Loin derrière l’aspect vulgairement réjouissant que le beau diable avait décelé dans cette commutation de corps, c’est qu’il était inopinément devenu beaucoup plus précaire en terme de force. Son agilité n’était pas des plus exceptionnelles non plus. Il fallait reconnaitre qu’avec des proportions pareilles, il était impossible de l’être. Et puis se toucher soi-même avait quelque chose de… dérangeant. Heureusement qu’il avait au moins conserver sa clairvoyance, ça aurait été un comble de devenir également plus bête, avec tout le respect qu’il avait pour la brune évidemment. Rien que pour vérifier ses nouvelles valeurs, le démon se destinait à frapper tout ce qu’il trouvait sur son passage ; tronc d’arbre, vulgaires brindilles de pacotilles ou encore de tout petits galets qu’il aurait habituellement pu démolir d’une chiquenaude. Mais la vérité lui devenait tout à coup cruelle. Dans la vie de tous les jours, Callidora détenait la puissance d’une enfant de bas âge, et le mot était atténué. « Si ton corps est admirable du point de vue de mes yeux d’origine, je dois te couvrir de louanges pour arriver à survivre avec ça. Tu devrais sérieusement envisager quelques tractions. » Cette remarque ne se voulait aucunement présomptueuse. Dans un premier temps, il se voulait droit et authentique, et comme bien souvent, le tact lui manquait. En second lieu, il lui confiait un avis subjectif. Car si la brune parvenait jusque-là à s’en dépêtrer, nul doute qu’elle tomberait un jour ou l’autre sur un os. Et surtout sans chevalier pour la secourir. C’était sa façon à lui de lui préconiser une autre approche pour ses attributs, à la place de sa formation de courant électrique. Toutefois, il n’était pas dans son entreprise de la déprécier par rapport à ça. Il avait seulement du mal à avaliser sa nouvelle condition féminine. Ce qui le rassurait, c’est que plus loin, un autre échange plus grotesque s’était produit. Au moins, il n’était pas le plus ridicule des trois, ce qui était approprié pour dessiner un fin rictus sur ses lèvres. Krog pinaillait en sautant un peu partout d’une manière particulièrement hypothétique. Ses cris de poule prête à se faire cuisinier résonnaient au travers de la sylve comme une lamentation de plus en plus constante. Il semblerait que l’oiseau avait plus de mal à user de sa magie dans un corps aussi réduit. D’ailleurs, cette belle projection conduisait à une réponse que la jeune femme s’était posée. Selon lui, c’était clair comme de la roche. Et comme pour le réaliser à titre d’exemple, il fit poindre son ombre à l’extérieur de la surface du sol, après quoi il la torsada en un épais tourbillon. « Nos pouvoirs ne sont pas liés à notre magie, mais à nos connaissances. Mon esprit ne sait pas faire naitre les flammes. En revanche, il sait manipuler les ombres. Ce n’est que la quantité et la puissance de ceux-ci qui ont été altérés. » Il se posait là comme un professeur, inculquant les bases à son élève. Et à en croire ses mimiques, il en était plutôt fier.

