LES SIRENES

ft. Patience

« Tu n’es pas une esclave. Pas pour moi. » Ses mots ne furent qu’un murmure à peine audible, que déjà les phalanges de Patience enserrèrent son bras. Un sourire émergea de ses lippes maussades tandis que la djinn reprenait la parole. Ses muscles se tendirent, en proie à une appréhension qu’il n’aurait jamais pensé ressentir. Le temps était venu. Cette fois-ci, pour de bon. Le smaragdin des iris du génie s’illumina et un flot incongru d’images fugaces et de sentiments renfloués se déversa en lui. Le portrait de son père, son ressenti, l’étreinte absconde de son emprise, la douleur, encore la douleur. Un rire guttural et effrayant, des prunelles carmines qui le jugeaient de toute leur hauteur, la morsure d’une lame de son dos. Le réprouvé réprima un cri d’effarement, comprenant les gestes mentaux de Patience, il lutta contre son envie de fuir, de ne pas affronter chacune de ces images terrifiantes. Mais, tout cessa. Ses paupières se descellèrent, happant la clarté de la lune. Tout semblait différent, comme libéré d’un poids inexplicable. Le lien était brisé, tout en lui le revendiquait. Sa servitude, son sentiment de soumission, il ne sentait plus rien. Ses lèvres tressaillirent et il entendit à peine Patience lui annonçait que son œuvre était achevée. Le proscrit se leva, clignant des yeux devant ce monde chatoyant. Il se tourna vers sa salvatrice, ses doigts se lièrent aux siens avec douceur. Il ne dit mot. Il en était incapable.

A nouveau, le regard de Patience s’illumina et elle déposa dans sa paume une pièce parfaitement lisse, qu’il caressa d’un doigt. Il ne comprit pas, jusqu’aux palabres de la génie qui éclairèrent sa confusion. Il lui rendit doucement son sourire. Une pression sur sa main, des mots qui sonnaient comme un adieu. Quelque chose s’était créé, quelque chose devait se défaire. « Je prendrais soin de ce vœu. Je te retrouverais, un jour. Tu peux en être sûre. » Il approcha d’elle, ses phalanges épousèrent la forme de ses jambes et remontèrent sur ses hanches. D’une pression il l’amena à lui et l’enlaça avec douceur. « Merci. » Il se tut, enfouissant son visage à la peau burinée dans la chevelure flamboyante de l’ineffable créature. « Tu m’as libéré et aucun mot ne saurait décrire ma reconnaissance. Aucun mot, ni aucun geste. » Il la relâcha, prenant lentement son visage entre ses longs doigts, l’amenant près du sien. « Je n’aime guère les adieux. J’y suis peu habitué, je me lie rarement à quelqu’un d’autre, tu es presque une exception… Je te dirais seulement au revoir. Je sais que je te reverrais. » Ses lippes s’étirèrent et il les déposa sur le front de la jeune femme, puis le contact se brisa. Vadim fit quelques pas en arrière, observant longuement Patience avant de se détourner. Il vint reprendre son arme et la ceintura dans son dos. Il était temps de partir. Proximo ne leur avait promis aucune récompense et le captif ne pourrait pas s’enfuir, il était vain d’attendre indéfiniment en ces lieux. Le réprouvé s’avança vers la porte, que les hères fuyants avaient laissé ouverte. Un éclat farouche passa des ses prunelles. Une lueur carmine et envieuse de répondre à ses appétences. Il se retourna et rejoignit Patience. Ses mains reprirent ce visage qu’il avait maintes fois parcouru et ses lèvres vinrent cueillir le cinabre de celles de la djinn, avec une brutalité dont il n’avait pas fait preuve jusqu’alors. Le baiser fut court, sauvage, empreint de toute l’obscurité de l’exilé. Il le rompit, caressant d’un doigt la joue de son amie. « Voilà qui met un terme à cette tension inexplicable entre nous. » Il lui sourit et quitta les lieux. Elle aurait tout le temps de le réprimander pour son geste. Ce n’était pas de l’amour, ni même de la passion, plutôt l’expression de sa profonde gratitude. L’expression de la complexité de leur relation.