je relevais la tête, soucieux d’y voir celle qui se jouait ainsi de ma personne.

« Vous m’avez fait peur! » M’exclamais-je en me remettant sur mes deux jambes, sentant mon cœur reprendre un rythme qui m’éloignait de la crise cardiaque.

La jeune femme qui se tenait devant moi sourit, amenant une mèche de sa longue chevelure noire derrière son oreille avant de s’approcher et de se tenir à quelques centimètres à peine de mon visage. Je me sentais intimidée par son regard, d’un bleu aussi pur que l’Océan, et de la force qui s’en dégageait. Ma jambe me démangeait de faire un pas vers l’arrière, histoire de me soustraire à son étrange aura de puissance.

« Comment veux-tu prêter main forte à qui que ce soit si tu as peur d’une simple femme comme moi?

- Vous n’êtes pas une simple femme. Vous êtes l’un des Esprits de ce Temple… »

Elle plongea son regard dans le mien, avec une telle intensité que je faillis détourner les yeux. Mais je ne le pouvais pas. Pas devant un personnage aussi illustre. Finalement, elle sourit avant de reculer et de me tourner le dos.

« Et toi, tu n’es pas encore un véritable guerrier.

- Je ne demande qu’à le devenir, ma Dame. C’est pour cette raison que je suis venu jusqu’ici.

- Qui me dit que tu ne voudrais pas suivre l’exemple de ton père? »

Mes yeux se plissèrent de frustration et l’Esprit, sentant naître en moi de la colère, se retourna doucement dans ma direction pour me faire face.

« Je ne veux pas devenir comme cet homme qui n’a vécu que pour faire briller son petit postérieur. Ma gloire à moi ne sera pas celle que j’obtiendrais dans une arène, mais plutôt celle que j’aurais en récompense d’avoir aidé ceux qui en ont besoin. Un sourire me suffira. »

L’Esprit me jaugea attentivement avant d’esquisser un sourire.

« Alors j’espère que tu seras digne de cette épée, jeune guerrier. »

Étonné, je baissais les yeux vers mon ceinture avant d’ouvrir la bouche, hébété. En plus de mon sabre, il se trouvait qu’une seconde épée, au manche noir, coiffe mon flanc. Lentement, j’approchais ma main de cette dernière, la sortant de son fourreau pour l’examiner minutieusement. C’était un katana, avec une lame si brillante que je dû plisser des yeux pour atténuer son éclat qui se reflétait dans mon iris.

« Et que tu obtiendras la gloire que tu chéris tant… »

Doucement, je relevais la tête pour observer la jeune femme.
Mais elle venait de disparaître.


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