Le loup -ou plus exactement la volaille- confirma bientôt ses introspections. Plus le temps passait, plus il commençait à s’exprimer convenablement. S’il bafouillait encore un peu et que ses déplacements semblaient inhabiles au possible -à plusieurs reprises, il heurta les différents obstacles de sa route-, il retrouva rapidement le don de la parole. Ainsi, sa colère était on ne peut plus révélatrice. En battant furieusement des ailes, il s'agitait entre les mains de Callidora, et lorsqu’il se trouva entre les bras de son maitre, il essaya à maintes reprises de picorer son enveloppe de substitution. « C’est ta faute sale traitre ! Regarde-moi dans l’état que je suis ! Trouve vite une solution si tu ne veux pas que je te perfore de mon bec. » Mais anecdotiquement, c’est surtout celui de sa partenaire qui allait saigner de cette intrusion au becquetage. Lui ne risquait rien, d’autant plus que son corps avait subi davantage de dégâts que de simples écorchures. Toutefois, pour éviter la rébellion d’une certaine personne, le démon tenait le colérique à une certaine distance de son bras levé. « Hé hé hé ! Vois le bon côté des choses, mon ami. Tu vas être tellement plus fructueux en terme de produits laitiers. » Un humour qui était loin de plaire au principal concerné, si bien que le duo causa à lui seul énormément de brouhaha. Entre Krog qui piaillait sans interruption et Zane qui éclatait de rire en titillant son compagnon par des gesticulations et des répliques cinglantes comme il en avait le secret, ils devaient être plus assourdissants qu’une colonie de créatures. Les délires pouvaient néanmoins attendre encore un peu. Quelques minutes plus tard, dans un non-dit presque trop oppressant, Zane revint aux côtés de celle qui s’épuisait à réfléchir. Entre ses bras, il tenait maladroitement la poule. Difficile de dire si elle était simplement endormie ou si elle avait été sadiquement étourdie. Il fit uniquement comprendre à sa complice par un signe que la vérité n’avait que très peu d’importance. Il fallait se concentrer sur la résolution de ce rébus épineux. Callidora carburait sur le sens de cette transformation en parlant de miroirs. Maintenant qu’il y songeait, il n’avait pas vu l’objet qui l’avait transporté dans ce monde ; un élément qui paraissait ainsi central pour la suite. « J’ai ce fameux talent de pouvoir casser les dents à n’importe quoi. Un reflet ne fera pas exception à la règle. » Dans son grossier langage, cela voulait surtout dire qu’il casserait tous les miroirs qu’il rencontrerait sur des générations afin de maudire les enfants et les petits enfants du fautif.

Au moins, la jeune femme n’avait rien perdu de son humour incisif. Il soupçonnait même cette dernière d’apprécier davantage sa nouvelle morphologie que l’ancienne, ce qui selon la logique était plus que cohérent. « Je savais que mon allure laissait rêveuses les femmes. Tu n’es pas la première jalouse à me le dire. Toutefois, je te défends d’en profiter sans mon accord. Ou sinon je serais malintentionné avec le tien. » Le visage diabolique qui harcelait les traits de la Rehla aurait en d’autres circonstances pu effrayer n’importe qui tant les idées qui germaient en ses neurones étaient palpables. Étrangement, sur son visage, cela ressemblait davantage à de la perversité qu’à autre chose, ce qui après réflexion n’était peut-être pas plus rassurant. Trouver la réplique de cette chose allait le pousser à bout. Après tout ce qui s’était produit, il n’avait plus du tout envie de raisonner, mais simplement de se reposer. Sans vraiment y penser plus que ça, le démon puisa dans la réserve de sa magie restante pour la faire fuser en dehors de son être. Il se concentrait, afin de s’ajuster comme un appât juteux en bannissant une grosse quantité de magie. Il épuisait son faible corps actuel à puiser dans toute sa réserve, quitte à de nouveau éreinter Callidora, mais tant pis. C’est avant tout son impulsion qui le mena à agir dans ce sens. Après la fin du délai et en ayant presque tout épuisé -sans pour autant oublier que la pierre continuait d’aspirer la magie de son vrai lui-, Zane posa un genou à terre. Cela avait fonctionné. Il était là, appâté par une quantité ingérable de magie : le miroir sur pattes. Il fallait agir le plus vite possible, qu’importe si pour ça il devait éclater les barrières de son organisme. Il s’élança en avant de toutes ses forces, et lorsqu’il parvint à hauteur du miroir, il focalisa sa magie restante dans son poing afin d’intensifier la portée de son agression. Même si cela était en deçà de ce qu’il pouvait réellement faire, l’attaque fêla la glace en des milliers de morceaux. Une lumière sensiblement indiscernable à la précédente fit surface pour recouvrir une nouvelle fois entièrement la zone. Si à sa disparition, tout semblait être revenu à la normale, il n’en était rien. En réalité, si Callidora et Krog avaient retrouvé l’usage de leurs corps respectifs, la disparition de Zane était quant à elle plus nébuleuse. Traîné dans une dimension dissemblable de la leur, il se trouvait au centre d’une immense salle encerclé de miroirs par centaines, comme s’ils étaient les jurys d’un procès le concernant. Sans parler du fait qu’il était à présent lui-même dans la chair de la poule, les miroirs reflétaient différentes choses dont certaines ne lui disaient rien du tout. Matérialisé comme étant un costume à part entière, les caractéristiques de ses attributs physiques se trouvaient derrière cette succession de glace qu’il ne parvenait pas à passer. À chaque fois qu’il essayait, un éclair l’en empêchait. En tant que volaille, de tels risques étaient un peu plus mortels.

Callidora infériorisait sensiblement ses pulsions sadiques pouvant aller au-delà de ses attentes. Réfléchir sur un moyen de malmener un corps ne lui aurait pas pris plus d’une minute pour qu’il en vienne à faire des actes indescriptibles. Étrangement, il avait toujours un doigté très incroyable quand ça touchait au supplice et à tout ce qui s’en associait. « Détrompe-toi, ma chère. Ma créativité est débordante. Tu n’as jamais eu que des aperçus. » Et ce n’était pas pour se vanter qu’il faisait gage d’autant d’assurance. Le fait est qu’elle était encore loin d’avoir fait connaissance avec sa partie la plus bestiale malgré ce qu’elle croyait. Dire qu’il était capable du meilleur comme du pire était un euphémisme. Là où c’était paradoxal, c’est que la brune avait toujours plus ou moins vu la meilleure portion de lui-même, et d’une certaine façon c’était mieux ainsi, sans quoi elle n’aurait peut-être pas la même opinion sur sa personne. Non pas qu’il s’inquiétait du jugement qu’elle pouvait porter à son égard, toutefois il devait reconnaitre avoir besoin d’elle pour s’en sortir. Depuis qu’ils avaient posé les pieds dans la sylve, la mode voulait le voir constamment dans des situations désespérées, si bien que la princesse était devenue le chevalier et inversement. Au lieu d’arranger la situation, le démon n’avait fait que l’empirer tout du long. Certes, il n’était pas à proprement parlé le fautif idéal de tout ce qui avait cousu leurs accrocs jusqu’alors. Un peu de malchance, une légère dose d’impulsivité, un filet d’arrogance et tout était parti de travers. L’homme ne s’était jamais demandé le pourquoi du comment de tous les problèmes qu’il attirait malgré lui, mais c’est car toutes les péripéties étaient loin de lui déplaire. Peut-être qu’inconsciemment, il mettait tout son pouvoir dans le maintien de ce déséquilibre. Sentir le danger à tout instant était bien plus réjouissant que ce que l’on voulait bien faire croire.

Néanmoins, à aucun moment il n’avait été fait mention de devenir une volaille. N’importe quel animal aurait fait l’affaire, y compris une limace bien baveuse, mais une poule… Il était presque certain d’avoir perdu toute prestance. Quant à sa fierté, elle était déjà morte et enterrée depuis belle lurette. Le plus gros inconfort venait du fait qu’il était tout à fait incapable de subjuguer une seule parcelle de ses pouvoirs dans un tel organisme. Tout ce qu’il avait entrepris à réussir à terme d’une importante concentration, c’était de faire légèrement vaciller son ombre. L’exploit s’arrêtait là, alors autant le jeter aux oubliettes et passer a autre chose. Il ne savait pas ce qui était arrivé à Callie et Krog, mais pour une quelconque réfutation ce n’est pas ce qui le préoccupait le plus. Tout ce à quoi il devait songer se résumait à survivre aux différents éclairs qui tentaient de le cuisiner. À base de gloussements singuliers et de bondissement complètement ridicule visant à flotter durant une seconde dans les airs, la difficulté était croissante. Il devait rapidement trouver une solution ainsi que la signification de ces miroirs, et très vite. En parallèle de ça, le loup et la jeune femme s’efforçaient de trouver une solution adaptée. Le comportement de son maitre avait été plus impulsif que réfléchi. En général, il parvenait assez bien à conjuguer ces deux extrémités, mais il semblerait qu’il en avait décidé autrement pour cet assaut fulgurant. « Au risque de te surprendre, quand il est fatigué, il dort en général. Je pense qu’il a voulu bruler les étapes un peu trop vite. » Composante dont elle avait dû être témoin à plusieurs reprises. En même temps, c’est parfois en agissant de la sorte qu’il parvenait à tout arranger, même si cela affectait autant son corps que son esprit. « En revanche, tu as raison, j’en ferais bien mon repas. » Accusa le quadrupède en caressant allègrement ses babines de sa langue râpeuse.

Tout juste après, il comprit le message qu’entreprenait de lui faire comprendre la Rehla. Il devait se mettre à l’abri, ce qu’il fit au plus vite en allant se cacher au plus haut dans les cimes. De sa hauteur, il pouvait à la fois rester en sécurité et observer les interventions de cette dernière. Avec une procédure méthodique, elle mit en place un stratagème qu’il avait du mal à comprendre. Toutefois, les éclairs qu’elle créa rendaient la scène magistrale et particulièrement bien dessinée. Par une sorte de ricochet, elle avait aiguillé son électricité sur la glace. Sans parler de l’aspect aveuglant qui lui fit manquer la moitié de sa démarche, Krog ferma instinctivement les yeux durant plusieurs secondes. Lorsqu’il les rouvrit, il put apercevoir une silhouette au loin. De son côté, le miroir avait, semble-t-il, entièrement disparu. Sur terre, Zane avait bel et bien retrouvé son corps d’origine, en parfait état au presque. En effet, alors qu’il avait le genou au sol et qu’il se relevait péniblement, de l’électricité continuait de lui graviter autour par de petites quantités, comme si son aura était affecté de l’élément en question. Tout aussi intrigué par ce que produisait son corps sans subir de dégradation quelconque, ni même de douleur, le démon s’observa sous toutes les coutures. Puis alors qu’il ferma les poings ainsi que les paupières, il parvint à faire disparaitre le phénomène. Il était persuadé que ce n’était pas de l’effet de la brune, mais bien du sien. D’une certaine façon, il avait assimilé quelque chose dans ce royaume de miroir. Aussi, le personnage sembla quelque peu perturbé, voir inquiet le temps de quelques secondes. Cependant, il se garda bien de révéler quoi que ce soit et reprit immédiatement de plus belle. « Heureusement que je suis étonnamment robuste surtout. En tant que poule, je peux t’assurer qu’il est très difficile de survivre plus de trois minutes. Une de plus et vous auriez dû vous nourrir avec ma carcasse. » Tous ces changements de corps l’avaient épuisé.

Plus jamais il ne viendrait à se séparer de son beau corps, et ce même pour tout l’or du monde. Jetant un coup d’œil à Krog qui venait de retomber sur terre ferme, il passa à côté de la jeune femme pour la gratifier d’une accolade, brève, mais intense. D’un ton toujours aussi burlesque, il explora les alentours. La forêt avait été reconfigurée. « Je suppose que plus rien ne va nous arriver. Il suffit de suivre le chemin qui nous a été tracé, ou alors nous pouvons rester un peu ici pour faire des folies amoureuses. Nous aurions ainsi un meilleur souvenir de cette journée. » À défaut d’avoir assez d’énergie pour pratiquer une telle activité, il en avait toutefois suffisamment pour effleurer l’idée par l'ironie. Si le comportement du démon semblait alors très naturel et proche de ce qu’on lui connaissait, la conduite de Krog était plus méfiante. Callidora ne l’avait peut-être pas remarqué instantanément, mais l’attitude de l’animal à être sur ses gardes en avançant prudemment vers son ami était alarmante. Dos à lui, il juxtaposa sa truffe contre l'humus qui avait vu les pieds du diable le fouler. « Zane, tu es sûr que… » Il fut interrompu dans sa question lorsque la silhouette observatrice du démon se dissipa dans un torrent de flamme. Se retournant vivement derrière lui, il vit l’homme plus proche de la brune qu’il ne l'avait envisagé. Ses pupilles habituellement dorées avaient péri au profit de la noirceur de ses sclérotiques. « Bien sûr que tout va bien. Je me sens même plus en forme que d’habitude, pas vous ? » Ses élocutions et son timbre de voix n’avaient rien de changé, pas plus que son tempérament. Et pourtant elle devait forcément le ressentir. Son aura était bien plus écrasante et sombre que d’ordinaire. Et puis, il ne semblait pas avoir remarqué cette légère variation. Il passa vivement son bras autour du cou de sa partenaire, le sourire en banane. « Tu es notre guide spirituelle, Miss sensualité. C’est quand tu veux. » Ne restait plus qu’à savoir ce qu’augurait cette évolution pour le moins singulière. Les pattes fléchies, ventre presque contre terre et crocs apparents, l’un d’entre eux était en tout cas peu confiant.  

Nul ne saurait dire pourquoi exactement, mais en Zane se répandait une vivacité surprenante. Une seconde jeunesse, une résurrection peut-être. Non, aucun de ces mots n’était assez fort pour décrire scrupuleusement ce qui bouillonnait en son for intérieur. Il se savait capable de bien des merveilles, si bien qu’il vint même à se demander s’il n’avait pas une nouvelle fois changé de corps. En baissant les yeux sur sa splendide enveloppe, il fut néanmoins rassuré de voir qu’il était toujours lui-même. Visiblement, il n’était pas le seul à avoir renoué contact avec l’énergie. Callidora avait regagné toute sa fraicheur, pour preuve les incessantes pitreries qu’elle tendit à son égard. Dans son incroyable facétie, elle avait presque raison de penser qu’il était plus somptueux en volaille. Même en étant rejeté au plus bas des rangs que pouvait offrir ce monde, il se maintenait sans arrêt aussi chic -en toute circonstance- et ce n’est pas une vulgaire transition qui y changerait quoi que ce soit. « Si tu y tiens tant que ça, je pourrais me changer en animal grotesque pour ton simple plaisir. » Et pour appuyer ses dires, le démon renouvela précipitamment de plastique pour prendre celle d’une chèvre, du moins en apparence. Quelques défauts s’y étaient logés ici et là en cause d’une mauvaise manipulation, mais rien de bien méchant. Si l'on omettait délibérément les quatre paires de pattes ainsi que le bec et les ailes, alors on pouvait facilement s’imaginer de quel genre de créature il avait pris l’apparence. Étant plus performant dans les profils humanoïdes, celles touchant au monde animal lui étaient beaucoup plus complexes. Avec de l’entrainement, il remédierait à cette défectuosité. Ainsi, il pourrait épier convenablement n’importe qui en gentil matou sans se faire repérer. Écourtant toutefois la démonstration qui manquait de précision, l’homme redevint activement le prince qu’il était en recyclant son élégance. Son amie avait beau le taquiner, son apparence originelle était irremplaçable.

Après le repos qu’ils avaient mérité et en mettant de côté la bouffonnerie, l’objectif du trio était on ne peut plus affirmé ; sortir enfin de ce piège à illusions. Zane s’imaginait déjà les nombreuses opérations qu’il allait faire pour se détendre une fois en dehors de la forêt, et rien que ça constituait en son bon plaisir. Il n’avait plus les idées très claires pour continuer, et puisqu’ils avaient anéanti le miroir, ils étaient censés pouvoir retourner chez eux sans plus d’exploits. Hélas, rien ne se passait, ou pas immédiatement en tout cas. Un chainon manquant était toujours envisageable certes, mais il n'avait aucune suggestion en tête. En attendant, la brune s’arrêta brusquement sans qu’il puisse s’expliquer la raison. Elle énonça une chose à lui rendre. Phrase bien mystérieuse qu’il mit un certain temps à saisir. Ses méninges ne fonctionnaient plus à plein régime, c’est pourquoi il se représentait tout et n’importe quoi venant d’une femme capable de s’allier à un démon totalement cinglé. Il débusqua toute conjecture lorsqu’elle s’éleva sur la pointe des pieds pour lui emprisonner la gorge de ses doigts souples. Qu’avait-elle en tête pour tenter le diable à ce point ? Elle savait qu’elle s'exposait au danger puisque ses réactions n’étaient jamais celles attendues. Qu’il s’agisse d’elle ou d’une autre personne, il pourrait séparer la tête de son corps en un seul tour de bras. La fixant intensément de son regard absent de pupilles comme d’iris, le tortionnaire expérimenté laissa la jeune femme relâcher son emprise. Depuis que ses yeux avaient finement muté, l’incertitude de ses prochaines actions empêchait toute anticipation. Les traits de ses lèvres impliquaient autre chose que le franc sourire qui le caractérisait. D’un geste imperceptible tant par sa brusquerie que par son angle mort, les griffes apparentes du démon léchèrent la joue de Callidora. Il l’avait sciemment évité au dernier moment malgré la fine coupure qui attesta de sa tentative. « Tu as essayé de la tuer ? » Si cela pouvait paraitre anodin, Krog avait eu un autre aperçu de la scène grâce à sa vision de prédateur. Zane se tourna alors vers son compagnon en allongeant ses lippes. « Mais non, c’était une farce. J’ai glissé, tout simplement. » Ria-t-il en sortant une des pires excuses qu’il aurait pu inventer. Néanmoins, le mammifère accepta de lui faire confiance. Après tout, il demeurait ce qu’il avait toujours été.

Finalement, c’est un autre phénomène anormal qui décida d’interrompre le sujet. La Rehla fut la première des trois à subir des gradations dans son corps. S’il ne saisissait pas les fondements de son affolement sur le coup, lui-même ressentit ensuite une forte paralysie au niveau de ses jambes. Il ne parvenait plus à bouger, mais pire encore, il éprouva une multitude de sensations détestables lui parcourir l'intérieur au sein de tous ses organes. Il peinait à respirer. Ses mots ne tendaient plus à s’aligner pour former des mots. Il essayait de combattre cette infamie, sans succès. Quelques secondes plus tard, l’homme comprit alors qu’ils retournaient à leurs dimensions et que c’en était enfin achevé de ces terres. Des minutes où des heures plus tard -après un immense trou noir-, le malin se réveilla avachi dans un fauteuil. En prenant un instant pour reprendre conscience de ce qui s’était passé, il se releva avant de guetter les lieux. Ils se trouvaient dans une immense pièce, sans doute dans une salle de séjour. Krog et Callidora se trouvaient également ici, encore léthargiques. L’endroit semblait idéal pour être l’un de ses futurs refuges. Il suffisait d'inclure que la maison était abandonnée pour comprendre que personne ne viendrait les déranger ici. Quelques travaux étaient à faire ici et là, mais c’était l’affaire de quelques jours. Rien de bien méchant. Guidé par une voix dans son esprit, le vil tentateur invoqua son katana avant de se diriger vers la jeune femme. Depuis quelques heures, il ne ressentait plus aucune émotion. Du moins, aucune d’entre elles n’avait été sincère. Mettre fin à la vie de cette personne lui semblait approprié, voir même nécessaire. Cependant, alors qu’il fut sur le point de baisser son arme pour mettre fin à son existence, l’imposante bête noire se dressa devant lui. « Je te laisserais volontiers faire si tu étais dans ton état normal, Zane. Reste que ce n’est pas le cas donc je ne peux p… » Le loup émit un jappement strident. Zane venait de lui confier un puissant crochet dans l’estomac. Il fut si intense qu’il marqua le pelage de son ami par la représentation distincte de son agression. C’est la première fois depuis le jour de leur rencontre qu’il s’en prenait à lui. « Mon état est tout à fait complaisant, au contraire. Vois par toi-même. » Sans faire le moindre élan, l’ombre qui lui appartenait circula en ondulant. Se transformant en une hache gigantesque, il était sur le point de se débarrasser de l’animal.

La brune se démenait pour préserver Krog. C’était tout à son honneur. Les yeux rivés sur la bête subitement devenue invisible, il porta dès lors naturellement son attention sur celle qu’il ciblait depuis le début. Elle avait de l’audace pour vouloir se mesurer à lui, ou alors elle avait trop pris foi depuis le sauvetage qu’elle avait effectué. Callidora était certes devenue bien plus favorisée que par le passé, mais il lui manquerait toujours l’essentiel pour pouvoir le mettre en péril ; la domination physique et le courage. Le courage d’en finir un jour avec lui si jamais elle y était contrainte. Elle pouvait manifestement se battre contre lui et le meurtrir, mais avait-elle le cran d’en finir avec son existence ? L’intention de tuer écrasait toujours ceux qui en étaient dépourvus, et cela se sentirait tôt ou tard dans leurs futures mêlées. « Je te promets que tu n’auras pas le temps de t'endormir. » Une prophétie qu’il comptait bien tenir, et jusqu’à ce jour, il les avait toujours respectés. Qu’elle profite de son égaiement pour le moment étant donné qu’il ne durerait pas. Zane persistait austère en toute saison. Son envie de se gausser avait complètement croulé au profit de cette soif dévorante de lutte.  Ce qu’elle fit ensuite ne le surprenait pas davantage au mépris du manque de cohérence. En venir à se lacérer elle-même le bras témoignait de sa pleine démence. Peut-être n’était-il pas aussi démoniaque qu’il le pensait, ou bien… Après les quotidiennes sphères de feu qu’elle avait l’habitude de manipuler, voilà qu’elle lui dépêcha des sphères électriques pour changer. Empaquetant sa lame d’une couche d’ombre pour la résistance, il contra chaque boule en la scindant en deux. Pas seulement avec son épée, mais également avec ses mains par lesquelles il les déclina d’un revers. Aussi ingénieuse qu’elle pouvait l’être, la jeune femme ignorait que tout avait été décuplé dans ses caractéristiques. Cette force sombre qui s’emparait de lui octroyait à ses habiletés un surplus inimaginable.

Écarquillant les yeux au dernier instant, sa tête fendit l’air dans une fringante rotation pour s’apercevoir un peu trop tardivement des intentions de son ennemie du moment. Qu’elle agisse avec autant d’imprudence allait sans doute lui coûter plus cher qu’à lui-même. La confiance en soi permettait d’accomplir des miracles, à condition d’avoir un corps corroyé avec le même acier que le mental. S’il ne doutait en rien de sa force psychique, il avait d’autres aprioris concernant son art martial. De toute évidence, le démon se savait supérieur à elle en tous points. Quand elle planta son arme dans son bras, celui-ci ne poussa pas le moindre râle. En vérité, ses yeux absents de toute émotion s’étaient contentés d’observer la plaie se former sans chercher à s’en défaire. D’une certaine façon, il ne semblait plus concevoir la douleur. Soit son habitude de la souffrance dépassait l’entendement, soit son état insolite y était pour quelque chose. L’un comme l’autre, rien ne l’affecterait outre mesure si ce n’est la mort elle-même. L’aura du diable s’intensifia même en conséquence, comme si la brune libérait de plus en plus le mal enchaîné en lui. Sa démarche suivante le plaçait dans une phase d’incompréhension. Était-elle devenue irrationnelle en produisant les mêmes entailles sur son propre épiderme ? Le suicide était une forme de mort assez plate et tellement ridicule. Pour conclure sa séquence, elle plia ses doigts sur les siens. Une danse dans un moment si critique n’était peut-être pas la meilleure résolution. « Tu deviens présomptueuse de croire l’impossible. Le fait d’être réaliste était pourtant ta force d’antan. » Conformément à ce qu’elle avait accompli, elle avait toutefois fait une énorme faute en ne prenant pas en compte ses nouveaux arguments. Cachotier jusqu’à la fin, il avait volontiers voilé son nouveau pouvoir.

Révéler sa carte maitresse avant la fin constituait toujours l’erreur de ceux qui voulaient trop en montrer. Manipulant le sang par sa simple pensée, tout le liquide qu’elle avait jusqu’alors libéré lévita dans les airs. Se remuant en masse vers un point exact, ces dernières fusionnèrent pour confectionner une fabuleuse main cramoisie. Se déployant alors pour laisser la paume apparente, elle frappa de plein fouet la Rehla à la poitrine qui se dénoua spontanément du démon. Alors qu’elle était toujours en plein recul, il envoya expéditivement deux couteaux de lancer sur elle. Invoquant à son tour des illusions, il falsifia le réel pour faire croire à une multiplication de l’arsenal. Sauf que voilà, le démon avait fait exprès de l'influencer avec l’effet de son arme afin qu’elle se focalise essentiellement sur le trop grand nombre qui fusait vers elle. Toutefois, ce n’est pas la seule chose qu’il avait corrompue. En laissant son corps à sa place actuelle, il s’était déplacé avec l’aide des ombres immédiatement après le lancer. En conséquence, le vil manipulateur se trouvait déjà derrière elle pour la réceptionner comme il se doit. Usant de sa force dévastatrice, il exerça une pression écrasante sur les deux épaules de sa proie. Il entendit facilement les os se défaire et se briser sous ses doigts. La tension qu’il exerça engendra une pincée d’étincelles avant qu’il ne daigne la projeter en avant par un nouveau coup de pied. En dépit de la violence exagérée, l’homme n’en avait pas terminé. Rassemblant le sang qui émergea des plaies et les ombres qui étaient siennes, il composa un amas d’objets incisifs. Lances, lames circulaires, multitude de pointes au diamètre variable il fit quelques pas dans sa direction. Callidora s’était merveilleusement bien défendu, mais elle avait omis deux points capitaux. Sa magie était intensifiée par le mal qui le rongeait et il était un démon accoutumé à la guerre et aux techniques perverses.

Néanmoins, alors qu’il se trouvait a seulement un mètre d’elle, Zane fut subitement frappé par un éclair violacé. Un cercle d’invocation était apparent sur le sol. Le phénomène, violent et particulièrement intense, réveilla toute la douleur et la souffrance qu’il devait ressentir. Il n’était plus insensible, c’est pourquoi il hurla durant toute la durée de la manifestation. Au terme de trente secondes d'agitation, la tempête cessa enfin. Toujours debout, mais les jambes fléchies, l’accoutrement écharpé par l’affrontement permettait d'entrevoir de superficielles brûlures sur sa peau. Les muscles endoloris, il éprouvait un certain mal à mouvoir ses articulations. Toutefois, les yeux du démon étaient refleuris à la normale, ainsi que son aura qui s’était complètement volatilisée. Après plusieurs minutes de récupération, il repéra la cause de ce trépas en baissant les yeux. Il se pencha alors et ramassa le morceau de tissus que tous deux devaient reconnaitre. C’est l’un des rubans qu’il lui avait laissé lors d’une de leurs retrouvailles. Callidora ne l’avait sûrement jamais avisé, ou alors elle ignorait ses effets, mais il s’agissait en réalité d’une sorte de parchemin qui avait été couvert à l’intérieur. En somme, conscient qu’il pouvait à tout moment perdre la raison, il avait confié ce bien à la jeune femme pour l’arrêter en cas de folie. La protéger de lui-même avait constamment été dans ses intérêts. De retour dans le monde de la raison, il s’approcha alors de son amie. Durant la marche, il déchira le bout de papier qui était désormais obsolète. « Désolé, princesse, je suis un peu grognon en ce moment. On dirait que je n’y suis pas allé de main morte. » Pouvait-il seulement se permettre d’être taquin maintenant ? Plus que jamais. Malgré la gravité, aucune fin n’était fatale en soi, y compris la mort. Depuis le temps, il savait aussi qu’elle était consciente que trainer avec lui apportait rarement le bien.

Jetant un œil au loup qui avait retrouvé sa visibilité, il nota qu’il était en vie grâce aux vagues que formait son abdomen. Il devait le ramener chez lui et le soigner. Il saurait se faire pardonner. Pas seulement pour lui, mais aussi pour elle. Apposant sa main au niveau de son bras, Zane détacha un autre petit flacon disposé en bracelet autour de son poignet. Il le déboucha et inséra le contenant entre ses lèvres. « Ça devrait suffire pour réédifier tes os d’ici quelques heures. » Heureusement qu’il avait certaines relations au sein des sorciers, sans quoi tous ses bijoux et autres accessoires ne seraient pas équipés d’autant de remèdes. Joindre l’utile à l’esthétique s’avérait toujours profitable dans ce genre de situations. En revanche, le démon ne pouvait pas rester ici plus longtemps pour voir le soin opérer. Il devait partir pour d’autres contrées et s’occuper de son ami blessé. De toute façon, elle s’en sortirait très bien sans lui. Appelant ses ailes à surgir de ses lombaires, le démon porta délicatement le canidé. Avant de s’envoler par la fenêtre, il tourna le visage de trente degrés en s’adressant à elle. « Une dernière chose. Je n’ai pas été tout à fait honnête avec toi. Il est évident que tu comptes beaucoup pour moi. Tu m’es précieuse pour de nombreuses raisons, mais j’ignore encore si je pourrais compter sur toi au moment voulu. L’impartialité n’existe pas dans ce monde. Un jour, tu devras clairement choisir ton camp, quitte à te mettre les dieux à dos. Aussi, j’ai pu déceler une part d’ombre se couler en toi. L’heure d’un choix devra bientôt se faire. Le seul conseil que je peux te donner, c’est : vis comme tu l’entends sans te préoccuper des autres et des conséquences. Les phénix ne sont pas faits pour vivre en cage. » Il avait tout dit, et c’était là l’essentiel. Il n’essayait ni de la guider ni de lui imposer une conceptualisation, simplement de la faire réfléchir sur le principe de son existence. Il la connaissait maintenant assez bien pour comprendre qu’elle doutait depuis quelque temps de ce qu'elle était.